Eclairages sur la
Conférence MONDIALE CONTRE LE RACISME A GENEVE
Quatre voix palestiniennes
Silvia Cattori
Mardi 5 mai 2009 Pourquoi ne peut-on
honnêtement mettre en question le racisme d’Israël ?
La Conférence d’examen de Durban, qui s’est
déroulée du 20 au 24 avril 2009 à Genève pour évaluer les
progrès réalisés depuis la « Conférence mondiale contre le
racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et
l’intolérance qui y est associée » tenue en 2001 à Durban, a été
le théâtre de la division orchestrée par les pays qui refusent
de considérer Israël comme un état raciste pratiquant
l’apartheid, et par les pays et les organisations qui
n’acceptent pas un débat ouvert sur les lois et les politiques
racistes d’Israël vis-à-vis des non-juifs.
Sous la pression de quelques
pays occidentaux, l’Autorité palestinienne a accepté la
suppression de toute mention de la Palestine et d’Israël. La
mention du "sort du peuple palestinien vivant
sous l’occupation étrangère" qui reconnaissait "le
droit inaliénable du peuple palestinien à l’autodétermination"
a disparu de la Déclaration finale.
Nous avons demandé à
plusieurs Palestiniens éminents s’ils avaient été surpris de
voir la France, pays de la Déclaration des droits de l’Homme,
prendre la tête des autres délégations européennes [1]
pour provoquer un affrontement avec le Président iranien
Ahmadinejad. Et si, finalement, cette conférence contre le
racisme n’apparaît pas comme une nouvelle défaite pour tous ceux
qui, dans le monde, demandent justice et réparation ?
Quatre authentiques
Palestiniens ont répondu à ces questions : le Dr. Haidar Eid [2]
qui vit à Gaza, Hazem Jamjoum [3]
qui vit à Bethléem (Cisjordanie), Jamal Zahalka [4]
qui vit en Israël, et Omar Barghouti [5]
qui vit Jérusalem (Cisjordanie).
Haidar Eid :
Nous, Palestiniens, en avons plus qu’assez de la soi-disant
"communauté internationale". La Conférence d’examen de Durban à
Genève a-t-elle été un échec ? Eh bien, si nous croyons encore
en la capacité des gouvernements occidentaux, en particulier de
ceux qui ont un passé colonial, à jouer un rôle positif
vis-à-vis des droits inaliénables du peuple palestinien, nous
nous leurrons. C’est sur le pouvoir des peuples que nous devons
compter, exactement comme cela s’est passé contre l’Apartheid en
Afrique du Sud, où une campagne globale soutenue de Boycott,
Désinvestissement et Sanctions, a fini par forcer ces mêmes
gouvernements à boycotter le régime raciste de Pretoria.
Durban II a rappelé que, avec Bush ou avec
Obama, l’Empire reste le même.
Une des principales
différences entre les crimes commis par le régime d’apartheid
sud africain et ceux commis par le régime d’apartheid israélien
est la manière dont ce dernier peut échapper à ses crimes, dans
une impunité sans précédent, comme l’imposture de la Conférence
d’examen de Durban l’a bien montré. Israël n’aurait pas pu mener
sa guerre génocidaire contre la population de Gaza sans le feu
vert de la communauté internationale.
L’idée de citoyenneté est
totalement absente en Israël. Dans le monde « moderne », Israël
est le seul état dans lequel la citoyenneté et la nationalité
sont deux concepts séparés et indépendants. Israël n’est PAS
l’État de ses citoyens, mais l’État du "peuple Juif" ; en outre,
Israël n’a pas de Constitution.
Ainsi, voilà des FAITS mis de
côté par ces pays qui ont boycotté, ou détourné la Conférence
d’examen de Durban. Sans surprise, la plupart, si ce n’est la
totalité, de ces pays sont, historiquement, soit racistes, soit
colonialistes, ou ont un passé esclavagiste.
