Opinion
La dette publique
en France et en Europe
Comment les banques privées
s'enrichissent sur le dos des citoyens
Salim
Lamrani
© Salim
Lamrani
Lundi 2 juillet
2012
Opera Mundi
http://operamundi.uol.com.br/...
Tous les pays européens se trouvent
confrontés au problème de la dette,
lequel affecte durablement les finances
publiques. La France, cinquième
puissance du monde, n’échappe pas non
plus à la crise, qui fait le bonheur des
banques privées.
Aucune nation européenne n’est
épargnée par le problème de la dette
publique, même si la gravité de la crise
est différente d’une capitale à l’autre.
D’un côté se trouvent les « bons
élèves » tels que la Bulgarie, la
Roumanie, la République tchèque, la
Pologne, la Slovaquie, accompagnés des
pays baltes et scandinaves, avec un
endettement inférieur à 60% du PIB. De
l’autre côté se côtoient les quatre
« cancres », dont la dette publique
dépasse 100% du PIB : l’Irlande (108%),
le Portugal (108%), l’Italie (120%) et
la Grèce (180%). Entre ces deux extrêmes
se trouvent le reste des pays de l’Union
européenne, telle que la France (86%),
dont la dette oscille entre 60% et 100%
du PIB[1].
Les gouvernements européens de
philosophie libérale, symbolisés par
l’Allemagne d’Angela Merkel, sont tous
unanimes quant à l’importance qu’il
convient d’accorder au désendettement
public, en appliquant des politiques
d’austérité. De la même manière, Pierre
Moscovici, pourtant ministre français de
l’économie du gouvernement socialiste de
François Hollande, a fixé comme objectif
prioritaire de « réduire les déficits »,
et s’est engagé à les limiter à 3% du
PIB, par le biais, entre autres, d’une
baisse des dépenses publiques[2].
Pourtant, il est de
notoriété publique que les politiques
d’austérité, promues par l’Union
européenne, la Banque centrale
européenne et le Fonds monétaire
international, appliquées à travers le
Vieux Continent, sont économiquement
inefficaces. Elles ont même un effet
inverse puisque, loin de relancer la
croissance, la réduction des dépenses,
la diminution des salaires et des
pensions de retraite, le démantèlement
des services publics, y compris
d’éducation et de santé, la destruction
du code du travail et des acquis sociaux
– en plus des conséquences sociales et
humaines catastrophiques qu’elles
occasionnent – conduisent inévitablement
à une contraction de la consommation. De
ce fait, les entreprises se trouvent
dans l’obligation de réduire leur
production ainsi que les salaires,
allant jusqu’à se séparer de leurs
employés. Conséquence logique, les
ressources tributaires de l’Etat s’en
trouvent diminuées alors que ses
dépenses – pour atténuer les effets du
chômage – explosent, créant ainsi un
interminable cercle vicieux, dont le
symbole est la crise grecque. Plusieurs
pays européens se trouvent ainsi
actuellement en récession.
Comment est née la dette publique de la
France
En 1973, la France n’avait pas de
problème de dette et le budget national
était équilibré. En effet, le Trésor
Public pouvait se financer directement
auprès de la Banque de France pour
construire les écoles, les
infrastructures routières, portuaires et
aériennes, les hôpitaux et centres
culturels, sans avoir à payer un taux
d’intérêt exorbitant, et se trouvait
donc rarement en déficit. Néanmoins, le
3 janvier 1973, le gouvernement du
président George Pompidou, lui-même
ancien directeur général de la Banque
Rothschild, influencé par la Finance, a
adopté la loi n°73/7 sur la Banque de
France, surnommée la « loi Rothschild »
en raison du lobbying du secteur
bancaire en faveur de son adoption.
Elaborée par Olivier Wormser, gouverneur
de la Banque de France, et Valéry
Giscard d’Estaing, alors ministre de
l’économie et des finances, elle
stipule, dans son article 25, que « le
Trésor public ne peut être présentateur
de ses propres effets à l’escompte de la
Banque de France[3] ».
En clair, l’Etat
français ne peut plus financer le Trésor
Public en empruntant sans intérêt à la
Banque de France, mais doit
s’approvisionner auprès des marchés
financiers. Ainsi, l’Etat se trouve
contraint d’emprunter et de payer des
intérêts auprès d’institutions
financières privées, alors qu’il
pouvait, jusqu’en 1973, créer de la
monnaie pour équilibrer son budget, par
le biais de la Banque centrale. Les
banques commerciales disposent désormais
du pouvoir de création monétaire par le
crédit, alors qu’auparavant celui-ci
était une prérogative exclusive de la
Banque centrale, c’est-à-dire de l’Etat,
et s’enrichissent sur le dos des
contribuables, avec un statut de
quasi-monopole.
Ainsi, les banques
privées peuvent prêter, grâce aux
systèmes des réserves fractionnaires,
plus de six fois, le montant de ce
qu’elles possèdent en monnaie centrale.
En clair, pour chaque euro dont elles
disposent, elles peuvent prêter 6 euros
grâce à la création monétaire par le
crédit. Si cela n’est pas suffisant,
elles peuvent emprunter autant de fonds
que nécessaire auprès de la Banque
centrale à un taux souvent de 0%, afin
de le prêter ensuite… aux Etats à un
taux de 3% à 18%, comme c’est le cas
pour la Grèce. Ainsi, la création
monétaire par le crédit représente 90%
de la masse monétaire en circulation
dans la zone euro.
