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Jordanie / Maroc: Deux
voltigeurs de pointe de la diplomatie occidentale. Additif
Jordanie et Maroc
Additif
René Naba
Paris, 20 décembre 2009 Le mandat d’arrêt lancé le 14 décembre
2009 par la justice britannique à l’encontre de Mme Tzipi Livni
pour sa responsabilité dans la guerre de destruction israélienne
de Gaza a retenti comme un désaveu du Maroc pour l’accueil que
le Royaume avait réservé en novembre à l’ancien ministre
israélien des affaires étrangères, un camouflet d’autant plus
cinglant que le souverain chérifien, le Roi Mohamad VI préside
le comité «Al Qods», le comité chargé de préserver les Lieux
saints musulmans de Jérusalem, une ville en voie de judaïsation
rampante et quasiment annexée par Israël.
Le laxisme traditionnel marocain à l’égard d’Israël, à contre
courant de la position officielle arabe, est généralement
expliqué par les rapports historiques qu’entretient la dynastie
alaouite avec le judaïsme marocain.
En complément au dossier «Jordanie et Maroc, les voltigeurs de
pointe de la diplomatie occidentale» dans la sphère arabe
www.renenaba.com publie, en additif, au titre d’annexe
documentaire, des extraits d’une étude de M. Abraham Sarfaty sur
la problématique du judaïsme marocain et son rapport au
sionisme. Une étude parue dans la Revue Souffles numéro spécial
15, 3e trimestre 1969 et toujours d’actualité.
La revue Souffles «Anfas» en arabe est née en 1966 au Maroc
de la rencontre de quelques poètes qui sentaient l’urgence d’une
tribune et d’un renouveau poétique et politique.
Mais, très vite, elle cristallisa autour d’elle toutes les
énergies créatrices marocaines: peintres, cinéastes, hommes de
théâtre, chercheurs, penseurs hommes de théâtre, pour finir par
devenir un carrefour de création et de réflexion pour les
nouvelles générations marocaines avides de libérer leur pays, de
lui restituer une identité, de lui offrir un futur. Souffles a
été lue à travers tout le Tiers Monde.
Tout au long de son existence, elle s’est également ouverte
aux cultures des autres pays du Maghreb et de ceux du Tiers
Monde. Interdite en 1972, Souffles est restée longtemps
introuvable. Trop peu de bibliothèques peuvent la proposer à
leurs lecteurs ou aux chercheurs, que ce soit au Maghreb, en
France ou ailleurs. Et pourtant cette revue est incontournable
pour qui veut travailler sur la littérature maghrébine, sur les
problèmes de la culture nationale et de la décolonisation
culturelle.
Pour en savoir plus, consulter le site du poète Abel Latif
Laabi, ancien compagnon de détention de l’ingénieur
http://www.laabi.net
Abdel Latif Laabi
Né en 1942 à Fès, la capital spirituelle et culturelle du
Maroc, Abdelatif Laabi, prix Goncourt de la Poésie 2009,
compagnon de détention de Abraham Sarfaty, est un des cou
fondateurs de la Revue Souffles.
Après des études à l’université, à Rabat, à la section des
lettres françaises, il participe en 1963, à la création du
Théâtre universitaire marocain et enseigne alors le français
dans un lycée de Rabat.
En 1966, débute la revue Souffles où collaborent plusieurs
intellectuels marocains de gauche et notamment Tahar Ben
Jelloun, Mohammed Khaïr-Eddine et Moustafa Nissaboury.
Cette revue, qui comptera vingt-deux numéros en français et huit
en arabe sous le nom d’Anfas, a eu une grande influence sur la
formation de l’intelligentsia marocaine de gauche.
Abdel Latif Laabi est titulaire des insignes de Docteur honoris
causa de l’Université Rennes 2 Haute Bretagne.(30 novembre 2007)
Abraham Sarfaty, la problématique du judaïsme
marocain et le sionisme
Né à Casablanca (Maroc), en1926, Abraham Sarfaty, issu d’une
famille juive de Tanger, est un indépendantiste marocain qui
s’illustra par son double emprisonnement tant sous le
protectorat français que sous le règne du roi Hassan II et son
témoignage sur ce qu’il y a vécu.
Militant communiste marocain dès 1944, il s’engage ardemment
pour l’indépendance de son pays, ce qui lui vaut d’être
emprisonné en 1950, et placé en résidence surveillée en 1956.
Ingénieur des mines de formation, il participe ensuite à la mise
en place des institutions de l’État marocain, à des postes plus
techniques que politiques, dont celle de l’enseignement à
l’École Mohammadia d’Ingénieurs. En 1970, il rompt avec un parti
communiste marocain qu’il juge sclérosé et fonde l’organisation
d’extrême gauche Ila A Amame (en avant) (actuelle La Voie
démocratique, An-nahj Ad-dimoukrati).
Arrêté et torturé par le régime de Hassan II en 1972, il entre
ensuite dans la clandestinité. Sa nouvelle arrestation en 1974,
durera jusqu’en septembre 1991, date à laquelle Sarfaty est
privé de sa nationalité marocaine en raison de sa position à
l’égard de la « marocanité » du Sahara. En soutenant
l’autodétermination du peuple sahraoui, il a été expulsé du
territoire marocain après avoir purgé dix-sept ans de prison
ferme. En septembre 1999, il est autorisé par le nouveau roi
Mohamad VI à rentrer au Maroc et sa nationalité marocaine
reconnue officiellement.
