Opinion
Le « Printemps
arabe » - L'attaque contre la Syrie
Robert Bibeau
Robert
Bibeau
Mercredi 26 octobre 2011
LE
« PRINTEMPS ARABE », UN SOULÈVEMENT
APOLITIQUE ?
Le « Printemps arabe » est-il un
mouvement de libération néo-coloniale
spontané, anarchique et
apolitique, issu de la rue et
visant à hisser cette civilisation
séculaire au diapason de la modernité
contemporaine (« démocratie »
bourgeoise, laïcité hypocrite,
« liberté » d’expression factice,
désintégration familiale, narcissisme
social, criminalité effrénée, décadence
morale, chômage chronique, pauvreté
endémique, guerre de rapine et génocide,
etc.) ? Ou plutôt, n’est-ce qu’une vaste
conspiration pilotée depuis Washington
et exécutée dans chacune des capitales
arabes concernées selon une projection
machiavélique concoctée par les maîtres
du monde ?
Tariq Ramadan, analyste politique
reconnu, tout en se défendant d’être
suspicieux, suggère que Washington sait
tout et manipule tout en coulisse.
L’auteur pense même, à l’instar du
général américain David Petraeus, que
les jeunes « Twitters » du Caire et de
Tunis – qui auraient provoqué la débâcle
arabe (!) – ont été formés en Serbie et
exfiltrés vers les pays arabes,
notamment par la firme américaine
Google, pour y soulever les populations
en vue d’un réalignement des politiques
états-uniennes dans cette région du
monde convoitée par l’impérialisme
chinois (1).
Monsieur Ramadan a aussi découvert
dans la foulée de la rédaction de son
opuscule sur « L’Islam et les
soulèvements arabes » (à paraître)
que, pour comprendre un phénomène
politique de cette envergure, il faut
également considérer les facteurs
économiques et historiques dans lesquels
s’inscrivent ces événements. Conclusion
juste et pertinente, dirons-nous.
L’économie est l’assise du politique et
le politique soutient le développement
des rapports de production sociaux. Nous
le savions depuis Marx, il est toujours
rassurant de l’entendre confirmer (2).
Selon le docteur Ramadan, la force et
la faiblesse du « Printemps
arabe » résideraient dans son « apolitisme ».
Aucune idéologie n’orienterait ses
protagonistes qui seraient ainsi
« libres » de leurs mouvements –
toutefois dirigés en sous main par David
Petraeus, de son propre aveu – ! Tout
cela est fallacieux comme nous allons le
démontrer.
L’idéologie qui oriente et dirige les
divers mouvements du « Printemps arabe »
(car chaque soulèvement national a sa
propre historicité), c’est l’idéologie
petite-bourgeoise (classe moyenne)
réformiste – opportuniste – qui
souhaite conserver le capitalisme mais
sans les tares du capitalisme, une sorte
de capitalisme humanitaire et débonnaire,
à l’image des slogans que l’on retrouve
ces temps-ci sur les affiches des
« indignés » de Wall Street
soutenus par Jim Flaherty (ministre
conservateur des finances du Canada) et
par le multimilliardaire George Soros
(3). Un capitalisme réformé sans
néo-colonies exploitées, sans dictateurs
imposés, sans inégalités sociales, sans
injustices, sans guerres de rapines,
sans supers riches, sans ultras pauvres,
sans chômage, sans spéculations
boursières, sans crise économique et
sans guerres de repartage des régions
d’exploitation. Un capitalisme
où la grande bourgeoisie milliardaire (1
% de la population, selon les indignés),
ainsi que les petits-bourgeois –
courroies de transmission du système
social – conserveraient la propriété des
moyens de production et leurs biens –
mal acquis.
Cette « nouvelle » idéologie
apolitique, altermondialiste, post-néolibéraliste,
écologiste, verte, social-démocrate en
fait, est aussi vieille que le monde
ouvrier lui-même. Proudhon, Saint-Simon
et Kautsky professaient cette religion
préscientifique bien avant les
internautes, les Twitters des réseaux
sociaux – formés à Belgrade – ou encore
les conférenciers indignés formés à
Paris.
LE CAS SYRIEN
– LES CHRÉTIENS SYRIENS SACRIFIÉS
Afin de mieux comprendre le
« Printemps arabe » et de mieux
connaître les orientations idéologiques
et politiques promues par ses
protagonistes « apolitiques », nous
allons examiner le soulèvement syrien.
