Opinion
Une réponse à
François Hollande
L'impossible seconde «révolution»
industrielle
Robert Bibeau
Robert
Bibeau
Mercredi 14
novembre 2012
Délocalisation industrielle vers les
États-Unis
Depuis
quelque temps, médias, journalistes et
économistes français, belges, suisses,
constatent tristement que nombre
d’entreprises américaines ferment leurs
usines en Europe et les délocalisent
vers l’Asie mais aussi, et cela est
nouveau,
en direction des États-Unis. On
rapporte que la firme Otis, un monopole
américain, ferme son usine en Europe
pour rapatrier la production aux USA
(1).
Une
puissance impérialiste en voie de
désindustrialisation peut-elle inverser
le mouvement et se
réindustrialiser progressivement ?
Si la réponse est positive pour les
États-Unis on peut imaginer qu’il en
sera de même en France, en Belgique, en
Suisse, en Grèce et au Canada. Nous
croyons que cette ré-industrialisation
est possible à quatre conditions que
nous identifierons par A, B, C et D dans
le texte.
Ce
redéploiement industriel stratégique est
rendu possible et nécessaire par la
combinaison de quatre facteurs
concomitants.
D’abord, (A) le libre-échange, que
d’aucuns nomment la «
mondialisation des marchés sous le
néo-libéralisme ». Le
libre-échange
permet en effet aux capitalistes
monopolistes de déplacer leurs usines
partout dans le monde, de fermer
sauvagement telle unité de production en
Belgique, en France ou au Canada et de
la déplacer par exemple vers les
États-Unis où la résistance ouvrière est
larvée (B).
Le
libre-échange implique des conditions
douanières, tarifaires et de droit du
travail (A) qui ont été forgées par
les fonctionnaires de Bruxelles, de
Washington et d’Ottawa au bénéfice des
multinationales présentes dans l’espace
de Schengen, dans l’aire de l’ALENA et
dans la sphère de l’OMC (Organisation
mondiale du commerce) (2). Récemment le
Collectif Plateforme contre le
transatlantisme mettait au jour les
pourparlers secrets entre les États-Unis
(le Canada est également en négociation)
– et l’Union européenne à propos d’une
union douanière entre ces deux alliances
impérialistes visant à forger un marché
unique – transatlantique – afin de faire
face au dragon chinois. L’auteur de
l’article faisait très justement
remarquer que « Le marché
transatlantique uniformise tout ce qui
est nécessaire à la libre circulation
marchande (biens, services,
investissements, capitaux, cadres,
experts NDLR) d’un côté à l’autre de
l’Atlantique, en choisissant de
renforcer prioritairement la
«libre-concurrence» (sic) et la
compétitivité. Cela signifie que les
marchés financiers et les firmes
multinationales pourront agir de plus en
plus librement sur un espace
géographique de plus en plus étendu. »
(3).
Mais cela
n’explique pas quels avantages sont
recherchés par ce redéploiement
industriel et financier
intra-capitaliste. Pour quels bénéfices
doivent-ils fermer à Gent pour investir
au Michigan ? (4)
Réduction des coûts du travail =
réduire le prix de la «force de
travail»
Depuis
plusieurs années
l’empire étatsunien maintient
intentionnellement le dollar sous la
valeur de l’euro, ce qui lui fournit
un avantage concurrentiel évident. Les
biens et services produits aux
États-Unis sont ainsi moins chers à
acheter pour un européen, un canadien,
un australien ou un japonais. Encore
faut-il que les
coûts de production des biens et des
services soient
sous contrôle et maintenus au plus bas
niveau possible (C), sinon
l’avantage compétitif serait annulé par
l’écart salarial qui historiquement
était à l’avantage des étatsuniens
relativement bien payés, dans la grande
industrie monopolistique du moins.
Ce n’est
plus le cas présentement car d’une part
l’inflation engendrée par l’injection
constante de dollars neufs dans le
circuit financier
a réduit le pouvoir d’achat ouvrier,
c’est-à-dire la valeur de la marchandise
« force de travail » sur le marché
étatsunien (C); de plus, les
capitalistes américains, avec le soutien
de leur appareil d’État, ont lancé
depuis nombre d’années des attaques en
règle contre les conditions de travail,
les salaires et les conditions de
reproduction de la force de travail des
ouvriers américains. Notamment, ils ont
réduit les charges fiscales des
entreprises et accrue celles des
travailleurs.
