Opinion
La fitna, dernière
carte de Washington et du Golfe
Samer R.
Zoughaib
Vendredi 14 juin 2013
Le ministre français des Affaires
étrangères, Laurent Fabius, l'a dit
ouvertement: la conférence
internationale sur la Syrie, appelée
Genève 2, n'aura pas lieu avant un
équilibrage des rapports de forces sur
le terrain, qui ont considérablement
évolué en faveur de l'Etat syrien. En
termes moins diplomatiques, cela
signifie que l'Occident veut prolonger
la durée de la guerre, quitte à
provoquer une aggravation de la
violence, même au prix de milliers de
morts supplémentaires, avant de
s'asseoir à la table des négociations
dans une position plus confortable. Ceux
qui croient encore aux slogans de la
démocratie et de la liberté sont soit
des naïfs, soit des cyniques. Le conflit
syrien prend la tournure d'un bras de
fer de dimension planétaire, avec de
gigantesque enjeux géopolitiques, où le
dernier des soucis est le bien-être, la
sécurité et la prospérité du peuple
syrien.
Après la cuisante défaite de Qoussair et
les sérieux revers infligés aux rebelles
autour de Damas, à Alep, Idleb et Daraa,
les sponsors de la rébellion syrienne
ont réalisé que tous les efforts
déployés ces deux dernières années pour
renverser le régime syrien et affaiblir
l'axe régional auquel il appartient,
sont partis en fumée. Négocier dans ces
circonstances serait une reconnaissance
de la défaite du projet
américano-israélien et une consécration
de la victoire stratégique de l'alliance
Damas-Téhéran-Moscou-Hezbollah. Cela
aurait des répercussions catastrophiques
sur la sécurité d'«Israël».
De plus, les deux Etats sur lesquels
Washington comptait pour prendre la
Syrie en tenaille sont pratiquement
hors-jeu.
D'abord «Israël»: cette entité a les
mains liées après l'échec des objectifs
stratégiques des raids aériens qu'elle a
menés contre Damas le 5 mai, et qui
consistaient à sortir la Syrie du
conflit israélo-arabe. La réponse
combinée du président Bachar al-Assad et
du secrétaire général du Hezbollah,
sayed Hassan Nasrallah, a été d'ouvrir
le front du Golan et de fournir à la
Résistance au Liban des «armes
qualitatives».
Ensuite la Turquie: fer de lance de la
guerre planétaire menée contre la Syrie,
le Premier ministre turc, Recep Tayyeb
Erdogan, est empêtré dans la plus grave
crise politique à laquelle il est
confronté depuis qu'il est au pouvoir,
en 2002. Quelle que soit l'issue de la
contestation, qui n'a pas l'air de
s'essouffler malgré la répression, la
Turquie est terminée en tant que modèle
d'inspiration pour les peuples arabes.
De surcroit, les marges de manœuvre de
son Premier ministre sont sensiblement
réduites.
La
contre-attaque de Washington
Devant ce tableau peu reluisant, les
Etats-Unis ont décidé de passer à la
contre-attaque. Après avoir longtemps
hésité à armer les rebelles -sous
prétexte que les armes risquent de
tomber entre les mains des extrémistes;
qu'est ce qui a changé maintenant?-,
Washington a franchi le pas. L'argument
mis en avant est l'utilisation par
l'armée syrienne d'armes chimiques,
soigneusement gardé en réserve par
Londres et Paris pendant des mois.
Pourtant, cet argument est à double
tranchant, car il semble que ce soit
surtout les rebelles qui aient utilisé
les armes chimiques, de l'aveu même des
enquêteurs des Nations unies, notamment
la très fameuse Carla Del Ponte. Mais
les Etats-Unis ne se sont pas
embarrassés de ces détails, décidant que
des armes chimiques, notamment du gaz
sarin, avaient été utilisées en Syrie
par les troupes régulières. Ben Rhodes,
conseiller adjoint de sécurité nationale
du président américain Barack Obama, a,
d'emblée, innocenté les rebelles: «Nous
ne disposons pas d'informations solides,
corroborées, indiquant que l'opposition
en Syrie a acquis ou utilisé des armes
chimiques».
Utilisant ce prétexte très peu
convaincant, Barack Obama a donc décidé
d'octroyer une «assistance militaire
directe» à l'opposition syrienne. Selon
le New York Times, il s'agit notamment
de missiles antichars qui seraient déjà
arrivés aux rebelles. Ce qui signifie
que les livraisons d'armes ont commencé
depuis longtemps.
