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Blog René Naba
Liban:
La spirale des otages
René Naba
Al-Moharrer N°8 / 24 avril 1995
A Michel Seurat et à tous les suppliciés du Monde
arabe, cette spirale des otages publiée à l’occasion du 7eme
anniversaire de la Libération des otages français du Liban, en
Mai 1988, dans l’intervalle des deux tours de l’élection présidentielle
française.
Lorsque en ce premier jour du printemps de 1985, Marcel Carton
et Marcel Fontaine sont enlevés à Beyrouth, nul ne pouvait prévoir
que cette prise d’otages allait provoquer le plus formidable
imbroglio diplomatico-médiatique de l’histoire récente de la
France, tétaniser sa politique au Moyen orient, et, en devenant
un enjeu politique, mettre à nu les rivalités interrégionales
et inter-françaises.
1-Message codé sans ambiguïté
Au départ, l’enlèvement des deux diplomates français, le
22 mars 1985, dans le secteur musulman de la capitale libanaise,
pouvait donner à croire qu’il s’agissait d’un évènement
fortuit, d’une opération crapuleuse, semblable à tant
d’autres dont Beyrouth, livrée à l’anarchie et à la lutte
de factions, était quotidiennement le théâtre.
Rétrospectivement, le choix de deux ressortissants français
représentant leur gouvernement se révèlera être une action délibérée,
qui, au fil des jours, va s’institutionnaliser pour être érigée
en politique systématique visant à faire fléchir la position de
paris sur la guerre du Liban et le conflit irako-iranien.
Qu’on en juge par le simple effet de la chronologie: Marcel
Carton et Marcel Fontaine ont été enlevés le 22 mars, cinq
jours après le journaliste américain Terry Anderson, lui-même
enlevé un an jour pour jour après la disparition de William
Buckley (16 mars 1984). Officiellement diplomate américain à
Beyrouth, Buckley passe pour avoir été un des animateurs de
l’antenne de la CIA au Moyen orient. Il est mort en 1985 après
avoir, semble-t-il, fourni des précieuses indications à ses
tortionnaires. Chronologiquement aussi, la prise d’otages
occidentaux est entrée en pratique après les attentats contre
les quartiers généraux français et américains à Beyrouth
(octobre 1983) et contre les ambassades de France et des
Etats-Unis au Koweït en Décembre de la même année.
Ce message codé ne souffrait aucune ambiguïté: Les
Etats-Unis et la France, dont les présidents respectifs Ronald
Reagan et François Mitterrand, passaient pour être les plus
pro-israéliens des chefs d’état occidentaux de l’époque
contemporaine, étaient désignés à la vindicte publique pour
leur soutien, d’une part, au Président Amine Gemayel, représentant
de la prépondérance chrétienne sur le Liban, et, d’autre
part, au Président irakien Saddam Hussein, l’agresseur de
l’Iran.
Les chancelleries occidentales mettront pourtant du temps,
sinon à le décrypter, du moins à en mesurer la portée, ainsi
que la détermination de ses signataires: le noyau dur du Monde
arabo-islamique, l’Iran, dans une moindre mesure, la Syrie, et
les groupuscules qui gravitent autour d’eux, recrutés au sein
des orphelins de la cause palestinienne reconvertis dans la lutte
anti-occidentale.
L’affaire se complique le lendemain avec l’enlèvement de
Sydney Peyrolles, attaché culturel français à Tripoli
(Nord-Liban) et fils de l’écrivain Gilles Perrault qui sera relâché
huit jours plus tard grâce à l’intervention des algériens et
du FPLP (Front pour la Libération de la Palestine), une
organisation marxisante dirigée par Georges Habache.
2- L’engrenage
C’est l’engrenage, l’imbrication des conflits de
puissance proprement dits aux revendications sectorielles. En
contrepartie de leurs bons offices, algériens et palestiniens réclament
la libération de Georges Ibrahim Abdallah, alias Abdel Kader
al-Saadi, dont l’identité résume à elle seule toute la
complicité de la situation. Libanais chrétien, ancien militant
pro-palestinien, porteur au moment de son arrestation d’un
passeport algérien, il est considéré comme la tête pensante
d’un groupuscule «Les Fractions Armées révolutionnaires
Libanaises (FARL)», qui a revendiqué l’assassinat à Paris, en
1982, de l’attaché militaire américain, le lieutenant colonel
Chapman, et, d’un diplomate israélien Barsimentov.
