Venezuela
La
guerre de désinformation de Reporters sans frontières contre le
Venezuela
Salim Lamrani
Dimanche 4 février 2007
Depuis l’élection
de Hugo Chávez à la présidence de la République en 1998,
Reporters sans frontières (RSF) a multiplié les attaques contre
le gouvernement vénézuelien, l’accusant notamment de porter
atteinte à la liberté de la presse. Pourtant, depuis 1999, près
de 500 nouveaux organes de presse locaux et nationaux (journaux,
radios et chaînes de télévision) ont vu le jour au Venezuela.
Dernièrement, l’organisation parisienne s’est offusquée de
la décision des autorités de ne pas renouveler la licence au
groupe audiovisuel privé Radio Caracas Televisión (RCVT),
qui expirera le 28 mai 2007. RSF a transformé ce choix tout à
fait légal, car le spectre des ondes hertziennes appartient à
l’Etat, en une « atteinte à la pluralité éditoriale1 ».
RSF confesse qu’elle n’ignore pas « l’attitude
de RCTV durant le coup d’Etat d’avril 2002 »
qui n’avait pas « caché [son] soutien » au
renversement de l’ordre constitutionnel. Mais, selon l’entité
française, le fait ne pas renouveler la licence d’une chaîne
qui a ouvertement participé à un coup d’Etat – qui a coûté
la vie à de nombreuses personnes – constitue une violation de
la liberté de la presse. Le fait de ne pas renouveler la licence
d’une chaîne qui a également pris part de manière active au
sabotage pétrolier de décembre 2002, en lançant des appels au
blocage général de l’entreprise PDVSA, – ce qui a
failli conduire le pays à la banqueroute – n’est pas une décision
légitime, sage et indispensable mais une « grave
atteinte au pluralisme des médias » qui doit être
condamnée2.
Dans
une situation similaire, n’importe quel autre gouvernement du
monde aurait immédiatement pris des mesures draconiennes contre RCTV.
Le président Chávez, lui, a préféré patienter jusqu’à l’échéance
légale de la concession malgré la pression populaire. En effet,
cette décision avait suscité la réprobation générale de la
part de la majorité des citoyens vénézueliens qui ne
comprenaient pas pourquoi une chaîne de télévision putschiste
était encore autorisée à fonctionner. En outre, il ne s’agit
nullement d’un cas de censure comme l’affirme RSF puisque RCTV
pourra toujours continuer à fonctionner par câble et par
satellite sans aucun problème. Elle n’utilisera pas simplement
la fréquence qui appartient à l’Etat.
L’organisation parisienne feint d’ignorer la réalité
médiatique du Venezuela. Elle ose parler de « pluralité
éditoriale » alors que RCTV, Globovisión,
Venevisión et Televen – qui contrôle près de
90% du marché télévisuel et disposent donc d’un monopole médiatique
indéniable – sont, selon RSF, « clairement situés
dans l’opposition au gouvernement ». Cette exclusivité
médiatique n’a évidemment jamais été dénoncée par RSF.
Elle omet également de signaler que depuis l’accession de Hugo
Chávez à la présidence, la principale activité de RCVT
a consisté à diffuser de fausses informations au sujet de la
politique du gouvernement et à inciter à l’altération de
l’ordre constitutionnel, en se faisant le porte-parole des
militaires insurgés prônant un coup de force3.
Dans une lettre ouverte destinée au président Chávez,
Robert Ménard, secrétaire général de RSF depuis plus de vingt
ans, fait semblant d’ignorer les activités subversives et
malveillantes de RCTV, sans aucun respect pour la déontologie
journalistique. Pour RSF, diffuser de fausses informations, dénigrer
constamment l’action du gouvernement, inciter la population à
la désobéissance et à la violence, inviter régulièrement des
généraux putschistes à déverser leur haine contre le président
de la République n’est en rien condamnable car il s’agit
simplement du rôle de « contre-pouvoir des médias ».
Après tout, « l’exercice de l’autorité dans une démocratie
s’expose par nature à la critique des médias4 ».
Parfois, RSF, tellement obsédée par le fait de présenter
le gouvernement bolivarien comme une menace pour la liberté de la
presse, tombe dans l’absurde ne sachant plus quoi inventer.
