Opinion
Syrie : faut-il
mourir pour les islamistes ?
Roland Hureaux
Vendredi 24 août
2012
Après des semaines
d’emballement manichéen, plusieurs
organes de presse expriment des doutes
sur l’intérêt de l’engagement de la
France au côté des rebelles syriens. Il
était temps.
Dans cette affaire,
Laurent Fabius poursuit strictement la
politique d’Alain Juppé, caractérisée
par un parfait alignement sur les
Etats-Unis et la volonté de jouer un
rôle en pointe, tant à l’ONU que sur le
terrain, pour renverser le régime du
président Assad. Comme s’il fallait à
tout prix que la France soit, en avant
de la meute, le plus rapide des chiens
courants. Tout cela pourquoi ?
Les droits de
l’homme ne sont, bien sûr, qu’un alibi.
La dictature de la famille Assad existe
depuis 40 ans sans qu’on s’en soit
jamais ému ; elle s’était plutôt
libéralisée ces derniers temps. Des
dictatures, au demeurant, il y en a
beaucoup dans le monde et des pires, à
commencer par l’Arabie saoudite et le
Qatar, nos alliés dans le conflit
syrien. Des atrocités, il y en aurait eu
bien moins si la prétendue rébellion
n’avait été renforcée par des éléments
étrangers, notamment d’Al Qaida, dotés
d’armes sophistiquées par l’OTAN et les
pays arabes. Les méthodes des rebelles,
pénétrer dans les quartiers centraux
pour y prendre en otage la population, y
contribuent particulièrement. Les
massacres ne sont évidemment pas tous à
mettre sur le seul compte du régime.
La France
aurait-elle là un intérêt particulier ?
Elle avait certes reçu un mandat de la
SDN en Syrie de 1919 à 1945. Or la
mission multiséculaire qui justifiait sa
présence dans la région, était la
protection des minorités chrétiennes.
Reniant cette mission historique, elle
s’évertue aujourd’hui à détruire le seul
régime arabe qui les protège encore et
beaucoup fuient déjà les atrocités des
rebelles à leur encontre. Un changement
de régime à Damas signifierait
l’accession au pouvoir des islamistes,
et donc, comme en Irak, l’exode des deux
millions de chrétiens et d’autres
minorités.
Allons plus loin :
quels sont les intérêts d’Israël et des
Etats-Unis ? Il en existe, certes, mais
aucun de décisif au point de justifier
les risques ultimes. Détruire un allié
de l’Iran ? Le contentieux avec l’Iran
est essentiellement nucléaire, un sujet
sur lequel l’alliance syrienne n’a guère
d’impact. Isoler le Hezbollah ? Mais
faut-il mettre tout un pays à feu et à
sang pour cela ? L’intérêt d’Israël
est-il de voir la Syrie entre les mains
des islamistes ? Est-il de laisser
s’approcher des Lieux saints les Turcs
qui les ont contrôlés pendant 700 ans et
ne l’ont pas oublié ?
Quelque bon motif
que l’on puisse trouver à l’intervention
indirecte, et peut-être demain directe,
des Etats-Unis et de la France dans
cette affaire, aucun ne paraît à la
hauteur du risque encouru.
Ce risque est très
clairement celui d’un conflit majeur
avec la Russie.
Ne pas se
méprendre sur l’attitude de Moscou
Avec quelle
naïveté, les capitales occidentales
espèrent « contourner le véto » russe à
une action du Conseil de sécurité (dont
la France vient de prendre la
présidence) en Syrie ! Il est vrai que
Moscou avait envoyé, en début de
conflit, des signaux ambigus, laissant
entendre par exemple que Bachir-el-Assad
n’était pas irremplaçable. Mais ce qu’on
a pris pour de la modération était-il
autre chose que de la politesse
diplomatique ? Pour dissiper toute
équivoque, la Russie adresse depuis
quelques semaines des signaux clairs qui
montrent qu’avec l’appui de la Chine –
et aussi des autres BRICs -, elle ne
lâchera pas le régime Assad : envois
d’armes et de conseillers militaires,
gesticulations maritimes, dernières
déclarations de Poutine lui-même.
La Russie,
géographiquement proche du Proche-Orient
et qui a, elle, le souci de défendre les
chrétiens orthodoxes, s’accroche très
fort à sa dernière position dans la
région. Comment s’en étonner ? Le port
de Tartous, sa seule base en
Méditerranée, a pour elle un caractère
vital. C’est avec beaucoup de légèreté
que Washington, Paris et Londres
espèrent la faire céder.
On ne mesure pas
par ailleurs à quel point l’affaire
libyenne a été vécue comme une
humiliation et une tromperie par les
Russes et les Chinois. Ils considèrent
que les Occidentaux ont largement
outrepassé le mandat que l’ONU, avec
leur accord, avait donné et qu’on ne les
y reprendra pas.
L’acharnement mis
par Washington à vouloir à tout prix
renverser le régime Asssad ne semble
plus relever d’une rationalité ordinaire
mais de l’hybris d’une grande
puissance irascible qui ne supporte pas
qu’on lui résiste. Celui de la France à
lui emboîter le pas est, lui,
parfaitement incompréhensible.
Au temps de la
guerre froide, on savait que la
divergence des points de vue entre les
deux blocs ne devait pas laisser place
aux malentendus. Si la paix a pu être
alors préservée, c’est que personne
n’était dupe de sa propre propagande.
Acceptant leurs différences, les uns les
autres pouvaient pratiquer le crisis
control. Le manichéisme hystérique,
illustré par les récentes déclarations
de Juppé, traitant l’attitude des Russes
de « criminelle », le permet-il encore ?
« Jupiter rend fous
ceux qu’il veut perdre ». Est-ce ce qui
arrive aujourd’hui à l’Occident ?
En poursuivant avec
tant d’insistance leur offensive en
Syrie par mercenaires interposés, par
des sanctions et par une campagne
médiatique sans précédent en temps de
paix, les Américains et les Français se
sont mis eux-mêmes devant le risque de
n’avoir bientôt plus à choisir qu’entre
une reculade humiliante et un conflit
frontal avec la Russie dont les
conséquences seraient incalculables.
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