Opinion
Pourquoi les
régimes de retraite sont-ils en faillite
?
Robert
Bibeau
Robert
Bibeau
Mercredi 8 mai
2013
La crise générale
du système capitaliste
Les ouvriers et
les employés, du moins ceux qui ont la
possibilité de travailler malgré le
chômage qui assaille l’économie, font
face à un problème gravissime – leurs
régimes de retraite sont menacés
d’insolvabilité. C’est le cas aux
États-Unis, au Canada et au Québec.
Les
régimes de retraite
–
qu’on ne retrouve habituellement que
dans les pays développés d’Occident
–
sont des concessions que les
capitalistes monopolistes ont accordées
aux ouvriers et aux employés afin de les
apaisés après les grands soulèvements
des années 1968-1972. Ce sont des
chaînes dorées pendues au cou des
salariés afin de les maintenir en
servage dans les usines et pour leur
faire oublier leurs conditions de
métayers exploités de qui on soutire la
plus-value et les profits. L’immense
exploitation, par les monopoles
impérialistes transnationaux, de tous
les peuples néo-colonisés d’Afrique et
d’Asie a permis aux riches d’accorder
cette concession aux ouvriers des pays
avancés. Mais depuis des années la
conjoncture s’est dégradée.
Depuis le début du
millénaire les affaires des
milliardaires tournent à l’envers. La
crise économique de 2008 a marqué la fin
d’un cycle et l’ouverture d’un nouveau
cycle dans le développement
impérialiste. Ce n’est pas la crise de
2008, pas plus que la prochaine, qui a
entraîné la débâcle économique. Ces
crises à la chaîne sont la conséquence
de la crise générale du système de
production qui ne parvient plus à se
reproduire. La crise financière,
boursière et monétaire qui s’accélère
est l’expression ostentatoire de cette
débandade du mode de production et la
preuve indiscutable du déplacement du
centre de gravité du système
impérialiste mondial de New-York vers
Shanghai, la nouvelle Mecque de
l’impérialisme international.
La crise des
régimes de retraite n’est qu’une
conséquence ultime de la crise générale
du système d’économie politique
décadent. La solution des milliardaires
– par la voix de leurs «experts»
universitaires et des petits hommes
d’affaires est la même que pour toute
autre affaire – faire payer les ouvriers
pour la dégringolade des régimes de
pensions accompagnant la déroute du
système impérialiste en banqueroute.
L’état des lieux
Au Québec le
système de pension pour les aînés est
structuré en trois étages.
Au premier
étage, se trouve le régime de la
Sécurité de la vieillesse. Il s’agit
d’une prestation mensuelle offerte à
la plupart des citoyens canadiens
mise en place par le gouvernement
fédéral à même les impôts soutirés aux
ouvriers, et comprenant la Pension de la
sécurité de la vieillesse, le Supplément
de revenu garanti, et l’Allocation au
conjoint. En vertu de ce régime plus
d’un million trois cent mille québécois
et québécoises reçoivent chacun un
montant annuel de 6 553 $ imposable. Eh
oui imposable, pas question de planquer
cette « fortune » dans un paradis
fiscal.
Le deuxième
étage est constitué d’un régime à
cotisation variable pour tous les
travailleurs – le Régime des
rentes du Québec – sous gestion du
gouvernement québécois, administré
fiduciairement par la Caisse de Dépôt.
Au 31 décembre 2011, le Régime des
rentes du Québec comptait quatre
millions de cotisants et 1,5 million de
bénéficiaires d’une rente de retraite. À
65 ans, la rente maximale peut aller
jusqu’à 12 150 $ par année imposable.
Encore une fois pas de fraude fiscale
vers les Iles Caïmans avec cette
«fortune» économisée par les salariés
(1).
Le troisième
étage regroupe les
initiatives engagées par les employés en
vue de financer leur retraite,
soit les régimes complémentaires établis
par des travailleurs du secteur public
ou du secteur privé auxquels s’ajoutent
pour le tiers (33%) d’entre eux des
économies personnelles telles que les
régimes enregistrés d’épargne-retraite
(REER) (2).
La crise des
régimes de retraite
Depuis le tournant
du siècle, rien ne va plus pour ces
régimes de retraite, principalement ceux
à
prestations déterminées (3).
