|
Mur
de séparation ethnique et désinformation
Quand
les médias dominants diront-ils enfin la vérité sur Israël ?
Silvia Cattori
5 mai 2008 Au moment où Israël,
soutenu par les gouvernements occidentaux, s’apprête à célébrer
avec faste le soixantième anniversaire de sa création (*), et
alors que les Palestiniens, bouclés dans des ghettos, n’ont
jamais été aussi opprimés, nous rediffusons un article, écrit
en août 2003, qui conserve, malheureusement, toute son actualité.
L’Etat d’Israël a été fondé, en 1948, sur un crime que les
victimes palestiniennes ont appelé "Nakba",
"catastrophe". Cela s’est traduit par l’expulsion
brutale de près de 90% des natifs palestiniens hors de chez eux.
Nous pensons qu’il n’y aura aucune paix possible aussi
longtemps qu’Israël ne reconnaîtra pas ses torts et ne rendra
pas aux Palestiniens ce qu’il leur a extorqué par la force
durant ces soixante années.
Alors que la situation des Palestiniens s’est dangereusement
aggravée, du fait de l’étranglement maintenu par l’occupant
israélien, nos gouvernements devraient avoir la décence de
refuser de participer à ces célébrations. Et les journalistes
devraient avoir enfin l’honnêteté de dire la vérité sur
l’apartheid pratiqué par Israël vis-à-vis des Palestiniens,
et de la répéter jusqu’à ce qu’une solution conforme au
droit international soit apportée à cette tragédie.
Nous ne devons jamais cesser de
chercher l’humaine réalité.
Quand on découvre le degré de
confusion dans lequel la désinformation a plongé les gens, dans
les pays occidentaux, sur la guerre que livre Israël contre le
peuple palestinien, on a de quoi s’inquiéter de l’efficacité
de la propagande répandue par les autorités israéliennes et
leurs relais.
Or, si les journalistes avaient
gardé une équidistance par rapport aux parties en cause, relaté
les faits en toute objectivité, systématiquement rappelé cette
chose simple : que les Palestiniens sont victimes d’une
immense injustice qui demande réparation - l’arrivée massive
sur leur terres d’immigrants de confession juive qui les ont
graduellement chassés, persécutés, massacrés en toute impunité
- nous n’en serions peut-être pas là.
Il ne s’agit pas ici de refaire
l’histoire, ni d’être pro-israélien ou pro-palestinien. Il
s’agit simplement de savoir reconnaître la vérité des faits
et de l’assumer humainement pour rendre justice aux victimes
palestiniennes de l’oppression d’Israël, comme on a rendu
justice, hier, aux victimes des crimes nazis (dont les
Palestiniens ne sont en rien responsables).
Israël, fort de ses services de
propagande et de renseignements – services qui infiltrent,
manipulent, corrompent, tissent des réseaux secrets - a su
asseoir son pouvoir sur l’information avec une efficacité
redoutable. Répercuter tout ce que cet allié des Etats-Unis décrète
et répand est de bon ton dans les rédactions. Par contre, dénoncer
ce qui l’incrimine gravement n’est pas convenable.
Dans le respect de la vérité et
de la justice, les citoyens doivent exiger des journalistes
qu’ils cessent de les intoxiquer en rapportant les informations
biaisées que les agents de communication, liés aux pouvoirs
politiques et militaires dominants, ont pour métier de répandre.
Israël et son influent « lobby » sont l’un de ces
pouvoirs de manipulation et d’intoxication. Pouvoirs qui savent
se faire craindre et que par conséquent, peu osent affronter ou
contredire.
C’est à force de tromperies et
de servilité que certains journalistes obtiennent leurs galons et
bâtissent leur carrière. Or, quand les médias nous livrent une
information falsifiée ou expurgée, ce n’est pas sans graves
conséquences pour les peuples concernés. Ils privent la société
d’une connaissance précieuse pour la compréhension des faits
et la possibilité d’agir, de secourir les victimes, quand il
est encore temps. Les Palestiniens ont déjà trop souffert ;
ils ne peuvent plus attendre dix ans, vingt ans.
Nous sommes catégoriques :
les journalistes portent une lourde responsabilité dans le
pourrissement d’une situation qui fait l’affaire d’Israël
et pénalise les Palestiniens.
Depuis des décennies les grands médias
occidentaux, fortement influencés par la propagande militaire
israélienne et les organisations juives dans le monde, s’ingénient
à accréditer l’idée qu’Israël serait "menacé par les
Arabes et les musulmans".