L’attribution de la publicité officielle, qui est une prérogative
de l’Etat, devrait être confiée prochainement au Ministère de
la Communication et de l’Information (MINCI). L’organisation
parisienne s’inquiète de cette décision car « cette
manne représente un gage de survie important pour un certain
nombre de médias ». Il est fort probable – et logique
– que le gouvernement ne financera pas les médias hostiles à
son égard en signant des contrats publicitaires avec eux. Mais
pour RSF, si le gouvernement refuse de faire appel à la presse
privée pour sa publicité, il « porte atteinte aux médias
et à leur indépendance5 ».
Le 15 novembre 2006, RSF accusait également Numa Rojas, le
maire de Maturín, de censurer « quatre médias critiques
à son égard ». Rojas, membre du parti du président Chávez,
dont la politique est constamment dénigrée par deux journaux et
deux radios, a tout simplement décidé qu’il ne ferait plus
appel à eux pour diffuser la publicité de la municipalité. Les
quotidiens La Prensa et El Periódico de Monagas
ainsi que les radios Órbita et 93.5 La Gran FM,
tous affiliés à l’opposition, mènent depuis un certain temps
une campagne acharnée à son égard. Pour RSF, « sanctionner
financièrement [ces médias] en les privant de ressources
publicitaires relève purement et simplement de la censure6 ».
Dans son rapport 2006 sur la « liberté
d’expression » à travers le monde, RSF accumule les
accusations contre le Venezuela. « La loi sur la
responsabilité sociale des médias et la réforme du code pénal,
très restrictives en matière de liberté d’expression, sont
autant d’incitations à la censure », affirme
l’organisation parisienne, même si elle reconnaît que le
gouvernement n’y a pas recouru. La loi en question adoptée le 7
décembre 2004 autorise la Commission nationale des télécommunications
à suspendre les stations de radio et les chaînes de télévision
qui « promeuvent, font l’apologie ou incitent à la
guerre, à l’altération de l’ordre public et au délit7 ».
Ainsi,
pour RSF, interdire aux médias de lancer des appels à la guerre
civile, au soulèvement armé, à l’assassinat du président de
la République et des hauts dirigeants politiques ou à la
violence, comme cela est le cas dans n’importe quel pays du
monde, est une « incitation à la censure » au
Venezuela. RSF remarque avec regret que « la législation
semble cependant avoir eu un effet dissuasif sur les médias,
quitte à priver la presse de son rôle de contre-pouvoir ».
Que suggère RSF ? Autoriser les médias à lancer des appels
à la haine, à la violence, à la subversion et à l’assassinat
de Hugo Chávez au nom de la liberté d’expression8 ?
RSF fustige également l’article 297A du code pénal qui
prévoit des peines de deux à cinq ans d’emprisonnement pour la
diffusion de fausses informations de nature à « semer la
panique » par voie de presse. Pour RSF, les médias vénézuéliens
ont évidemment le droit de semer le trouble au sein du pays, cela
faisant partie de la « liberté d’expression ».
De la même manière, RSF dénonce l’article 444 qui punit
d’un à trois ans d’emprisonnement les propos pouvant « exposer
autrui au mépris ou à la haine publique ». Pour RSF,
au Venezuela, la presse doit avoir le droit d’inciter à la
haine9.
Enfin, RSF a également condamné le fait que des
fonctionnaires de la Conatel aient « saisi le matériel
émetteur de la station [Radio Alternativa 94.9 FM de Caracas] au
motif que celle-ci n’avait pas l’autorisation d’émettre ».
RSF reconnaît pourtant que « la fréquence avait, en
effet, été attribuée à une autre station en septembre 2004 ».
Ainsi, selon RSF, le fait que les autorités vénézueliennes
fassent respecter la loi, comme cela se fait dans n’importe quel
pays du monde (en France, aucune radio ne peut émettre sans
autorisation officielle), constitue une « violation de la
liberté de la presse10 ».