Dans le même temps, Washington
envisagerait d'instaurer une zone
d'exclusion aérienne près de la
frontière jordanienne. Des chasseurs
F-16 et des missiles Patriot, ainsi
qu'une unité de Marines sur des navires
amphibies, qui participent à des
manœuvres dans le royaume hachémite,
seront maintenus sur place après la fin
des exercices.
Pressions
sur le Hezbollah
A ces décisions, la Russie a très vite
réagi à deux niveaux. «Les informations
sur l'utilisation par Assad d'armes
chimiques sont des faux du même ordre
que les mensonges concernant les armes
de destruction massive de Saddam
Hussein», a commenté Alexei Pouchkov,
président de la commission des Affaires
étrangères de la Douma. «Obama emprunte
la même voie que George Bush», a ajouté
sur son compte Twitter ce député proche
du Kremlin. Par ailleurs, un membre de
la délégation russe aux Nations unies a
déclaré sous couvert d'anonymat à la
chaine panarabe Al-Mayadeen que si les
Occidentaux arment les rebelles, Moscou
livrera des armes nouvelles au régime
syrien, en allusion aux missiles S-300.
L'autre élément de la contre-attaque
américaine vise le Hezbollah. Sur le
plan politique, Washington a demandé au
président Michel Sleiman d'exercer des
pressions sur le Conseil constitutionnel
afin d'invalider la prorogation du
mandat du Parlement libanais. Son
objectif est d'organiser des élections
dans six mois, en pensant que de cette
consultation, tenue sur la base de la
loi de 1960, émergera une Chambre
dominée par le 14-Mars. L'ambassade des
Etats-Unis à Beyrouth s'est directement
impliquée dans ce dossier en publiant un
tweet enjoignant aux membres du Conseil
de ne plus boycotter les réunions. Mais
il semble que le député Walid Joumblatt
n'a pas -encore- cédé à ces pressions,
pour des raisons liées à ses intérêts
politiques et communautaires.
Une autre carte reste sous la manche des
Américains: la formation d'un
gouvernement de fait accompli au Liban,
c'est-à-dire uniquement composé du
14-Mars et des pseudo-centristes. Si
cela se produit, ça signifie que la
décision aura été prise de précipiter le
Liban dans les affres de la guerre.
Dans le même temps, les Etats du Golfe
ont été chargés de mettre à exécution un
plan visant à encercler le Hezbollah à
travers plusieurs mesures:
1-Expulser les Libanais proches de la
Résistance travaillant dans le Golfe.
Neuf personnes, dont deux sunnites, deux
chrétiens et cinq chiites seraient en
passe d'être expulsées, selon le site
NowLebanon, proche du 14-Mars. Le but
annoncé de cette mesure coercitive est
d'assécher les sources de financement de
la Résistance. Mais le véritable
objectif est de provoquer une crise
sociale au Liban, dans l'espoir qu'une
partie de la population fera assumer au
Hezbollah et à ses choix politiques la
responsabilité de la perte de leur
emploi et de leur carrière.
2-Le plus grave reste la décision, qui
n'est plus cachée, des pays du Golfe, de
donner au conflit en cours en Syrie, au
Liban et dans l'ensemble de la région,
une dimension sectaire. Les journaux du
Golfe parlent désormais d'un conflit
entre sunnites et chiites. Des cheikhs
extrémistes de plusieurs pays arabes,
réunis au Caire, mercredi, sous la
houlette du Mouvement des ulémas
musulmans, de Youssef Qaradoui, ont
lancé un appel au «Jihad» en Syrie pour
«sauver les frères sunnites».
L'ancien Premier ministre libanais, Saad
Hariri, s'est chargé du volet libanais.
Il a adressé une lettre considérée, par
une grande partie de la presse et des
analystes, comme un appel à la fitna,
utilisant une logique confessionnelle et
un vocabulaire sectaire.
Ces appels à la discorde ont très vite
donné des résultats: des extrémistes du
Front al-Nosra ont massacré dans un
village de Deir Ezzor, une soixantaine
de femmes, d'enfants et de personnes
âgées, leur seul crime était d'être
chiites. Mais il est apparu que le quart
de ces victimes innocentes était
sunnite.
La fitna est la dernière carte du projet
moribond des Américains et de leurs
auxiliaires arabes et européens. Pour y
faire face, le Hezbollah et ses alliés
de toutes les communautés libanaises
réaffirment que le conflit est de nature
politique et non sectaire et que
l'ennemi reste «Israël», malgré toutes
les tentatives de le remplacer par
l'Iran.
Source : French.alahednews
Le
dossier Syrie
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