Abraham Sarfaty tout comme le mathématicien Sion Assidon ou Ilan
Halévy, représentant de l’OLP auprès de l’Internationale
socialiste, sont des Juifs séfarades qui ne se reconnaissent pas
dans le sionisme, comme par le passé le communiste égyptien
Henri Curien, ou plus récemment comme les membres de l’Union
Juive française pour la paix.
Pages: 24-37
On me dira, on m’a dit, pourquoi, aujourd’hui, se préoccuper
encore du judaïsme marocain? Laissons se réduire à sa plus
simple expression, par les départs, cette communauté, les
quelques irréductibles (a) ne poseront alors plus de problème.
En fait, cette étude vise le judaïsme marocain dans son entier,
celui qui subsiste ici, celui qui, est dispersé et déraciné en
Occident, celui qui s’est trouvé transplanté dans un Etat dont
le nom était si chargé de symbole pour tout juif et qui y
découvre, actuellement, que sous ce nom se cache une entreprise
de prolétarisation, d’anéantissement culturel et une aventure
militariste et raciste
Cette entreprise qui a ainsi mystifié le judaïsme marocain, dans
le cadre d’une mystification générale du judaïsme, a couronné
l’oeuvre coloniale de déracinement commencée il y a un siècle.
A travers la synthèse de ce processus, nous voulons faire
partager notre conviction, qui n’a été que renforcée par l’étude
des documents tant du passé que du présent, que la prise de
conscience de cette mystification est inéluctable, que le
judaïsme dans le monde arabe, prisonnier du sionisme, prendra
conscience de sa solidarité profonde avec la révolution arabe et
contribuera ainsi à faire éclater la dernière entreprise
historique du capitalisme à enfermer les juifs dans un ghetto,
et quel ghetto… à l’échelle mondiale
Pour contribuer à cette prise de conscience, la recherche
rigoureuse de la vérité est indispensable. L’auteur de ces
lignes ne prétend pas y être plus apte que d’autres. Mais
l’appui sur les critères et les principes du socialisme
scientifique peut permettre d’échapper, autant que faire se
peut, au subjectivisme. Ce qui ne veut pas dire que cette
démarche ne doive pas tenir compte, au contraire, des facteurs
super structurels, de culture, d’idéologie, de religion. Mais
l’histoire même du sionisme montre, par ses impasses qui se
dessinent et se développent, que l’on ne peut isoler et déformer
indéfiniment ces facteurs
Par ailleurs, nous nous efforcerons, dans cette étude, de citer
le moins de noms possible. Non que l’Histoire n’ait un jour à
régler ses comptes avec certains. L’heure en sonnera lorsque les
chemins d’une nouvelle symbiose judéo arabe seront retrouvés.
Mais nous n’hésiterons pas à fustiger ceux qui continuent
aujourd’hui, y compris au sein de l’Etat sioniste, leur travail
de mensonge.
Pour accélérer cette prise de conscience, le mouvement national
doit, en ce qui le concerne, critiquer ses propres démarches de
nationalisme bourgeois plus ou moins tenté d’interpréter le
sionisme comme un phénomène isolé et lié aux seuls facteurs
religieux. Dans le monde arabe, El Fath a montré la voie, et dès
avant juin 1967.
Saluons le fait, lourd de conséquences pour l’avenir, que les
hommes politiques qui furent longtemps seuls, ici, à se placer
sur ce terrain soient maintenant rejoints par l’ensemble des
organisations nationales. Il reste à en faire une réalité dans
la vie quotidienne, à retrouver ainsi et à reconstruire la
réalité nationale.
I – LE JUDAISME MAROCAIN AVANT SON DERACINEMENT
Précisons. Le déracinement n’est pas daté. C’est un
processus. Aujourd’hui, ce qui subsiste du judaïsme marocain,
ici, vit replié sur lui-même, de plus en plus concentré sur
Casablanca, ville typique du déracinement. Mais l’époque de
communautés florissantes et vivantes est encore toute récente.
Les fêtes des mellahs de Fès, de Sefrou, de Salé, et bien
d’autres, la symbiose des communautés de l’Atlas et du Sud,
éclataient encore il y a dix ans. Malgré un siècle d’effort
colonial relayé et développé par le sionisme!
Sur ce passé, tout a été dit, et pourtant, tout reste à dire.
Les observateurs sont tous partis de la référence occidentale.
Colonisateurs ou sionistes, pour déformer, le plus souvent
sciemment, ce passé. Patriotes ou simplement observateurs plus
objectifs, pour le situer dans une impasse historique, présenté,
certes, comme un «âge d’or», mais sans raccord, autre que
sentimental, avec l’avenir. Seule la remise en cause de la
référence occidentale et l’élaboration d’une perspective
d’avenir spécifique, dont l’entreprise prend corps dans le monde
arabe depuis juin 1967, permettent de resituer ce passé, de le
vivifier et le raccorder à l’avenir.
