Opinion
Les « indignés »
après le sommet du G-20
Robert Bibeau
Robert
Bibeau
Mercredi 9 novembre
2011
LES RÊVES DES
INDIGNÉS
Qu’ont en commun les « Indignés »,
Michael Moore et Noam Chomsky ? Ces
trois personnages – très médiatisés –
ont un point en commun : ils rêvassent
tous les trois. Non seulement ils rêvent
mais chacun d’entre eux prend ses rêves
pour la réalité, et chacun croit que,
s’il rêve assez fort, il parviendra à
transformer le monde.
Malheureusement, ce monde cruel dans
lequel nous souffrons ne changera pas
par l’action des « Illuminatis » et de
la pensée magique. Leurs rêves pourront
changer et leurs laisser croire que le
monde change, mais ce ne sera
qu’illusion, fumisterie, fantasme,
frustration et désillusion.
Ce monde d’anarchie de la production,
où la famine côtoie le gaspillage éhonté
des aliments; ce monde où l’accumulation
des profits astronomiques côtoie la
pauvreté dégradante ; ce monde de
guerres néo-coloniales pour le repartage
des marchés, de repartage des zones
d’extraction des matières premières, et
de repartage des secteurs d’exploitation
de la plus value ouvrière entre
puissances impérialistes, à la fois
complices et concurrentes, est un objet
bien réel – pas du tout évanescent.
Ce monde repose sur la dictature
violente des riches, la dictature d’une
oligarchie – comprenant moins d’un pour
cent de la population mondiale
incidemment –, soutenue par tout un
appareil étatique violent – avec ses
cours de justice, ses prisons, ses
bagnes, ses corps de police, ses agences
privées d’assassins de sécurité, ses
armées, ses réservistes et ses potences,
ses chaises électriques et autres moyens
de terreur collective. Tout individu qui
n’expose pas ces faits élémentaires –
criants de vérités – à ses auditeurs, à
ses lecteurs ou à ses téléspectateurs
est un naïf dangereux, un mystificateur
cynique, ou un opportuniste
machiavélique. La semaine dernière les «
Indignés » d’Oakland – Californie –
l’ont appris à leurs dépens. Fort
heureusement, ils n’ont pas déguerpi et
ils ont affronté, casqués et armés, les
forces du désordre venues les frapper du
plein poids de la loi. Félicitations aux
révoltés d’Oakland, ils sont devenus
l’exemple à suivre pour tous ceux que
l’on voudra dorénavant chasser des lieux
où ils sont campés (1).
LES DEMANDES
DES INDIGNÉS
Ils sont, dit-on, des milliers d’«
Indignés » de par le monde, squattant
neuf cents parcs urbains dans autant de
municipalités, s’attendant tous à être
expulsés, à résister et à être
emprisonnés. Que réclament tous ces
«Indignés» ? Un récent document publié
sur Internet répond à cette question. «
Un mouvement inédit, impulsé par la
jeunesse des classes moyennes, une vague
de fond anticapitaliste et libertaire,
qui attaque les fondements de la société
américaine. Après les avoir regardés de
haut, pressés par une opinion publique
majoritairement favorable au mouvement
contestataire, les médias prennent
désormais celui-ci au sérieux. (…)
l’hebdomadaire The Week se demande si «Occupy
Wall Street » fait émerger un « Tea
Party de gauche ». Le fameux Tea Party a
d’ailleurs pris un coup de vieux et
certains de ses membres vont même
jusqu’à apporter leur soutien aux
Indignés, espérant ainsi surfer sur la
vague contestataire. Le Président Obama
lui-même s’est senti obligé de déclarer
« Je comprends la colère qui s’exprime
dans ces manifestations »(2).
Voilà qui nous en apprend beaucoup
sur cette vague de contestation «
anticapitaliste et libertaire ». Selon
Mohamed Belaali, « cette position
réformiste des « indignés » explique,
entre autres, la longue liste de
soutiens hypocrites apportés au
Mouvement par les porte-parole du
capital. On peut citer pêle-mêle Ben
Bernanke, président de la Banque
centrale américaine, Jean-Claude Trichet
et Mario Draghi, ancien et nouveau
présidents de la Banque Centrale
Européenne (BCE), Angela Merkel, Herman
Von Rompuy, José Manuel Barroso et des
milliardaires comme Warren Buffett ou
Georges Soros (…). Par cette
« sympathie » douteuse, la bourgeoisie
tente de récupérer le Mouvement pour le
dévier de sa trajectoire initiale et le
vider de sa substance progressiste. »
(3).
Poursuivons notre enquête et lisons
un extrait de texte publié par les «IndignéEs»
canadiens : « En tant qu’IndignéEs,
quelques co-auteurEs du livre « TENIR
PAROLE », feront lecture d’extraits pour
faire revivre ce livre décrivant la
lutte pour une loi sur l’élimination de
la pauvreté au Québec. (…) où puiser
matière à alimenter nos réflexions et
nos actions. ».