Alors que dans les
années 1990 ces régimes accumulaient des
surplus, l’accentuation de la crise
économique a complètement changé la
donne. Alors que
les employeurs s’attribuaient
fréquemment des congés de cotisations
en raison des forts rendements
boursiers, depuis l’approfondissement de
la crise ces régimes se sont mis à
accumuler des déficits. Aujourd’hui, on
observe que :
·
un tiers des
Canadiens n’ont aucune
épargne-retraite personnelle et ils
sont encore plus nombreux au Québec ;
·
à la fin de 2011,
93 % des régimes de retraite à
prestations déterminées étaient
sous-capitalisés, selon le Bureau du
surintendant des institutions
financières du Canada ;
·
ces problèmes
touchent surtout le secteur privé, mais
aussi le secteur public, principalement
les municipalités (le quart du déficit
global).
« Face à cette
situation, bien des régimes canadiens
ont été modifiés pour
transférer le risque des employeurs sur
le dos des salariés. Ainsi, le
nombre de salariés bénéficiant de
régimes à
prestations déterminées (dont le
risque est assumé par l’employeur à même
la plus-value arrachée aux ouvriers,
NDLR) diminue tandis que le nombre de
ceux qui participent à des régimes à
cotisations déterminées (dont le
risque est assumé par le salarié à même
son salaire, NDLR) explose. Au Québec le
nombre d’adhérents à des régimes à
cotisations déterminées a plus que
doublé (hausse de 135 %) entre 1992 et
2011, tandis que le nombre d’adhérents à
des régimes à
prestations déterminées diminuait
légèrement (de 5 %) » (4).
Le Québec compte
quatre millions de salariés, dont
1,9 million (47%) qui ne participent à
aucun régime de retraite collectif ni
même à aucun régime personnel (5).
D’autre part, 1,4 million de
travailleurs participent à l’un ou
l’autre des 750 régimes complémentaires
de pension, soit 513 000 salariés dans
le secteur privé et 866 000 employés
dans le secteur public.
Au moins
soixante-dix pourcent (70%) de ces
régimes de pension sont dans l’impasse
financière sévère et leur dette cumulée
totalise 41 milliards de dollars.
Voilà l’héritage
des congés de cotisation que les patrons
se sont accordés
d’autorités
(!)
Devant cette
faillite appréhendée la solution des
riches est connue – il faut hausser les
«taxes» de retraite, presser davantage
le citron de l’ouvrier
consommateur-contribuable-taxable à
merci. Mais pas facile de hausser les
cotisations de ceux qui sont toujours
mis à contribution par l’impôt, les
taxes, les cotisations, les frais des
services et des transports publics, les
« tickets modérateurs », les taxes
municipales, les cotisations syndicales,
etc. Surtout, que rien ne garantit que
ces augmentations de cotisations
sauveront leurs régimes de pension en
perdition.
Un comité d’«
experts »
Un
comité
d’experts sur l’avenir du système de
retraite québécois
a donc été mis sur pied comme chaque
fois qu’un gouvernement souhaite
préparer l’opinion publique à pressurer
l’ouvrier et à « produire du
consentement » chez les gens.
Le Comité présidé
par M.
Alban D’Amours a déposé son rapport
le 22 avril 2013. Ces «experts» ont
identifié quatre causes pour expliquer
l’insolvabilité des régimes :
1) « Les
travailleurs vivent trop vieux, s’ils
mouraient plus nombreux ça irait mieux
». Ridicule, comme vous l’imaginez. Les
actuaires et les démographes qui dans
les années quatre-vingt ont calculé les
primes à payer et les indemnités à
recevoir ont parfaitement apprécié cette
hausse de longévité. Tout comme ils ont
prévu que dans les sociétés occidentales
avancées nous avons aujourd’hui atteint
un palier de longévité qu’il sera
difficile de dépasser pour au moins
quelques années.
2) « Les ouvriers
et les employés n’économisent pas
suffisamment ». Comment thésauriser
quand le salaire gagné suffit à peine à
assurer la reproduction de la force de
travail et les commodités de la famille
; que l’emploi est sans cesse menacé par
le chômage généralisé ; et que le
salaire est comprimé par la concurrence
des chercheurs d’emplois harcelés par
les nervis d’Emploi Canada qui coupent
dans les prestations d’assurance chômage
?
3) « Les employés
ne paient pas assez et ils sont trop
gourmands quand vient le temps
d’encaisser la pension qu’ils se sont
payés avec prestations déterminées ».
