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Cuba
La
criminelle loi d’Ajustement cubain
Salim Lamrani
23 mai 2007
Le 3 mai 2007, une prise d’otages survenue à l’aéroport de
La Havane a eu des conséquences dramatiques. Le
lieutenant-colonel Víctor Ivo Acuña Velásquez, dans un geste héroïque
visant à protéger les passagers, a tenté de s’interposer et a
été abattu par l’un des deux criminels, qui a sérieusement
blessé son complice par la même occasion. La criminelle loi d’Ajustement
cubain, en vigueur depuis le 1er novembre 1966, est la
principale responsable de ce nouvel acte de terrorisme1.
Le 29 avril 2007, trois soldats effectuant leur service ont
déserté la base militaire de Managua au sud de la capitale après
avoir assassiné un jeune garde, blessé un autre et volé
plusieurs armes. Après avoir séquestré un autobus et ses
passagers, deux d’entre eux se sont rendus sur la piste de décollage
de l’aéroport international José Martí et ont obligé les
huit otages à monter dans un avion sans équipage. Les deux
terroristes ont ensuite exigé des autorités qu’ils soient immédiatement
transportés à Miami, sous peine d’exécuter les otages. Suite
à l’intervention des forces de sécurité, les deux individus
ont été maîtrisés sans dommage pour le reste des civils. Le
troisième déserteur, quant à lui, avait été arrêté quelques
jours auparavant et avait expliqué à la police que leur but était
de séquestrer un avion pour émigrer vers les Etats-Unis2.
Víctor Ivo Acuña Velásquez était également ingénieur
en communication. Il a perdu la vie à 41 ans en laissant une
jeune veuve et deux orphelines de 5 et 8 ans. Le Conseil d’Etat,
suite à la proposition du Ministre des Forces armées révolutionnaires
(FAR) Raúl Castro, a décidé de lui remettre à titre posthume
la Médaille du Courage Antonio Maceo, l’une des plus hautes
distinctions du pays. Il a également été enterré avec les
honneurs militaires. Lors de l’éloge funèbre, le colonel
Eusebio Cordero Sierra, chef de la grande unité des FAR de la région
occidentale a rendu un vibrant hommage à la victime : « Acuña
est mort comme il a vécu avec l’étoile qui dignifie les révolutionnaires
et illumine le chemin que nous devons tous suivre. Son courage, sa
bravoure et sa vaillance l’immortalisent pour
l’éternité et font de lui un symbole qui ressurgit en chacun
de nous et nous oblige moralement à suivre le sentier de son
souvenir impérissable ». Quant à l’assassin, il
risque d’être condamné à la peine capitale car les codes
civil et militaire prévoient la peine de mort pour des actes de
terrorisme, même si celle-ci est très rarement appliquée3.
Washington
est en grande partie responsable de cette tragédie. « L’impunité
et les bénéfices matériels avec lesquels on récompense depuis
près d’un demi-siècle toute action violente contre Cuba
stimulent de tels faits », a dénoncé le Président
Fidel Castro4. Le Ministère de l’Intérieur a
directement accusé le gouvernement des Etats-Unis : « Le
caractère criminel de la loi d’Ajustement cubain qui encourage
les actions criminelles et le vandalisme a de nouveau été mis en
évidence. La responsabilité de ces nouveaux crimes, qui
s’ajoutent à la longue liste d’actes de terreur dont Cuba a
été victime depuis presque un demi-siècle, retombe sur les plus
hautes autorités des Etats-Unis5 ».
Une loi unique
En effet, la loi d’Ajustement Cubain votée le 1er
novembre 1966 par le Congrès étasunien, dans le but de stimuler
l’émigration illégale et de politiser la problématique
migratoire dans sa guerre idéologique contre La Havane, est la
cause de cette nouvelle sanglante prise d’otages. Cette loi,
unique au monde, permet à tout Cubain arrivé légalement ou illégalement
aux Etats-Unis à partir du 1er janvier 1959
d’obtenir le statut de résident permanent et plusieurs aides
substantielles dans la recherche d’un logement et d’un emploi.
