11 décembre 2006
Miami est décidément une ville
bien particulière, unique sur le territoire étasunien.
L’immense majorité de ses institutions, des services de
police, en passant par la presse et jusqu’aux pompiers, sont
sous le contrôle d’une minorité extrémiste d’origine
cubaine extrêmement puissante. L’objectif avoué de ce
secteur très influent, descendant de l’oligarchie prérévolutionnaire,
est de renverser, par tous les moyens, le gouvernement de La
Havane.
Le dernier scandale en date a éclaté
en septembre 2006 quand il a été découvert que près de 50
journalistes de l’Etat de Floride, dont trois du journal El
Nuevo Herald, recevaient de manière régulière des émoluments
de la part du gouvernement fédéral en échange d’une
participation dans les programmes de Radio et TV Martí où ils
étaient chargés de promouvoir la propagande anti-cubaine de
Washington. Les programmes de ces deux médias publics, dotés
d’un budget annuel de 37 millions de dollars et destinés à « accélérer
la fin du régime castriste », sont uniquement
transmis vers Cuba car la législation anti-propagande étasunienne
interdit leur diffusion sur le territoire national [1].
Les trois journalistes du
quotidien El Nuevo Herald, M. Pablo
Alfonso qui a reçu pas moins de 175 000 dollars depuis 2001, M. Wilfredo
Cancio Isla stipendié à hauteur de 15 000 dollars durant les
cinq dernières années, et Mme Olga Connor dont le chèque
s’élève à 71 000 dollars, s’occupaient de la section Cuba
du journal. Ils ont tous été licenciés par le Miami
Herald dont ils dépendaient. Leur entreprise leur
reprochait d’avoir gravement failli à l’éthique
journalistique. En effet, en acceptant de dépendre financièrement
du gouvernement étasunien, ces derniers entraient dans un
conflit d’intérêts évident et se trouvaient dans
l’impossibilité de faire preuve d’impartialité et
d’objectivité dans le traitement de l’information [2].
M. Jesús Díaz Jr., président
et rédacteur en chef de l’entreprise The
Miami Herald Media Company à laquelle appartient El
Nuevo Herald, a exprimé sa profonde déception et a regretté
que ses professionnels de l’information aient violé « la
confiance sacrée » qui lie le public et les
journalistes. « Je ne crois pas que nous
pouvons garantir l’objectivité ni l’intégrité si l’un
de nos reporters reçoit une compensation monétaire de
n’importe quelle entité [...], surtout s’il s’agit
d’une agence du gouvernement », a-t-il souligné [3].
Plusieurs autres journalistes
recevaient une rémunération de la part du Bureau des
transmissions vers Cuba (U.S. Office of Cuba Broadcasting) parmi
lesquels Mme Helen Aguirre Ferré et M. Ariel Remos du
Diario Las Américas, M. Miguel Cossío,
directeur de l’information du Canal 41, M. Juan
Manuel Cao également journaliste du Canal 41,
Mme Ninoska Pérez Castellón de Radio Mambí
et M. Carlos Alberto Montaner, chroniqueur de El
Nuevo Herald [4].
Le gouvernement cubain a
longtemps dénoncé que certains journalistes du sud de la
Floride étaient stipendiés par le gouvernement des Etats-Unis.
Le cas du reporter Juan Manuel Cao, qui a reçu près de 11 400
dollars de la part de TV Martí, est apparu dans les médias au
mois de juillet 2006 quand ce dernier a vigoureusement questionné
le président cubain Fidel Castro, lors d’une conférence de
presse en Argentine. La réponse du Comandante
avait alors fusé : « Qui vous paye
donc pour poser ce genre de questions ? ». Malgré
son âge avancé, le vieux leader révolutionnaire n’a jamais
perdu sa vivacité d’esprit et son sens de l’analyse. Il
avait deviné la réalité bien avant tout le monde.
Beaucoup d’experts en éthique
journalistique, tel que M. Iván Román, directeur exécutif
de l’Association nationale des journalistes hispanophones, ont
dénoncé ce conflit d’intérêts aussi grave
qu’inacceptable. « Il y a une limite que
les journalistes ne doivent pas franchir », a-t-il déclaré.
M. Jon Roosenraad, professeur de journalisme à l’Université
de Floride s’est penché sur ce cas d’école. « C’est
comme si un reporter économique travaillait à temps partiel
[...] pour une entreprise locale durant ses heures libres et
retournait à son journal le lendemain pour écrire su ‘son’
entreprise », a-t-il noté [5].
Ce n’est pas la première que
le gouvernement étasunien rémunère grassement des
journalistes pour qu’ils promeuvent leur agenda politique. En
2005, la Maison-Blanche avait stipendié le célèbre
journaliste Amstrong Williams à hauteur de 240 000 dollars,
afin qu’il défende, dans son programme télévisé diffusé
à travers tout le pays, la loi de réforme de l’éducation [6].
M. Robert Beatty, vice-président
en charge des affaires publiques de la Miami
Herald Media Company s’est montré intransigeant et catégorique :
« L’étique du journalisme ne peut
souffrir d’interprétations à géométrie variable. Lorsque
nous sommes au courant de tels agissement, nous réagissons avec
fermeté ». Pour lui, l’indépendance du journalisme
ne pouvait être souillée par la propagande gouvernementale [7].
Mais M. Beatty avait
sous-estimé la puissance et le pouvoir de coercition de
l’extrême droite cubaine qui contrôle la vie politique et économique
de Miami. En effet, suite à de fortes pressions, des menaces de
boycott et d’autres actions plus radicales, les propriétaires
du Miami Herald ont décidé de réembaucher
les trois journalistes remerciés, et de fermer les yeux sur la
découverte dans leur entreprise de six autres reporters qui
s’étaient rendus coupables des mêmes méfaits [8].
Cette décision spectaculaire a
entraîné la démission de M. Jesús Díaz Jr., qui a décidé
de tirer les conséquences de ce revirement. Le président du
journal a considéré pour sa part que le fait de servir les intérêts
d’un gouvernement constituait « une
violation des principes d’éthique journalistique largement
acceptés ». Il a été remplacé par M. David
Landsberg dont le premier acte a été de déclarer que
l’entreprise n’accepterait plus ce genre de pratique à
l’avenir [9].
Ce n’est pas la première fois
que le Miami Herald courbe l’échine et cède
face au chantage et aux menaces de la droite radicale de Miami,
par crainte de représailles. Dans les années 1990, le journal
s’était plié aux exigences de Jorge Mas Canosa qui avait
alors lancé la campagne « Je ne crois pas
au Herald ». L’ancien président de la Fondation
nationale cubano américaine, une organisation extrémiste
impliquée dans le terrorisme international, avait menacé le
journal de boycott et d’actions d’envergure s’il ne
faisait pas preuve de plus de fermeté envers le gouvernement
cubain.
Cette grave violation de l’éthique
journalistique et de la liberté de la presse n’a pas ému
grand monde au niveau international. Quant à la célèbre
organisation française de « défense de
la liberté de la presse », Reporters sans frontières,
elle est restée muette sur cette affaire pour ne pas froisser
certaines connaissances du sud de la Floride.