Opinion
Qui se cache
derrière la bloggeuse cubaine Yoani Sánchez
?
Salim
Lamrani
Salim
Lamrani
Vendredi 9 mars
2012
Yoani Sánchez, célébrissime bloggeuse
havanaise, est un personnage à part dans
l’univers de la dissidence cubaine.
Jamais aucun opposant n’a bénéficié
d’une exposition médiatique aussi
massive ni d’une reconnaissance
internationale d’une telle dimension en
si peu de temps.
Après avoir émigré en Suisse en 2002,
Yoani Sánchez
a choisi de rentrer à Cuba deux années
plus tard, en 2004. En 2007, elle décide
d’intégrer l’univers de l’opposition à
Cuba en créant son blog Generación Y,
et devient un farouche détracteur du
gouvernement de La Havane.
Jamais aucun dissident à Cuba –
peut-être même dans le monde – n’a
obtenu autant de distinctions
internationales en si peu de temps, avec
une caractéristique particulière : elles
ont rapporté à Yoani Sánchez assez
d’argent pour vivre tranquillement à
Cuba jusqu’à la fin de ses jours. En
effet, la bloggeuse a été rétribuée au
total à hauteur de 250 000 euros,
c’est-à-dire une somme équivalant à plus
de 20 années de salaire minimum dans un
pays tel que la France, cinquième
puissance mondiale. Le salaire minimum
mensuel à Cuba étant de 420 pesos,
c’est-à-dire 18 dollars ou 14 euros,
Yoani Sánchez a obtenu l’équivalent de
1 488 années de salaire minimum à Cuba
pour son activité d’opposante.
Yoani Sánchez est également en étroite
relation avec la diplomatie étasunienne
à Cuba comme l’indique un câble, classé
« secret » en raison de son contenu
sensible, émanant de la Section
d’Intérêts nord-américains (SINA), rendu
public par Wikileaks. Michael Parmly,
ancien chef de la SINA à La Havane, qui
se réunissait régulièrement avec Yoani
Sánchez dans sa résidence diplomatique
personnelle, comme l’indiquent les
documents confidentiels de la SINA, a
fait part de son inquiétude au sujet de
la publication des câbles diplomatiques
étasuniens par Wikileaks : « Je serais
vraiment ennuyé si les nombreuses
conversations que j’ai eues avec Yoani
Sánchez venaient à être publiées. Elle
pourrait en payer les conséquences toute
sa vie ». La question qui vient
inévitablement à l’esprit est la
suivante : pour quelles raisons Yoani
Sánchez serait-elle en danger si ses
agissements, comme elle l’affirme,
respectent le cadre de la légalité ?
En 2009, la presse occidentale avait
grandement médiatisé l’interview que le
président étasunien Barack Obama avait
concédée à Yoani Sánchez, ce qui était
considéré comme étant un fait
exceptionnel. La bloggeuse avait
également affirmé qu’elle avait fait
parvenir un questionnaire similaire au
président cubain Raúl Castro et que ce
dernier n’avait pas daigné répondre à la
sollicitation. Néanmoins, les documents
confidentiels émanant de la SINA, rendus
publics par Wikileaks, mettent à mal ces
déclarations.
On y découvre qu’en réalité ce fut un
fonctionnaire de la représentation
diplomatique étasunienne à La Havane qui
s’était chargé de rédiger les réponses à
la dissidente et non le président Obama.
Plus grave cependant, on apprend que
Yoani Sánchez, contrairement à ses
affirmations, n’a par ailleurs jamais
fait parvenir de questionnaire à Raúl
Castro. En effet le chef de la SINA
Jonathan D. Farrar a confirmé cette
réalité dans une missive expédiée au
Département d’Etat : « Elle n’attendait
pas de réponse de ce dernier, car elle a
confié qu’elle ne les [les questions]
avait jamais transmises au Président
cubain ».
Le compte Twitter de Yoani Sánchez
En plus du site Internet
Generación Y, Yoani Sánchez dispose
également d’un compte Twitter et
revendique plus de 214 000 suiveurs.
Seuls 32 d’entre eux habitent réellement
Cuba. De son côté, la dissidente cubaine
suit elle-même plus de 80 000 personnes.
Sur son profil, Sánchez se présente de
la façon suivante : « Bloggeuse, je
réside à La Havane et je raconte ma
réalité par bribes de 140 caractères. Je
twitte via sms sans accès Internet ».
Cependant, la version de Yoani
Sánchez est difficilement crédible. En
effet, il est rigoureusement impossible
de suivre plus de 80 000 personnes,
uniquement par sms ou à partir d’une
connexion hebdomadaire à Internet depuis
un hôtel. Un accès quotidien au web est
indispensable pour cela.
La popularité sur le réseau
social Twitter dépend du nombre de
suiveurs. Plus ils sont nombreux, plus
le compte gagne en exposition. De la
même manière, il existe une forte
corrélation entre le nombre de personnes
suivies et la visibilité de son propre
compte. La technique qui consiste à
suivre de nombreux comptes est
communément utilisée à des fins
commerciales ainsi que par la classe
politique lors de campagnes électorales.
