Cuba
Cuba et les contradictions de Barack Obama
Salim Lamrani
Salim Lamrani
Lundi 18 mai 2009
Le 13 avril 2009, à la veille du Vème
Sommet des Amériques à
Trinité-et-Tobago, Barack Obama avait assoupli les sanctions
économiques contre Cuba en levant les restrictions affectant les
Cubains vivant aux Etats-Unis. Désormais, ces derniers peuvent
se rendre dans leur pays d’origine autant de fois qu’ils le
souhaitent (contre 14 jours tous les trois ans auparavant), et
effectuer des transferts de fonds illimités à leurs familles
(contre 100 dollars par mois auparavant)1.
Le Sommet, auquel La Havane n’a pas participé ne faisant
plus partie de l’Organisation des Etats Américains (OEA) depuis
son expulsion en 1962, a été dominé par le thème Cuba. Lors du
discours inaugural, la présidente argentine Cristina Kirchner a
exhorté Washington à éliminer l’état de siège imposé au peuple
cubain depuis août 1960. Les 32 autres mandataires des nations
latino-américaines et caribéennes ont également lancé un appel à
la Maison-Blanche lui demandant de mettre un terme à une
situation anachronique et cruelle qui affecte les catégories les
plus vulnérables de la population2.
Le président Obama a fait part de sa volonté de chercher
« une nouvelle approche
avec Cuba3 ».
« Je crois que nous
pouvons mener les relations entre les Etats-Unis et Cuba vers
une nouvelle direction », a-t-il souligné.
« Je suis ici pour ouvrir
un nouveau chapitre de rapprochement qui se poursuivra durant
mon mandat », a-t-il conclu. De son côté, la secrétaire
d’Etat Hillary Clinton a reconnu que la politique cubaine des
Etats-Unis « avait échoué4 ».
Cependant, dès la fin du Sommet des Amériques, la
Maison-Blanche a changé de ton. Le 19 avril 2009, David Axelrod,
conseiller politique du président, a noté que son gouvernement
ne lèverait pas les sanctions économiques immédiatement.
« Nous en sommes encore
loin », a-t-il déclaré à la chaîne de télévision CBS5.
Clinton, quant à elle, a fait une déclaration peu amène et peu
diplomatique au sujet du gouvernement de La Havane en soulignant
qu’il s’agissait d’un
« régime touchant à sa fin », laissant ainsi paraître de
sérieux doutes quant à sa volonté de résoudre les différends
entre les deux nations6.
Par la suite, le président Obama a imposé à Cuba comme
condition préalable à un dialogue bilatéral qu’elle effectue des
changements dans sa politique interne avec notamment une
réduction des taxes concernant les flux financiers, sachant
pertinemment que le gouvernement de Raúl Castro n’accepterait
aucune ingérence dans les affaires internes de son pays. En
effet, c’est comme si La Havane exigeait de Washington
l’établissement d’un système de sécurité sociale universelle aux
Etats-Unis avant d’entamer toute discussion7.
De son côté, Raúl Castro a réitéré sa disposition à
dialoguer avec Washington sur n’importe quel sujet
« y compris les droits de
l’homme, les prisonniers politiques et la liberté de la presse »,
à condition que cela se fasse sur une base d’égalité, de
réciprocité et de non-ingérence8. Il a également
rappelé que la balle était dans le camp d’Obama :
« Cuba n’a imposé aucune
sanction contre les Etats-Unis ni contre ses citoyens. Ce n’est
pas Cuba qui empêche les entreprises de ce pays de faire du
commerce avec le nôtre, ce n’est pas Cuba qui poursuit les
transactions financières réalisées par les banques
nord-américaines, ce n’est pas Cuba qui dispose d’une base
militaire sur le territoire des Etats-Unis contre la volonté de
son peuple. Ce n’est donc pas à Cuba d’effectuer des gestes. Il
n’y a pas de prétexte politique ou moral pour justifier la
continuité de cette politique9 ».
Les appels en faveur d’un allègement des sanctions
contre Cuba se multiplient aux Etats-Unis. Le prestigieux
Lexington
Institute a publié un
rapport de 50 pages en ce sens sous le titre
Options pour un
engagement : un guide de ressources pour réformer la politique
des Etats-Unis à l’égard de Cuba (Options
for engagement: A resource guide for reforming U.S. policy
toward Cuba).