RSF affirme être une organisation apolitique uniquement
intéressée par la défense de la liberté de la presse. Elle déclare
que son rôle n’est pas de s’immiscer dans les affaires
internes du Venezuela. Mais la réalité est bien différente. RSF
n’a jamais condamné la participation des médias privés dans
la rupture constitutionnelle de 2002, se bornant seulement à
reconnaître que « certains patrons de presse sont allés
jusqu’à cautionner le coup d’Etat11 ».
En
réalité, plus de 90% de la presse privée dont les quatre
principales chaînes de télévision avaient ouvertement et
activement soutenu la junte putschiste. Les principaux directeurs
des médias privés s’étaient même réunis avec le dictateur
de 47 heures, Pedro Carmona Estanga, le 13 avril 2002, pour
recevoir les directives. Pour RSF, la participation au coup de
force de la part des médias ne constituait pas un crime
monstrueux. Il s’agit simplement d’« un manquement
aux règles élémentaires de déontologie », rien de
plus. Dans son rapport annuel de 2003, à aucun moment RSF ne
condamne le rôle des médias dans le renversement du président
Chávez12.
Pis
encore, le 12 avril 2002, RSF avait publié un article reprenant
sans aucune réserve la version des putschistes et avait essayé
de convaincre l’opinion publique internationale que Chávez
avait démissionné :
« Reclus
dans le palais présidentiel, Hugo Chávez a signé sa démission
dans la nuit, sous la pression de l’armée. Il a ensuite été
conduit au fort de Tiuna, la principale base militaire de Caracas,
où il est détenu. Immédiatement après, Pedro Carmona, le président
de Fedecámaras, a annoncé qu’il dirigerait un nouveau
gouvernement de transition. Il a affirmé que son nom faisait
l’objet d’un "consensus" de la société civile vénézuélienne
et du commandement des forces armées13 ».
Aussi
incroyable que cela puisse paraître, ce communiqué n’a pas été
émis par Washington, qui avait orchestré le coup d’Etat, mais
par RSF.
« Les
alters[mondialistes] ont toutes les indulgences pour
l’ex-putschiste Hugo Chávez, ce caudillo d’opérette qui
ruine son pays mais se contente – pour l’instant ? – de
discours à la Castro sans trop de conséquences réelles pour les
libertés de ses concitoyens ». Encore une fois, ces
propos n’ont pas été tenus par le président George W. Bush.
Ils ne sont pas non plus le fait des auteurs du sanglant coup d’Etat
contre le président Chávez. Cette phrase n’est rien d’autre
que l’œuvre de…Robert Ménard, le secrétaire général de
RSF et a été publiée dans Médias, la revue officielle
de l’organisation14.
« Le gouvernement de Hugo Chávez est un échec,
une catastrophe économique de promesses non tenues ».
Ces propos ne viennent pas de l’oligarchie vénézuelienne, dont
l’aversion à l’égard de celui qui vient de sortir victorieux
de 12 processus électoraux consécutifs est sans limite, mais
de… Robert Ménard encore une fois. Ils ont été prononcés à
Miami (ville de Floride qui est devenue le fief des putschistes
qui ont fuit la justice de leur pays) lors de la visite du secrétaire
général de RSF à l’extrême droite cubaine et vénézuelienne
en janvier 200415.
Mais tout cela est-il étonnant quand l’on sait que la
principale correspondante de RSF au Venezuela est la politologue
María Sol Pérez Schael, éminent membre de l’opposition qui
avait soutenu le coup d’Etat. Dans le journal El Universal,
elle avait exprimé son soutien aux militaires putschistes qui
occupaient la Plaza Francia et les avait qualifiés « d’hommes
dignes qui ont su dominer leurs impulsions [et d’hommes]
vertueux qui envoient un message de civisme au pays et au
continent ». Leur message « de civisme »
consistait en fait à lancer des appels à la grève générale et
au sabotage pour renverser Hugo Chávez16.
Est-ce
surprenant quand l’on sait que RSF est financé par la National
Endowment for Democracy (Fondation nationale pour la démocratie-NED),
une entité créée par Ronald Reagan et financée par le Congrès
étasunien dans le but de promouvoir la politique étrangère des
Etats-Unis à travers le monde ? Que reste-t-il de la crédibilité
de RSF ? Qui peut encore croire que cette organisation ne défend
pas un agenda politique bien précis17 ?
