Cuba
Les
nouvelles menaces de Bush contre Cuba
Salim Lamrani
Salim Lamrani
31 octobre 2007
Le
24 octobre 2007, le président George W. Bush a tenu un long
discours au siège du Département d’Etat à Washington d’une
virulence extrême à l’égard du gouvernement de La Havane.
Alors qu’une grande partie de la Californie était en flammes,
que l’Irak est plongée dans une sanglante et interminable
guerre, la Maison-Blanche a une nouvelle fois ressorti un thème
qui l’obsède depuis 1959 – et qui justifie près de cinq décennies
d’agressions terroristes, de châtiment économique cruel et
inhumain et de guerre politique et diplomatique – : Cuba1.
« Peu
de problèmes ont défié ce département – et notre nation –
autant que la situation à Cuba », a déclaré Bush,
soulignant le caractère inacceptable d’une telle réalité.
Depuis l’arrivée de Fidel Castro au pouvoir, Washington n’a
eu de cesse de vouloir renverser à tout prix le gouvernement révolutionnaire.
Mais ce dernier, grâce au soutien majoritaire de la population, a
pu résister à l’état de siège imposé successivement par dix
présidents des Etats-Unis2.
Bush
a débuté son discours en faisant montre de sa profonde
connaissance de la réalité cubaine : « A Cuba, il
est illégal de changer de métier, de changer de maison, de
voyager à l’étranger et de lire des livres et des magazines
sans la permission expresse de l’Etat ». De plus,
selon le président étasunien, « il est illégal pour
plus de trois Cubains de se réunir sans permission » et
« les programmes des Comités de défense de la Révolution
ne luttent pas contre la criminalité. Au lieu de cela, ils contrôlent
les citoyens – surveillant les allées et venues des visiteurs,
et vérifient les stations de radios qu’ils écoutent ».
Bref, « le sens de communauté et de confiance de base
entre les êtres humains a disparu3 ».
Le
locataire de la Maison-Blanche ne s’est pas arrêté en si bon
chemin. N’ayant guère peur du ridicule, il n’a pas hésité
à évoqué la situation de la presse : « Un
journaliste cubain a demandé une chose à des étrangers qui lui
rendaient visite : un stylo. Un autre utilise du cirage de
chaussures comme encre », a déclaré le leader étasunien
le plus sérieusement du monde. Il en a profité pour affirmer que
« les dissidents d’aujourd’hui seront demain les
leaders de la nation », rappelant que ces derniers –
isolés et surtout attirés par l’appât du gain – étaient
grassement – et illégalement – financés par les Etats-Unis :
« le Congrès des Etats-Unis a récemment voté des fonds
supplémentaires [de 45,7 millions de dollars] pour soutenir les
efforts démocratiques cubains4 ».
« Le
régime cubain utilise l’embargo américain comme bouc émissaire
pour les misères de Cuba », a assuré Bush. Ainsi, les
sanctions économiques inhumaines qui affectent gravement le
quotidien de toutes les catégories de la population ne seraient
qu’une excuse. Mais dans ce cas, le président étasunien
n’explique pas pourquoi il « conseille [au] Congrès de
montrer [son] soutien et [sa] solidarité pour un changement
fondamental à Cuba en maintenant [l’]embargo5 ».
Bush
a exhorté la communauté internationale à s’unir à sa
politique irrationnelle et inefficace et à appliquer des
sanctions contre Cuba. Il a cité en exemple les nations européennes
qui suivent docilement les directives de Washington, à savoir la
République tchèque, la Hongrie et la Pologne, qui n’hésitent
pas à s’immiscer dans les affaires internes cubaines et à
fomenter la subversion6.
Le
président, toujours aussi au fait de la réalité cubaine, a
proposé aux étudiants cubains des bourses « pour avoir
accès à de meilleurs opportunités d’éducation »,
alors que toutes les institutions internationales – des Nations
unies à la Banque mondiale – sont unanimes pour encenser
l’excellence cubaine au niveau de l’éducation. D’ailleurs,
Cuba vient d’être élue au Conseil exécutif de l’Unesco par
157 pays sur 175. D’autre part, ironie de l’histoire,
actuellement, 500 étudiants étasuniens défavorisés, exclus du
système universitaire de la première démocratie du monde,
suivent une carrière de médecine entièrement gratuite à Cuba.
Mais ce point a apparemment échappé à sa sagacité7.