Ceci étant, il faut tout de même balayer le mensonge colonial et
sioniste, et avec lui, les menteurs André Chouraqui, qui fut
secrétaire général de l’Alliance israélite Universelle, consacra
plusieurs ouvrages au judaïsme nord-africain et marocain. Sous
couvert de l’objectivité juridique, l’un de ses ouvrages
permettait au journal sioniste «Noar», qui empoisonna la
jeunesse juive marocaine de 1945 à 1952, de proclamer en janvier
1951, que, grâce à la France, «le juif a été libéré de
l’arbitraire sans limite qui le maintenait livré au bon plaisir
de ses maîtres.»
Que pensent, non pas M. Chouraqui qui se trouve bien placé dans
l’Etat sioniste, mais ceux qu’il a contribué à tromper, s’ils se
souviennent d’une conférence du Vice-président de l’Alliance, en
1947, déclarant que si celle-ci désirait un foyer juif pour les
survivants du nazisme, elle «se pose également la question de
savoir quel sera l’avenir de la Palestine. Elle ne saurait
répondre de manière certaine, mais sa conviction est que cela
«s’arrangera». Car, soulignait l’orateur, «le contraire serait
une véritable catastrophe» (Noar, n° 9, mai 1947).
Revenons à cet «arbitraire». Curieux arbitraire qui permettait à
des communautés isolées dans les montagnes et dans le Sud de se
perpétuer au cours des siècles, intactes, avec leurs coutumes,
leurs biens et leurs droits.
La symbiose judéo arabe n’a pas été seulement celle d’une
éclatante civilisation, de cette civilisation qui a fait écrire
à un auteur juif contemporain: «L’Islam est fait de la chair et
des os du judaïsme. Il est pour ainsi dire une refonte et un
élargissement de celui-ci, exactement comme la langue arabe est
très étroitement apparentée à la langue hébraïque.
Le judaïsme a pu par conséquent puiser dans cette civilisation
ambiante, et en même temps préserver son indépendance et son
intégrité beaucoup plus facilement que dans la société
hellénistique d’Alexandrie ou dans le monde moderne. …Jamais le
judaïsme ne s’est trouvé dans des relations si étroites et dans
un état de symbiose si fécond que dans la civilisation médiévale
de l’Islam arabe». (1)
Si la culture judéo arabe connut le recul de tout le monde arabe
encerclé par l’expansion du capitalisme, la vie quotidienne des
communautés poursuivait cette symbiose.
Là, il faut éclairer le statut de «dhimmi», de protégé. Deux
communautés coexistaient, toutes deux basées sur une conception
totale de l’homme, totalement inséré dans sa communauté. Les
structures mises au point organisaient cette coexistence, dans
le respect mutuel, avec toutefois et effectivement, une
différence: la communauté dominante, la musulmane, avait la
responsabilité de l’Etat, ou de la tribu, sur le plan politique
et militaire, cette responsabilité incluant le respect de la
communauté minoritaire. Bien sûr, la reconstruction de la
symbiose judéo arabe devra bannir toute discrimination de toute
sorte, y compris politique. Mais nullement dans la conception
mécaniste d’une laïcité stérilisée à l’occidentale. Palestine
laïque, rejetant l’Occident pour participer à la construction du
monde arabe, n’a de sens et de perspective que dans la
conception de «l’Etat démocratique» dont parlait Marx dans sa
«Question juive» et non de «l’Etat politique» de la démocratie
bourgeoise. (b)
Par rapport à la réalité historique dont nous avons situé le
schéma, les historiens de la colonisation ou de l’assimilation
coloniale, des idéologues du Contrôle Civil (c) à ceux qu’un
fils de la grande colonisation appelait, avec ce mépris raciste
caractéristique, des «éléments avancés, ambitieux et
inquiétants» (3) de la communauté juive, ont recherché les
textes à l’appui de leurs thèses coloniales et isolé les excès,
dus à tel aventurier local, ou à tel souverain assoiffé de
violence, en oubliant, comme cet ouvrage d’un ancien Président
de la Communauté Israélite de Casablanca, (4) que ces excès
s’étendaient aussi aux musulmans, en oubliant que le peuple
musulman lui-même réprouvait ces excès. (d)
Mais comment prouver que telle thèse est plus vraie que l’autre?
En opposant des textes à d’autres textes, des faits
nécessairement isolés par le processus même de la recherche
historique à d’autres faits isolés? Non pas;
Les juifs marocains qui ont vécu cette symbiose, leurs enfants
que l’organisation sioniste a pu, culturellement et
idéologiquement, isoler de la nation, pourront, les yeux
décillés par la réalité du sionisme, refaire surgir les faits
concrets, la vie quotidienne dominante, l’amitié profonde. Aux
personnes de bonne foi qui n’ont pas vécu cette amitié, nous
demanderons de réfléchir sur la signification de quelques
données concrètes:
Les sources du statut de «dhimmi», beaucoup plus que par les
textes juridiques, sont éclairées par l’analyse de la réalité
concrète, avant qu’elle ne soit déformée par les structures
capitalistiques et par la colonisation, ou détruite par le
sionisme. Tel était le cas des communautés rurales, où vivait
environ 25% du judaïsme marocain, dispersées dans les régions
montagneuses du Sud, le Haut Atlas, et les plateaux
présahariens.
Dans ces douars, les relations entre juifs et musulmans
s’étaient développées sans entrave extérieure, dans le cadre
culturel de ces communautés rurales. L’une des rares études sur
cette réalité porte sur le droit coutumier des tribus du
Tafilalet.