Il appert
que ces assauts virulents contre le
prolétariat et les employés étatsuniens
et la faible résistance du prolétariat
(B) ont porté fruit. Aujourd’hui,
non seulement la
productivité de l’ouvrier américain
(cadence de travail, nombre d’heures de
travail, mécanisation-robotisation du
travail, etc.), ainsi que son
bas coût de revient (salaires et
avantages sociaux) fournissent deux
avantages concurrentiels inégalés aux
entrepreneurs monopolistes étatsuniens
face à leurs concurrents européens et
canadiens.
De fait, dans certaines parties des
États-Unis les salaires et les
conditions de travail sont équivalents à
ceux en vigueur dans certains pays
émergents (C). L’union
commerciale entre les deux grandes
alliances (ALENA et Union européenne)
accentuera la concurrence entre les
classes ouvrières d’Europe, des
États-Unis et du Canada…Quel pays vendra
sa marchandise «force de travail» au
plus bas prix ? Quel pays aura la plus
forte productivité du travail et donc la
plus grande compétitivité et le plus
fort taux de plus-value ? (5)
Ayant
quasi totalement écrasé la résistance
ouvrière américaine (B),
ayant ramené le prolétariat et une large
partie des employés étatsuniens à des
conditions de survie où,
individuellement chaque travailleur se
sent menacé par le chômage endémique et
le surendettement; totalement isolé dans
sa résistance en raison de la trahison
de l’oligarchie syndicale collaboratrice
(à peine 15% des travailleurs sont
syndiqués). Aux États-Unis chaque
travailleur esseulé (sans conscience de
classe) lutte pour sa survie personnelle
et se vend au plus offrant à des
conditions ne permettant même pas sa
reproduction élargie (voir les notes
numéro 5 et 8) !
Oubliez la
petite-bourgeoise et la
frange des employés bien payés du
tertiaire hypertrophié
qui ont commencé à passer à la
moulinette du processus de réduction des
revenus et de paupérisation effréné.
Vous les entendez s’apitoyer devant
l’exploitation éhontée et supplier qu’on
leur accorde le sursis de l’affidé.
Voilà l’industrie
américaine enfin prête pour un second
souffle, un «redécollage» – et une
reconquête de ses marchés si ce n’était
d’une série de problèmes aggravants
qu’il lui faudra résoudre auparavant.
Attardons-nous à ces problèmes
quelques instants puisque l’Europe et le
Canada y sont déjà confrontés.
La concurrence internationale
inter-impérialiste
D’une
part, la Chine impérialiste maintient sa
capacité concurrentielle : en haussant
constamment le niveau de productivité de
sa main-d’œuvre salariée (budget
croissant en recherche et développement,
robotisation accélérée, cadence
effrénée); en contrôlant sévèrement la
lente et systématique augmentation des
salaires de ses ouvriers afin de se
constituer un marché intérieur.
En outre,
la Chine a commencé à délocaliser
certaines de ses entreprises à
faible valeur ajoutée et au
facteur main-d’œuvre – capital variable
– élevée où la
mécanisation-robotisation est plus
malaisée (industrie du textile, du
vêtement, de la chaussure, de
l’alimentation, etc.) vers l’Asie du
Sud-Est pauvre et vers l’Afrique
miséreuse (Éthiopie, Nigéria) (6). La
Chine maintient ainsi sa capacité
concurrentielle face aux américains, aux
européens et aux capitalistes canadiens.
D’autre
part,
l’Union européenne a commencé à lâcher
du lest en laissant tomber la valeur de
l’euro qui s’échange maintenant à parité
avec le dollar (idem pour le dollar
canadien). Cela rétablit une partie de
la compétitivité de la production
industrielle européenne (idem pour le
Canada). Cela réduit aussi le pouvoir
d’achat des travailleurs européens et
donc la valeur de la marchandise «force
de travail»; ceci déprécie leurs maigres
économies et fait fondre leurs fonds de
retraite (partie différée du salaire
destinée aux rentiers) (7). Devant cette
ignominie les ouvriers européens ont
déjà entrepris des grèves féroces pour
résister à l’érosion de leur pouvoir
d’achat ou pour obtenir des
augmentations salariales compensant
l’inflation et la perte de pouvoir
d’achat
de façon à
assurer la reproduction élargie de leur
force de travail (8). Refusant
d’être surexploité au-delà de leur
survie en tant que classe sociale les
travailleurs européens mettent en péril
la ré-industrialisation de l’Europe nous
avertit Attali.