Le
locataire de la Maison-Blanche a également annoncé la création
d’un « Fond de la liberté pour Cuba » de
plusieurs milliards de dollars, sous la direction de la secrétaire
d’Etat Condoleeza Rice et du secrétaire au Commerce Carlos Gutiérrez,
destiné à renverser le gouvernement de La Havane et à ramener
Cuba dans la sphère d’influence des Etats-Unis. Bush a été
clair : « le mot d’ordre dans nos futures
relations avec Cuba n’est pas la ‘stabilité’ [mais] la
‘liberté’ ». Sans doute faisait-il allusion à
celle qui règne actuellement en Irak et en Afghanistan8.
En
guise de conclusion, Bush a lancé un appel à l’insurrection à
destination des militaires : « Quand les Cubains se
soulèvent pour demander leur liberté […] vous devez faire un
choix. Défendrez-vous un ordre moribond et honteux en utilisant
la force contre votre propre peuple ? Ou bien
embrasserez-vous le désir de votre peuple pour le changement ? ».
Il en a enfin profité pour s’adresser aux “Cubains qui
sont en train de [l’]écouter – sans doute en courant de
grands risques » – à travers Radio et TV Martí, deux
médias étasuniens qui diffusent illégalement des programmes
subversifs vers Cuba : « Nous ne voulons rien
de vous si ce n’est de vous souhaiter la bienvenue dans
l’espoir et le bonheur de la liberté9 ».
Mais,
contrairement aux affirmations de Bush, les Cubains ne couraient
guère de risques à écouter son discours. En effet, ce dernier a
été diffusé à la radio et la télévision cubaines et dans la
presse écrite dont Granma, organe officiel du Parti
communiste cubain. El Nuevo Herald, journal d’extrême
droite de Miami, contrôlée par l’ancienne oligarchie cubaine,
n’a pas manqué d’exprimer sa surprise en notant que les
propos de Bush avaient été diffusés « sans
interruptions10 ».
Les
habitants de l’île, qui ont en sainte horreur toute atteinte à
leur souveraineté et indépendance nationales, ont ainsi pu se
rendre compte à quel point Washington proposait un
interventionnisme à outrance dans leurs affaires internes à la
fois inacceptable et contraire à la légalité internationale.
Ils ont également pu observer à quel point le président étasunien
était complètement déconnecté de la réalité cubaine. Dans
son discours à fort relent colonialiste, Bush a réduit en
miettes le principe d’autodétermination des peuples. Loin de
leur offrir « l’espoir et le bonheur de la liberté »,
le président étasunien leur promettait d’accroître encore
plus les sanctions économiques à leur encontre et d’augmenter
ainsi leurs souffrances et leurs difficultés quotidiennes.
Felipe
Pérez Roque, ministre cubain des Affaires étrangères, a
vigoureusement condamné « l’escalade sans précédent
de la politique du gouvernement des Etats-Unis contre Cuba ».
Selon lui, il s’agit d’une « confirmation que la
politique en vigueur […] est un changement de régime à Cuba, y
compris par la force ». Le discours de Washington est « un
acte irresponsable qui donne une idée du niveau de frustration,
de désespoir et de haine personnelle du président Bush contre
Cuba, une invocation à la violence, un appel, y compris, à
l’utilisation de la force pour renverser la Révolution cubaine
et imposer ses desseins à Cuba11 ».
Mais
Cuba, depuis 1959, n’est guère sensible au langage de la menace
et du chantage qui n’a fait que radicaliser le processus révolutionnaire
au cours des décennies. En 1962, les Cubains étaient prêts à
subir un holocauste nucléaire plutôt que de renoncer à leur
souveraineté. Rien n’a fondamentalement changé. Pérez Roque a
bien insisté sur ce point : « Si l’objectif des
propos du président des Etats-Unis est d’intimider le peuple,
effrayer sa direction, je dois lui dire dès à présent qu’il
s’agit d’un échec complet12 ».
Pour Ricardo Alarcón, président de l’Assemblée nationale
cubaine, « il ne s’agit que d’une preuve du délire
[de Bush]. Il n’aura jamais Cuba13.
L’actuel gouvernement des Etats-Unis, qui vient de raser
deux pays, qui est responsable des crimes de Guantanamo et d’Abu-Ghraïb
ainsi que du massacre de près d’un million de personnes en Irak
et en Afghanistan, des prisons secrètes, des vols clandestins,
qui a légalisé la torture, ne dispose d’aucune autorité
morale pour disserter sur la liberté et les droits de l’homme.
