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Analyse
Quand le sionisme a besoin de l'antijudaïsme
Rudolf Bkouche

Rudolf Bkouche - Photo Palestine
Solidarité
Lundi 12 janvier 2009 Depuis les massacres
perpétrés à Gaza par l'armée israélienne, on a vu se développer
en France des actes antisémites plus ou moins graves, depuis les
graffitis jusqu'à des incendies de synagogues ou une agression
contre une collégienne juive.
Aussitôt certains ont mis en garde contre le transfert en France
du conflit israélo-palestinien et le risque de dérapages des
manifestations propalestiniennes incontrôlées, propalestiniennes
faut-il préciser, car on a moins parlé des manifestations de
soutien à Israël qui, au moment où l'armée israélienne détruit
la bande de Gaza et massacre ses habitants, sont autant de
provocations.
Comment peut-on soutenir la barbarie israélienne ? C'est la
question première à partir de laquelle on peut essayer de
comprendre, ce qui ne revient pas à les justifier, les actes
antijuifs de quelques uns qui s'imaginent ainsi marquer leur
soutien aux Palestiniens.
La barbarie israélienne, un grand mot pourrait-on dire lorsqu'il
s'agit d'un pays considéré comme participant de la civilisation,
de la "vraie"
civilisation faudrait-il préciser, puisqu'il est considéré par
ses partenaires de l'Union Européenne comme un pays européen,
officieusement il est vrai. Mais le siècle dernier nous a appris
que civilisation et barbarie savaient s'entendre quand
nécessaire et
l'hégémonie occidentale sait user de cette double face. On
comprend alors pourquoi ce bastion de civilisation face à la
barbarie comme le présentait Herzl est considéré, quoi qu'il
fasse, comme une part de l'Occident. On peut alors aisément se
donner belle conscience en présentant l'intervention israélienne
comme "disproportionnée",
autrement dit, « vous avez
le droit de tuer quelques uns de ces "vrais" barbares que sont
les Palestiniens, mais pas trop, cela risquerait de ternir votre
image ».
Double langage de l'Occident qui ne peut que déclencher ce que
Jean Ziegler, dans un livre remarquable, appelle "la haine de
l'Occident". Et ce double langage joue d'autant plus qu'ici la
haine frappe ces anciennes victimes de l'Occident que sont les
Juifs, eux qui n'ont été reconnus Européens qu'après des siècles
d'antijudaïsme européen et le massacre de six millions d'entre
eux il y a quelque soixante ans. Mais, en devenant Européens,
les Juifs sont passés de l'état de peuple paria à l'état de
peuple persécuteur, d'autant que leur européanisation s'est
traduite pas la création d'un Etat dit juif sur une terre qu'ils
ont conquises par les armes et dont ils ont chassés les
habitants. Ainsi le sionisme, idéologie minoritaire parmi les
Juifs avant le grand massacre, devenait l'idéologie officielle
juive et intégrait la majorité des Juifs à la face sombre de
l'Europe, celle des conquêtes coloniales et de l'impérialisme.
Aujourd'hui, alors que se lèvent en Occident des mouvements
dénonçant cette face sombre, le sionisme, au nom de la défense
des Juifs, tend à maintenir les Juifs européanisés dans le côté
sombre de l'Europe. Reflexe de défense d'un sionisme qui a
compris que sa survie, dans le climat de violence qu'il a
installé en Palestine depuis la création de l'Etat d'Israël,
dépend d'une part de son emprise sur la majorité des Juifs,
d'autre part du soutien de l'Occident. On comprend alors que le
sionisme, s'il s'est défini, à la fin du XIXe siècle,
en réaction à l'antisémitisme européen, a besoin aujourd'hui de
l'antisémitisme pour survivre.
C'est en ce sens que les manifestations de soutien à Israël
peuvent être considérées comme de véritables provocations, ce
que savent ceux qui se proclament les représentants de la
"communauté juive", qui le sont peut-être, mais cela importe
peu, et qui cherchent à maintenir
cette "communauté" dans l'enfermement sioniste. C'est
cela qui conduit ces représentants à identifier Juifs et
Sionistes, en quoi
ils réussissent en partie puisque certains croient qu'en
s'attaquant de façon inconsidérée aux Juifs, ils s'attaquent au
sionisme et à l'Etat d'Israël.
Tout cela ne justifie en rien des actes antijuifs. Que ceux-ci
relèvent de réactions spontanées ou qu'ils soient des actes
réfléchis, ces actes sont inacceptables et par conséquent
condamnables. Mais cette condamnation nécessaire ne saurait
dédouaner les provocations de ceux qui soutiennent une politique
criminelle et qui ont besoin de l'équation "juif = sioniste"
pour faire marcher leur machine de guerre.
C'est donc cette équation "juif = sioniste" qu'il faut casser,
ce qui exige que s'affirment des juifs antisionistes avec ce
double objectif
- dénoncer les crimes auxquels conduit l'idéologie sioniste
- mettre
en évidence l'impasse dans laquelle cette idéologie enferme les
Juifs
Rudolf
Bkouche
membre de l'UJFP (Union Juive Française pour la Paix) et de
l'IJAN (International Jewish AntiZionist Network)
Je distingue ici l'antijudaïsme provoqué par
le sionisme et la politique israélienne de l'antisémitisme
européen qui visait les Juifs en tant que Juifs et qui a
contribué à en faire un peuple paria.
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