Israël se sert des
négociations de paix pour faire la guerre
La diplomatie à l'âge de la barbarie
Silvia Cattori
Bombes au phosphore
blanc sur une école de l’UNRWA à Beit Lahiya, le 17 janvier 2009
Jeudi 5 février 2009 Où allons-nous ? Vers
quel ensauvagement ? Face aux atrocités perpétrées par l’Etat
d’Israël, nous ne pouvons rester passifs et silencieux. Aussi,
face aux mensonges et aux complicités de nos gouvernements avec
des crimes étatiques, il est de notre devoir d’informer, de
chercher le vrai et de le répandre.
Lettre ouverte à Madame Micheline
Calmy-Rey, Cheffe du Département fédéral des affaires étrangères
de la Confédération helvétique
Madame la Conseillère
Fédérale,
Tout au long de l’offensive
israélienne contre Gaza, vos positions, calquées sur les
positions immorales et illégales adoptées par les élites
occidentales, n’ont nullement contribué à assurer la justice et
la protection des victimes [1].
Alors que tout le monde a pu
constater qu’Israël atteignait, jour après jour, des sommets
dans la barbarie ; et, une fois ses troupes retirées, que leurs
crimes dépassaient toute imagination, vous avez continué de
maintenir les mêmes positions fallacieuses, mettant les deux
parties sur le même plan.
Il a fallu que ce soit le
président du CICR, Jakob Kellenberger - manifestement choqué par
l’abandon et la détresse dans lesquels nos élites politiques ont
laissé la population de Gaza - qui sorte de sa traditionnelle
réserve, pour affirmer qu’il n’est plus possible de « se
limiter à des discours humanitaires qui évacuent les vraies
questions » et demander aux Etats « combien
de morts faudra-t-il encore ? » [2]
avant qu’il soit mis fin à cette scandaleuse immunité
internationale.
Durant ces 23 terribles jours
où nous regardions avec des yeux horrifiés les bombardiers
israéliens larguer des missiles sur des immeubles remplis
d’enfants, et suffoquions à la pensée des souffrances atroces
qui leur étaient infligées, à eux et à leurs parents incapables
de les protéger, il nous a été très douloureux de vous entendre
tenir les mêmes propos fallacieux que les grandes puissances,
parties prenantes de la politique raciste qui, depuis 1948,
permet à Israël de massacrer et d’expulser des Arabes, en toute
impunité.
Alors qu’Israël, fort d’un
armement sophistiqué, d’avions F-16, d’hélicoptères Apache, de
drones, de chars Merkava, de navires cuirassés, a mené une
guerre contre des civils, alors qu’il était devenu urgent de
lutter pour stopper cette entreprise criminelle, et que votre
mission aurait été de la condamner sans ambigüité, vous avez
continué de tenir un langage diplomatique qui revenait à
partager les responsabilités.
Un langage d’une lâcheté
affligeante car il persistait à mettre l’agressé sur le même
plan que l’agresseur, détachant ainsi de son contexte cette
attaque israélienne, d’une cruauté sans précédent, mais qui
n’était que la continuation de la politique sioniste fondée sur
l’épuration ethnique, les destructions, la déshumanisation, le
massacre des natifs Palestiniens, pratiquée par Israël depuis
1948.
Fin janvier, dans une réponse
à une citoyenne, vous repreniez cette description trompeuse en
disant : « Lors du conflit, la Suisse a condamné
les tirs de roquettes lancés à partir de la bande de Gaza sur
des villes israéliennes par des militants palestiniens, comme
elle a exprimé sa condamnation de l’opération militaire
disproportionnée menée par l’armée israélienne » [3].
Cette pseudo impartialité est
profondément choquante car elle garantit à Israël la
continuation de l’impunité internationale dont il jouit depuis
1948. Il n’est pas admissible qu’après de si nombreux et
alarmants carnages de civils, vous puissiez continuer à
qualifier de « conflit » une agression militaire massive,
sauvage, menée par une puissance étatique contre des gens sans
défense ; ce qui revient à couvrir l’agresseur et à renvoyer
Israël et le Hamas dos à dos. Donc à mettre sur le même plan
l’écrasement sous les bombes d’une population misérable
cadenassée par Israël, et les tirs de roquettes rudimentaires de
résistants démunis.
Aucun gouvernement ne peut
ignorer que, depuis 60 ans, d’un massacre à un autre, sous
prétexte d’auto-défense, Israël poursuit toujours le même projet
d’expropriation de la terre appartenant aux Palestiniens. Avec
des moyens de plus en plus meurtriers.
Aucune armée, en possession
de moyens de destruction aussi massifs, ne s’en est jamais si
abondamment servie pour tuer, en peu de temps,
intentionnellement, le plus possible de civils.