Le centre d’études politiques a recommandé à l’administration
Obama de retirer les conditions imposées à Cuba comme préalable
à tout dialogue. En effet, La Havane n’est pas sensible au
langage de l’intimidation et n’accepte aucune ombre à sa
souveraineté10.
La représentante démocrate Kathy Castor du district de
Tampa en Floride a également demandé au gouvernement d’élargir
le nombre d’aéroports autorisés pour les voyages à Cuba, pour
faire face au nombre croissant de demandes qui entraîne de
sérieux problèmes de logistique. Actuellement seuls les
aéroports de Miami, New York et Los Angeles disposent du permis
pour réaliser des vols vers Cuba11.
Enfin, la puissante Chambre du Commerce des Etats a lancé
une initiative en faveur de la levée des restrictions
commerciales avec le soutien de plusieurs membres du Congrès.
« Le bon sens populaire
veut que l’on change une politique qui n’a pas fonctionné. Nous
avons essayé pendant 50 ans sans résultats. Il est temps de
trouver autre chose », a déclaré Thomas J. Donohue,
président de l’organisation regroupant près de 3 millions
d’entreprises étasuniennes.
« Nous sommes en train de
perdre de grandes opportunités commerciales dans un marché qui
se trouvent à 90 miles [140 km] de nos côtes. D’autres pays
comme la Chine sont en train d’en profiter, il n’est pas encore
trop tard pour commencer à les récupérer », a-t-il ajouté12.
Mais au lieu d’effectuer un pas dans ce sens, Obama est
allé dans la direction opposée. En effet, en mai 2009 le
Département du trésor a infligé une amende de 110 000 dollars à
l’entreprise pétrolière Varel Holdings pour avoir exporté des
technologies à Cuba. Pourtant, les transactions ont eu lieu
entre juin 2005 et juin 2006, c’est-à-dire sous l’administration
Bush, par le biais d’une filiale basée à l’étranger. Une fois de
plus, le caractère extraterritorial des sanctions économiques
apparaît au grand jour. Ainsi, loin d’entendre les appels en
faveur d’une politique plus rationnelle, Obama a préféré suivre
les pas de son prédécesseur13.
Une autre décision prise par le Département d’Etat
illustre le manque de crédibilité des Etats-Unis dans leur
volonté de normaliser les relations avec l’île des Caraïbes. Le
30 avril 2009, Washington a de nouveau inclus – sans raison
valable – Cuba dans la liste des pays promoteurs du terrorisme,
provocant une forte réaction du côté de La Havane qui a accusé
les Etats-Unis d’être un
« délinquant international », en référence aux agressions
commises en Afghanistan et en Irak. Par ailleurs, les Etats-Unis
« ont historiquement de
lourds antécédents d’actions de terrorisme d’Etat et pas
seulement contre Cuba », a déclaré Bruno Rodríguez Parrilla,
ministre cubain des Affaires étrangères.
« Jamais le territoire
cubain n’a été utilisé pour financier ou exécuter des actes
terroristes contre les Etats-Unis. Le Département d’Etat qui
publie ces rapports ne pourrait pas en dire autant », a-t-il
ajouté en référence aux plus de 5 780 attentats terroristes
commis contre Cuba qui ont coûté la vie à 3 478 personnes depuis
195914.
Ricardo Alarcón, président de l’Assemblée nationale
cubaine, a également fustigé la double morale étasunienne en
matière de lutte contre le terrorisme, en se référant à Luis
Posada Carriles, criminel international responsable de plus
d’une centaine d’assassinats, réfugié à Miami et que Washington
refuse de juger ou d’extrader :
« Pourquoi Washington refuse de répondre à la requête formelle
pour l’extradition de Luis Posada Carriles au Venezuela ? Elle a
été reçue il y a plus de quatre ans et est restée sans réponse.
Les
conventions internationales contre le terrorisme sont très
claires et ne laissent aucune alternative aux Etats-Unis. Posada
doit être extradé afin d’être jugé pour avoir fait exploser un
avion civil en vol ou alors les Etats-Unis se trouvent dans
l’obligation de le mettre en examen pour le même crime « sans
aucune exception possible ». Il faut extrader ou juger
immédiatement Posada sinon les Etats-Unis continueront d’être en
violation de l’article 7 de la Convention de Montréal sur la
protection de l’aviation civile et de tous les autres
instruments légaux contre le terrorisme international, ainsi
qu’avec la résolution 1373 de septembre
2001 du Conseil de sécurité des Nations unies15 ».