Cette situation a été
dénoncée par le Prix Nobel d’économie
français Maurice Allais qui souhaite que
la création monétaire soit réservée à
l’Etat et la Banque centrale. Selon lui,
« Toute
création monétaire doit relever de
l'État et de l'État seul : Toute
création monétaire autre que la monnaie
de base par la Banque centrale doit être
rendue impossible, de manière que
disparaissent les " faux droits "
résultant actuellement de la création de
monnaie bancaire […]. Par essence, la
création monétaire ex nihilo que
pratiquent les banques est semblable, je
n'hésite pas à le dire pour que les gens
comprennent bien ce qui est en jeu ici,
à la fabrication de monnaie par des
faux-monnayeurs, si justement réprimée
par la loi. Concrètement elle aboutit
aux mêmes résultats. La seule différence
est que ceux qui en profitent sont
différents[4] ».
Aujourd’hui, la dette
de la France s’élève à plus de 1 700
milliards d’euros. Or, entre 1980 et
2010, le contribuable français a
remboursé plus de 1 400 milliards
d’euros aux banques privées au seul
titre de l’intérêt de la dette. Ainsi,
sans la loi de 1973, le traité de
Maastricht et le traité de Lisbonne, la
dette française serait à peine de 300
milliards d’euros[5].
La France paye chaque
année 50 milliards d’euros en intérêts,
ce qui en fait le premier poste du
budget, avant l’éducation. Avec une
telle somme, le gouvernement pourrait
construire 500 000 logements sociaux à
100 000€ ou créer 1,5 millions d’emplois
dans la fonction publique (éducation,
santé, culture, loisir) avec un salaire
mensuel net de 1 500€. Le contribuable
se voit déposséder de plus 1 milliard
d’euros chaque semaine au profit des
banques privées. Ainsi, la catégorie la
plus riche de la population a reçu de
l’Etat le fabuleux privilège de
s’enrichir aux frais du contribuable,
sans absolument aucune contrepartie et
sans fournir le moindre effort.
Par ailleurs, ce
système permet à la Finance de soumettre
la classe politique à ses intérêts et de
lui dicter une politique économique par
le biais des agences de notations,
elles-mêmes financées par les banques
privées. En effet, si un gouvernement
adopte une politique contraire aux
intérêts du marché financier, ces
agences baissent la note attribuée aux
Etats, ce qui a pour effet immédiat
d’augmenter les taux d’intérêts.
Dans le même temps,
lorsque l’Etat et la Banque centrale
européenne renflouent les banques
privées en difficulté – c’est-à-dire
qu’ils procèdent à leur nationalisation
de facto sans bénéficier d’aucun
avantage, comme par exemple un pouvoir
de décision au sein du Conseil
d’administration, ils le font avec des
taux d’intérêts moins élevés que ceux
que ces mêmes entités financières
appliquent à l’Etat.
Le système de crédit
établi en France depuis 1973 et ratifié
depuis par les traités de Maastricht et
de Lisbonne n’a qu’un but : enrichir les
banques privées sur le dos des
contribuables. Il est regrettable qu’un
débat sur les origines de la dette
publique en France n’ait lieu ni dans
les médias ni au sein du Parlement.
Pourtant, il suffirait de redonner
l’exclusivité de la création monétaire à
la Banque centrale pour résoudre le
problème de la dette.
Docteur ès Etudes Ibériques et
Latino-américaines de l’Université Paris
Sorbonne-Paris IV, Salim Lamrani est
enseignant chargé de cours à
l’Université Paris Sorbonne-Paris IV, et
l’Université Paris-Est Marne-la-Vallée,
et
journaliste, spécialiste des relations
entre Cuba et les Etats-Unis.
Son dernier ouvrage s’intitule
État de siège. Les sanctions économiques
des Etats-Unis contre Cuba, Paris,
Éditions Estrella, 2011 (prologue de
Wayne S. Smith et préface de Paul
Estrade).
Contact :
Salim.Lamrani@univ-mlv.fr ;
lamranisalim@yahoo.fr
Page Facebook :
https://www.facebook.com/SalimLamraniOfficiel
[1]
Eurostat, « La dette
publique des Etats membres »,
décembre 2011.
http://www.touteleurope.eu/fr/actions/economie/euro/presentation/comparatif-le-deficit-public-dans-la-zone-euro.html
(site consulté le 12 juin 2012).
[2]
Le Point, « Moscovici :
l’Europe, dossier prioritaire,
la dette publique est un
‘ennemi’ », 17 mai 2012.
[3] Loi du 3 janvier
1973 sur la Banque de France.
http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000334815&dateTexte=19931231
(site consulté le 13 juin 2012)
[4] Maurice Allais,
La crise mondiale d’aujourd’hui,
Editions Clément Juglar, 1999.
[5]
Une histoire de la dette,
« Comprendre la dette
publique », 7 octobre 2011.
http://www.unehistoiredeladette.fr/2011/10/07/video-comprendre-la-dette-publique-en-quelques-minutes-et-drcac/
(site consulté le 13 juin 2012).
Sociétal, « L’arnaque de la
dette publique »,
http://www.societal.org/docs/dette-publique.htm
(site consulté le 13 juin 2012).
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