Hazem Jamjoum :
Globalement, la conférence a été un pas en arrière pour la lutte
mondiale contre le racisme. Au vu des critiques adressées à la
Conférence de 2001 par les États-Unis, Israël, le Canada et
l’Europe, et au vu de l’approche adoptée pour cette Conférence
d’examen, il est apparu clairement que, pour l’ONU, la mesure de
la réussite était que la conférence puisse satisfaire tous les
ÉTATS, au détriment de la lutte contre les graves problèmes du
racisme, de la discrimination et de la xénophobie. En tant que
telles, toutes mentions des auteurs et des victimes du racisme
ont été évités par les États qui ont, à la place, mis l’accent
sur des "thèmes". Cette tentative de satisfaire tous les États,
et tout particulièrement d’apaiser Israël et ses soutiens, a
fait que la Conférence mondiale contre le racisme n’a pas réussi
à aborder efficacement la question du racisme.
En outre, comme vous le
verrez dans les communiqués de presse de BADIL [6],
l’ONU s’est efficacement opposé aux réunions parallèles portant
sur des aspects spécifiques du racisme. Cela inclut deux
réunions parallèles qui portaient sur le lien entre la lutte
palestinienne contre le racisme israélien et d’autres luttes
antiracistes à travers le monde, et qui visaient à profiter de
ces rencontres pour partager et discuter l’analyse juridique
d’Israël comme d’un État qui a commis le crime d’apartheid tel
qu’il est internationalement reconnu, cette analyse se
développant rapidement, de manière de plus en plus sophistiquée.
Plusieurs des réunions parallèles officiellement sanctionnées
qui ont parlé de la question du racisme, y compris
l’antisémitisme, ont été ensuite utilisées comme un moyen de
protéger Israël de toute critique en dénaturant la critique de
l’État d’Israël comme une forme de racisme !
Sur la question de savoir si
cela a été une défaite, c’est la Nakba (expulsion de 800’000
Palestiniens) de 1948 qui a été une défaite. La Conférence
d’examen de Durban a montré que le système international
continuait à fonctionner, en ce qui concerne la Palestine,
largement de la même manière qu’il l’avait fait au cours des
dernières décennies. Israël jouit de l’appui des États-Unis et
d’autres états très puissants, ce qui a permis de le protéger de
tout examen et d’empêcher d’autres acteurs de le tenir pour
responsable de ses crimes inhumains.
Dans le cadre de l’examen de
Durban, ces États et institutions puissants ont travaillé à
éviter un débat sur le racisme comme cause de l’oppression des
Palestiniens, et sur l’évidente réalité qu’Israël est en train
de commettre le crime d’apartheid. Les délégués européens qui
ont quitté la salle à la première mention d’Israël ont montré
qu’une dynamique encore plus dangereuse est à l’œuvre, que le
mot « Israël » est devenu un mot que l’on ne peut plus prononcer
dans un contexte critique, quel qu’il soit. D’autre part, les
citoyens du monde, la société civile mondiale, se rendent bien
compte des crimes qu’Israël a commis, et continue de commettre,
comme le démontre la croissance du mouvement international pour
le boycott, le désinvestissement et les sanctions à l’encontre
d’Israël jusqu’à ce qu’il respecte le droit international. À la
Conférence d’examen de Durban, les organisations de la société
civile ont défendu la cause palestinienne comme leur propre
cause, qu’elles viennent d’Afrique, d’Asie, d’Amérique latine et
même d’Europe et d’Amérique du Nord — la solidarité exprimée
dans l’action entre les membres de la société civile mondiale a
été un succès très émouvant.
La France est parmi les États
qui ont essayé de protéger Israël de tout examen et de toute
critique ; à cet égard, le rôle du Gouvernement français
n’apparaît pas vraiment comme une surprise. La lutte se
poursuit, pas seulement pour les Palestiniens, mais aussi pour
les Français, et les autres peuples qui luttent eux-mêmes pour
la justice au sein de leurs communautés. Ce n’est pas par hasard
que les régimes qui répriment les voix dissidentes et les
mouvements pour la justice sociale en Europe et en Amérique du
Nord sont ceux-là mêmes qui soutiennent activement l’apartheid
israélien en Palestine.