Aucune armée n’a jamais
déversé, en un temps aussi restreint, des tonnes d’explosifs,
des bombes incendiaires au phosphore blanc et des bombes DIME,
sur un territoire si densément habité.
Aucune armée n’a jamais fait
usage de bombardiers pour terroriser, tuer intentionnellement,
en quelques minutes, 250 civils, en mutiler gravement 700 autres
(27 décembre 2008). Des civils qui ne combattaient pas mais
vaquaient à leur occupations. Parmi eux, des policiers
nouvellement recrutés qui prêtaient serment [4]
et des fillettes qui se rendaient à l’école.
Cela n’eut pas été possible
sans la complaisance de nos Etats. Déjà avant ce carnage, le
politologue palestinien Omar Barghouti s’alarmait en ces termes
de la réalité sur le terrain : « Israël est en
train de commettre, dans les territoires occupés de Gaza et de
Cisjordanie, y compris Jérusalem, des crimes contre l’humanité
et des crimes de guerre en utilisant une méthode très graduelle,
sophistiquée et masquée, destinée à faire accepter sans bruit,
son nettoyage ethnique au coup par coup » [5].
Tel Aviv avait clairement
indiqué, bien avant le début de son offensive meurtrière du 27
décembre 2008, son intention de frapper très fort, et de faire
de nombreuses victimes civiles. Son intention criminelle était
donc connue de toutes les chancelleries. Pourquoi n’être pas
intervenu avant que ce carnage ne se produise, pour tenter de le
prévenir ?
Aujourd’hui, alors qu’en 23
jours, 1350 civils ont été intentionnellement tués, 5400
gravement blessés, dont plus d’un tiers d’enfants ; alors que
100’000 civils ont été jetés hors de leurs maisons et 50’000
immeubles ont été soit rasés soit endommagés par l’armée
israélienne, n’est-il pas temps d’élever enfin la voix ?
Selon les principes qui
régissent le droit de la guerre, Convention de la Haye de 1945
et Convention de Genève de 1949, les civils doivent être
épargnés ; ils ne doivent pas être visés intentionnellement.
Tuer intentionnellement des civils, sous occupation, et détruire
intentionnellement leurs habitations, constitue un crime de
guerre.
« Combien de
morts faudra-t-il encore ? » a demandé M. Kellenberger. Oui,
combien en faudra-t-il encore pour que la Suisse, dépositaire
des Conventions de Genève, condamne enfin clairement ces
violations massives du droit international ? Combien de tués,
d’invalides, de mutilés, d’enfants amputés, l’armée israélienne
pourra-t-elle encore accumuler, pour que vous-même, Madame,
demandiez de soumettre Israël au boycottage, c’est-à-dire aux
mêmes sanctions qui avaient été appliquées au régime d’apartheid
en Afrique du Sud, et de couper avec lui tout lien économique,
culturel et diplomatique ?
Richard Falk, rapporteur
spécial de l’ONU sur les droits de l’homme dans les territoires
palestiniens occupés, a maintes fois dénoncé le « siège
maintenu dans toute sa sauvagerie par Israël contre Gaza (...) »
et appelé la communauté internationale à « mettre
en œuvre la norme reconnue de ’la responsabilité de protéger’
une population civile qui est punie collectivement par des
politiques qui s’assimilent à un crime contre l’humanité ».
Depuis 2005, Israël a
multiplié les menaces et les agressions contre la population de
Gaza [6].
Mais, à aucun moment, nous n’avons entendu le Département
fédérale des affaires étrangères (DFAE) exiger d’Israël la
cessation de ses bombardements meurtriers afin que le droit que
vous invoquez fût respecté. Ni aucune réaction alarmée quand, en
mars 2008 - après les attaques de l’armée israélienne qui
avaient tué et mutilé des centaines de civils dans les camps de
réfugiés de Beit Hanoun et Jabaliah - le vice ministre de la
Défense Matan Vilnai, avait déclaré que, la prochaine fois,
Israël ferait une « Shoa » d’une plus grande
ampleur [7].
Israël annonce toujours ses
massacres longtemps à l’avance. Question de tester la réaction
des Etats amis. Comme ces derniers n’élèvent jamais aucune
protestation sérieuse, son Etat-major sait qu’il a les mains
libres. Ce qui a conduit, le 27 décembre 2008, à la « Shoa »
annoncée par Vilnai.
Quand vous dites : « En
tant que dépositaire et partie contractante des Conventions de
Genève, la Suisse concentre ses efforts, dans ce conflit, sur le
respect intégral du droit international humanitaire et sur
l’aide humanitaire » [8],
cela sonne faux aux oreilles de toutes les victimes mises face à
l’irréparable.
Le respect du « droit
humanitaire », Madame, devrait être de protéger les victimes
quand il est encore temps en empêchant Israël de poursuivre sa
politique génocidaire.
