Opinion
La Syrie se
renforce... le Liban s'affaiblit !
Sami Kleib
Jeudi 25 octobre
2012
Une fois de plus, le Liban s’est laissé
prendre au piège du conflit régional et
international. L'assassinat du Général
Wissam Al-Hassan
préfigure une nouvelle
période chaotique pendant laquelle les
turbulences ne cesseront de succéder aux
accalmies. Un conflit entre plusieurs
« axes » qui a atteint des sommets ; et
qu’Al-Hassan a payé de sa vie. Rien ne
laisse présager un retour au calme tant
que la « crise syrienne » ne sera pas
réglée, autrement dit, tant que les USA
et la Russie n’auront pas trouvé un
terrain d’entente ; ce qui risque de
demander un certain temps !
Au bout de 19 mois de crise, l’« axe des
partisans de la Syrie » semble
considérer qu’il est en situation de
reprendre l’initiative. Alors que l’Iran
multiplie les signaux d'avertissement,
le président russe Vladimir Poutine a
formulé en à peine quelques jours des
dizaines de déclarations mettant
l’accent sur des « évidences » : non au
départ de Bachar al-Assad ; non au
recours à la force ; oui à une solution
politique impliquant un consensus entre
les autorités légitimes et
l'opposition ! Encore mieux, Poutine
défie désormais le bloc occidental en
déclarant que « nul
n'a le droit de dicter à la Russie à qui
elle peut vendre des armes », et
l’accuse, ainsi
que certains pays arabes, en particulier
l'Arabie saoudite et le Qatar, de
« semer le chaos » en Syrie !
De son côté, la diplomatie russe
s’active ouvertement et surtout en
coulisses auprès de nombreux pays dont
des pays du Golfe, notamment l’Iran et
les Émirats Arabes Unis, et d’autres
pays ayant un impact direct sur la crise
syrienne ; tout comme elle persiste dans
sa contribution à l’émergence
de
l’opposition syrienne disposée au
dialogue avec les autorités
et capable d'affronter le CNS qui
le refuse.
Face à la crise syrienne, l’« axe
occidental » frôle la crise à son tour.
Il se raconte que lors d’une récente
rencontre à Paris, l’un des diplomates a
demandé à ses homologues : « Croyez-vous
que Bachar al-Assad restera au pouvoir
jusqu'à fin 2013 ? » ; ils auraient tous
acquiescé ! Les dirigeants occidentaux
sont très mécontents de la
désintégration de ladite « opposition
syrienne ». Les dirigeants US sont
encore plus mécontents de l’expansion
des salafistes. L’angoisse est à son
comble, car « le plan du
printemps
arabe » évolue d’une façon inquiétante !
La Libye est en quasi-guerre civile.
L’atmosphère de la Maison Blanche a bien
changé depuis l'assassinat de
l'ambassadeur américain à Benghazi dans
le contexte du film insultant le
Prophète. Mais Moscou coordonnerait des
réunions concernant la « sécurité »
entre officiers américains et officiers
syriens. Damas nie. Pourrait-il s’agir
d’un déni pour raison diplomatique ?
En Tunisie, le mouvement « Ennahda »
rencontre une opposition qui monte en
puissance, avec le pressentiment que les
Émirats Arabes Unis, l'Arabie saoudite
et le Koweït s’éloignent pour favoriser
un troisième choix ; celui du parti
« Appel de la Tunisie » dirigé par le
diplomate Béji Caïd Essebsi. Quant au
ministre des Affaires étrangères, il
s’est vu récemment confirmer en toute
franchise par son homologue turc, Ahmed
Daoud Oglou, qu’Ankara était quasi
incapable de mener une opération
sérieuse en Syrie. Ceci dit, il a suffi
d’une rencontre des cadres dirigeants du
« Congrès national arabe », avec le
président Moncef Marzouki et le chef
d’« Ennahda » Rached Ghannouchi, pour
que l’image de la situation en Syrie
devienne un peu plus claire aux yeux des
Tunisiens. Leur président en a appris
des choses… notamment qu’il existe de
nombreux Alaouites en Turquie !
Quant à la Syrie, la situation soulève
toujours autant de questions. Ceux qui
ont rencontré dernièrement le Président
syrien rapportent qu’il est plus
confiant que jamais et que ses propos
laissent à penser que la Syrie,
qui a survécu à la crise, se dirige vers
une nouvelle étape qui en éradiquerait
les séquelles. Par ailleurs, en dépit de
l’élargissement de la zone de combat
contre l'opposition armée, la situation
militaire s’améliore et n’inquiète pas
outre mesure les autorités qui
soulignent que, malgré toutes leurs
troupes armées, les USA n’ont pas pu
mettre fin à de telles opérations ni en
Irak, ni en Afghanistan et que c’est
donc une question de temps ! Finalement,
Bachar al-Assad se retrouve en situation
d’imposer ses conditions à tout
règlement futur, à commencer par celle
qu’il a dictée à Lakhdar Brahimi : «
l'Arabie saoudite et le Qatar doivent
déclarer publiquement qu’ils cessent de
soutenir l'opposition armée ! ».
En revanche, l’inquiétude est manifeste
du côté des opposants syriens
prétendument libéraux. L’un de leurs
principaux piliers a déclaré : «Ils nous
ont dit qu'al-Assad ne tirerait pas sur
les manifestants, il l’a fait, mais nul
en Occident n’a bougé ! Ils nous ont dit
qu'il n’utiliserait pas des armes
lourdes, il l’a fait, ils n’ont pas
bougé non plus ! Ils nous ont dit la
même chose au sujet des chars et des
avions… Nous constatons que l'Occident
ne veut pas permettre à l'opposition de
résoudre la question et suspectons une
certaine « collusion » !
