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Opinion
Le lobby israélien à
Washington
Robert Bibeau
Lundi 6 décembre 2010
Le Lobby
Dernièrement, je
lisais l’entrevue que Kourosh Ziabari a obtenue d’un activiste
américain nommé Jeffrey Blankfort. Deux courts extraits
suffiront à en résumer les propos :
« Jeffrey Blankfort a
accepté de m’accorder une interview exclusive sur l’influence du
lobby israélien sur les décideurs du gouvernement américain, le
programme nucléaire illégal et secret d’Israël, le conflit
israélo-palestinien et la menace d’une attaque imminente
d’Israël contre les installations nucléaires de l’Iran. (…)
Dans votre article : "Le lobby israélien et la gauche :
des questions difficiles", vous explorez de manière approfondie
la domination du lobby israélien sur l’administration
américaine et vous citez des exemples convaincants de
l’influence de riches sionistes sur les multinationales (…)
» (1).
Pourquoi une certaine
gauche américaine et européenne consacre-t-elle autant d’énergie
à présenter le « lobby israélien » aux États-Unis et en Europe
occidentale comme la force dirigeante de l’impérialisme
américain faisant plier les présidents américains à leurs
desiderata et mettant à leurs bottes les membres du Congrès ?
Y a-t-il un autre
exemple, dans l’histoire de l’humanité, d’une superpuissance de
310 millions d’habitants complètement inféodée à un petit pays
insignifiant d’au plus sept millions et demi d’individus se
chamaillant pour quelques kilomètres de terres semi-arides ?
Est-il concevable qu’un pays pesant à peine 206 milliards de
dollars de PIB annuel (2) puisse contrôler et diriger une
superpuissance qui aligne 14 510 milliards de PIB annuel ? (3)
Comme Uri Avnery l’écrivait : « Faut-il penser que la queue
remue le chien ou ne serait-ce pas, plutôt, le chien qui ferait
battre sa queue ? ».
Je vais tenter de
démontrer que c’est le conseil d’administration qui dirige sa
filiale étrangère, même quand cette filiale est hystérique et
assassine ; que c’est le président de la fédération américaine
qui, dans le domaine des affaires étrangères, commande à chacun
des États, y compris au quasi cinquante-et-unième État de
l’Union (qu’est Israël). Je vais tenter de démontrer que c’est
l’État major qui donne des ordres à la base militaire, même si
celle-ci est située en zone hostile aux confins de l’empire. Il
en fut ainsi sous l’empire Romain, sous l’empire Ottoman, sous
l’empire Mongol et sous le III e Reich hitlérien. Et
il en va ainsi sous le règne de Barak Obama, 44e
Président des États-Unis d’Amérique.
L’économie (les moyens
de production et d’échanges) est l’une des trois instances de
toute structure sociale, l’instance dominante ; l’idéologie est
la seconde instance et le politique est
l’instance régulatrice de la gouvernance, tans dans les sociétés
anciennes que dans les sociétés modernes. Il n’existe pas
d’exemple de société poursuivant délibérément des politiques
suicidaires allant à l’encontre de ses intérêts pour satisfaire
une tierce-partie. Quand deux universitaires américains,
Mearsheimer et Walt, déclarent que le lobby israélien contraint
les États-Unis à poursuivre des objectifs politiques et
militaires contraires à leurs intérêts nationaux, il faut y
regarder d’un peu plus près, si l’on veut comprendre ce paradoxe
(4).
Certaines contradictions internes à tout système social ont pu
amener une grande puissance à péricliter, non pas pour
s’asservir volontairement à un état suzerain moins puissant,
bien entendu, mais parce que ces contradictions insolubles
entraînaient les protagonistes dudit système économique,
politique et idéologique à se quereller jusqu'à paralyser
l’État, créant ainsi les conditions favorables à son
renversement. Ainsi, ce n’est pas le « lobby » des aristocrates
qui entraîna la chute de la monarchie française, c’est le fait
que le système social féodal et aristocratique était paralysé.