Les hommes d’affaires-commissaires
suggèrent que les employés devraient
renoncer aux avantages acquis avec
l’argent qu’ils ont épargné. Pourtant,
une enquête fédérale révèle que 22 % des
foyers canadiens vivent sous le seuil de
pauvreté dont nombre de familles de
personnes âgées-retraitées. Pour le
gouvernement canadien, est pauvre tout
individu disposant de moins de 18 421 $
par année. Cette somme pourrait sembler
énorme aux ouvriers du tiers-monde mais
le coût de la vie étant ce qu’il est au
Canada ce montant suffit à peine à
survivre misérablement (6).
4) « La durée de
la vie active en nombre d’années de
travail-cotisant au régime de retraite
diminue constamment » rajoute Maître
Alban. En effet, le chômage frappe si
durement que l’employé cotise moins
d’années. Par contre, nombre de
travailleurs retardent leur prise de
retraite au-delà de l’âge autorisé (65
ans) et nombreux sont ceux qui
retournent travailler après avoir pris
leur retraite car la pension reçue ne
suffit plus pour survivre.
De fait, les
régimes de pension des travailleurs,
sont strictement des fonds d’épargne
collectifs, auxquels seuls l’ouvrier
contribue, même quand les cotisations
transitent par la plus-value, expropriée
par l’employeur, puis rétrocédée et
déposée dans ces «bas de laine pour
thésauriser» comme les appelaient les
anciens canadiens. Les fonds de pension
sont victimes de la crise économique du
système capitaliste. Ces immenses fonds
de capitaux, gérés par les capitalistes
financiers qui se payent une commission
au passage, sont par eux dilapidés à
spéculer sur le marché boursier en
déroute et à renflouer leurs entreprises
en banqueroute. Rien de ce qu’ils
pourront imaginer pour sauver leur
système ne fonctionnera. Ce n’est qu’une
question de temps avant qu’il s’effondre
inexorablement emportant dans l’horreur
les épargnes des travailleurs.
Les vrais raisons
de l’insolvabilité des régimes de
pension
1.
Au Canada la crise
a détruit au moins 677 000 emplois
depuis 2008, autant de cotisants en
moins dans les régimes de retraite
collectifs.
2.
De plus, toute
proportion gardée, les salaires réels
sont pour ainsi dire gelés depuis des
années. Comme les cotisations sont
calculées en pourcentage du salaire
gagné, si le salaire n’augmente pas les
cotisations n’augmentent pas.
3.
La crise des «
subprimes » et des «produits
boursiers-dérivés frauduleux» de 2008 a
fait disparaître des milliers de
milliards de dollars d’épargne que les
institutions de gestion des fonds de
pension – Caisse de Dépôt et de
placement du Québec, Fonds de Solidarité
FTQ et CSN notamment – avaient engagées
dans ces paris risqués de la loterie
boursière frauduleuse.
4.
Enfin, la crise
économique a fait s’effondrer les
rendements des placements et a mené à la
faillite de nombreuses entreprises qui
ont emporté les fonds de pension des
ouvriers dans leur délocalisation, en
fuite vers l’Asie-Pacifique (7).
5.
De plus, à cause
des immenses dettes souveraines qui
grèvent la plupart des États
capitalistes, les taux d’emprunt courant
sont maintenant très bas, ce qui
entraîne que les rendements sur les
placements financiers sont diminués.
Pour le moment le capital industriel
rapporte, du moins pour un certain
nombre de monopoles très concurrentiels
comme
Samsung qui vient de déclarer 4,9
milliards d’euros de bénéfices pour le
premier trimestre de 2013, alors que le
capital financier spéculatif donne des
rendements très décevants (8).
Un exemple parmi
d’autres de la fraude des pirates des
fonds de pension, le monopole américain
Singer, installé à
Saint-Jean-sur-Richelieu depuis 1906, a
décidé de délocaliser son usine vers
l’Asie. Il a fermé ses portes par étapes
entre 1964 et 1986 emportant avec lui le
régime de retraite des salariés. Les
travailleurs ont aussitôt entrepris de
longues procédures judiciaires pour
récupérer leurs dollars économisés et
spoliés. S’ensuivit une enfilade de
procès qu’ils ont gagné si bien qu’après
vingt ans de procédures les quelques
vieux ouvriers toujours vivants ont reçu
une petite indemnité tout juste
suffisante pour les enterrer. Voilà
l’impérialisme dans toute sa nudité (9).