Des promesses seront faites en ce sens par le gouvernement
socialiste. Mais les pressions conjuguées des Etats-Unis et
d’Israël, ainsi que la guerre des services en France auront
raison de cet arrangement. Ils enrayeront durablement le processus
mis en marche.
C’est l’escalade. Deux mois jour pour jour après l’enlèvement
de Carton et Fontaine, c’est au tour du sociologue Michel Seurat
et du journaliste Jean Paul Kauffmann de «passer à travers le
miroir», le 22 Mai. C’est l’époque de la «guerre des camps»
à Beyrouth entre Palestiniens et miliciens chiites libanais
prosyriens.
La confusion atteint son comble en juin avec le détournement
d’un Boeing de la TWA sur l’aéroport de Beyrouth. L’on
assiste alors à un spectacle surréaliste: dans un aéroport
international, tenu, cas rarissime, par des miliciens, des frères
d’armes chiites négocient entre eux la libération d’otages,
sous le regard reconnaissant des gouvernements de la planète et
l’effet amplificateur des médias, qui font ici leur entrée en
scène pour devenir une donnée permanente du problème.
3-les Médias, donnée permanente du problème.
Par solidarité professionnelle, la photo des quatre otages
français apparaît désormais quotidiennement en tête des
bulletins d’information d’une chaîne de télévision française
(Antenne 2), mais l’inévitable médiatisation de l’affaire
des otages entraîne une surenchère qui se traduit par de
nouvelles revendications politiques: la libération de mille
quatre cents (1.400) prisonniers Palestiniens et Libanais de la
prison israélienne d’Atlit est réclamée.
Utilisant à merveille les médias, se jouant des hésitations
du gouvernement français et des contradictions intérieures, les
ravisseurs --le Jihad islamique--, celui-là même qui avait
dynamité le Drakkar à Beyrouth faisant 59 morts français,
entretiennent le flou sur leurs intentions. Les passagers de la
TWA (Trans World Airlines) sont libérés en échange de ceux
d’Atlit, mais, contre toute attente, le sort des quatre otages
français est dissocié.
En catimini, on parle de nouvelles exigences, la libération
d’Anis Naccache, autre hôte encombrant de la France, incarcéré,
pour avoir, dit-on, avec la bénédiction de l’Ayatollah, tenté
d’assassiner Chapour Bakhtiar, le dernier premier ministre du
Chah, ainsi que la libération de dix sept prisonniers au Koweït
impliqués dans des attentats, dont l’un est apparenté à
l’un des ravisseurs, Imad Moughnieh.
En Août, on baigne de nouveau dans le surréalisme. Michel
Seurat, celui à qui rien ne devait arriver dans cet Orient
qu’il croyait ami, est autorisé à rendre visite à sa famille
à l’occasion du premier anniversaire de sa fille cadette. Un
spectacle ahurissant: Un otage en visite chez lui avec ses
geoliers crédités d’intentions humanitaires, se déplaçant en
toute liberté, en toute impunité. Mary Seurat reprochera amèrement
par la suite aux autorités françaises leur «passivité» durant
cet épisode, mais Paris rétorquera qu’il fallait aussi tenir
compte des trois autres otages demeurés captifs.
Indice du désarroi des autorités françaises en cette période
de torpeur estivale, un français d’origine libanaise, le médecin
membre d’une formation de l’opposition (RPR), Razah Raad, sous
le regard médusé des observateurs, surgit sur scène, fait un
petit tour et s’en va, après avoir suscité de faux espoirs à
des épouses éprouvées par la captivité de leurs maris. Il récidivera
en Novembre, mais entre temps une information judicieusement filtrée
révèle à l’opinion française que Georges Ibrahim Abdallah
n’était pas suspecté mais bel et bien impliqué dans des
attentats du FARL en France. Ce scoop journalistique, s’il fait
capoter la sortie du célèbre prisonnier de Clairvaux, est
surtout révélateur de la lutte d’influence que se livrent les
divers services français et de la nervosité qui gagne les
formations politiques à quelques mois d’une échéance électorale
capitale pour les socialistes, les élections législatives de
Mars 1986, qu’il perdent d’ailleurs.