Jamal Zahalka :
Israël et les États-Unis n’ont pas réussi à empêcher la
Conférence d’entériner les décisions de Durban I.
C’est pour cette raison qu’ils ont décidé de la boycotter.
La délégation palestinienne
(représentant l’Autorité palestinienne basée à Ramallah), sous
la pression d’Israël et d’autres États occidentaux, a aussi
accepté de supprimer toute mention d’Israël. Mais ils n’ont rien
obtenu en échange ; ils ont perdu deux fois : ces pays n’ont pas
participé à la Conférence et la Palestine n’a pas été
mentionnée.
Les Palestiniens et les États
arabes n’auraient pas dû accepter l’omission de toute référence
à Israël et à la Palestine. Ils ont fait une erreur. Pour cette
raison, je pense que cette conférence a été un demi-succès pour
ceux qui luttent contre le racisme dans le monde entier, et pour
le peuple palestinien.
Les Israéliens tentent
toujours d’orienter le débat avec l’aide de nombreuses personnes
qui travaillent pour leurs intérêts, afin de rendre le monde
inconscient de la réalité en Palestine et des souffrances de la
population, en particulier dans la bande de Gaza. Nous avons vu
leurs militants en action lors des rassemblements organisés ici
à Genève par le mouvement sioniste. Les organisations sionistes
ont amené plus d’un millier de militants du monde entier - pour
la plupart des pays européens et des États-Unis - mais ils n’ont
pas réussi à étouffer la question palestinienne dans le débat.
La tactique des Israéliens
lors de cette conférence était d’éviter toute mention des
Palestiniens. Ils ne voulaient pas argumenter et répondre à des
accusations en ce qui concerne les Palestiniens. Ils voulaient
faire de l’Iran la cible de cette conférence. Pour cette raison,
Israël et ses compagnons sionistes voulaient centrer le débat
sur « l’antisémitisme » et "l’Holocauste".
De cette façon, les
Israéliens ont essayé de réorienter l’ordre du jour de la
Conférence. Par conséquent, du fait de la politique israélienne,
on peut dire que cette conférence portait sur le peuple juif et
non pas sur les souffrances du peuple palestinien. Ils ont
réussi dans une certaine mesure ; pour cette raison, je
qualifierais cette conférence de demi-succès. Nous n’avons rien
obtenu, mais nous n’avons pas non plus tout perdu.
Les organisations sionistes
ont fait tous les efforts possibles ici pour détourner
l’attention des médias sur l’Iran et pour empêcher toute
critique contre Israël. Mais malgré cela, les décisions de
Durban ont été un échec pour Israël ; ils n’ont pas réussi à
faire avorter Durban : c’est la raison pour laquelle ils ont
boycotté la Conférence d’examen de Durban.
Mais à la fin, personne ne
peut éviter ou ignorer la question palestinienne. Les
déclarations des ONG ont été très positives à l’appui de la
lutte des Palestiniens.
Lorsque la France a quitté la
salle, suivie par d’autres délégations européennes, c’était
honteux. Ils n’avaient pas besoin d’être d’accord avec ce qu’Ahmadinejad
disait ! Chaque pays a la liberté de parole, comme tous les pays
européens ; chaque représentant est libre de dire ce qu’il veut,
et toutes les délégations présentes à l’ONU doivent écouter.
Les pays occidentaux doivent
argumenter de manière civilisée avec chacun. Faire ce genre de
scène simplement parce qu’Israël a été mentionné dans la
déclaration du Président iranien, était déplorable. Ce spectacle
avait été organisé à l’avance. Ce que les Européens ont fait a
été d’envoyer un message aux Palestiniens ; ils ont signifié
qu’ils absolvent le racisme d’Israël vis-à-vis des Palestiniens.
C’est ce message que les Palestiniens ont reçu de leur injuste
attitude.