Le président Obama est en train de revenir sur les
promesses faites à l’opinion internationale. Ainsi, après s’être
montré implacable sur les tribunaux d’exception instaurés par
l’administration Bush à Guantanamo –territoire cubain
illégalement occupé par les Etats-Unis – qu’il avait qualifiés
d’ « échec monumental »,
le locataire de la Maison-Blanche a tout simplement décidé de
conserver les commissions militaires, annulant
de facto la fermeture
des prisons de Guantanamo, et suscitant l’ire des organisations
internationales16. Il a également choisi de mettre
son veto sur la publication de photos illustrant les actes de
torture commis par la CIA, contredisant une nouvelle fois sa
volonté affirmée à maintes reprises de faire la lumière sur les
exactions commises sous le règne de Georges W. Bush17.
Le monde entier a les yeux rivés sur Barack Obama qui
dispose d’une opportunité historique pour mettre un terme à une
agression longue de cinquante ans contre le peuple cubain. Il
n’y a plus aucune justification du
statu quo actuel.
Notes
1
Salim Lamrani, « Le premier geste de Barack Obama à l’égard de
Cuba », Voltaire, 18
avril 2009.
http://www.voltairenet.org/article159757.html (site consulté
le 16 mai 2009).
2
Agence France-Presse,
« Presidenta argentina pide a Obama que levante embargo contra
Cuba », 17 avril 2009 ;
Agencia Bolivariana de Noticias, « Cristina Fernández abogó
por Cuba en discurso inaugural de Cumbre de las Américas », 17
avril 2009 ; Agencia
Bolivariana de Noticias, « Daniel Ortega rechazó política
intervencionista de Estados Unidos », 17 avril 2009.
3
The Associated Press,
« Obama Seeks ‘New Beginning’ With Cuba », 17 avril 2009.
4
Macarena Vidal, « Obama ofrece ‘un nuevo comienzo’ en las
relaciones con Cuba »,
EFE, 17 avril 2009.
5
EFE, « Asesor de
Obama : EEUU está lejos de levantar el embargo », 19 avril 2009.
6
Agence France-Presse,
« Clinton afirma que régimen de Castro en Cuba ‘está
finalizando’ », 22 avril 2009.
7
Frances Robles, « Obama a Raúl Castro : ‘Ahora es su turno’ »,
The Miami Herald, 19
avril 2009.
8
The Associated Press,
« Castro Says Cuba Willing to Talk on Equal Terms », 16 avril
2009.
9
Agence France-Presse,
« Raúl Castro responde a Obama : No es Cuba la que tiene que
hacer gestos », 29 avril 2009.
10
Juan Carlos Chávez, « Informe sugiere ‘más realismo’ en nexos
con Cuba », El Nuevo
Herald, 21 avril 2009.
11
EFE, « Piden que se
pueda viajar a la isla desde más aeropuertos », 28 avril 2009.
12
Nestor Ikeda, « Dueños de empresas y congresistas piden comercio
con Cuba », The
Associated Press, 6 mai 2009.
13
Wilfredo Cancio Isla, « Multa a petrolera por exportar
tecnología a Cuba », El
Nuevo Herald, 7 mai 2009.
14
El Nuevo Herald,
« EEUU deja a Cuba en la lista de países terroristas », 1er
mai 2009.
15
Ricardo Alarcón de Quesada, « Cuba : The Imperial Ignorance »,
Znet, 13 mai 2009.
http://www.zcommunications.org/znet/viewArticle/21446
(site consulté le 16 mai 2009).
16
Le Monde, « Barack
Obama maintient les tribunaux d’exception », 16 mai 2009.
17
Jennifer Loven, « Obama Seeks to Block Release of Abuse
Photos », The Associated
Press, 14 mai 2009.
Salim Lamrani est enseignant chargé de
cours à l’Université Paris-Descartes et l’Université Paris-Est
Marne-la-Vallée et journaliste français, spécialiste des
relations entre Cuba et les Etats-Unis. Il a publié, entre
autres, Double Morale. Cuba, l’Union européenne et les droits
de l’homme (Paris : Editions Estrella, 2008). Son nouvel
ouvrage s’intitule Cuba.
Ce que les médias ne vous diront jamais (Paris : Editions
Estrella, 2009) et comporte un prologue de Nelson Mandela.
Contact :
lamranisalim@yahoo.fr
;
salim.lamrani@parisdescartes.fr
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