Dans le même temps, les Etats-Unis refusent d’accorder des
visas aux Cubains souhaitant émigrer normalement, encourageant
ainsi l’émigration clandestine et les coups de force6.
Ricardo Alarcón, Président de l’Assemblée nationale
cubaine, a maintes fois souligné le caractère spécifique de la
loi d’Ajustement cubain :
« Il
y a deux éléments fondamentaux dans cette législation. Tout
d’abord, on fait référence à une date très précise, et tout
le monde sait ce qu’elle évoque. Que veut dire le fait que
l’on accepte des gens à partir de cette date ?
Cela veut dire que l’on exclut tous ceux qui étaient arrivés
plus tôt, et il s’agissait du deuxième pays émetteur d’émigrants
vers les Etats-Unis. Cette loi ne concerne pas ceux qui étaient
arrivés avant le 1er janvier 1959, et ils ne peuvent
donc pas en bénéficier.
Pourquoi les personnes d’origine cubaine arrivées aux
Etats-Unis avant cette date en sont-elles exclues ? Tout
simplement car elles représentaient une population très
importante ; sinon, il n’y aurait aucune raison de fixer
une date.
[Ensuite], cette loi a une dimension déstabilisatrice car elle
est l’instrument d’une politique qui cherche à promouvoir
l’émigration de Cubains vers les Etats-Unis.
La seule catégorie de personnes parmi tous les habitants de la
planète à disposer du privilège de pouvoir acquérir la résidence
légale aux Etats-Unis, si elle se présente aux autorités, est
celle d’origine cubaine.
Le seul pays du monde à disposer de cette loi qui stimule,
promeut, cherche à grands renforts de publicité et de campagnes
médiatiques et par d’autres formes d’incitation à provoquer
l’émigration de Cubains, uniquement de Cubains, est les
Etats-Unis.
Il y a eu d’autres programmes d’incitation et d’assistance
tel que le programme pour les Réfugiés cubains, où des
logements et des emplois étaient fournis aux émigrants,
contrairement à ce qui est réservé à tout autre immigrant qui,
en général, est délaissé quand il a un statut légal et
emprisonné quand il se trouve en situation irrégulière. Eux ne
disposent pas de ces privilèges7 ».
Le caractère
criminel de la loi d’Ajustement cubain
Le
caractère criminel de cette loi est très clair. En limitant le
nombre de visas accordés, Washington promeut l’émigration
clandestine et dangereuse qui coûte la vie à plusieurs Cubains
chaque année. Ceux-ci, attirés par le confort matériel offert
par la première puissance mondiale, émigrent vers la Floride à
bord d’embarcations de fortune. La loi d’Ajustement cubain
fait également le bonheur des mafias et des trafiquants de
personnes qui s’enrichissent de manière exorbitante en
transportant des candidats à l’émigration.
Cette
législation singulière pousse également les délinquants et les
criminels à commettre l’irréparable pour quitter le pays.
L’impunité dont jouissent les preneurs d’otages à leur arrivée
en Floride est un facteur d’incitation à la réalisation
d’actes terroristes. En effet, en 2003, plusieurs malfaiteurs y
compris un assassin, qui avaient séquestré un avion, avaient été
libérés sous caution à leur arrivée à Miami.
Entre
1959 et 2001, 51 avions cubains ont été séquestrés par des
terroristes qui souhaitaient se rendre aux Etats-Unis, causant la
mort de plusieurs pilotes et membres d’équipage et en blessant
de nombreux autres. Le gouvernement des Etats-Unis n’a jamais
sanctionné un seul de ces preneurs d’otages, qui continuent de
jouir d’une inacceptable impunité. De plus, la plupart des
avions ont été confisqués par les autorités et n’ont pas été
rendus à Cuba, mais vendus aux enchères8.