Elle montre que, si chaque juif de ces vieilles communautés
paysannes recherchait, non un «Seigneur», comme on l’a prétendu,
ni «un protecteur, ni exactement un tuteur, mais un «répondant»
au sens entier du terme», (5) c’était pour des raisons bien
précises liées aux coutumes juridiques des deux communautés. Le
recours en justice, particulièrement, était basé sur la
prestation de serment, pour le juif à l’intérieur de la
synagogue, pour le musulman devant le Cadi. En cas de conflit
entre juif et musulman, le répondant musulman du juif prêtait
serment devant le Cadi en lieu et place du juif. Ce répondant se
considérait tenu de prendre les armes pour défendre ou venger le
juif en cas de crime.
Ceci n’empêchait pas les juifs, au même titre que les musulmans,
de pouvoir «louer, acheter ou vendre des biens meubles et
immeubles, locaux d’habitation ou terrains de culture sis dans
la tribu.» Ils disposaient même parfois, en outre, d’un droit de
préemption «dans le cas d’une aliénation consentie par un de
leurs parents juifs.»
Ainsi s’organisait la vie de ces deux communautés, dans ces
structures «pré capitalistes», où, pour reprendre la phrase de
Marx, « la production était organisée pour l’homme, et non
l’homme pour la production.» Des voyageurs européens juifs,
attachés encore au contenu humain du judaïsme et non aliénés à
la culture occidentale, découvraient aussi dans la vie des
communautés urbaines, imprégnées des mêmes bases culturelles, de
la même symbiose fraternelle avec la communauté musulmane, le
sentiment de «plénitude» et comprenaient alors la «nostalgie du
mellah». (6)
Cette vie était à la fois close et en symbiose avec la
communauté musulmane. Ce n’était pas le ghetto encerclé par un
monde hostile.
Aux faits déjà donnés, ajoutons le rappel, entre autres, et qui
subsistent encore, des manifestations d’amitié et d’affection
des Musulmans aux juifs lors des fêtes religieuses, notamment
des cadeaux les soirs de Mimouna, le fait, relevé avec
étonnement par les observateurs européens, de la vénération par
les musulmans des saints juifs. (e)
Précisons. Ce judaïsme était total. Il comportait également
l’idéal de «retour à Israël», la prière de Pessah «l’an prochain
à Jérusalem». C’est l’ambiguïté de cet idéal et de cette prière
qui a été détournée et utilisée par le sionisme. Il faut dire
que dans la société européenne, déformée par le capitalisme et
l’idéologie coloniale, les aspects négatifs de cette ambiguïté
ont pu prendre corps et donner naissance à l’idéologie sioniste.
(f) Mais, tout de même, indépendamment de toute croyance
personnelle, le fait objectif demeure que cet idéal et cette
prière plongent dans ce qui fait la conception d’universalité et
d’humanisme du judaïsme. L’idéal d’ «Israël» est celui des fils
de Dieu, plongés dans la souffrance, et promis à l’avènement,
sur cette terre, du Royaume de Dieu. «L’an prochain à Jérusalem»
est lié à la conception du Messie et de l’avènement de ce
Royaume pour tous les hommes. (g)
Il ne s’agit ni du règne du Veau d’Or et de la Banque
Rothschild, ni de prendre Moshé Dayan comme Messie. Le sionisme
l’a d’ailleurs si bien compris qu’il s’est efforcé de déraciner
cette croyance en le Messie: l’un des organisateurs du sionisme
au Maroc, et qui aujourd’hui continue son entreprise dans l’Etat
sioniste, Prosper Cohen, écrivait en 1944 une sorte
d’exhortation à la communauté juive à abandonner l’espoir dans
le Messie et dans l’humanité. «Qu’est-ce que le Messie? En
réalité, tu ne sais pas plus qu’un autre peuple ce qu’est ou ce
que sera le Messie… Viendra-t-il ce roi juif? S’ouvrira-t-elle
pour les juifs cette ère de bonheur? Tu sais bien que non,
peuple entêté! Tu sais bien que l’humanité est à jamais perdue…
». (9)
Ce même prophète du sionisme exhalait son mépris des juifs du
peuple après le fiasco des élections aux communautés, organisées
en 1948 sous la double égide du sionisme et de la Résidence
Générale: «Peut-on, après le ridicule fiasco des dernières
élections, lancer un appel en vue d’une action quelconque? Il
semble, en effet, que la torpeur d’un grand nombre de nos
coreligionnaires soit congénitale et qu’il n’y ait décidément
aucun remède susceptible de la combattre. » (Noar, nº 14,
février 1948).
Où l’on voit que sionisme, racisme, colonialisme et mépris des
hommes sont identiques!
Le peuple, qu’il soit musulman ou juif, sentait bien, lui, dans
sa chair, cette espérance commune en le Royaume de Dieu.
L’amitié et la fête commune des soirs de Mimouna clôturant le
Pessah en étaient l’une des expressions vivantes, symbolisant la
fin commune de ce désert d’injustice que traversent les hommes.
Tout ceci, qui demande d’autres développements, d’autres
recherches, d’autres réflexions, n’est pas que de l’histoire. Il
faut préparer la construction de l’avenir, d’une société où de
nouveau la production sera organisée pour l’homme, d’une société
où l’homme pourra de nouveau trouver une plénitude désarticulée
par le capitalisme et la culture occidentale, d’une société de
créateurs où les hommes ré exprimeront leurs valeurs culturelles
pour projeter l’avenir.
