Blog René Naba
L'expédition
de Suez ou le glas de l'ère coloniale
René Naba
28 octobre 2007
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Paris, 26 oct 1986
AFP : Par René Naba
Paris, 26 oct 1986 (AFP) – L’expédition
franco-britannique de Suez, il y a 30 ans, a sonné le glas de
l’ère coloniale et mis fin dans cette région aux ambitions des
grandes puissances qu’étaient la France et la Grande-Bretagne,
véritable tuteurs du Moyen Orient pendant un demi siècle.
Pour les historiens, cette expédition de par ses retombées
militaires et diplomatiques a également permis aux Etats-Unis et
à l’Union soviétique de faire leur entrée sur la scène
proche-orientale.
Conçue en riposte à la nationalisation du Canal de Suez par
Nasser, l’expédition a été l’œuvre de trois hommes, tous
trois chefs de gouvernement, mus par des considérations différentes:
le socialiste français Guy Mollet qui se déclarait «hanté par
le spectre de Munich et le défaitisme européen » mais qui
cherchait en fait à couper la rébellion algérienne de sa
principale base d’appui dans le Monde arabe, le conservateur
britannique Anthony Eden, pressé par son ami le premier ministre
de la Monarchie irakienne Noury Said d’en découdre avec Nasser,
nouveau chef de file du nationalisme arabe militant, ainsi que
l’israélien David Ben Gourion, soucieux de prévenir l’édification
d’une force militaire du plus grand Etat arabe, l’Egypte.
L’opération commence le 29 octobre 1956, alors que le monde
entier a les yeux braqués sur les insurgés de Budapest. L’armée
israélienne franchit le désert du Sinaï et parvient sur les
rives du Canal de Suez. Cette première opération fait partie
d’un plan secret anglo-franco-israélien visant à reprendre le
contrôle de la voie d’eau qui symbolise, aux yeux des Arabes,
le colonialisme. Construit par le Français Ferdinand de Lesseps,
le canal qui assure la jonction du vieux continent au sous
continent indien est administré par un consortium dominé par les
Britanniques.
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L’expédition...
Paris – Paris et Londres, en application de
l’accord de Sèvres, lancent un «ultimatum» aux Egyptiens et
aux Israéliens. Ils exigent un cessez-le-feu et «demandent» aux
seuls Egyptiens de «permettre» l’occupation de Port Said,
Ismailia et Suez, les points-clé du canal, par les troupes
franco-britanniques.
Nasser refuse. Le 5 novembre, au lendemain du retour à
Budapest des chars soviétiques, Français et Britanniques débarquent.
Ils occupent Port Said et se préparent à descendre le long du
canal quand Moscou et Washington ordonnent un cessez- le-feu.
Celui-ci devient effectif le 7 Novembre.
Si l’opération a été une réussite sur le plan militaire,
elle a constitué par ses conséquences diplomatiques un désastre
tant pour les Fraçais que pour les Anglais, à l’aube de la décolonisation
et de la montée en puissance du tiers-monde.
Nasser coule des bateaux dans le canal pour y entraver la
navigation, obligeant les pétroliers, qui ravitaillent l’Europe
à partir du Golfe, à faire le long détour du cap de Bonne espérance
(Afrique du sud). C’est la première utilisation de l’arme du
pétrole au lendemain de la première nationalisation réussie par
un pays du Tiers monde. L’Europe connaît ses premières pénuries
d’or noir. Pour faire face au coût supplémentaire du transport
du brut, la France instaure la vignette auto.
Le Commonwealth, sous la conduite du bouillant ministre indien
de la Défense Krishna Mennon, est au bord de l’éclatement,
tiraillé entre la solidarité du premier ministre indien Nehru
avec Nasser et la «haine viscérale» du premier ministre
britannique à l’égard du «Raïs» égyptien, selon
l’expression de Robert Rhodes James, biographe d’Eden.
Le Monde arabe, à l’exception du Liban, rompt ses relations
diplomatiques avec Londres et Paris. L’onde de choc de cette
affaire qui a déclenché une virulente poussée anti-occidentale,
se répercutera deux ans plus tard sur l’ensemble du
Moyen-orient.
L’Egypte et la Syrie fusionneront en un seul Etat, en Février
1958, et forment la «République arabe unie, la Monarchie
irakienne chutera cinq mois plus tard, en juillet 1958, conduisant
les parachutistes britanniques à intervenir en Jordanie pour
sauver le Trône vacillant du Roi Hussein, alors que, parallèlement,
les Marines américains débarquaient à Beyrouth pour soutenir le
président Camille Chamoun dont le pays est ravagé par la première
Guerre civile.
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L’expédition...
Paris – Trente ans après cette expédition,
plusieurs questions restent sans réponse et notamment la question
de savoir quel fut l’élément déterminant dans
l’instauration du cessez-le-feu du 7 Novembre: les menaces soviétiques
d’employer l’arme atomique ou les pressions américaines ?
Pour Robert Rhodes James, il n’y a aucun doute: c’était le
refus américain d’intervenir pour soutenir la Livre sterling
qui a semé une «quasi-panique» à la City de Londres.
Pour d’autres, il s’agissait de l’irritation du Président
Dwight Eisenhower devant l’incartade de ses alliés qui a terni
sa réélection triomphale. Pour les Arabes, la menace du Kremlin
a été déterminante.
Le retrait franco-britannique de Suez a fait de Nasser le
champion de la Cause arabe, et dans l’imaginaire des peuples
colonisés, un héros à l’égal de Mao Zedong, Nehru et Tito.
Israël, après ce coup d’épée dans l’eau, apprît à connaître
sa marge d’autonomie face aux Etats-Unis.
Quant aux populations arabes, elles vécurent cette «agression
tripartite» comme une illustration de la «collusion entre Israël
et les puissances occidentales». Pendant une décennie, l’épisode
de Suez va donner un élan aux «Guerres de Libération Nationale
dans le Tiers-Monde.
Epilogue
Cinquante ans plus tard, en juillet 2006, Israël soutenu cette
fois par les Etats-Unis, la nouvelle puissance occidentale
dominante de la zone, déclenche sa guerre de destruction contre
le Liban, en représailles à la capture de deux de ses soldats
par le mouvement chiite libanais «Hezbollah».
Suez s’est conçue comme une «expédition punitive» à
l’encontre de Nasser, le nouvel «Hitler contemporain », selon
l’expression des commentateurs politiques de l’époque. La
guerre du Liban, en 2006, visait à imposer des «mesures
coercitives» contre le Hezbollah, selon l’expression du président
français de l’époque Jacques Chirac.
Cinquante après, les réflexes coloniaux demeurent tenaces
dans les pays occidentaux à l’égard de toute velléité indépendantiste
des pays arabes, de surcroît avec la même constance:
l’alliance d’Israël avec la principale puissance occidentale
du moment et le même revers militaire dans la satisfaction des
objectifs stratégiques du camp occidental.
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Publié le 29 octobre 2007 avec l'aimable autorisation de René
Naba
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