Je voudrais leur demander :
pourquoi ne se sont-ils pas exprimés de manière aussi forte
quand l’armée israélienne était en train de massacrer des
Palestiniens à Gaza ? Pourquoi n’étaient-ils pas aussi outrés
quand les Israéliens ont tué plus de 1’400 Palestiniens à Gaza,
sans qu’ils fassent la moindre déclaration ! Ainsi, cela nous
« montre » qu’ils ne sont pas véritablement disposés à donner
une chance à la paix. Cela nous indique que, avec ce genre de
puissant soutien des pays occidentaux au Gouvernement raciste
israélien – qui est un Gouvernement extrémiste – rien ne va
changer.
Je ne pense pas que le monde
occidental peut continuer à agir comme cela. J’espère que, après
leur honteuse représentation ici à l’ONU, ils se montreront
capables de reconsidérer leur position, et de prendre des
mesures en faveur de la Palestine ; sinon ils sont en train de
déclarer la guerre aux Palestiniens. Ils doivent trouver une
forme d’équilibre.
Omar Barghouti :
C’est d’abord une défaite pour les Nations unies et pour la
primauté du droit international. En s’inclinant devant les
pressions américaines et israéliennes, l’ONU est en train de
perdre un peu plus de ce qui peut rester de sa crédibilité. Le
Secrétaire général des Nations Unies apparaît de plus en plus
comme un employé subalterne du Département d’Etat états-unien et
comme un avocat chargé de défendre ou de blanchir les violations
israéliennes du droit international. Cela ne peut que saper le
rôle crucial que les personnes de conscience partout dans le
monde espéraient voir jouer aux Nations Unies pour apporter la
justice et la paix.
Les représentants européens à
la Conférence d’examen de Durban ont juste ajouté un élément
théâtral à leur complicité avec les crimes israéliens et à leur
hypocrisie, déjà révoltantes, telles qu’elles sont apparues de
la façon la plus claire tout au long du siège illégal et de la
récente guerre criminelle d’agression menés par Israël contre
Gaza. De la part de dirigeants européens qui ont célébré avec le
Premier ministre israélien, Ehud Olmert, la "victoire" d’Israël
à Gaza, on ne pouvait en aucune manière s’attendre à ce qu’ils
défendent l’état de droit ou la morale. Leur coup de publicité à
Genève a simplement apporté une nouvelle preuve à charge de leur
complicité avec les graves violations israéliennes du droit
international.
Que l’on soit, ici ou là,
d’accord ou non avec les déclarations du Président iranien
Ahmadinejad, on ne peut raisonnablement trouver aucune faute
dans la constatation factuelle qu’il a faite à Genève, lorsqu’il
a qualifié le gouvernement israélien de gouvernement raciste.
Comment pourrait-on décrire autrement un gouvernement, dont les
principaux ministres préconisent le nettoyage ethnique de la
population autochtone "non juive", qui impose un système de
discrimination raciale institutionnalisée, ou d’apartheid,
contre la minorité palestinienne de l’état, et qui maintient un
régime colonial enraciné dans le racisme ?
Des rapports successifs sur
les droits de l’Homme émanant du Département d’État des
États-Unis ont accusé Israël de "discrimination
institutionnalisée" contre la minorité palestinienne. Les
États-Unis, bien sûr, ne sont pas en situation de faire la leçon
à qui que ce soit sur les droits de l’Homme, compte tenu de leur
casier judiciaire horrifiant en Afghanistan et en Irak, sans
parler du Vietnam, de l’Amérique latine, d’Hiroshima, etc.
Toutefois, que le Département d’État états-unien ait accusé
Israël de discrimination raciale institutionnalisée veut dire
beaucoup, vu le soutien inconditionnel général que les
Etats-Unis ont fourni à Israël pendant des décennies.
De même, les rapports des
agences des Nations Unies, ainsi que des principales
organisations de défense des droits de l’Homme, ont constamment
accusé Israël de discrimination raciale institutionnalisée
contre ses citoyens palestiniens. Alors, qu’y avait-il de
nouveau ou d’inexact dans la déclaration d’Ahmadinejad à
Genève ?
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