II – DU DERACINEMENT DES «ELITES» A L’ENCADREMENT
SIONISTE
L’objectif de conquête du monde arabe par le capitalisme
européen date des prémisses de sa mutation en impérialisme
moderne. Cet objectif contint d’emblée l’effort de division
entre juifs et musulmans. Précurseur à la fois de la «gauche»
européenne et de l’impérialisme, Napoléon lança de Gaza, en
1799, une proclamation aux juifs d’Afrique et d’Asie au nom,
avoué, des «idéaux» de la Révolution française, et, plus réel,
des appétits de conquête de la bourgeoisie.
Dans la deuxième moitié du 19′ siècle, l’entreprise de
colonisation s’organisa, cet effort de division jouant son rôle
avec la participation empressée et intéressée des grands
banquiers juifs. Edmond de Rothschild (déjà!) créait en
Palestine le premier établissement colonial, et, forme nouvelle
de la traite, y importait 5.000 juifs de Russie. Parallèlement,
et avec des fonds de même source, l’Alliance Israélite
Universelle était fondée, et créait ses premiers établissements
scolaires dans le bassin méditerranéen, et notamment au Maroc.
Le banquier anglais Sir Moses Montefiore effectuait un voyage
«philanthropique» au Maroc, manifestant «l’inquiétude»,
largement renouvelée depuis par le colonialisme européen, pour
le sort des communautés juives dans le monde arabe.
Laissons parler notre Mouillefarine déjà cité (3): «Ce serait
une erreur singulière de croire que le Protectorat est le fait
pur et simple de la conquête militaire; il faut y voir
l’aboutissement d’une politique patiente, intelligente et
méthodique qu’on a justement appelé la «pénétration pacifique».
Les armes n’ont fait que consacrer et consolider une possession
déjà acquise par un long travail d’approche des liens
économiques créés avec les autorités chérifiennes et les grands
chefs des tribus berbères. Or, de cette oeuvre de rapprochement,
des officiers et négociants français furent les principaux
artisans, aidés par les israélites du pays, grâce à la nouvelle
formation qu’ils recevaient de l’Alliance.»
Ce raciste, bien sûr, confondait quelques collaborateurs juifs
et la masse des juifs. Car s’il est vrai que l’un des premiers
élèves de la première école de l’Alliance, celle de Tétouan,
devint le fondateur du sionisme au Maroc, les artisans juifs du
Rif travaillaient pour l’armement des troupes d’Abdelkrim el-Khattabi.
Mais il est vrai que les quelques milliers de juifs marocains
ainsi formés constituaient, à partir des années 1920, la seule
«élite», la seule manifestation publique de la communauté juive.
La société traditionnelle devait se dépasser pour affronter
l’impact de la colonisation. La résistance nationale, issue des
profondeurs du peuple, a été une «résistance», mais n’a jamais
été, malgré certaines aspirations plus ou moins diffuses, une
«révolution», qui soit à la fois rejet de l’impact colonial et
dépassement de la société traditionnelle. L’idéologie nationale
plus ou moins élaborée n’a cessé d’osciller entre le repli sur
cette société et l’adoption des valeurs de la société bourgeoise
occidentale. Même le courant socialiste, jusqu’aux efforts
entrepris depuis ces récentes années, n’offrait de perspective
que techniciste.
Rien d’étonnant donc que cette «élite» juive, déracinée dès le
départ, intégrée par son style de vie, ses intérêts, à la
culture occidentale, n’ait offert, dans le meilleur des cas,
aucune perspective nationale concrète à la masse de la
communauté juive marocaine, quand elle ne l’a pas, tout
simplement, canalisée vers le sionisme. Dans une structure
sociale où l’autonomie culturelle était déjà très forte, cette
communauté s’est vue ainsi abandonnée à une telle «élite». Ceux
des marocains juifs, nombreux à un moment, qui venaient au
mouvement national dans le cadre du seul parti qui inscrivait la
lutte nationale dans l’objectif d’avenir de construction du
socialisme, se trouvaient, par une application mécaniste des
principes du socialisme scientifique, amenés à sous-estimer,
sinon ignorer, la nécessité d’une lutte spécifique dans la
communauté juive, la laissant ainsi à cet abandon.
La situation de juin 1967 est venue ainsi couronner un siècle de
pénétration et de division coloniales, et un quart de siècle
d’abandon de la communauté juive marocaine à l’encadrement
sioniste.
Les étapes du déracinement se situent ainsi:
Jusqu’en 1940, formation et occidentalisation de la bourgeoisie
juive marocaine. Typique est à ce sujet le numéro spécial
consacré en décembre 1928 à l’essor du judaïsme marocain, par le
journal mensuel «L’Avenir Illustré», édité par quelques
européens juifs installés an Maroc et des marocains juifs issus
de cette «élite» occidentalisée.
Ce numéro, dédié au Résident Général Steeg, se situe, comme le
souligne l’éditorial, «Sous l’égide de la France». L’un des
rédacteurs, qui fut aussi l’un des promoteurs de la Fédération
Sioniste du Maroc, y écrivait :
«Qu’étaient nos frères du Maghreb il y a seulement une vingtaine
d’années? Une tribu d’Israël, isolée du reste du monde juif et
en marge de la civilisation occidentale… Les juifs du Maroc, en
entrant un jour dans la grande famille française, y formeront
nécessairement une «province spirituelle».