Voilà les raisons
profondes de la faillite des fonds de
pension publics ou privés. Voilà ce que
le Comité de pseudos experts sur les
régimes de retraite a voulu taire à la
grogne populaire. Le système économique
impérialiste est en faillite et toutes
les bases financières sur lesquelles il
repose s’effritent emportant avec elles
les fonds de pension des travailleurs
comme elles emportent tout le reste.
La Comité
d’«experts» a accouché d’une
recommandation pour « renflouer » les
fonds de pension minés par la crise
économique et le krach boursier. Ces
gens d’affaires et autres thuriféraires,
tous parangons du capital parasitaire,
proposent non pas de forcer les
entreprises à verser leur dû à même la
plus-value extorquée et de renflouer les
fonds de pension qu’ils ont pillés, mais
de
créer un nouveau fonds de pension,
la «
Rente
Longévité » qui accaparera
3,3% supplémentaire du salaire des
ouvriers – déjà lourdement grevé –
l’équivalent de 4 milliards de dollars
par année de cotisation supplémentaire
arrachée aux salariés déjà paupérisés,
argent que les institutions financières
administreront en prenant leur
quote-part au passage et qu’elles
placeront dans des fonds boursiers
risqués qui failliront un jour ou
l’autre (10).
Les ouvriers n’ont
aucun contrôle ni aucun pouvoir sur la
gouvernance et le développement du mode
de production impérialiste, ni sur
l’administration du système
bancaire-financier-boursier, même pas
sur la gestion de leur propre régime de
pension dont l’administration est
accaparée par des trusts financiers
monopolisés ; ils ne sont donc pas
responsables de l’effondrement de ce
mode de production moribond.
Il est hors de question que nous
exigions la gestion de ces fonds de
pension, qui ne peuvent que s’étioler en
même temps que le système impérialiste
dans son entièreté, peu importe qui
l’administrera. L’autogestion de la
crise impérialiste n’est ni une option,
ni une solution.
Les ouvriers
doivent se préparer à renverser toute
cette coterie de pseudos génies chargés
de les embrouiller, de les culpabiliser
et de leur imposer un nouveau régime de
« sécurité » ; un nouveau régime de
pension-longévité qui ne peut que finir
dans le caniveau et dans l’insécurité
comme tous les précédent, tous ceux
existants et tous les suivants.
1.
R. Bibeau (10.04.2013)
D’un paradis fiscal à l’autre ils font
fructifier leur capital.
http://les7duquebec.org/7-au-front/dun-paradis-fiscal-a-lautre-ils-font-fructifier-leur-capital/
2.
http://www.politicoglobe.com/2012/11/amelioration-des-regimes-de-retraite/
3. À
prestation déterminée signifie que
le travailleur qui cotise à ce régime un
temps déterminé est assuré de recevoir
un montant précis – déjà fixé et garanti
au moment de sa retraite et jusqu’à sa
mort. À
cotisation déterminée c’est
l’ouvrier qui assume le risque. Il sait
combien il dépose chaque mois dans sa
cagnotte d’épargne mais il ne sait
nullement combien il touchera au moment
de sa retraite.
4.
http://www.politicoglobe.com/2012/11/amelioration-des-regimes-de-retraite/
5. Sauf évidemment
au
Régime fédéral de sécurité de la
vieillesse et au Régime des rentes du
Québec, tous deux obligatoires pour tout
citoyen et pour chaque travailleur.
6.
http://www.pauvrete.org/seuildepauvrete.html
7.
http://www.tuac.ca/index.php?option=com_content&view=article&id=2433%3Aby-the-numbers-income-distribution-and-the-poverty-line&Itemid=306&lang=fr
8.
http://www.museevirtuel-virtualmuseum.ca/sgc-cms/histoires_de_chez_nous-community_memories/pm_v2.php?id=story_line&lg=Francais&fl=0&ex=395&sl=2785&pos=1
9.
http://obsession.nouvelobs.com/high-tech/20130426.OBS7292/apple-samsung-la-bataille-des-resultats-financiers.html
10. Le rapport
http://www.rrq.gouv.qc.ca/fr/
salle_presse/2012/Pages/20121106.aspx&usg=AFQjCNHYuMC5BeuMpIo4kh7P-rlXI9gpXA
et aussi article dans le quotidien Le
Devoir.
http://www.ledevoir.com/economie/actualites-economiques/375995/4-milliards-par-annee-pour-une-rente-longevite?utm_source=infolettre-2013-04-18&utm_medium=email&utm_campaign=infolettre-quotidienne
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