Les victimes qui vous
entendent parler de « paix » et de « droit humanitaire » ne sont
pas dupes ; elles se disent que ce qu’elles ont subi, une fois
de plus, à Gaza, n’aurait jamais pu se passer, si notre pays,
qui a un rôle particulier touchant le respect des Conventions de
Genève, avait été juste, sincère, honnête à leur égard ; et ne
trompait pas l’opinion avec des formules vides ou des illusions
autour de l’ « Initiative de Genève » et « deux Etats ».
Israël a
tué la solution de « deux Etats » depuis longtemps
Les colonisateurs juifs n’ont
jamais autant annexé de terre et massacré que depuis que les
négociations et les prétendues « Initiatives de paix » promues à
grands frais se sont multipliées.
Par ses bains de sang
récurrents, l’armée israélienne entend rappeler aux
Palestiniens, qu’il n’y aura jamais de Palestine. Qu’il n’y aura
jamais « deux Etats » non plus.
Les négociations d’Oslo qui
devaient conduire à « deux Etats », entamées en 1993, n’ont
apporté que plus d’oppression et de malheurs aux Palestiniens.
Ces négociations ont été exploitées par Israël pour poursuivre
son projet de colonisation, d’épuration ethnique et de
massacres. Ceci démontre que le sinistre projet sioniste visant
à la conquête totale de la Palestine demeure intact.
En effet, pendant que les
négociateurs de l’Autorité palestinienne se laissaient
« acheter » par les financements de l’Union européenne - et de
la Suisse dans le cas de Abed Rabbo - et se laissaient entraîner
dans de prétendues « négociations de paix » qui donnaient au
monde l’illusion que la paix était proche, Israël accélérait son
projet d’annexion, d’emprisonnement des Palestiniens et de
massacres, sous prétexte que la paix était menacée.
Dans ce contexte, continuer
de promouvoir l’« Initiative de Genève », que le peuple
palestinien avait largement refusé dès 2002, est une aberration.
Continuer de dire que « Les négociations en vue
de la création d’un État palestinien viable, vivant côte à côte
(…) sont la seule voie pouvant conduire à un règlement durable
du conflit » [9],
est une aberration.
On ne demande pas à celui qui
a le couteau sous la gorge de négocier. On demande à celui qui
le menace et détient la force de commencer par se retirer.
Ensuite, sur un pied d’égalité, on peut négocier. La seule
manière honnête et sincère d’aider les Palestiniens est d’exiger
la fin de l’occupation israélienne, c’est-à-dire le retrait de
l’occupant, comme préalable à toute négociation.
« L’engagement
logistique et financier » de votre Département « dans
l’Initiative de Genève » ne se justifie pas, contrairement à
ce que vous affirmez.
L’Initiative de Genève que
vous continuez de promouvoir, n’a jamais provoqué que rejet au
sein de la société palestinienne. Un rejet total.
Quand vous receviez à grand
frais 700 invités pour célébrer ces « Accords de Genève », en
Palestine les gens manifestaient et brûlaient le drapeau suisse
en signe de protestation. Je parle de ce que je connais ;
j’étais à Naplouse [10].
L’armée israélienne se livrait alors à une opération meurtrière
appelée « Eaux stagnantes ». J’ai assisté à des exécutions
sommaires. A des massacres d’enfants. Vous n’aviez rien dit.
Continuer de dire aux
citoyens que « l’Initiative de Genève a rendu
évident la nécessité de présenter une alternative politique et
que le plan de désengagement de la bande de Gaza et du Nord de
la Cisjordanie du gouvernement israélien a été adopté dans un
contexte d’approbation croissante des paramètres de l’Initiative
de Genève par l’opinion publique » [11]
est complètement extravagant. De quel désengagement de la bande
de Gaza et du Nord de la Cisjordanie parlez-vous ? Cela ne se
rapporte à rien de concret !
L’Initiative de Genève
patronnée par le DFAE, et tout le débat autour de la paix qui
s’en est suivi, ont créé un rideau de fumée dont Israël a
profité pour poursuivre son projet criminel.
Israël s’est servi des
négociations de paix comme couverture à sa politique d’épuration
et d’annexion des 20 % restants de la Palestine historique. Il
convient de stopper son machialévique projet.
Les Palestiniens insistent
pour dire qu’ils ne veulent ni notre pitié ni notre aide
humanitaire, mais qu’on leur donne les moyens d’obtenir la
liberté de sortir de leur ghetto, et que la responsabilité de
ceux qui ont commis des massacres contre leur peuple soit
clairement désignée.