La «grande famille française» devait, en 1940, «enrayer» ces
ambitions.
2) La mise en place de l’encadrement sioniste. Si, dans les
années d’application des lois raciales de Vichy, l’opposition de
Mohammed V à ces lois et la fraternité musulmane devait
confirmer à la masse des marocains juifs leurs raisons
d’attachement au pays, cette «élite» ne pouvait limiter là son
ambition.
Comme l’écrivait l’un d’eux, «Nous avons connu des israélites
marocains dont la tenue vestimentaire, le genre de vie, la
culture ne se distinguaient plus des européens, qui préféraient,
dans un procès contre un arabe, se faire condamner par défaut
plutôt que de se présenter au Makhzen, et d’avoir à se
déchausser et à s’accroupir humblement devant le pacha». (10)
L’arrivée de l’armée américaine, en novembre 1942, devait ouvrir
de nouvelles perspectives.
Dès 1943, avec la collaboration d’officiers américains et
anglais, un amalgame analogue à celui qui avait créé «l’Avenir
Illustré» mit en place les bases de l’organisation sioniste. La
bourgeoisie juive marocaine abandonnait l’objectif
assimilationniste pour se rallier, dans sa quasi-totalité, à
l’objectif sioniste.
Le même auteur qui évoquait le tribunal du Pacha comme un
«ghetto moral» situait ainsi ces deux courants: «Les deux
positions peuvent se résumer sous cette forme: si l’Alliance,
oeuvrant pour donner aux Juifs, avec l’instruction, la dignité
et la possibilité de conquérir une place plus honorable dans
leur pays, luttait ainsi dans le domaine politique et
diplomatique, «pour que les juifs ne souffrent plus de la
qualité de juifs», S.D. Lévy et les sionistes pensaient qu’il
fallait certes libérer le judaïsme des pays arriérés, de la
misère, de l’ignorance et des préjugés, mais avec l’espoir
suprême de leur procurer le retour dans le pays de leurs aïeux»
(10).
En 1945, d’après ce même auteur, le deuxième courant l’avait
emporté complètement, tout au moins au niveau des leviers de
contrôle, organique et idéologique, de la communauté juive.
Basé sur les fonds du «Joint», organisme américain dont les
activités dans le monde en soutien du sionisme ont des formes
parallèles à celles de la CIA, (h) le sionisme mit en place en
particulier l’encadrement de la jeunesse juive marocaine.
Mais la masse des marocains juifs restait attachée à l’amitié
avec les musulmans et aussi à ses racines culturelles. Aussi le
sionisme se présentait, notamment dans la jeunesse, comme une
entreprise de contestation de l’occidentalisation et de
l’assimilation, et de rénovation des sources culturelles, tout
en proclamant l’amitié avec les «Arabes». Le secrétaire général
de la Fédération sioniste du Maroc, européen juif que le journal
Noar présentait comme «l’âme du sionisme marocain», déclarait:
«Nous insistons sur le fait que les rapports entre Juifs et
Arabes doivent être cordiaux comme ils le sont déjà en Eretz
(Israël)… Tous les juifs du Maroc doivent savoir que le sionisme
n’est pas un idéal contraire aux intérêts de qui que ce soit, ni
dirigé contre un groupe ou un pays ou des intérêts quelconques,
mais la solution humaine du problème juif et la fin d’une
tragédie deux fois millénaire, qui s’est révélée à nos regards
terrifiés après la triste expérience du nazisme ayant sa source
dans l’antisémitisme». (11)
3) Les provocations coloniales. Les efforts des sionistes se
voyaient, non seulement tolérés, mais appuyés par les autorités
du Protectorat qui cherchaient à diviser et à détourner de la
voie juste le mouvement national. La vieille complicité entre
Herzl et le Ministre de l’Intérieur tsariste (12) se voyait
ainsi renouvelée. En février 1948, les élections aux communautés
juives du Maroc, organisées alors que la répression du général
Juin s’appesantissait sur le mouvement national, étaient, malgré
les efforts conjugués de la Résidence et des sionistes, un
véritable fiasco. A Casablanca, sur une population de 70.000
marocains juifs, il y eut 352 votants; à Marrakech, sur 20.000
marocains juifs, il y eut 153 votants.
Le journal Noar qui rapportait ces résultats sous le titre «Vous
n’avez pas fait votre devoir» ajoutait que «les résultats des
autres centres ne sont guère plus brillants».
Aussi la Résidence passa à des actes plus conformes à son style.
Après un échec d’une tentative de provocation au Mellah de Fès
le soir de Mimouna, échec dû à la réaction immédiate de
militants du Parti Communiste Marocain, le Contrôleur Civil
Chennebault organisa à Oujda et Jerada les 7 et 8 juin 1948, le
massacre d’une centaine de marocains juifs. La Résidence réussit
ainsi, et dans le contexte de la création de l’Etat sioniste, à
la fois le premier choc massif en faveur du sionisme, choc qui
entraîna une première vague d’émigration (évaluée par A.