Les révolutionnaires français de
la Convention
lui donnèrent le coup de grâce. Il en est allé de même pour
la Russie
tsariste (en 1917) et pour la Chine
du Kuomintang (en 1949).
Les lois de l’économie
politique auraient-elles changé, depuis l’apparition de l’entité
sioniste (Israël), au point que ce serait les manigances du
lobby israélien qui orienteraient l’évolution de l’économie, de
la politique et de l’idéologie au sein de l’empire ? Selon les
tenants de la ‘nouvelle gauche’, une poignée de
magouilleurs organisés en « lobby » commanderait aux plus
puissants et leur imposerait de défendre des politiques
contraires à leurs intérêts, parce que (soi disant) ces
politiciens véreux souhaitent tellement être réélus qu’ils
minent eux-mêmes les bases de leur pouvoir économique, politique
et idéologique, cela pour obtenir quelques votes « juifs » ou
pour bénéficier de l’appui des bailleurs de fonds sionistes (5).
Un imbécile peut, à la
rigueur, scier la branche sur laquelle il est assis. Que 535
représentants, sénateurs et un président des Etats-Unis, tous
imbéciles, scient la branche du Congrès et de la présidence
américaine pour s’effondrer dans les miasmes de la petite
politique israélienne, cela est plus qu’improbable. Il doit y
avoir une autre explication.
Mais comment expliquer
que Benjamin Netanyahu s’entête et refuse d’accorder le
bantoustan sur plus de 5 % des terres palestiniennes, alors même
que Barak Obama semble disposé à rétrocéder jusqu'à 10 ou 12 %
de leurs terres aux Palestiniens ? La filiale sioniste
tiendrait-elle tête à la maison-mère américaine?
L’empire américain
Il y a consensus, au
sein de la classe capitaliste américaine et parmi les
sous-fifres politiques, sur le soutien indéfectible qu’ils
accordent à leur base militaire installée au Levant, sur l’appui
qu’ils donnent au quasi cinquante-et-unième État de l’Union, à
leur colonie de peuplement et d’exploitation parachutée au fond
de la
Méditerranée,
en plein cœur de ce monde arabe inquiétant. Par ailleurs, deux
conceptions de la politique américaine au Proche-Orient
s’affrontent, au Congrès, en concordance avec les deux sections
des impérialistes qui se disputent le pouvoir aux États-Unis.
La section
industrialo-financière, majoritaire au parti Démocrate, pense
que la meilleure façon de mener la politique de l’empire dans
cette région du monde est de lever une fois pour toute
l’hypothèque palestinienne. Cette section des riches américains
et leurs thuriféraires politiques croient que de rétrocéder un
bantoustan d’une superficie « raisonnable » aux autochtones
arabes les satisfera et apaisera les critiques des royaumes
féodaux environnants, coupera l’herbe sous le pied des États
récalcitrants (comme
la Syrie
et l’Iran), en leur retirant un argument de confrontation et en
permettant à l’empire de concentrer ses efforts
sur des problèmes beaucoup plus importants, comme le
contrôle de l’acheminement du pétrole vers
les marchés des puissances émergeantes (Chine, Inde), de même
que le problème du choix de la monnaie internationale qui
servira de devise forte pour ces échanges entre clients et
fournisseurs d’hydrocarbures.