Ce qui nous ramène aux questions
centrales. Qu’adviendra-t-il si le
« régime » syrien survit ? Que se
passera-t-il pour l’Iran qu’il leur faut
assiéger ? Qu’en sera-t-il du rôle du
Hezbollah qu’il leur faut détruire et
d’Israël qu’il leur faut protéger ? Il
faudra nécessairement attendre la
période post-élection présidentielle aux
USA pour y voir un peu plus clair sans,
pour autant, que les événements restent
figés !
En effet,
le drone de reconnaissance du
Hezbollah, surnommé « Ayoub », a survolé
le territoire israélien et a transmis
les photographies de ses centres
stratégiques dans le but de freiner
toute velléité d’aventure guerrière.
Certains affirment que les Iraniens
disposeraient de nouvelles cartes au
Yémen, celle des rebelles houtistes au
Nord et celle d’une partie de
l’opposition au Sud. La situation est de
plus en plus tendue en Arabie Saoudite.
La température monte au Bahreïn. Le ton
monte aux Émirats Arabes Unis où le chef
de la police à Dubaï,
Dahi Khalfan,
s’en est pris aux Frères Musulmans. De
même en Égypte où s’affrontent
les Frères musulmans et les libéraux…
D’où une autre question : Que fera
l'Occident ? Il a parié sur les Frères
musulmans, mais les voilà qui titubent
devant les salafistes, lesquels se
rapprochent dangereusement d'Israël
avec, selon les termes d’un haut
responsable libanais
« leur volonté d’établir un Etat
qui s'étendrait de Tripoli vers Homs et
Alep… un rêve historique ! ». Alors que
l’Occident escomptait utiliser les
salafistes contre le Hezbollah libanais
et alimenter le sectarisme régional
contre l’Iran, les voilà devenus une
menace pour Israël et les Etats-Unis à
la fois !
C’est dans ce contexte général que
l'assassinat du général Wissam al-Hassan
est venu déstabiliser le Liban, et qu’il
a été suivi des appels des « 14
marsistes » à faire tomber le
gouvernement libanais dont le siège n’a
pas tardé à être attaqué. Mais ceux-là,
qui sont derrière les attaquants, ne
semblent pas avoir remarqué que le
« climat international » a changé, que
le Premier ministre libanais Najib
Mikati dispose d’une couverture de plus
en plus solide, que tout changement au
Liban passe par une entente « irano-saoudi-américano-russe »,
et que l’Arabie saoudite ne donne en
Syrie que ce qu’elle prend au Liban !
Certes, l’image n’est pas encore
complète, mais elle pourrait le devenir,
alors que la Syrie et l'Iran travaillent
à améliorer leurs conditions et à se
renforcer.
Chaque partie cherche à faire monter la
pression, mais toutes craignent de voir
les armes tomber aux mains des
salafistes et d’Al-Qaïda. Chaque partie
cherche à améliorer ses positions,
tandis que le Liban est en train de
s'affaiblir du fait de la courte vue de
certains qui en ont fait une arène pour
des règlements de comptes qui ne le
concernent en rien. Par conséquent, un
désordre incontrôlable risque d’y aller
grandissant et les explosions et
assassinats risquent de s’y multiplier.
Heureusement, que certains partis
libanais refusent de se laisser
entrainer vers la discorde. Mais pour
combien de temps ? Peut-être jusqu’à ce
que les conditions d’un « Taëf
syrien » soient devenues favorables à la
résurrection d’un « Taëf libanais » !
Sami Kleib
23/10/2012
Article original : As-Safir
لبنان الضعيف وسوريا القوية!
http://www.assafir.com/Windows/ArticlePrintFriendly.aspx?EditionId=2290&ChannelId=54981&ArticleId=2447&reftype=menu&ref=rm
Article traduit de l’arabe par Mouna
Alno-Nakhal [Biologiste]
Note :
Accord de Taëf
http://fr.wikisource.org/wiki/Accord_de_Taef
Extrait :
IV - LES RELATIONS LIBANO-SYRIENNES
Le Liban, Arabe d’appartenance et
d’identité, est lié par des relations
fraternelles sincères avec tous les
Etats arabes, et entretient avec la
Syrie des relations particulières qui
tirent leur force du voisinage, de
l’histoire et des intérêts fraternels
communs. Sur cette base se fondent la
coordination et la collaboration entre
les deux Etats, et des accords entre eux
dans les différents domaines les
consacreront de manière à assurer
l’intérêt des deux pays frères dans le
cadre de la souveraineté et de
l’indépendance de chacun. Sur cette
base, et compte tenu du fait que
l’affermissement de la sécurité favorise
le cadre nécessaire au développement de
ces liens particuliers, il faut éviter à
tout prix que le Liban devienne une
source de menace à la sécurité de la
Syrie, ou la Syrie une source de menace
à la sécurité du Liban. En vertu de
quoi, le Liban ne permettra pas qu’il
soit un passage ou un foyer pour toute
formation, Etat ou organisation qui
aurait pour but de remettre en question
sa sécurité ou celle de la Syrie. De
même que la Syrie, soucieuse de la
sécurité du Liban, de son indépendance
et de son unité ainsi que l’entente de
ses fils, ne permettra aucune action
susceptible de menacer la sécurité du
Liban, son indépendance et sa
souveraineté.
Sami Kleib,
journaliste libanais de nationalité
française, est diplômé en Communication,
Philosophie du Langage et du Discours
Politique. Il a été Directeur du Bureau
du journal As-safir libanais, à Paris,
et Rédacteur en chef du Journal de
RMC-Moyen Orient. Responsable de
l’émission « Visite spéciale » sur Al-Jazeera,
il a démissionné en protestation contre
l’orientation politique de cette chaîne.
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