Chouraqui à 10% de la population juive marocaine), et la
dissolution de la Fédération des Mineurs, dont les responsables
étaient inculpés d’être les organisateurs de ces massacres. (i)
Ce processus de provocation n’était d’ailleurs pas particulier
aux autorités coloniales françaises, ni à la seule organisation
sioniste au Maroc. (j)
4) Compromis et échecs de l’indépendance. Le deuxième semestre
de 1955 reste, pour tous les Marocains, y compris les Marocains
juifs, la période inoubliable et triomphante qui vit le retour
de Mohammed V. Cependant, dès Aix-les-Bains, les compromis
s’élaboraient, qui devaient peser lourdement sur l’indépendance,
y compris sur l’intégration de la communauté juive.
Dans la période précédente du développement de la lutte, y
compris armée, contre le Protectorat, des marocains juifs de
plus en plus nombreux, surtout parmi les jeunes étudiants et
intellectuels, s’étaient ralliés au Mouvement National,
contribuant ainsi à la reconquête d’un Maroc fraternel. Mais à
l’étranger, «l’opinion publique internationale», bien connue,
«s’inquiétait», à l’approche de l’indépendance, du «sort» des
juifs marocains.
Dans ce contexte, le «Jewish Observer and Middle East Review» du
26 août 1955 put annoncer que l’émigration de 45.000 juifs
marocains serait organisée entre septembre 1955 et août 1956.
Cette quantité était le «maximum dont Israël pouvait organiser
l’absorption -excepté sous des conditions d’urgence aiguë.
Heureusement, de telles conditions n’existent pas à présent au
Maroc grâce à l’approche éclairée des principaux dirigeants
nationalistes à cette question des relations avec les juifs du
Maroc.» Le journal rappelle à ce sujet les déclarations
publiques et une attitude générale dans des «rencontres avec des
représentants du Congrès Juif Mondial, qui, semble-t-il, ont
lieu depuis quelque temps.»
Les moyens matériels étaient en place. R. Aflalo, dans une étude
publiée par l’Avant-garde des 23 et 30 août 1959, rappelle que,
à partir de 1953: «les mouvements sionistes étrangers et leurs
agents mettent en place un réseau serré dont les ramifications
traversent tous les mellahs et atteignent les plus petites
localités du sud; créent le camp d’hébergement de la route d’El
Jadida et s’installent pour la grande campagne. A partir de ce
moment, les nombreux effectifs de ces organisations ne cesseront
de circuler librement parmi les masses juives, de les assaillir
avec acharnement, de les encourager à tout abandonner et
profitent évidemment de cette période d’incertitude de confusion
et de troubles pour semer la panique. C’est l’âge d’or des
mouvements sionistes au Maroc.»
L’apogée fut atteinte précisément dans la période de fin 1955 à
juin 1956, et la description qui suit, vue de l’intérieur, est à
rapprocher de l’objectif tracé en août 1955 par l’organisation
sioniste internationale: R. Aflalo rappelle que cette période a
connu le «rythme le plus rapide et qui a fait le plus grand
nombre de victimes.
Sachant le gouvernement préoccupé par des tâches urgentes et
majeures, les organisations sionistes «travaillaient» vite,
conscientes du moment de confusion éphémère dont elles tiraient
alors parti. Nul n’a encore oublié cette fièvre dans laquelle
les agents étrangers parcouraient les quartiers juifs, semant la
panique, parvenant à créer une véritable psychose de peur
collective, aidés dans cette étourdissante course contre la
montre par de nombreuses et incessantes campagnes de presse
étrangères, qui prédisaient à l’unisson aux Juifs du Maroc «un
nouveau cauchemar hitlérien».»
Voici donc ce que les mains libres données au sionisme firent de
l’Indépendance pour nombre de marocains juifs! Le ministre juif,
l’amitié judéo musulmane au niveau d’organisations bourgeoises
comme El Wifaq, la référence à la démocratie de style
occidental, se situaient dans une autre sphère. Les
intellectuels et techniciens juifs marocains pensaient, quant à
eux, qu’il suffirait de s’en tenir à faire bien son travail et à
se donner à la construction nationale.
L’émigration, cependant, alors que le camp sioniste de la
Kadimah n’était fermé qu’en 1959, stagna dans les années
suivantes. Au recensement de 1960, la population israélite
comprenait 160.000 personnes. Les chiffres correspondants,
ex-Zone Nord et Tanger compris, de 1951 et 1950 donnent 215.000
personnes. Compte tenu des naissances, il est permis d’évaluer
les départs à un peu plus de 90.000 personnes en neuf ans, dont
la ponction de 45.000 personnes dont nous avons parlé. En dehors
de cette «campagne» sioniste, et malgré les pressions subies par
les marocains juifs, les départs se situent donc, en moyenne,
pour les huit années encadrant l’indépendance, à quelque 6.000
personnes par an.
L’emprise sioniste était loin, donc, d’avoir fait son oeuvre.
Mais l’impunité dont jouissait l’organisation sioniste, la
tolérance dont elle a bénéficié à l’exception de la courte
période de 1959 à 1961, ne pouvait pas manquer de peser sur une
communauté sur laquelle cette organisation a exercé, depuis
1944, un entier monopole idéologique.
5) L’émigration. Elle s’est développée, régulière, massive,
depuis 1961. Les statistiques officielles permettent de situer
les départs, depuis cette date, à une moyenne de 12.000 par an.