En Janvier 1986, un frémissement s’empare de la classe
politique française avec des rumeurs persistantes sur la libération
des otages via la Syrie. L’affaire tourne court in extremis.
4- L’Iran, porte étendard de l’Islam militant.
L’Iran, qui se pose en porte étendard de l’Islam militant,
prend ombrage de l’intermédiaire syrien et veut empocher seul
les bénéfices de l’opération. C’est l’explication
politique. En fait, on le saura beaucoup plus tard, de mystérieux
émissaires feront miroiter aux Iraniens la possibilité de
meilleurs arrangements avec l’opposition d’alors donnée
vainqueur sans surprise des élections législatives de Mars 1986.
Dans une tentative d’intimidation du gouvernement français,
et voulant sans doute peser sur l’opinion publique, une vague
d’attentats, la première du genre, secoue Paris en Février,
revendiquée par le «Comité pour la Libération des Prisonniers
Politiques Arabes (CSPPA)», collectif qui réclame la libération
des prisonniers déjà cités, Georges Ibrahim Abdallah, Anis
Naccache, avec en plus celle d’un Arménien, Varouj Garabedjian,
militant de l’Armée secrète Arménienne pour la Libération de
l’Arménie (ASALA), incarcéré pour des attentats anti-turcs en
France.
Un faux pas, un pas de clerc du ministère de l’Intérieur
-l’expulsion de deux opposants irakiens dans leur pays
d’origine- place le gouvernement socialiste sur la défensive.
C’est l’affolement. Dans le désordre et la précipitation,
Paris se livre à un ballet diplomatique au Moyen-Orient avec
l’envoi d’émissaires à Beyrouth, Damas et Téhéran en
mobilisant même un homme d’affaires syrien, Omarane Adham, mais
les ravisseurs et leur parrain iranien, confortés par leur
nouvelle victoire psychologique, augmentent la mise. Une équipe
entière d’Antenne 2 (Philippe Rochot, Jean Louis Normandin,
Georges Hansen et Aurel Cornéa) est enlevée, doublant ainsi le
nombre des otages français au Liban. Le tout s’accompagnant de
l’annonce de «l’éxecution» de Michel Seurat, le plus en vue
de la jeune génération française d’arabisants.
5- La prise d’otages, industrie florissante.
La prise d’otages à Beyrouth devient une industrie
florissante. On dénombrera pas moins de six organisations
clandestines se livrant à une telle activité capitalisant, à
titre de «trésor de guerre», une trentaine d’otages de sept
nationalités différentes. Monnaie d’échange pratique, ils
sont aussi un bouclier protecteur contre une éventuelle action de
représailles des pays occidentaux ou même la Syrie qui pâtit de
cette atteinte à sa souveraineté dans sa zone d’influence.
Dans le camp occidental et s’est d’ailleurs le branle-bas.
En Avril, le président Ronald Reagan bombarde la Libye, le
maillon faible de la chaîne des états radicaux du Moyen-orient,
mais, dans le même temps, l’Irangate le révèlera plus tard,
courtise l’Iran, le plus intransigeant.
L’opinion européenne et spécialement française applaudit
à tout rompre, mais le nouveau premier ministre français Jacques
Chirac, l’artisan de l’alliance avec l’Irak, amorce
ouvertement une politique de normalisation avec Téhéran. En six
mois, cinq otages français se retrouveront en liberté, avec la
bienveillance obligée de la Syrie, mise, elle aussi à l’index
par la CEE, pour son implication dans l’affaire Hindawi, la
tentative de sabotage d’un avion d’El AL à Londres.
En contrepartie, Trois cent trente millions (330) de dollars
sont débloqués par la France à l’Iran, à titre d’acompte
au règlement du contentieux financier Eurodif d’un montant de
deux milliards de dollars (prêt d’un milliard de dollars et intérêts
composés). Le plus actif des mouvements d’opposition iranien
-les Moujahidine Khalq (les combattants du peuple)- est muselé en
France, son chef Massoud Radjavi, contraint à l’exil en Irak,
le pays qui fait la guerre à son propre pays.