La déclaration de Bush a suscité diverses réactions dont
celle du candidat démocrate à la présidence Barack Obama qui a
fustigé les propos du locataire de la Maison-Blanche : « La
cause de la liberté ne va pas avancer avec des menaces
contre-productives ou la pensée conventionnelle. Il faut
autoriser les Américains d’origine cubaine à rendre visite à
leurs familles dans l’île et à envoyer de l’argent. Il est
temps de rompre avec le statu quo de George W. Bush14».
Wayne S. Smith, ancien ambassadeur étasunien à Cuba, a
qualifié les mesures d’« absurdes ». « Ce
supposé fonds pour la liberté de plusieurs millions est
simplement le fruit de l’imagination du président »,
a-t-il souligné. Cuba « dispose déjà de plusieurs
milliards de dollars de la part du Venezuela et de la Chine. L’économie
cubaine va bien », a-t-il conclu15.
De
son côté, l’Associated Press a reconnu que la politique
de fabriquer et financer une opposition interne n’était pas
nouvelle : « Depuis des années, le gouvernement des
Etats-Unis a dépensé des millions de dollars pour soutenir
l’opposition cubaine16 ». Aucune
nation au monde n’accepterait que des agents au service d’une
puissance étrangère agissent impunément sur son territoire.
L’Union européenne a une nouvelle fois fait montre de sa
veulerie politique en se cloîtrant dans un silence complice. Elle
n’a pas daigné condamner les propos du président
Bush inadmissibles aux yeux du droit international du président
Bush. Aurait-elle été aussi discrète si la Chine, la Russie ou
l’Iran avaient appelé à renverser le gouvernement d’une
autre nation souveraine ?
Tout analyste qui se respecte sait pertinemment que les
objectifs de Bush ne sont guère réalisables à Cuba. Washington
persiste dans la même politique qui a lamentablement échoué
depuis près d’un demi-siècle. Le gouvernement révolutionnaire
dispose du soutien massif de la population et est loin d’être
isolé sur la scène internationale. De plus, même les secteurs
insatisfaits de la société cubaine font front uni derrière la
direction du pays dès lors qu’il s’agit de préserver la
souveraineté et l’identité nationales. Les déstabilisations
externes ne font que renforcer la cohésion du peuple autour du
gouvernement. Quant à une éventuelle intervention armée, la réaction
populaire serait telle que la guerre du Vietnam et l’actuel
conflit irakien paraîtraient des promenades de santé en
comparaison avec ce qui attend les troupes étasuniennes si elles
commettaient la folie de débarquer à Cuba. Il ne s’agit ici
aucunement d’une exagération. Le peuple cubain est
politiquement et idéologiquement préparé à tous les sacrifices
pour défendre l’intégrité de sa patrie. Il ne négociera pas
son indépendance et les Etats-Unis doivent accepter cette réalité.
Notes
1
George W. Bush, « Remarks by the President on Cuba Policy »,
Office of the Press Secretary, The Miami Herald, 24
octobre 2007.
2
Ibid.
3
Ibid.
4
Ibid.
; Wilfredo Cancio Isla, « La Cámara da sólido apoyo a la
democracia en Cuba », El Nuevo Herald, 22 juin 2007.
5
George
W. Bush, « Remarks by the President on Cuba Policy », op.
cit.
6
Ibid.
7
Ibid.
8
Ibid.
9
Ibid.
10
Wilfredo Cancio Isla, « Transmiten en la isla el discurso
presidencial », El Nuevo Herald, 25 octobre 2007.
11
Felipe Pérez Roque, « Nosotros estamos claros de qué
significa la ‘libertad’ », Cuba Debate, 25
octobre 2007.
12
Ibid.
13
Alexandra Valencia, « Cuba’s Alarcon Uncertain on
Castro’s re-election », The Miami Herald, 25
octobre 2007.
14
El Nuevo Herald, « Opiniones sobre el discurso »,
25 octobre 2007.
15
Antonio Rodriguez, « Bush Call for Cuba Democracy Fund
Likely to Fall on Deaf Ears », Agence France-Presse,
26 octobre 2007.
16
Ben Feller, « Bush Touts Cuban Life After Castro », Associated
Press, 24 octobre 2007.
Salim Lamrani est
enseignant, écrivain et journaliste français, spécialiste des
relations entre Cuba et les Etats-Unis. Il a notamment publié Washington
contre Cuba (Pantin : Le Temps des Cerises, 2005), Cuba
face à l’Empire (Genève : Timeli, 2006) et Fidel
Castro, Cuba et les Etats-Unis (Pantin : Le Temps des Cerises,
2006).
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