Le site
www.followerwonk.com
permet d’analyser le profil des fans de
tout membre de la communauté Twitter.
L’étude du cas Yoani Sánchez est
révélatrice à plusieurs égards. Une
analyse des chiffres du compte Twitter
de la bloggeuse cubaine, réalisée à
travers le site, révèle, à partir de
2010, une impressionnante activité du
compte de Yoani Sánchez. Ainsi, à partir
de juin 2010, Sánchez a rejoint en
moyenne plus de 200 comptes twitter par
jour, avec des pics pouvant atteindre
700 comptes en 24 heures. A moins de
passer des heures entières sur Internet
à cela – ce qui semble hautement
improbable – il est impossible de
s’abonner à autant de comptes en si peu
de temps. Il semble donc que cela a été
généré de manière informatique.
De la même manière, l’on découvre que
près de 50 000 suiveurs de Yoani Sánchez
sont en réalité des comptes fantômes ou
inactifs, qui créent l’illusion que la
bloggeuse cubaine jouit d’une grande
popularité sur les réseaux sociaux. En
effet, des 214 063 profils du compte @yoanisanchez,
27 012 sont des coquilles vides (sans
photo) et 20 600 revêtent les
caractéristiques de comptes fantômes
avec une activité inexistante sur le
réseau (0 à 3 messages envoyés depuis la
création du compte).
Ainsi, parmi les comptes fantômes qui
suivent Yoani Sánchez sur Twitter, 3 363
ne disposent d’aucun suiveur et 2 897
suivent uniquement le compte de la
bloggeuse, ainsi qu’un ou deux autres
comptes. De la même manière, certains
comptes présentent des caractéristiques
assez étranges : ils ne disposent
d’aucun fans, suivent uniquement Yoani
Sánchez et ont émis plus de 2 000
messages.
Cette opération destinée à créer une
popularité fictive via Twitter est
impossible à effectuer sans accès à
Internet. Elle nécessite également un
soutien technologique ainsi qu’un budget
conséquent. Selon une enquête réalisée
par le quotidien mexicain
La Jornada, intitulée “El
ciberacarreo, la nueva estrategia de los
políticos en Twitter”,
sur des opérations de cette nature
impliquant des candidats présidentiels
mexicains, de nombreuses entreprises
présentes aux Etats-Unis, en Asie et en
Amérique latine, offrent ce service de
popularité fictive à des prix élevés.
« Pour une armée de 25 000 suiveurs
inventés sur Twitter, on paye jusqu’à
2 000 dollars, et pour 500 profils
utilisés par 50 personnes, le prix
fluctue entre 12 000 et 15 000 dollars.
Yoani Sánchez émet une moyenne de 9,3
messages par jour. En 2011, la bloggeuse
a publié environ 400 messages par mois.
Le prix d’un message à Cuba est de 1
peso convertible (CUC, = $0.85), ce qui
représente un total de 400 CUC mensuels.
Le salaire minimum à Cuba étant de 420
pesos cubains, c’est-à-dire environ 16
CUC, Yoani Sánchez dépense chaque mois
l’équivalent de 25 mois de salaire
minimum à Cuba. A titre de comparaison,
le revenu minimum étant d’environ 1 000
euros en France. Ainsi, la bloggeuse
dépense à Cuba une somme correspondant à
l’équivalent de 25 000 euros par mois
sur Twitter, c’est-à-dire 300 000 euros
par an. D’où proviennent les ressources
nécessaires à ces activités ?
D’autres questions surgissent
inévitablement. Comment Yoani Sánchez
peut-elle suivre plus de 80 000 comptes
Twitter sans un accès permanent à
Internet ? Comment a-t-elle pu adhérer à
près de 200 comptes différents par jour
en moyenne depuis juin 2010, avec des
pics dépassant les 1 000 comptes ?
Combien de personnes suivent réellement
les activités de l’opposante cubaine sur
le réseau social ? Qui finance la
création des comptes fictifs ? Dans quel
but ? Quels sont les intérêts qui se
cachent derrière la figure de Yoani
Sánchez ?
*Docteur ès Etudes Ibériques et
Latino-américaines de l’Université Paris
Sorbonne-Paris IV, Salim Lamrani est
enseignant chargé de cours à
l’Université Paris Sorbonne-Paris IV, et
l’Université Paris-Est Marne-la-Vallée,
et
journaliste, spécialiste des relations
entre Cuba et les Etats-Unis.
Son dernier ouvrage s’intitule
État de siège. Les sanctions économiques
des Etats-Unis contre Cuba, Paris,
Éditions Estrella, 2011 (prologue de
Wayne S. Smith et préface de Paul
Estrade).
http://www.amazon.fr/Siege-Sanctions-Economiques-Etats-Unis-Contre/dp/2953128425/ref=sr_1_2?s=books&ie=UTF8&qid=1323515651&sr=1-2
Contact :
Salim.Lamrani@univ-mlv.fr
;
lamranisalim@yahoo.fr
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