La communauté internationale
doit « tenir Israël pour responsable de ses
actes au regard du droit international » rappelait récemment
Omar Barghouti qui ajoutait :
« Obligations morales et juridiques mises à
part, il n’y a aucun sens à ce que les contribuables européens
et américains continuent de subventionner l’occupation
israélienne illégale en payant la note de ses violations du
droit international et de sa destruction aveugle des projets
qu’ils ont eux-mêmes financés.
Aussi nécessaire qu’elle soit aujourd’hui à Gaza, sans
l’application effective d’une pression politique, économique, et
diplomatique sur Israël pour qu’il mette fin à son occupation et
à ses autres formes d’oppression, l’aide humanitaire ne peut
être comprise autrement que comme une subvention à l’oppresseur
qui perpétue son impunité.
Les Palestiniens ont, par-dessus tout, besoin de solidarité, pas
de charité. »
Il est temps de se servir de
tous les moyens offerts par la diplomatie pour s’attacher à
prévenir les futurs carnages. Aussi il est temps d’écouter la
voix de ces Palestiniens honnêtes et sincères qui ne se servent
pas de leur noble cause pour satisfaire leurs intérêts
personnels ou collaborer avec l’occupant.
Faute de quoi, le cycle de
violences et de massacres, en Cisjordanie et à Gaza, les
bouclages et les barrages militaires humiliants, les rafles
quotidiennes, les exécutions extrajudiciaires, les arrestations,
les tortures, tout cela va continuer.
Silvia Cattori
[1]
Voir :
« Nous
pressons nos gouvernements de mettre immédiatement fin au
carnage », par Silvia Cattori,
Mondialisation, 7 janvier 2009.
« Gaza :
Les leçons d’un carnage », par Silvia
Cattori, Mondialisation, 13 janvier 2009.
« Gaza :
Une diplomatie complice du carnage »,
par Silvia Cattori, Mondialisation, 19
janvier 2009.
[2]
« Combien de morts faudra-t-il encore à Gaza ! », par Pierre
Ruetschi, quotidien 24 Heures, 2 février
2009.
[3]
Cette citation se réfère à votre réponse du 28 janvier 2009 à
une citoyenne de Neuchâtel qui vous avait interpellée le 28
décembre 2008.
[4]
Dans un article daté du 28 décembre 2008 et intitulé « Most
casualties were non-combatants, civilians »,
le Centre Al Mezan pour les droits de
l’homme soulignait : « que, selon le droit
international, des policiers qui ne prennent pas part aux
hostilités ne peuvent être considérés comme des objectifs
militaires et ne doivent pas être délibéremment visés ».
[5]
Voir : « Davantage
d’action politique en-dehors de la Palestine ! »,
par Silvia Cattori, Mondialisation, 27
janvier 2009.
[6]
Voir :
« Le
Hamas incarne la résistance d’un peuple colonisé »,
par Silvia Cattori, silviacattori.net, 29
décembre 2008.
« Gaza
meurt dans l’indifférence, au su et au vu du monde »,
par Silvia Cattori, Mondialisation, 4 juin
2008.
« Les
soldats d’Israël ont fait de Gaza un tombeau »,
par Silvia Cattori, silviacattori.net, 21
avril 2008.
« Le
ghetto de Gaza raconté par ceux qui y sont enfermés »,
par Silvia Cattori, Mondialisation, 1er
février 2008.
« Gaza :
Chaque Palestinien est une cible pour l’armée israélienne »,
par Silvia Cattori, silviacattori.net, 19
janvier 2008.
« Gaza :
Sortir le drapeau blanc ne suffira pas »,
par Silvia Cattori, silviacattori.net, 18
janvier 2008.
« Palestine :
Les ravages d’un boycott criminel »,
par Silvia Cattori, Mondialisation, 14 mai
2007.
« Beit
Hanoun : « Ils tirent sur tout ce qui bouge » »,
par Silvia Cattori, silviacattori.net, 3
novembre 2006.
« Gaza :
Israël mène une guerre de purification ethnique »,
par Silvia Cattori, silviacattori.net, 2
août 2006.
« Le
retrait de Gaza : une nouvelle occasion d’épuration ethnique »,
par silvia Cattori, silviacattori.net, 24
janvier 2006.
[7]
Voir : « Israel
threatens to unleash « holocaust » in Gaza »,
par James Hider, Times Online, 1er mars
2008.
[8]
Voir note (3).
[9]
Voir note (3).
[10]
Voir :
« Les
« Accords de Genève » vus de Naplouse »,
par Silvia Cattori, silviacattori.net, 1er
décembre 2003.
« Un
plan de paix sur fond de sang et de larmes »,
par Silvia Cattori, silviacattori.net, 5
décembre 2003.
[11]
Cette citation se réfère à votre réponse du 13 janvier 2006 à
une citoyenne de Neuchâtel qui vous avait interpellée à ce
sujet.
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