Egypte
Quelle sera
l'issue ?
Samar
Al-Gamal
Photo: Al-Ahram
Hebdo - © Reuters
Mercredi 5 décembre
2012 « Oui, le pays est divisé en deux », ne cachent plus les
partisans de l’un ou de l’autre camp.
D’un côté, il y a cette opposition «
laïque » qui s’oppose à une
nouvelle déclaration constitutionnelle
du président, qui fait de lui le seul
maître à bord. De l’autre, ces partisans
« islamiques », d’un président
« musulman, qui ne trouve pas de
gêne à cette dictature parce que
temporaire ». L’opposition qui a
envahi les rues mardi et vendredi
derniers pour protester contre les
décisions dictatoriales s’est trouvée
samedi face à un rassemblement massif
auquel ont appelé les forces islamiques
pour soutenir Mohamad Morsi. Une sorte
d’épreuve de force, et l’image se
complète par un hélicoptère qui survole
la capitale pour filmer les partisans du
président, au moment où il accueillait
dans le Palais des congrès, dans la
banlieue est, les membres d’une
assemblée constituante assez
controversée et appelle les Egyptiens à
un référendum sur le projet le 15
décembre. « Le projet de
Constitution exprime les objectifs de la
révolution », a déclaré Mohamad
Morsi, omettant la colère de la rue.
Dans sa déclaration
constitutionnelle « interdisant tout
recours en justice contre ses propres
décisions », le chef de l’Etat
avait pourtant prolongé de 2 mois la
mission de l’assemblée chargée de
rédiger la nouvelle Constitution de
l’Egypte. Mais les membres réduits à 74,
après le retrait de toute l’opposition,
votent à la hâte les 236 articles du
nouveau texte, après avoir remplacé les
membres qui se sont retirés. Lors de
cette séance qui a duré une vingtaine
d’heures environ sans discussion de
fond, les textes les plus controversés
ont été adoptés, légalisant le jugement
des civils devant les tribunaux
militaires, le travail des enfants et
accordant au chef de l’Etat toujours des
prérogatives pharaoniques (lire page 5).
Selon certains, une autre
ligne a été franchie par le chef de
l’Etat et ses partisans qui ont bloqué
les accès du gigantesque bâtiment de la
Haute Cour Constitutionnelle (HCC) sur
le Nil de Maadi, alors que les
magistrats entendaient examiner la
validité de l’assemblée constituante et
du Sénat. Les magistrats ont alors
décidé de suspendre toutes les séances
pour protester contre les «
pressions et menaces », proférées à
leur encontre par les islamistes. «
C’est un jour noir dans l’histoire de la
justice », dit la HCC dans un
communiqué.
Photo: Al-Ahram hebdo -
© AP
Les juges divisés
Les juges engagés
dans une épreuve de force avec Morsi, à
cause de son décret, sont apparemment
divisés. Le Conseil suprême de la
magistrature, chargé des affaires de la
magistrature et dont les 7 membres
avaient rencontré le président la
semaine dernière, a annoncé, lundi, que
les juges superviseraient le référendum,
alors que certains avaient indiqué
qu’ils le boycotteraient. Une
déclaration qui n’engage pourtant pas le
Club des magistrats, sorte de syndicat
des juges, déjà en grève et qui avait
voté pour le boycott. « Tous les
juges d’Egypte et les Clubs des juges
hors de la capitale se sont entendus
pour ne pas superviser le référendum sur
le projet de Constitution », a
annoncé le président du Club, Ahmad Al-Zind.
Un amendement
constitutionnel intérimaire adopté par
référendum en mars 2011 stipule que tous
les bureaux de vote doivent être
contrôlés par des magistrats. Et pour
accomplir cette mission, il faudrait
quelque 14 000 parmi les 19 000 que
compte le pays.
Mais la présidence a
sorti son propre scénario qui consiste
d’abord à augmenter la prime des juges
participant à ce référendum controversé
et, en cas de boycott, faire appel aux
membres du Parquet administratif et aux
avocats du tribunal du contentieux de
l’Etat.
La pression monte et
Morsi ne veut pas lâcher du lest. Il
fait encore fi de ces turbulences
politiques, des plus importantes depuis
la révolution qui a renversé Moubarak,
son prédécesseur.