Les
capitalistes monopolistes européens –
quelle que soit leur drapeau
nationaliste chauvin – font déjà face à
cette résistance ouvrière généralisée en
Europe. Le maelstrom médiatique – de
concert avec les politiciens véreux et
les bureaucrates syndicaux affairistes –
sont en campagne afin de démontrer, à
partir des exemples grec, espagnol,
portugais, italien et britannique, que
les ouvriers qui ne se soumettront pas
et n’accepteront pas de se serrer la
ceinture et de revenir aux salaires et
aux conditions de travail d’antan (1968)
seront rejetés par le système économique
omnipotent et ils seront mis au rancart
– chômage et assistance sociale, soupe
populaire, friperies et SDF
(B). Le dilemme devient pour un
ouvrier européen : mourir d’inanition en
travaillant ou mourir d’inanition sous
l’assistance sociale ? Voilà une
condition de ré-industrialisation qu’une
partie de l’Europe ne rencontre pas
encore alors qu’aux États-Unis une
partie de la classe ouvrière vit dans
les parcs et dort sous la tente. En
faillite, près de 30% des jeunes couples
travailleurs américains sont retournés
vivre chez leurs parents. Maints
salariés ont vu leur revenu réduit de
25% aux États-Unis et ça continue (9).
Puisque
les travailleurs américains s’y sont
résignés, pourquoi les ouvriers et les
employés européens et canadiens ne s’y
résoudraient pas ? Alors, de grâce,
scandent les capitalistes français et
leurs sous-fifres socialistes, « oubliez
les 35 heures », la France n’est plus au
temps où les colonies dopaient le PIB
métropolitain. Pareil en Belgique.
Aujourd’hui, «enfants
de la patrie, la plus-value doit être
produite ici et extorquée
patriotiquement avec la complicité de
nos amis syndicalistes défaitistes »
(10).
La dette souveraine est hors
contrôle
Cette
dépréciation de l’euro (du dollar
canadien) a bien entendu pour
conséquence de hausser la valeur de la
dette souveraine de chaque état européen
déjà lourdement plombée.
Plus un pays est dépendant de l’épargne
et de la capitalisation extérieure à la
zone euro, plus sa dette augmentera au
fur et à mesure qu’il empruntera sur les
marchés extérieurs. Pour les pays qui se
recapitalisent et qui empruntent sur le
marché européen, ce qui sera bientôt le
lot de tous les pays de l’UE puisque peu
de capitalistes financiers étrangers
souhaiteront risquer leurs deniers sur
le marché des obligations européennes
dévaluées,
les dettes des divers pays européens
seront de la sorte communautarisées - «
socialisées » - de facto, sans qu’il ne
soit nécessaire d’adopter une résolution
quelconque au parlement européen (D).
L’intégration
financière-monétaire-fiscale se réalise
sous votre nez camarades européens ce
qui évidemment est déjà implantée au
Canada et aux USA
(D).
Ainsi, aux
États-Unis,
la FED achète les obligations d’épargne
du gouvernement yankee et dévalue
d’autant la valeur du dollar US. Il
semble que la Banque centrale européenne
(BCE) ait décidé de recourir au même
stratagème suicidaire. En effet, ce
système de financement de la dette est
suicidaire puisque cette opération de
renflouement des budgets gouvernementaux
des pays de la zone euro à même de
l’argent utopique-inflationniste ne fait
que reporter la crise de surproduction –
de sous-consommation – de chômage
aggravé – et d’endettement privé et
public catastrophique – vers
d’hypothétiques échéances qui ne
sauraient tarder ni être évitées.
Demain,
économistes pédants, politiciens
maniérés et autres cassandres viendront
expliquer qu’il faut davantage de
sacrifices de la part des «citoyens»;
réclamer moins de salaires et plus de
productivité-compétitivité; exiger moins
de services publics afin de réduire les
déficits publics gargantuesques
conséquence de l’endettement croissant;
cautionner les guerres coûteuses et
destructrices; et, finalement, quémander
plus de subventions et de dégrèvements
fiscaux en faveur de «vos» entreprises
en crise et de «vos» banques en déroute
de manière à maintenir «leur» ardeur
concurrentielle (compétitivité) et
«leurs» taux de plus-value et de profit
(11).