Des personnes de confession juive,
partout dans le monde, se disent constamment menacées dans leur
intégrité. Leurs dires sont tout à fait fantaisistes, mais
n’en exercent pas moins une intense pression sur les
gouvernements, les médias, l’opinion.
De leur côté, des journalistes
et des groupes de pression ouvertement pro-israéliens, n’ont
pas cessé d’exploiter la souffrance générée par
l’holocauste et d’agiter le spectre de l’antisémitisme pour
culpabiliser ceux qui demandent justice pour les Palestiniens
victimes, à leur tour, d’épuration ethnique, de ghettoisation.
Or, quand on découvre l’étendue
des persécutions qu’Israël a infligées aux Palestiniens
depuis 1948, on demeure stupéfait par cette distorsion de la vérité.
Pourquoi, depuis soixante ans, nous a-t-on parlé avec une telle
insistance des victimes juives du nazisme alors qu’on passait
sous silence les victimes palestiniennes des persécutions israéliennes ?
Pourquoi deux poids deux mesures ?
Israël, et ses indéfectibles
relais, nous ont toujours donné une version totalement faussée
de ce qui se passe au Moyen Orient. Les campagnes qui présentent
constamment les personnes de confession juive en victimes, ont
pour but d’étouffer toute critique à l’encontre de l’État
d’Israël ; un État, qui, peu le savent, s’est créé
sur de nouvelles injustices : les massacres, la déportation
des Palestiniens, l’épuration ethnique qui se poursuit.
Israël a toujours justifié ses
annexions de terres palestiniennes, ses tueries de civils, ses
destructions de villes et villages arabes, ses assassinats
« extra judiciaires », en prétextant qu’ils étaient
« nécessaires à sa sécurité ». Or, si l’on
visite le Moyen Orient, on a vite fait de s’apercevoir que
c’est l’État d’Israël - l’unique pays de la région qui
possède des armes de destruction massive - qui a créé un climat
d’insécurité et de désolation, également pour ses voisins
syriens, libanais, irakiens.
Depuis que l’Etat d’Israël a
été fondé en 1948 - sur les terres palestiniennes, sur la
Palestine - il s’est attaché à construire une image négative
de l’Arabe et du musulman. Les prétendus « terroristes »
qu’il s’agit « d’éradiquer » selon Israël,
tout comme les prétendues armes de destruction massive en Irak,
qu’il s’agissait de « démanteler » selon les
Etats-Unis, ont pour but inavoué, inavouable, d’affaiblir
l’adversaire pour mieux l’écraser. Sans la complaisance des médias
qui maintiennent le monde dans l’ignorance, cela ne serait pas
possible.
C’est ainsi qu’Israël a pu
mettre en place - sans susciter de réaction majeure des pays réputés
« démocratiques » - un des pires systèmes
d’apartheid. Tout, il peut tout se permettre : forcer les
Palestiniens à vivre dans des ghettos surpeuplés, construire un
mur immonde d’apartheid au travers de paysages bibliques sacrés
que les Palestiniens n’avaient jamais osé toucher.
Israël, qui dispose d’une des
premières armées du monde, n’avait bien évidemment pas besoin
de ce mur pour sa « sécurité ». Ce mur de séparation
ethnique, conçu de longue date, attendait son heure dans les
tiroirs. Dès l’annonce de sa construction par le « socialiste »
Ehud Barak - en ce funeste mois d’avril 2002 qui est devenu
synonyme d’offensives meurtrières et de tragédies - il a
obtenu l’appui de toutes les forces politiques israéliennes,
camp de la paix inclus.
Israël a réussi son pari :
mettre le monde devant un fait accompli. Le mur est là.
Effrayant, indestructible.
Ce mur de séparation ethnique -
dont le tracé implique l’annexion de puits, la confiscation de
terres, la déportation de villageois - affectera directement et
durablement des millions de Palestiniens. Ces derniers, appuyés
par le Mouvement de solidarité internationale ISM [1],
ont multiplié conférences de presse et actions de résistance
pacifique pour tenter d’attirer l’attention des journalistes
internationaux basés en Israël et de l’Union européenne.
Peine perdue. Ils se sont faits systématiquement brutaliser,
jeter en prison, torturer, expulser par l’armée israélienne.
Il a fallu attendre une année et
demie, le jour où Bush a admis que ce mur constituait « un
problème », pour que les médias occidentaux consentent à
révéler au monde un peu de sa dimension. Bush, sous la pression
de M. Ariel Sharon, se rétractera quatre jours plus tard. Or
ce mur, qui emprisonnera les Palestiniens dans des ghettos infâmes,
crée un obstacle de plus sur la voie de la paix ; car
l’espoir des stratèges du « grand Israël » qui
l’ont conçu est d’arriver, avec le temps, à rendre
impossible toute reconnaissance des droits des Palestiniens à
retourner sur leurs terres.