D’un
autre côté, entre 1968 et 1984, 71 avions étasuniens ont été
détournés vers Cuba. 69 des preneurs d’otages ont été
condamnés à de sévères peines de prison. Le 18 septembre 1980,
le gouvernement cubain a remis deux preneurs d’otages étasuniens
à Washington et a déclaré que dorénavant il agirait de la
sorte. Avec cette position claire, Cuba avait mis un terme aux détournements
d’avions étasuniens vers son territoire9.
La dernière vague de prise d’otages a eu lieu entre août
2002 et avril 2003 et avait été organisée et promue par les
Etats-Unis dans le but de déclencher une crise migratoire et
justifier ainsi une intervention militaire à Cuba. Durant cette période,
pas moins de cinq actes terroristes sont survenus (rappelons que
selon le Droit international la prise d’otages est un grave acte
de terrorisme). La première séquestration de bateau avait eu
lieu le 6 août 2002 lorsque 5 individus avaient pris de force
l’embarcation Plástico 16 à La Colonia à Pinar del Río
pour se rendre en Floride. Après quelques mois de détention, ils
furent remis en liberté. Le 29 janvier 2003, 4 personnes dérobèrent
un bateau sur l’Île de la Jeunesse après avoir assassiné un
marin. A leur arrivée aux Etats-Unis, les 4 criminels y compris
l’assassin furent immédiatement remis en liberté. Le 19 mars
2003, six terroristes séquestrèrent un avion et obligèrent le
pilote à atterrir aux Etats-Unis, à Cayo Hueso. Le 10 avril
2003, un juge de Floride décidait de libérer les criminels en
question. Le 31 mars 2003, un individu armé d’une grenade menaça
de faire exploser l’avion dans lequel se trouvaient 46 passagers
dont six enfants s’il n’était pas conduit en Floride. Face au
danger, le pilote acceda à sa requête. Enfin, la prise d’otage
violente du 2 avril 2003 d’une petite embarcation qui faisait la
liaison entre Regla et La Havane avait conduit au jugement, à la
condamnation et à l’exécution de trois des onze terroristes10.
Les Etats-Unis, en refusant d’abroger la loi d’Ajustement
cubain, promeuvent les actes de terrorisme et mettent en danger la
vie de nombreux innocents. Ils sont les premiers responsables de
la mort du jeune Víctor Ivo Acuña Velásquez et de tous ceux qui
ont perdu la vie dans des circonstances similaires. En refusant
d’extrader les preneurs d’otages vers Cuba, en refusant de
leur infliger les peines qu’ils méritent, en les protégeant,
Washington ne fait qu’encourager la violence aveugle et
indiscriminée qui frappe de manière cruelle et impitoyable. Mais
peut-il en être autrement d’un pays qui vient de remettre en
liberté Luis Posada Carriles, le plus sanguinaire des terroristes
du continent, responsable de près d’une centaine
d’assassinats ?
Notes
1
Will Weissert, « Cuban Group Wants Deserters Spared Death »,
Associated Press, 7 mai 2007.
2
Andrea Rodríguez, « Cuba Honors Offcier Slain by Hijackers »,
Associated Press, 4 mai 2007.
3
Ronal Suárez Ramos, « Sentida manifestación de duelo,
sepelio del teniente coronel Víctor Ivo Acuña », Granma,
5 mai 2007.
4
Andrea Rodríguez, « Castro: EEUU fomenta secuestros y
proteje a terrorista », Associated Press, 8 mai 2007.
5
Ministerio de Interior de la República de Cuba, « Cuba
responsabiliza a EE.UU. por nuevos crímenes en intento de
secuestro », Granma, 4 mai 2007.
6
Cuban Adjustment Act, 1er novembre 1966
7
Salim Lamrani, Fidel Castro, Cuba et les Etats-Unis (Pantin :
Le Temps des Cerises, 2007), pp. 48-49.
8
Cuba, la historia no contada (La Havane : Editorial
Capitán San Luis, 2003).
9
Ibid.
10
Ibid.
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