Et oui, l’Assemblée nationale de la
Province de Québec a eu l’outrecuidance
d’adopter une loi « exigeant »
l’élimination de la pauvreté. Loi
inutile, évidemment, et qui n’a pas
empêché la paupérisation des gagne
petits, le foisonnement des enfants qui
fréquentent les « banques »
alimentaires. N’a pas empêché non plus
l’appauvrissement des mamans
monoparentales, la diminution du salaire
réel et du pouvoir d’achat du peuple
travailleur. N’a pas empêché la
paupérisation croissante de la jeunesse
rassemblée à écouter réciter des
articles de la Loi bannissant la
pauvreté dans ce parc public devant la
Bourse de Montréal…Notez, que je n’ai
pas écrit « rassemblées sur le parquet
de la bourse à empêcher les cambistes
spécieux de spéculer et de nous
appauvrir », non, les « Indignés » sont
sagement campées à l’extérieur sous les
arbres dénudés par le vent de l’automne
glacé.
L’histoire ne dit pas si l’Assemblée
nationale du Québec a aussi adopté une
loi interdisant les inondations le long
des berges des rivières en crue, ou
encore, une loi bannissant la neige en
hiver dans les rues du Québec…
Comprenons-nous bien, nous ne faisons
ici aucune suggestion d’action
législative à l’endroit des « Indignés
».
En bref, un parterre de bonnes
intentions soutenues par un maelstrom de
bonne volonté. Pour l’instant le maire
de Montréal, complaisant, laisse filer,
espérant que les dernières giboulées
refroidiront les ardeurs des squatteurs.
J’ai l’impression que l’on ne renversera
jamais ce monde capitaliste moribond de
cette façon.
NOAM CHOMSKY
APPUIE LE RÊVE DES INDIGNÉS
Pourtant, le célèbre pamphlétaire
Noam Chomsky y croit lui, et voici ce
qu’il déclarait le 23 octobre dernier à
une assemblée américaine : « Noam
Chomsky, connu pour ses critiques de
l’impérialisme américain et des médias,
déclarait devant des milliers de
personnes réunies à Boston, face au
bâtiment de la banque de la Réserve
fédérale : « Ce mouvement est
spectaculaire. C’est sans précédent. Je
ne me souviens pas qu’il y ait jamais eu
quelque chose comme ça. Si les
associations qui ont lancé ces
rassemblements peuvent tenir pendant une
longue et dure période – parce que la
victoire ne viendra pas rapidement –
cela pourrait vraiment se révéler être
un événement historique, un moment
important de l’histoire américaine. ».
Chomsky songe ici à la victoire de
qui sur qui ? Et à quel genre de
victoire réfère-t-il ? La fin du
capitalisme ? La fin des inégalités
sociales ? La fin des injustices
universelles ? Il espère que Warren
Buffet et ses semblables rendront les
milliards qu’ils ont spoliés aux peuples
du monde à travers leurs holdings
multinationaux multimilliardaires ? Si
c’est bien ce à quoi il rêve, alors ce
ne sera pas demain la veille en effet.
WARREN BUFFET
DEMANDE À ÊTRE TAXÉ DAVANTAGE !
Warren Buffet mène justement une
opération de marketing en ce moment,
attestant que son taux d’imposition de
17 % par année est bien inférieur à
celui de sa secrétaire qui est gratifiée
de 35 % d’impôt. Pire, un salarié de la
classe moyenne subit un taux
d’imposition de 45 à 50 %. Monsieur
Buffet réclame donc qu’on l’impose lui
et ses semblables aussi lourdement que
les ouvriers spécialisés. Noam Chomsky
et les « Indignés » fondent de grands
espoirs sur cette suggestion spécieuse
de Monsieur Buffet.
Chomsky et les « Indignés » devraient
savoir que le salaire d’un milliardaire
est bien peu de choses au regard de sa
fortune et qu’un taux d’imposition de 50
% n’apporterait presque rien dans les
coffres de l’État. Les milliardaires ne
sont pas riches parce qu’ils encaissent
de gros salaires mais parce qu’ils
spéculent à la bourse et possèdent des
actions de nombreuses et très grandes
corporations multinationales et que
leurs holdings empochent ainsi des
dividendes astronomiques.
Ces dividendes, ces bénéfices
spéculatifs boursiers, le gros de la
fortune de ces moins de un pour cent de
la population, ce ne sont pas des
salaires, ce sont des profits. Une
enquête récente aux États-Unis révèle
que loin d’augmenter, les impôts sur les
profits des entreprises américaines –
déjà très bas – diminuent d’année en
année et cela malgré la hausse
constantes des profits concomitantes à
la baisse des revenus du gouvernement
américain (imposition moyenne de 18,5 %
et un grand nombre d’entre elles ne
paient aucun impôt et reçoivent de
l’argent de l’État américain – 218
milliards de dollars au total – malgré
leurs profits record) (4).
Taxons alors les bénéfices boursiers,
les dividendes et les profits !
