Opinion
Coût du travail ou
coût du capital ?
Salim
Lamrani
© Salim
Lamrani
Mercredi 23 janvier
2013
Opera Mundi
http://operamundi.uol.com.br/...
Le monde politique, économique et
médiatique est unanime pour souligner
que le coût du travail est trop élevé en
France et qu’il nuit à la compétitivité
des entreprises nationales. Il se fait
beaucoup plus discret dès lors qu’il
s’agit de parler du coût du capital,
véritable obstacle au développement
économique du pays.
Pour la majorité des observateurs de la
vie économique en France, le principal
obstacle au développement de la nation
serait le coût du travail, c’est-à-dire
des salaires et des cotisations sociales
trop élevés. Cette réalité empêcherait
les entreprises nationales d’être
compétitives dans un marché mondialisé
où la concurrence est de plus en plus
féroce, et serait l’une des causes du
déclin du pays[1].
Le Monde,
principal quotidien français, note
pour sa part que « les marges des
entreprises sont médiocres : selon les
données de Naxitis, leurs profits,
après versement des dividendes,
représentent 6,8% du produit intérieur
brut (PIB) contre 11,05% en Allemagne et
9,63% en zone euro [2] ».
Il faudrait donc « alléger les charges
sociales » – c’est-à-dire réduire le
montant des impôts payés par les
entreprises –, et « flexibiliser le
marché du travail trop rigide » –
c’est-à-dire supprimer les conquêtes des
travailleurs inscrites dans le code du
travail et précariser l’emploi.
Néanmoins, une lecture attentive de la
précédente citation permet de relever
une anomalie. En effet, les profits sont
calculés « après versement des
dividendes ». Ce mode de calcul est
général en France et il soulève
inévitablement une question : Pourquoi
les dividendes versés aux actionnaires –
qui font intégralement partie des
bénéfices – sont-ils d’abord déduits des
bénéfices avant d’évaluer la rentabilité
des entreprises françaises ?
La raison en est simple : leur coût
exorbitant pour l’économie nationale. En
effet, le problème de la France n’est
pas le coût du travail mais le coût du
capital, c’est-à-dire la part des
bénéfices versée aux actionnaires, qui a
augmenté bien plus vite que les salaires
et qui a atteint des sommets inégalés
depuis trente ans.
En effet, selon l’INSEE, de 1980 à 2010,
la part de dividendes est passée de 3%
de la richesse nationale à 9%, ce qui
représente une hausse de 180 milliards
d’euros par an pendant trois décennies.
En 30 ans, les dividendes payés aux
actionnaires ont augmenté de 200%
[3].
Sur la même période, en euros constants,
les salaires n’ont progressé que de 20%
[4].
Sur les cinq dernières années, de 2007 à
2011, les dividendes ont augmenté de 27%
alors que les salaires n’ont augmenté
que de 12%. En 2010, toujours selon
l’INSEE, 210 milliards d’euros ont été
versés en dividendes aux actionnaires et
seulement 182 milliards ont été investis
dans la production [5].
Ainsi, le coût du capital est supérieur
aux investissements productifs. Sur cent
euros de richesse créée par les
travailleurs, 25 euros partent en
dividendes pour les actionnaires
[6],
alors que la part des salaires a baissé
de 10 points depuis 1980 et est
proportionnellement similaire au niveau
de 1960, au lendemain de la Seconde
Guerre Mondiale [7].
Contrairement au discours
dominant, le principal obstacle à la
compétitivité des entreprises françaises
n’est ni le coût du travail ni la
protection sociale accordée aux
travailleurs ni le niveau d’imposition
des sociétés qui n’a cessé de diminuer
durant les 15 dernières années. En
réalité, la part astronomique des
bénéfices versés en dividendes aux
actionnaires constitue un frein au
développement économique national. En
effet, le rendement boursier se fait au
détriment des investissements, lesquels
seraient créateurs d’emplois dans un
contexte de crise économique et sociale
généralisée, où le taux de chômage
atteint un niveau record et où la perte
du pouvoir d’achat frappe de plein fouet
les catégories les plus vulnérables de
la société et affecte même les classes
moyennes.
Pourtant, des solutions existent.
En effet, le Parlement pourrait
légiférer et faire en sorte, par
exemple, que la part des dividendes
versés aux actionnaires ne puisse être
supérieure aux cotisations sociales
versées à l’Etat ni à l’investissement
productif annuel. Ces mesures
permettraient d’améliorer la
compétitivité des entreprises, de créer
de l’emploi, d’augmenter les recettes de
l’Etat, de réduire la fracture sociale
et d’édifier une société plus égalitaire
et moins injuste.
Docteur ès Etudes Ibériques et
Latino-américaines de l’Université Paris
Sorbonne-Paris IV, Salim Lamrani est
Maître de conférences à l’Université de
la Réunion, et
journaliste, spécialiste des relations
entre Cuba et les Etats-Unis.
Son dernier ouvrage s’intitule
État de siège. Les sanctions économiques
des Etats-Unis contre Cuba, Paris,
Éditions Estrella, 2011 (prologue de
Wayne S. Smith et préface de Paul
Estrade).
Contact :
lamranisalim@yahoo.fr ;
Salim.Lamrani@univ-reunion.fr
Page Facebook :
https://www.facebook.com/SalimLamraniOfficiel
[2]
Claire Gatinois,
« Compétitivité : électrochoc ou
méthode douce ? Les experts sont
partagés »,
Le Monde, 5 novembre 2012.
[7]
Céline Prigent, « La part des
salaires dans la valeur ajoutée
en France : une approche
macroéconomique »,
INSEE, Economie et
statistique n°323, 1999, 3.
http://www.insee.fr/fr/ffc/docs_ffc/es323d.pdf
(site consulté le 30 novembre
2012 ; Jacques Généreux,
Nous, on peut ! Manuel anticrise
à l’usage du citoyen, Paris,
Points, 2012, p. 91.
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