Le règlement de cette
« Question palestinienne » devrait être mené rondement et
l’accord des parties obtenu rapidement, ce qui permettrait,
ensuite, de confier à cette base militaire américaine permanente
des missions urgentes, comme celle d’attaquer l’Iran, de
soutenir le gouvernement fantoche irakien, d’entraîner les
services secrets afghans, d’organiser une insurrection en Syrie,
d’agresser le Liban. Idem, pour ce qui est de blanchir l’argent
sale d’une partie des banques américaines, de sous-traiter
l’équipement militaire de pointe et de le tester sur différents
théâtres d’opérations. Bref, qu’on en finisse
avec ces quelques kilomètres carrés de terres semi-désertiques
et que l’empire et sa colonie puissent passer à autre chose…
L’ex-président Jimmy
Carter est le représentant emblématique de cette politique. Il
l’a écrit, en 2006, dans son œuvre majeure : « Palestine, la
paix, pas l’apartheid » (6). Jimmy Carter a été très franc, dans
ce livre, et il a parfaitement expliqué que pour lui, les
accords de Genève, qui proposaient l’établissement d’un
bantoustan palestinien dans les limites approximatives de la Ligne
Verte
de 1967, le rejet du droit de retour pour les palestiniens des
camps de réfugiés et l’établissement d’un gouvernement
palestinien fantoche sous protectorat israélien constituaient un
« compromis acceptable pour les deux parties ».
La section
pétro-financière des capitalistes américains, majoritaire au
parti Républicain, croit quant à elle que leur base militaire au
Levant leur rend encore d’éminents services. Elle a servi
d’entremetteur pour échanger de l’argent contre des armes avec
l’Iran au bénéfice des Contras, elle a entraîné les soldats
guatémaltèques, quand
la CIA
ne pouvait le faire directement, elle a fomenté un coup d’état
au Honduras et elle soutient le gouvernement kurde au nord de
l’Irak, elle menace l’Iran pour calmer les ambitions de cette
puissance régionale, elle espionne tous les gouvernements de la
région et elle bombarde, à l’occasion la Libye,
la Tunisie,
la Syrie
ou le Liban, quand ces gouvernements tentent de tenir tête aux
grands de ce monde et qu’ils oublient qui sont les maîtres de la
planète.
L’entité sioniste
équipe et entraîne les armées réactionnaires que le Pentagone ou
la CIA
ne parviennent pas à soutenir directement, suite aux
restrictions votées par le Congrès. L’armée israélienne
expérimente les nouvelles armes américaines sur des populations
civiles et elle développe de nouvelles stratégies
anti-insurrection à Gaza, en Cisjordanie et dans le Sud-Liban.
Bref, cette base militaire avancée a, selon cette faction,
encore sa raison d’être en l’état, et le fait qu’un petit peuple
de gueux quémande sa terre ancestrale avec autant d’acharnement
depuis si longtemps n’est pas de nature à l’amener à modifier
ses plans.
Cette section de la
classe capitaliste américaine croit cependant que viendra le
jour où il faudra en finir avec ce problème en accordant un
bantoustan à ces quelque 4 millions de va-nu-pieds, qu’on ne
saurait transférer vers la
Jordanie. Par
contre, ces hommes d’affaires et les politiciens Républicains
qui sont à leur solde s’en remettent à leurs commandants locaux
israéliens pour régler ce genre de question secondaire et pour
partager ces quelques kilomètres carrés de sables et de
caillasses.
Le temps venu, les
officiers locaux de l’armée israélienne bien équipée, bien
ravitaillée en munitions sophistiquées, bien entraînée et
convenablement financée sauront comment régler ces désagréables
questions frontalières. On peut leur faire confiance et s’ils ne
règlent pas cette question tout de suite, c’est qu’ils savent,
mieux que leurs patrons à Washington, ce que l’ennemi
palestinien peut encore céder et concéder.
Le rôle circonscrit du
lobby
C’est à exploiter ces
disputes entre les deux factions consensuelles de la grande
bourgeoisie impérialiste américaine (Démocrates – Républicains)
que jouent les dirigeants de la succursale israélienne. L’un des
instruments de pression sur les deux partis politiques
représentant ces deux factions est le « lobby israélien » à
Washington. Tant que les intérêts de ce « lobby israélien »
concorderont avec ceux de la puissance mandataire et de ses
alliés, il n’y aura aucun problème et la puissance de tutelle
pourra même consentir à se laisser chahuter par les portefaix
locaux. Ne soyons pas dupes, le Premier ministre israélien, qui
se rend à
la Maison Blanche
jusque dans le bureau Ovale pour quémander ses nouveaux avions
F-35, n’est pas le maître de celui qui les lui accorde (ou les
lui refuse) et les lui finance, par-dessus le marché. Le Premier
ministre israélien, qui doit faire endosser ses émissions de
bons du trésor israélien, n’est pas le maître de celui qui les
rejette ou les achète.