Profit accru – reproduction élargie
Ne vous
méprenez pas. L’objectif du
développement du système capitaliste
n’est pas d’accumuler des profits
astronomiques – vous faites erreur sur
la finalité. L’objectif ultime du
système capitaliste à son stade
impérialiste de développement est, à
travers cette prise de profits
astronomique, d’assurer sa reproduction
élargie. C’est la loi inaltérable du
système qui pousse les concurrents
monopolistiques intercontinentaux à
s’entredéchirer afin de s’assurer de
survivre et de prospérer : “exploite,
accumule plus-value (PV) - profits,
réinvestis ce capital constant
(CC) et ce capital variable
(CV) et assure un nouveau cycle de
reproduction élargie; dans le cas
contraire, péris et dépose ton bilan”.
Voilà la recette capitaliste d’Arnault,
Buffett, Slim, Gates, Desmarais,
Bettencourt, Mittal, Soros, Pinault et
Péladeau peu importe leur drapeau
national en berne (12).
Les
marionnettes politiques, socialistes,
libérales, conservatrices, péquistes,
caquistes, NPD, UMP, Démocrates,
Républicaines et lepénistes ne sont là
que pour réguler cette transaction
financière entre d’une part
l’investisseur –
le preneur de risque avec le capital
public, les fonds de pension et les
caisses d’assurance – et d’autre
part les masses ouvrières et besogneuses
privées de tout pouvoir et vendant leur
marchandise «force de travail» au plus
offrant contre un salaire de moins en
moins raisonnable et des impôts de plus
en plus déraisonnables.
C’est à
prendre ou à laisser clame
l’impérialiste :
nulle échappatoire au sein de ce
système… même pas l’utopie de rétablir
les frontières nationales de façon à se
recréer ce petit milieu d’exploitation
capitalistique patriotique d’antan, à
l’abri de la concurrence internationale,
où l’exploiteur sanguinaire parle
français à des ouvriers exploités
comprenant le français, ou l’anglais, ou
l’allemand ou l’italien...ou le
montagnais.
Deux
voies s’offrent aux ouvriers :
suivre l’exemple étatsunien et
vendre leur marchandise «force de
travail» à forte productivité en
dessous du prix de revient (sous le
seuil de reproduction élargie =
mourir à petit feu tout en
travaillant) assurant ainsi la
compétitivité de «leurs firmes
nationales»; ou résister de toutes
leurs forces, rejeter le Traité de
fiscalité (TSCG) et les traités de
libre-échange transatlantique et
surtout renverser le système
capitaliste.
(1)
http://economieamericaine.blog.lemonde.fr/2012/10/26/pourquoi-lindustrie-americaine-se-desengage-de-leurope/
Paul Craig Roberts
http://www.vigile.net/L-effondrement-de-l-economie
(2)
http://www.agoravox.fr/actualites/economie/article/la-crise-economique-la-chine-l-110893
Vincent Gouysse (2012). 2011-2012
Reprise de la crise.
http://marxisme.fr/reprise_de_la_crise.htm
(3)
http://www.legrandsoir.info/plateforme-contre-le-transatlantisme.html
http://www.no-transat.be/
(4)
http://canempechepasnicolas.over-blog.com/article-le-pdg-de-psa-peugeot-citroen-annonce-la-fermeture-d-usines-en-europe-110604349.html
(5)
Les
salaires et les profits aux États-Unis
http://www.mondialisation.ca/usa-10-chiffres-qui-disent-tout/5310915.
Dans un prochain article nous scruterons
cette question de la hausse de la
productivité du travail si chère aux
employeurs – patrons – capitalistes et
financiers.
http://alencontre.org/europe/france/france-apres-les-pigeons-voici-les-vautours.html
(6)
http://les7duquebec.org/7-au-front/afrique-le-continent-spolier/
(7)
La
faillite des régimes de retraite
http://www.sauvegarde-retraites.org/article-retraite.php?n=258
(8)
La
reproduction élargie de la force de
travail d’un ouvrier comprend ce qui lui
est personnellement nécessaire pour
vivre, être soigné, s’éduquer, se
divertir et vivre sa retraite en
sécurité, mais aussi pour se reproduire,
procréer, élever et faire éduquer ses
enfants, les faire soigner et les
préparer à devenir esclaves salariés.
(9)
http://les7duquebec.org/7-au-front/elections-americaines-2012-les-vrais-enjeux/
(10)http://www.agoravox.fr/actualites/economie/article/la-polemique-sur-les-35-heures-125075
(11)http://www.mecanopolis.org/?p=24488
(12)http://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_des_milliardaires_du_monde_en_2012
http://fr.wikipedia.org/wiki/Convention_de_Schengen
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