Difficile, sinon impossible. Une grande
partie de ces profits sont enregistrés
sur des comptes à numéro ou
comptabilisés au siège social
d’entreprises fictives ayant pignon sur
rue dans des paradis fiscaux (Caïmans,
Macao, Monaco, Barbade, etc.), des pays
de complaisance, des États de non droit,
que les capitalistes ont soustraits aux
lois internationales avec la complicité
bienveillante des politiciens qui
étaient réunis cette semaine au G-20 à
Cannes ! Ces paradis fiscaux servent
également à blanchir l’argent mafieux
qui se mélange aux avoirs de Monsieur
Buffet, le bon samaritain et autres
mandarins.
Des riches toujours plus riches et
cupides et des pauvres toujours plus
pauvres et livides. Des milliardaires
bien protégés, à la recherche du profit
maximum et des rêveurs pacifistes
aspirant à une justice sociale
inaccessible, voilà le rapport de force,
voilà la triste réalité de ce monde
impérialiste que Monsieur Chomsky et les
« Indignés » espèrent voir changer à
force de sit-in et de camping urbain.
MICAHEL MOORE
SOUHAITE LA FIN DU CAPITALISME
Michael Moore – tout comme le
Directeur de la revue Le Monde
diplomatique, Serge Halimi diplômé de
Berkeley – s’avance encore plus loin
dans sa dénonciation du système
capitaliste (5). Michael n’est pas
tendre pour ce système et, hâbleur, il
déclare : « Il faut mettre un terme au
capitalisme. Le capitalisme est un train
fou qui se dirige sur ses rails vers la
vallée de la mort et personne ne pourra
l’arrêter ni le dévier car sa
« logique » ne le permet pas. Il s’agit
de convaincre les peuples de sauter en
marche avant que celui-ci n’arrive
inexorablement à son terme: la fin de la
vie biologique sur la planète Terre.
Aujourd’hui nous n’avons aucun autre
biotope à portée de main pour préserver
cette vie biologique; c’est donc à la
seule communauté des humains conscients
à laquelle Michael semble appartenir,
qu’incombe d’investir cet espace très
limité et déjà mal en point. ».
Pour Monsieur Moore la façon
d’échapper au capitalisme serait le
suicide collectif, tous dans le ravin
pendant que le train fou s’engage à vive
allure sur la voie du désespoir et de
l’Apocalypse! Mauvaise solution, ce
n’est pas par le suicide collectif, ni
via l’Armageddon, que nous y
parviendrons.
La solution consiste à se saisir du
conducteur et de tous ses acolytes de la
classe capitaliste et à les rendre
inoffensifs, cela s’appelle
l’insurrection populaire. C’est le
message que les révolutionnaires
devraient porter à tous les « Indignés »
de la terre. Sans révolution, sans
renversement de la classe parasitaire
qui s’accapare privément de la propriété
des moyens de production et d’échanges
collectifs dans dix ans les « Indignés »
seront toujours frustrés devant Wall
Street à écouter les états d’âme de Noam
Chomsky, de Michael Moore et de Serge
Halimi.
LE SOMMET DU
G-20
Le président Sarkozy a été très
transparent dans son discours au Sommet
du G-20 à Cannes. Il a clairement remis
en cause le contrat social établi entre
la grande bourgeoisie et l’aristocratie
ouvrière des pays occidentaux :
désormais les programmes sociaux ne
seront maintenus qu’à la condition
qu’ils n’entravent pas la bonne marche
des affaires et de la finance. Autrement
dit, tous les programmes sociaux sont
sujets à être comprimés jusqu’à et y
compris éliminés. Mesdames et messieurs,
avec ce Sommet du G-20, la guerre de
classes entre le capital et le travail
vient d’entrer dans une Ère nouvelle.
Les vœux pieux, les rêves, les cris et
les larmoiements ne suffiront pas à
sauver la planète en danger et les
peuples affamés.
Comme disait l’autre, on ne change
pas ce monde capitaliste seulement en
s’indignant, en chantant et en faisant
des sit-in dans les parcs…Il est temps
de poser la question de la prise du
pouvoir et du contrôle du monopole de la
violence légale de l’État. Quelle classe
dirigera l’État ? Quelle classe imposera
ses vues et ses intérêts à toute la
société ? La classe majoritaire ou les
moins de un pour cent de parasitaires
(6) ?
(1) Révolte à
Oakland, Californie.
http://www.radio-canada.ca/nouvelles/International/2011/11/03/001-port_oakland-activites_paralysees-indignes_wall_street.shtml
et
http://mondialisation.ca/index.php?context=va&aid=27266
(2) Courriel
reçu le 6.11.2011. Pour recevoir copie,
robertbibeau@hotmail.com
(3)
http://www.legrandsoir.info/on-ne-change-pas-le-monde-avec-seulement-de-l-indignation.html
(4)
http://lauer.blog.lemonde.fr/2011/11/03/etats-unis-profit-ne-rime-pas-forcement-avec-impot/
(5) Le
directeur du Monde diplomatique. Serge
Halimi.
http://www.ledevoir.com/international/actualites-internationales/335044/entretien-avec-le-directeur-du-monde-diplomatique-egalite-democratie-et-souverainete?utm_source=infolettre-2011-11-02&utm_medium=email&utm_campaign=infolettre-quotidienne
(6)
http://www.legrandsoir.info/on-ne-change-pas-le-monde-avec-seulement-de-l-indignation.html
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