Ce lobby comprend des
magnats de la finance qui font affaire sur les places
financières israéliennes et américaines,
blanchissent l’argent sale et spéculent sur certains marchés
licencieux interdits d’accès en Amérique et en Europe. Ce lobby
comprend aussi des magnats de l’industrie de l’armement, dont
les entreprises israéliennes sont des sous-traitants,
privilégiés comme le sont les sous-traitants canadiens,
incidemment. Ce lobby est constitué de
magnats des communications, fournisseurs (pour les premiers) et
investisseurs (chez les seconds), avides des gros profits
qu’offrent l’immobilier et l’armement. Bref, tous ce beau monde
est en bonne compagnie et fait bien peu de cas de ce petit
peuple de pestiférés, le peuple palestinien. De tels lobbys
d’interpénétration des intérêts économiques, financiers,
industriels et politiques existent dans plusieurs États
américains. La
Californie
possède, elle aussi, son lobby. Dit-on, pour
autant, que le lobby californien dirige la politique américaine
et mondiale ? Non ; c’est la classe capitaliste monopoliste
américaine qui dirige les destinées de l’impérialisme américain.
Voilà pourquoi je ne
crois nullement que le lobby israélien à Washington dirige les
destinées des États-Unis d’Amérique. Ces lobbyistes sont des
agioteurs qui se meuvent à l’intérieur des balises que leur
fournit l’expansionnisme américain et dans les limites que leur
impose ce petit peuple valeureux accroché à sa terre d’où il ne
veut pas déguerpir, j’ai nommé le peuple palestinien. Personne
n’aurait pu choisir peuple plus courageux pour représenter les
damnés de la terre capables d’affronter la puissante alliance
occidentale empêtrée dans ses contradictions économiques,
sociales, idéologiques et politiques.
Les experts qui
prétendent que le lobby israélien à Washington dirige le monde,
tirant les ficelles électorales des présidents, sénateurs et
représentants américains, prennent la proie pour l’ombre,
mystifient et brouillent les cartes pour que nous ne puissions
voir que c’est bien l’empire américain qui agit, complote,
espionne, tue et mène la guerre au Moyen-Orient par Mossad et
« Tsahal » (FDI) interposés et que, quand la colonie ne suffit
plus à la tâche, alors l’empire se déplace et attaque lui-même
l’Irak et l’Afghanistan.
Un lobby de pression
n’est qu’une forme d’organisation et d’intervention dont se dote
une classe dominante pour défendre ses intérêts économiques ;
cherchez l’intérêt économique, et vous trouverez l’explication
du comportement politique.
C’est la tête
américaine qui dirige la queue israélienne du dragon
impérialiste.
(1)
Zourosh Ziabari. « Israël est la
menace la plus immédiate au futur de notre planète. »
Le Grand Soir. 28.10.2010.
http://www.legrandsoir.info/Israel-est-la-menace-la-plus-immediate-au-futur-de-notre-planete-Dissident-Voice.html
(2) (2009)
http://fr.wikipedia.org/wiki/Isra%C3%ABl
(3) (2009)
http://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89tats-Unis
(4)
http://www.europalestine.com/article.php3?id_article=2041
(5)
http://documentaire-streaming.net/video2192_amerique-lobby-pro-israelien.html
(6) Jimmy Carter. « Palestine,
la paix pas l’apartheid ». Éditions
l’Archipel. Paris. 2007.
Publié sur le site de Robert Bibeau
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