L’opposition, à la tête du
soulèvement contre Moubarak, avait
appelé à des manifestations sur la place
Tahrir et à des marches massives vers le
palais présidentiel mardi pour protester
contre « l’autoritarisme du
président Morsi et ses tentatives
d’imposer une dictature ».
Les
médias haussent le ton
Les médias aussi ont décidé
de se joindre à la fronde des
magistrats. La presse indépendante a
fait grève mardi, et certains
journalistes travaillant dans les
journaux contrôlés par le gouvernement
ont décidé de les soutenir, à l’instar
du site électronique d’Al-Ahram.
Les couvertures des principaux journaux
affichaient : « Non à la dictature
», sur une image noire montrant un
homme recroquevillé sur lui-même,
enroulé dans du papier journal, les
pieds enchaînés (lire page 7). Certaines
chaînes de télévision, elles,
n’émettront pas et leurs écrans seront
noircis mercredi. La faculté de droit à
l’Université du Caire a décidé aussi de
suspendre les cours à la faculté de
droit pour protester contre la «
violation » de celui-ci par le
président de la République. En prélude à
une grève générale si Morsi campe sur
ses décisions, les hôtels et les
restaurants envisagent d’éteindre la
lumière mardi dans la soirée pendant une
demi-heure pour protester contre Morsi.
Les
islamistes engagent leur campagne
Les islamistes, forts de
leur nombre et de leur capacité à
mobiliser leurs partisans, parlent de «
complots orchestrés par l’ancien
régime », qualifient les opposants
de « traîtres » et ont déjà
fait savoir qu’ils ne permettraient pas
à l’opposition « de menacer la
stabilité ». Ils ont déjà fait
campagne pour encourager les Egyptiens à
approuver le nouveau texte de loi
fondamentale, jouant sur la situation
économique désastreuse d’une grande
partie des Egyptiens. « Pas
d’investissement sans stabilité et pas
de stabilité sans Constitution »,
ainsi se veut leur slogan. La charia est
leur carte principale. Qui vote «
Oui » ira au paradis et le «
Non », c’est pour les «
apostats ». Ce dernier terme est
utilisé pour qualifier l’opposition
laïque. Diaboliser les opposants, ceci
semble bien marcher. Tout comme l’ancien
régime qui a traité de tous les mots et
maux Mohamad ElBaradei, inspirateur de
la révolution, les islamistes l'accuse
d’apostat, défendant « l’holocauste
» ou les « bouddhistes ».
Jeudi, alors qu’il était invité sur une
télé privée, la place Tahrir a choisi de
diffuser l’émission sur un grand écran.
Morsi qui s’exprimait le même jour a dû
reporter son intervention tard dans la
soirée pour la diffuser. ElBaradei
inquiète. En rassemblant d’autres
figures de l’opposition dont des anciens
candidats à la présidentielle, il menace
le régime à aspiration «
autocratique et théocratique ».
Escalade de l’opposition et
réponse des islamistes, l’atmosphère est
alarmante, brandissant le spectre de la
violence politique. « J’ai peur
d’une confrontation », dit
l’opposant Emad Gad. « Je ne veux
pas utiliser le terme de guerre civile
», ajoute-t-il.
Morsi ne cligne pas des
yeux, il compte sur le souffle «
court » de ses adversaires. «
Les choses finiront par se calmer après
le référendum », croit le premier
ministre Hicham Qandil. « Le décret
présidentiel finira par tomber »,
ajoute-t-il dans une interview lundi
soir sur CNN. Il est confiant
du « Oui », tout comme
l’entourage de Morsi. L’opposition aussi
ne se fait pas d’illusion, les
islamistes étaient majoritaires, à des
degrés différents, dans tous les 4
scrutins tenus depuis la révolution.
Elle n’a pas pourtant décidé si elle
appellera ses partisans à voter non ou à
catégoriquement boycotter le référendum
pour rendre la Constitution illégitime.
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reproduction et de diffusion réservés. ©
AL-AHRAM Hebdo
Publié le 5
décembre 2012 avec l'aimable
autorisation de AL-AHRAM Hebdo
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