Les impérialistes français ciblent la
communauté chrétienne d’Orient en ce
moment, pourquoi ? Comparons la position
politique impérialiste envers la
communauté religieuse juive et envers la
communauté chrétienne au Proche-Orient.
Chaque fois que l’on fait allusion à la
désintégration de l’État sioniste
israélien, les diacres et les
sous-diacres des lobbys israéliens
implantés en sol occidental crient au
génocide contre les millions de
descendants d’Abraham, qui seraient
retournés candidement, leur Exode
millénaire terminé, sur la « terre de
leurs ancêtres, laquelle leur aurait été
donnée » par leur dieu Yahvé – en
contradiction avec Jésus-Christ, Allah
et tous les autres dieux imaginés par
l’homme… Vous avez donc le choix, vous
êtes pour ou contre Yahvé, selon eux.
Évidemment, le fait que ces centaines
de milliers de descendants de la « race
religieuse juive » soient pour la
plupart athées ou agnostiques et
aucunement de descendance araméenne,
phénicienne, cananéenne, ou de l’un
quelconque des peuples du Proche-Orient
pré chrétien, ne fait pas sourciller le
moins du monde les monastiques du
retour « d’exode »
des douze tribus d’Israël
pourtant jamais déportées, selon
l’historien Shlomo Sand (4).
Récemment, le petit empereur des
Français réglait prestement le sort de
quelques millions de chrétiens d’Orient,
d’authentiques autochtones convertis
depuis plusieurs siècles à la religion
du Christ (un ex-juif en cavale). Voici
le morceau d’ignominie proféré par
Sarkozy, tel que nous le rapporte un
observateur de la scène politique :
« Reçu à l’Élysée le 5 septembre
2011, S. B. Bechara Boutros Rai,
Patriarche Maronite d’Antioche et de
Tout l’Orient (c’est-à-dire chef de la
principale Église de rite oriental
rattachée à Rome) s’est entendu dire que
la France et ses alliés interviendraient
prochainement militairement en Syrie
pour y porter au pouvoir les Frères
musulmans. Les chrétiens d’Orient, qui
n’auraient alors plus leur place au
Levant, devraient se préparer à
l’exode et pourraient trouver refuge en
Europe. » (5)
C’est aussi machiavélique que cela.
Des syriens nés de mères et de pères
syriens sur ce sol qui leur appartient
depuis des générations et des
millénaires, devraient simplement se
préparer à l’exode – c’est-à-dire au
même sort que les réfugiés palestiniens
– et abandonner leur terre généreuse et
leurs frères arabes, et s’expatrier hors
de leur continent pour la raison que les
agressives puissances occidentales en
déclin veulent renverser le gouvernement
de Bachar el-Assad qui refuse de se
plier à leurs ordonnances et poursuit sa
politique indépendante d’alliance avec
l’Iran et de rapprochement avec le
groupe de Shanghai (impérialisme
chinois).
Ceux-là (maronites, melkites,
orthodoxes, arméniens, etc.) peuvent
bien être déracinés pour toujours de
leur terre millénaire mais pas les
ashkénazes occidentaux importés
récemment (moins de soixante ans)
d’Europe, ni les pseudos religieux juifs
– athées –, transplantés de Russie et
des États-Unis, car, nous dit-on, on ne
déracine pas un « peuple » de sa terre,
encore faudrait-il que ce soit « sa »
terre (6) !
LE
DÉROULEMENT DU « SOULÈVEMENT » SYRIEN
Malheureusement, le petit Gengis
Khan de notre temps a pris les devants
inconsidérément et l’agression
impérialiste occidentale (États-Unis,
France, Royaume-Uni et Israël) contre la
petite Syrie « démunie » (croient-ils) a
dû être retardée car l’écrasement de la
petite Libye esseulée ne s’est pas
déroulé comme prévu par les services
secrets français et américains. On peut
penser, d’une certaine façon, que le
peuple libyen par sa résistance a
protégé, pour un temps du moins, le
peuple syrien de la mainmise
occidentale. Maintenant que la Libye
semble rapatriée dans le giron des
puissances impérialistes atlantiques
(OTAN) et sortie de la besace
impérialiste chinoise… – « La guerre
(libyenne) a désespéré nos partenaires.
