Radio francophone IRIB
Dans la ligne de visée : Tom Hurndall
Robert Fisk
Mercredi 25 janvier
2012
IRIB-Les photographies et les notes
prises par le jeune militant Tom
Hurndall - qui a été assassiné à l’âge
de 21 par un tireur isolé israélien -
tracent un tableau terriblement
saisissant du conflit au Moyen-Orient.
Je ne sais pas si jai rencontré Tom
Hurndall [1]. Il faisait partie d’un
groupe « de boucliers humains » qui se
sont rendus à Bagdad juste avant
l’invasion anglo-américaine de 2003, le
genre de personnes dont nous,
journalistes professionnels, nous
faisions un divertissement. Ecolos [2],
et autres plaisanteries. A présent je
souhaiterais l’avoir rencontré car
prenant en perspective tout le
déroulement de cette guerre terrible, le
journal de Hurndall (qui sera bientôt
édité) révèle un homme remarquable avec
de remarquables principes. « Je pourrais
ne pas être un bouclier humain, » a-t-il
écrit à 10 heures 26 le 17 mars depuis
son hôtel d’Amman. « Et je peux ne pas
adhérer à la conviction de ceux avec qui
j’ai voyagé, mais la façon dont la
Grande-Bretagne et l’Amérique prévoient
de se saisir de l’Irak est inutile et
met la vie des soldats au-dessus de
celle des civils. Pour cette raison
j’espère que Bush et Blair auront un
procès pour crimes de guerre. »
Hurndall avait bien raison, non ? Ce
n’était pas aussi simple que guerre ou
pas de guerre, noir ou blanc,
écrivait-il. « Ce que j’ai entendu et vu
au cours des dernières semaines confirme
ce que je savais déjà ; ni le régime
irakien, ni les américains ou les
britanniques, ne sont nets. Peut-être
faut-il que Saddam s’en aille mais... la
guerre aérienne qui est proposée est en
grande partie inutile et ne fait pas de
distinction entre civils et soldats en
armes. Des dizaines de milliers de gens
mourront, peut-être des centaines de
milliers, juste pour épargner à quelques
milliers de soldats américains d’avoir à
combattre honnêtement, face à face.
C’est une faute. » Ah, lesquels parmi
mes collègues professionnels ont écrit
ainsi à la veille de la guerre ? Peu
d’entre eux.
Nous ridiculisions les Hurndalls et
leurs amis comme « groupies » même après
qu’ils aient brièvement visité la
centrale électrique au sud de Bagdad et
rencontré un ingénieur, Attiah Bakir,
qui avait été horriblement blessé 11 ans
plus tôt lorsqu’une bombe américaine a
fait pénétré un fragment de métal dans
son cerveau. « Vous pouvez maintenant
voir où elle a frappé, » a écrit
Hurndall dans un courrier électronique
envoyé depuis Bagdad, « trouant la
partie centrale de son front et enlevant
totalement l’os. Au-dessus de la racine
de son nez cassé, il y a juste une
cavité avec de la peau abimée couvrant
l’espace proéminent... » Une image d’Attiah
Bakir s’impose dans le livre, un homme
distingué et courageux qui a refusé de
quitter son lieu de travail alors que la
prochaine guerre s’approchait. Il ne
s’est tu que lorsque un des compagnons
de Hurndall a fait l’erreur de demander
ce qu’il pensait du gouvernement de
Saddam. J’ai eu mal pour le pauvre
homme. Les « donneurs de leçon » étaient
partout ces jours-là. Parler avec
n’importe quel civil était presque une
folie criminelle. Il était interdit au
Irakiens de parler aux étrangers. De là
tous ces sanglants « donneurs de leçon »
(beaucoup d’entre eux ont naturellement
fini par travailler pour des
journalistes à Bagdad après le
renversement de Saddam).
Hurndall avait un regard dépassionné.
« Je n’ai vu nulle part dans le monde
autant d’étoiles comme à présent dans
les déserts de l’ouest de l’Irak, »
écrivait-il le 22 février. « Comment un
lieu peut-il être si beau et si marqué
par la terreur et la guerre comme il va
bientôt l’être ? » Face aux questions
qui leur étaient posées par la BBC, ITV,
WBO, CNN, Al-Jazeera et d’autres,
Hurndall n’avait pas de réponse simple.
« Je ne pense pas qu’il puisse y avoir
une, deux ou 100 réponses, » a-t-il
écrit. « À chacun sa réponse, mais aucun
d’entre nous ne veut mourir. » Mots
prophétiques que Tom devait écrire.
Vous pouvez le voir sourire, sans
avoir l’air de penser à lui-même, sur
plusieurs instantanés. Il est parti
couvrir le centre de réfugiés d’Al-Rowaishid
et s’est acheminé inexorablement vers
Gaza où il s’est trouvé face à
l’incommensurable tragédie des
Palestiniens. « Je me suis réveillé à
environ 8 heures dans mon lit à
Jérusalem et j’y suis resté jusqu’à 9
heures 30, » écrit-il. « Nous sommes
partis à 10 heures... Depuis lors, on
m’a tiré dessus, j’ai été intoxiqué par
des gaz, poursuivi par des soldats, des
grenades assourdissantes ont été jetées
à quelques mètres de moi, j’ai été
touché par des éclats... »
Hurndall essayait de sauver les
maisons et les infrastructure
palestiniennes mais il a fréquemment été
exposé au feu israélien et semblait
avoir perdu sa peur de la mort. « En
approchant le secteur, ils (les
Israéliens) ont continuellement tiré des
rafales d’une ou deux secondes depuis ce
que je pouvais identifier comme étant un
véhicule de combat de type Bradley... Il
était étrange que tandis que nous nous
approchions et que leurs armes tiraient,
j’éprouvais des frissons le long de ma
colonne vertébrale, mais rien de plus.
Nous avons marché au milieu de la rue,
portant des vestes orange vif, et l’un
d’entre nous a crié dans un porte-voix,
‘nous sommes des volontaires
internationaux. Ne tirez pas !’ Cela a
été suivi d’une autre volée de balles,
bien que je ne pouvais en identifier la
provenance... »
Tom Hurndall était resté dans Rafah.
Il avait seulement 21 ans lorsque -
selon les mots de sa mère - il a perdu
sa vie par un acte simple, désintéressé,
humain. « Tom a été visé à la tête alors
qu’il portait un enfant palestinien hors
d’atteinte d’un tireur isolé de l’armée
israélienne. » Tom était un homme
courageux qui a fait front et a montré
plus de courage que celui dont rêvent la
plupart d’entre nous. Oubliés les écolos
givrés [2]. Hurndall était un homme de
bien et de vérité.
Notes :
[1] Tom Hurndall
était militant de l’International
Solidarity Movement. Il a été assassiné
par un sniper israélien le 13 janvier
2004, à Rafah.
[2] « Tree huggers »
[allusion à ceux qui protègent les
arbres promis à l’abattage et qui sont
considérés comme des trouble-fête]
Copyright
© 2011 Radio Francophone. Tous droits
Réservés
Reçu de l'IRIB le 25 janvier 2012 pour
publication
Le
sommaire des analyses de l'IRIB
Le sommaire de Robert Fisk
Les dernières mises à jour
|