Si le monde a finalement pu se
représenter ce qu’est physiquement ce mur dit de « sécurité »,
ses implications réelles sur la vie des Palestiniens restent
largement incomprises. A cause du langage utilisé. Les auteurs de
cette nouvelle atteinte à la légalité internationale se sont
arrangés à présenter la construction de ce mur honteux de façon
qu’il apparaisse comme un « mal nécessaire ». Or ce
mur, qui sépare les Palestiniens des Israéliens, officialise
objectivement la ségrégation ethnique et rend encore plus précaire
la vie des Palestiniens.
Voilà où l’asservissement des
principaux moyens d’information aux pouvoirs économiques et
politiques conduit le monde. À justifier les crimes d’Israël
et les mesures d’enfermement illégales des Palestiniens qu’il
met en place. A donner l’illusion d’informer sur ce qui se
passe en Palestine, alors que la réalité est totalement
travestie.
Si les correspondants occidentaux
avaient révélé les nouvelles injustices que ce mur honteux
allait imposer aux Palestiniens, Israël n’aurait peut-être pas
pu l’ériger. Lorsqu’il en a annoncé le projet, il s’était
attendu à de vives réactions ; le silence de l’Occident
lui a donné carte blanche.
C’est ainsi que, fort de cette
impunité, en mars 2003, M. Sharon a modifié le tracé de ce
mur de façon à annexer plus de terres et de colonies que prévu
initialement. Peu après, conforté par l’indifférence du
monde, il a encore annoncé l’ajout d’un mur supplémentaire
qui enfermerait la Cisjordanie en entier. Les colonies, toutes illégales,
qui sont la racine de tous les maux - soit quelque 450’000
nouveaux colons illégaux - sont les premières bénéficiaires de
ces conquêtes territoriales.
Il y a des êtres de grande probité
qui payent de leur vie leur volonté de dire au monde les horreurs
dont ils sont les témoins. Témoins que l’armée israélienne -
très soucieuse de son image - chasse sauvagement, assassine,
jette en prison.
Israël qualifie toute personne
qui dénonce ses crimes, comme « une menace pour sa sécurité ».
Je songe ici à ces photographes et cameramen palestiniens pour
commencer, qui ont à cœur de nous informer honnêtement et de témoigner
de la souffrance de leur peuple au risque de leur vie.
Leurs images, si difficilement
arrachées, sont le plus souvent expurgées, voire dénaturées,
par nos journalistes qui ne nous les montrent, du reste, qu’au
compte gouttes, préférant se servir des films fournis par les
services de propagande militaire israéliens.
Ces reporters, ont été les
meilleurs alliés des internationaux de l’ISM, présents comme
eux, depuis mars 2002, sur ces lieux où l’armée israélienne mène
des offensives particulièrement meurtrières. Ces hommes et
femmes qui, par leur seule présence, caméra au poing, défient
l’armée israélienne, méritent toute notre estime.
Chacun de nous se souvient de
Raffaele Ciriello, ce photographe italien qu’un soldat israélien
a délibérément tué à Ramallah, au début de l’offensive
militaire de mars 2002 [2] ;
une offensive meurtrière toujours en cours, qui n’épargne pas
ceux d’entre les journalistes étrangers qui veulent franchir le
blocus militaire israélien pour entrer dans les quartiers
palestiniens que l’armée israélienne a décrété « zones
militaires ».
James Miller, un jeune cameraman
londonien, est la dernière victime de cette folie furieuse [3].
Après sa mort, Israël a immédiatement nié la responsabilité
de ses soldats. L’autopsie, et les témoins de l’ISM présents,
ont prouvé que James Miller était de dos, quand un soldat de
l’armée israélienne l’a délibérément touché en pleine tête,
le 2 mai 2003. James Miller portait un gilet pare-balles sur
lequel était écrit en grandes lettres « Press ». Il
filmait précisément, cette nuit là, le massacre de civils
palestiniens à Rafah par l’armée israélienne, venue en force
dans cette partie de Gaza dont Israël convoite les terres.
C’est comme cela qu’Israël se débarrasse de tous ceux qui
persistent à vouloir filmer ses abus pour témoigner honnêtement.
La légèreté avec laquelle nos médias
prennent pour argent comptant, les mensonges d’Etat israéliens,
est impardonnable.
Le 8 août 2003.
|