Les Chinois ont ici 20 milliards
de dollars de contrats, les
Turcs 12 milliards. Viennent ensuite les
Italiens, les Russes, puis les Français.
Ce n’était pas leur intérêt de laisser
faire cette agression, encore moins d’y
participer. Probablement certains
ont–ils reçu des compensations en
dessous de table (…) » – Depuis
l’exécution extra judiciaire du chef
d’État Mouammar Kadhafi, l’OTAN peut
maintenant porter toute son agression
sur sa proie syrienne, un autre pays
qu’elle veut ravir à l’alliance de
Shanghai concurrente (7).
Cependant l’agression occidentale
contre la Syrie marque le pas et ne
parvient pas à atteindre ses objectifs
stratégiques, ni même à provoquer la
guerre civile généralisée promise par
les potentats occidentaux. Cela est dû
en partie aux minorités religieuses
arabes syriennes qui n’ont pas suivi le
mot d’ordre des mercenaires et des
agents des services secrets étrangers
(notamment du Mossad) infiltrés à partir
de la frontière du Golan Syrien – occupé
– tout proche (8).
Même que ces minorités religieuses,
qui se considèrent comme des syriens de
langue et de culture arabe et de
confession chrétienne (sentiment
d’appartenance nationale forgé par les
rapports de production capitalistes
bourgeois), s’érigent en rempart
face au néo-colonialisme occidental.
Les syriens arabes chrétiens ont bien
compris que les puissances impérialistes
en déclin les sacrifieront sans pitié
sur l’hôtel de leur cupidité et de leur
guerre inter impérialiste (OTAN contre
Alliance de Shanghai).
Mère Agnès Mariam de la Croix ne
disait pas autrement devant Thierry
Meyssan :
« La survie des chrétiens en
Orient ne pourra plus être
débitrice d’un quelconque
protectorat ou Sublime
Porte ; notre avenir dépend du
mariage convaincu des chrétiens
avec leurs frères qui cohabitent avec
eux en Orient, en qui
ils reconnaissent des frères de sang
par delà les divergences
confessionnelles qui sont moins grandes
qu’elles ne paraissent. » (9).
LES OBJECTIFS
DE L’AGRESSION IMPÉRIALISTE EN SYRIE
En Syrie l’objectif des puissances
impérialistes en déclin (OTAN) n’est pas
de mettre la main ni de contrôler une
production quelconque de pétrole ou de
gaz naturel (comme en Libye). La Syrie,
territoire découpé dans l’empire Ottoman
déclinant (1916, accords secrets
Sykes-Picot), par les deux plus grandes
puissances impérialistes de l’époque –
France et Grande-Bretagne – est située
sur un vaste plateau calcaire et
métamorphique (Hamada) peu propice aux
hydrocarbures (10).
En Syrie, l’objectif de l’agression
impérialiste occidentale – stoppée
momentanément au Conseil de sécurité par
le veto russe et chinois – est de briser
le maillon faible de l’Alliance de
Shanghai dans cette région ; d’affaiblir
les forces de la résistance au Liban en
leur coupant leur base arrière et leur
voie de ravitaillement (en
prévision d’une prochaine agression
contre le Liban) ; de chasser les
organisations de la résistance
palestinienne qui trouvent refuge à
Damas ; d’affaiblir l’Iran, allié de la
Syrie et de la Chine ; de faire pression
sur la Turquie (via la communauté Kurde
syrienne) pour qu’elle cesse le
déploiement de sa politique étrangère
indépendante en direction de l’Orient
ainsi que son rapprochement avec la
Chine. Voilà les raisons pour lesquelles
les chrétiens d’Orient devraient périr
sur le mausolée de la cupidité de leurs
ex-suzerains.
Afin de parvenir à ces objectifs et
renverser le gouvernement Baas
légalement au pouvoir en Syrie, les
puissances occidentales, trop faibles
pour mener seules l’offensive, comme
elles l’ont démontré en Libye, ont
imaginé soutenir les Frères musulmans –
des intégristes islamistes
réactionnaires que le maelström
médiatique occidental a tant décriés un
certain temps – et qui deviennent
soudainement la solution de rechange
« démocratique » au gouvernement laïque
légalement élu en Syrie.