En mars 1997, le New York Times notait à ce sujet :
« La National Endowment for Democracy a été créée
il y a 15 ans pour réaliser publiquement ce que la Central
Intelligence Agency (CIA) a fait subrepticement durant des décennies.
Elle dépense 30 millions de dollars par an pour appuyer des
partis politiques, des syndicats, des mouvements dissidents et des
médias d’information dans des dizaines de pays18 ».
En septembre 1991, Allen Weinstein, qui avait contribué à faire
adopter la législation donnant naissance à la NED, déclarait au
Washington Post : « Beaucoup de ce que nous
faisons aujourd’hui a été fait par la CIA il y a 25 ans de
manière clandestine». RSF, financée par une officine écran
de la CIA, selon Weinstein et le New York Times,
pourra-t-elle encore tromper longtemps l’opinion publique19 ?
RSF ne défend pas la liberté de la presse au Venezuela.
Elle y défend les intérêts élitistes et mesquins des
Etats-Unis et de l’oligarchie. Son traitement partisan et idéologique
de la réalité vénézuelienne et le financement qu’elle reçoit
de Washington ne laissent guère place au doute. Son objectif est
de faire passer un gouvernement démocratique et populaire pour un
prédateur de la liberté de presse à la conduite autoritaire, de
le discréditer ainsi aux yeux de l’opinion publique
internationale, pour justifier un éventuel coup d’Etat à son
encontre ou une intervention militaire étasunienne.
Notes
1
Reporters sans frontières, « Le groupe RCTV pourrait
perdre sa licence : Reporters sans frontières appelle le
gouvernement à revoir sa position », 19 décembre 2006. www.rsf.org/article.php3?id_article=20214
(site consulté le 15 janvier 2007).
2
Ibid. ; Reporters sans frontières, « Le
président Hugo Chávez annonce la fin de la licence de RCTV »,
31 décembre 2006. www.rsf.org/article.php3?id_article=20214
(site consulté le 15 janvier 2007).
3
Ibid.
4
Reporters sans frontières, « Au nom du pluralisme
des médias, Reporters sans frontières en appelle au président
Hugo Chávez », 25 janvier 2007. www.rsf.org/article.php3?id_article=20643
(site consulté le 25 janvier 2007).
5
Ibid.
6
Reporters sans frontières, « Un maire censure quatre
médias critiques à son égard », 11 novembre 2006. www.rsf.org/article.php3?id_article=19752
(site consulté le 13 novembre 2006).
7
Reporters sans frontières, « Venezuela – Rapport
annuel 2006 », 2006. www.rsf.org/article.php3?id_article=17130
(site consulté le 13 novembre 2006).
8
Ibid.
9
Ibid.
10
Ibid.
11
Reporters sans frontières, « Venezuela – Rapport
annuel 2003 », 2003. http://www.rsf.org/article.php3?id_article=6185
(site consulté le 13 novembre 2006).
12
Ibid.
13
Reporters sans frontières, « Un journaliste a été
tué, trois autres ont été blessés et cinq chaînes de télévision
brièvement suspendues », 12 avril 2002. www.rsf.org/article.php3?id_article=1109
(site consulté le 13 novembre 2006).
14
Robert Ménard & Pierre Veuilletet, « La guérilla des
altermondialistes contre l’info », Médias, n°1,
2004. http://www.revue-medias.com/article.php3?id_article=189
(site consulté le 28 janvier 2007).
15
Wilfredo Cancio Isla, « Reporteros sin Fronteras abre nuevas
sedes en EEUU », El Nuevo Herald, 21 janvier 2004.
16
El Universal, 22 novembre 2002.
17
Robert Ménard, « Forum de discussion avec Robert Ménard »,
Le Nouvel Observateur, 18 avril 2005. www.nouvelobs.com/forum/archives/forum_284.html
(site consulté le 22 avril 2005).
18
John M. Broder, « Political Meddling by Outsiders : Not
New for U.S. », The New York Times, 31 mars 1997, p.
1.
19
Allen Weinstein, Washington Post, 22 septembre 1991.
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