6- Embellie de courte durée
L’embellie sera de courte durée. La normalisation
franco-iranienne bute sur deux épineux problèmes : la libération
des prisonniers politiques et l’aide militaire de Paris à
Bagdad, qui s’est élevée à dix milliards de dollars en cinq
ans, faisant de la France, aux yeux de Téhéran, un cobelligérant.
Pour l’Iran, qui avait reçu auparavant, par des voies détournées,
des armes françaises notamment des obus, la France doit fournir
ouvertement aux deux belligérants ou cesser complètement ses
livraisons. Une demande jugée exorbitante par Paris, soucieuse de
ménager les pétromonarchies du Golfe fragilisées par la
prolongation du conflit et ses débordements de type intégriste.
En cette phase de cohabitation en France, un facteur interne de
blocage s’y glisse: les divergences entre le Gaulliste Jacques
Chirac et le socialiste François Mitterrand. Le président,
hostile à une négociation en rondelles qui prêterait, selon
lui, le flanc aux surenchères, n’envisage d’user de son Droit
de Grâce, qu’à titre de quitus, de «solde de tout compte»,
c'est-à-dire la libération de tous les otages français en échange
de celle d’Anis Naccache.
L’impasse de traduit, en septembre 1986, par une nouvelle
vague d’attentats à Paris, puis dégénère, en Juillet 1987,
avec la «Guerre des Ambassades» et la rupture des relations
diplomatiques entre Paris et Téhéran. La tension se double
d’une crise internationale avec l’envoi de la flotte française
dans le Golfe.
La diplomatie secrète reprend ses droits. Par une filière
d’une combinaison étonnante, alliant un corse Jean Louis
Marchiani et d’intermédiaires libanais (Najib Zafer, Alexandre
Safa), M. Chirac qui avait proclamé haut et fort qu’il n’y
aura plus d’«émissaires passe-muraille», réussit à obtenir,
en Novembre 1987, la libération de deux otages français Jean
Louis Normandin et Roger Auque.
L’arrangement est rocambolesque. Le vice-consul français
Paul Torry, retenu à Téhéran, est échangé à Karachi, au
Pakistan, contre Vahid Gorji, interprète officiel de
l’ambassade iranienne à Paris, dont la justice française réclamait
l’audition dans l’affaire des attentats de Paris. Un nouvel
acompte de trois cents (300) millions de dollars est débloqué
pour l’Iran.
7-Amateurisme des années 1970, professionnalisme des
années 1980
Dans les années 1970, en pleine ébullition révolutionnaire,
l’amateurisme était de mise et les choses plus expéditives.
Trois ambassadeurs américains en poste au Moyen-orient (Liban,
Chypre, Soudan) ont payé de leur vie le mécontentement que
suscitait la politique de Washington. Une émotion, vive mais de
courte durée, s’emparait des chancelleries.
La prise d’otages, inaugurée en 1979-1980 à Téhéran par
l’Iran Khomeiniste contre l’ambassade des Etats-Unis, a
introduit une plus grande flexibilité et une dimension nouvelle
dans le jeu politique. Facile, pas cher, cela peut rapporter gros,
longtemps, très longtemps, tout en paralysant l’adversaire.
Avec en filigrane, pour enjeu, la redéfinition de la carte
politique du Moyen orient à l’horizon de l’an 2000.
Transposée en 1984, au Liban, la pratique de la prise
d’otages a duré huit ans. Elle a cessé en 1992 après la
guerre du golfe, marquée par l’anéantissement de l’Irak, qui
y a eu recours aussi en se servant des expatriés occidentaux
comme «boucliers humains» dans des sites névralgiques, durant
la phase politique du conflit.
Huit ans pour y mettre fin…après une impressionnante démonstration
de force contre l’Irak, la mise en quarantaine de la Libye, la
mise à l’index de l’Iran et le démantèlement de l’Empire
soviétique, l’ alliée des bureaucraties militaires arabes
(Libye, Syrie, Irak etc). La pratique est tombée en désuétude
durant la dernière décennie du XX me siècle.
A l’ombre du nouvel ordre mondial, les choses sont désormais
plus expéditives. Vingt six Français ont déjà été tués en
Algérie depuis le début des émeutes, il y a cinq ans. Foin
d’arguties. Nul ne s’en encombre, ni de scrupules, ni d’indésirables.
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Publié le 29 janvier 2008 avec l'aimable autorisation de René
Naba
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