Quelle hypocrisie que de se camoufler
derrière l’obscurantisme religieux pour
proclamer et imposer les valeurs
impérialistes occidentales à des peuples
qui n’en veulent pas. Comme le clame un
syrien de la rue, « Qui a décidé que les
valeurs décadentes de l’Occident et sa
farce « démocratique » étaient des
valeurs et des dogmes universels,
valables pour toute l’humanité ? ». Les
colonialistes des siècles passés ne
disaient pas différemment pour justifier
le massacre des noirs africains, des
indiens d’Amérique, celui des chinois
pendant la guerre de l’Opium.
« Malheureusement l’Occident a balayé
le concept d’appartenance à la
terre, à la famille, à l’ethnie, et
somme toute celui d’identité ontologique.
Son modèle est basé, non pas sur la
reconnaissance de l’individu, mais sur
des intérêts périphériques (…) des
multinationales… ». Mère Agnès Mariam
de la Croix (11).
Voilà les propos d’une soeur qui vit
dans une société où le tsunami de
l’industrialisation capitaliste n’a pas
encore tout ravagé. Malheureusement,
cela viendra et les rapports de
production industriels capitalistes
saccageront tous ces concepts et toutes
ces valeurs d’altérité qui lui tiennent
tant à cœur.
Ainsi va la vie du développement
impérialiste qui balaie toute autre
modèle de développement économique et
social sur son passage, ne tolérant
aucun concurrent. Les enragés de Tunis,
du Caire, de Tripoli, d’Alger, de Damas
et de Sanaa devront confronter ce
système d’exploitation le jour où ils
souhaiteront le renverser afin
d’éradiquer totalement ses méfaits et
ses calamités.
L’impérialisme, qu’il soit de source
américaine ou d’origine chinoise, c’est
l’anarchie de la production développée
non pas pour le bien-être des peuples et
des travailleurs mais essentiellement
pour l’accumulation des profits dans les
mains d’immenses oligopoles multi
milliardaires; et la Syrie devra y
passer, elle aussi, mais la Syrie
choisira elle-même la voie de son
intégration au camp impérialiste. Il
semble que la bourgeoisie syrienne ait
choisi l’Alliance de Shanghai en
ascension plutôt que l’OTAN déclinant et
elle paie présentement le prix de ses
choix. C’est son droit.
Le droit et le devoir des
travailleurs syriens consistent à
renverser ce régime et cette oligarchie
Baasiste, non pas pour les remplacer par
les Frères musulmans obscurantistes à la
solde de l’Occident, mais pour s’emparer
de tout le pouvoir d’État à leurs
propres fins (c’est la conscience
politique de classe pour soi, écrivait
Marx).
(1) Nick
Fielding et Ian Cobain, 18.03,2011.
Déclaration de David Petraeus.
http://www.centpapiers.com/l%e2%80%99operation-d%e2%80%99espionnage-des-etats-unis-pour-manipuler-les-reseaux-sociaux-sur-internet/84293
(2) Tariq Ramadan
7.09.2011 Montréal. Conférence de
la CAM. Sur Youtube.
(3) Les
« indignés »
http://lapresseaffaires.cyberpresse.ca/economie/canada/201110/13/01-4457015-occupons-wall-street-jim-flaherty-appuie-les-manifestants.php
et
http://lapresseaffaires.cyberpresse.ca/economie/canada/201110/13/01-4457015-occupons-wall-street-jim-flaherty-appuie-les-manifestants.php
(4) Shlomo
Sand. Sur Dailymotion. http.com/video/x7okoe_peuple-juif-invent-shlomo-sand_news
(5) Thierry
Meyssan. 7.10.2011.
http://www.voltairenet.org/Les-chretiens-d-Orient-s-erigent
(6)
http://www.slate.fr/story/32509/la-mosaique-des-chretiens-dorient
(7)
http://www.voltairenet.org/La-guerre-contre-la-Libye-est-une
(8) http://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2011/09/01/syrie-nouvelles-perquisitions-a-hama-demission-du-procureur_1566048_3218.html
(9)
http://www.voltairenet.org/Les-chretiens-d-Orient-s-erigent
(10)
http://fr.wikipedia.org/wiki/Accords_Sykes-Picot
et
http://fr.wikipedia.org/wiki/G%C3%A9ographie_de_la_Syrie
(11)
http://www.voltairenet.org/Les-chretiens-d-Orient-s-erigent
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