L’échec de la tentative réformiste de créer une démocratie
bourgeoise à l’occidentale fut consacré par l’orientation
politique prise depuis 1960 et par la stagnation économique qui
suivit.
Cet échec et cette stagnation permirent enfin au sionisme de
faire apparaître à la majorité des juifs marocains la solution
du départ comme la seule possible, d’autant plus facilement que
la grande bourgeoisie marocaine tentait de camoufler son appétit
de compromission économique avec l’impérialisme par une
phraséologie nationaliste et un racisme larvé. La néo-féodalité
affairiste qui s’est organisée depuis était, elle, plus
conséquente: utilisation, sans discrimination, de courtiers,
musulmans, juifs ou étrangers; protectionnisme camouflant mal le
mépris pour la masse des juifs; répression indignée contre les
«Lévy rouges».
Le tournant fut nettement marqué en 1961: en janvier 1961, une
provocation sioniste montée à l’occasion de la venue au Maroc du
Président Nasser, alimentée par les excès de certains (contre
les enfants!) et des articles de presse racistes, fut mise en
échec par la réaction publique d’un nombre important de
marocains juifs. (k)
Ceci montre que la possibilité d’explication et d’information
antisioniste était encore sensible. Mais le lourd manteau qui
pèse sur la vie politique du pays n’était guère favorable à son
développement.
Le sionisme, quant à lui, était bien organisé. Comme par hasard,
à ce même moment, un petit bateau, le «Pisces», chargé de 42
émigrants, incapable de tenir la mer, coulait devant les côtes
méditerranéennes du Maroc, son capitaine sauvant, quant à lui,
sa peau! Lorsqu’on connaît l’efficacité de l’organisation
sioniste, peut-être ne faut-il pas s’étonner de cette
«coïncidence fortuite» qui permit à un journaliste sioniste
d’écrire «Le Maroc a désormais son Exodus». (l)
Dans des conditions qui restent à préciser, devant «l’émotion»
de «l’opinion publique internationale», les portes de
l’émigration s’ouvrirent. Cet aboutissement a été ainsi résumé
par une observatrice informée et objective du judaïsme marocain:
«Aussi, dans cette recherche et dans son effort d’intégration
dans une culture occidentale, le juif marocain ne pouvait éviter
de se poser la question de son identité: pendant des siècles, le
juif maghrébin avait bien été lui-même «juif en pays musulman».
Cette condition, il l’avait acceptée avec ses conséquences. Au
contact de la civilisation occidentale, l’équilibre séculaire a
été rompu. Lorsque le jeune lycéen commença à se demander:
Qu’est-ce qu’un juif?», ses maîtres laïcs répondaient: « Au
Maroc, il n’y a ni juifs, ni musulmans, il n’y a que des
Marocains». Lorsqu’il se posa en Marocain devant les musulmans,
on lui affirma que tous les sujets du Sultan étaient égaux, mais
on lui fit sentir, dans la réalité de l’existence, que certains
droits n’étaient pas pour le dhimmi. Quant aux autorités du
Protectorat, elles le considéraient comme «israélite marocain».
Quand, enfin, il se décida à émigrer en Israël, on le
considérait, pour la première fois, comme «Marocain»». (15)
En effet, devant la réalité de l’Etat sioniste, sa crise
économique, le racisme contre les juifs «orientaux», le reflux
prenait corps en 1966 et jusqu’en mai 1967. Juin 1967 donna
lieu, au Maroc, à de nouvelles provocations sionistes dont
l’objectif fut alimenté, une fois de plus, par la réaction
raciste d’une certaine presse bourgeoise. L’émigration reprit.
Mais juin 1967 contenait pour le monde arabe, et finalement,
l’Histoire le montrera et commence déjà à le montrer, pour le
judaïsme dans le monde arabe, l’émergence de ce qui fera la fin
du cauchemar sioniste et raciste.
III – JUIN 1967 ET LA PERSPECTIVE
Nous ne ferons pas ici l’analyse détaillée, qui mériterait
d’être faite, sur le plan sociopolitique, de juin 67. Au-delà
même de toute construction intellectuelle, la réalité du concept
de nation arabe est apparue vivante. Pour le Maroc, cette date
sera un nouvel août 53.
On nous dira: si la «nation arabe» est vraie, pourquoi pas le
«peuple juif»? Nous nous proposons de reprendre, en profondeur,
ces thèmes. Mais retenons ceci, même si ce ne peut être compris
aujourd’hui par tous: ce qui fait la réalité d’une donnée
sociologique, c’est son devenir.
Le concept de «nation arabe» s’inscrit dans la perspective
historique des mouvements de libération nationale et de
liquidation de l’impérialisme. Le concept de «peuple juif» tend
à faire ressurgir une démarche tribale, et encore, au stade le
plus primitif, démarche que la philosophie même du judaïsme, à
travers les Prophètes, a contribué à faire dépasser en exprimant
une conception universaliste de l’Homme. (m)
Il reste clair que l’avenir du judaïsme marocain, pas plus que
celui de toute la nation marocaine, n’est désormais dissociable
de l’avenir de la Palestine. L’ «élite» faillie qui a fait,
directement ou indirectement, le sionisme au Maroc et qui se
tait depuis juin 67 voudrait sans doute, avec d’autres fausses
élites, couvrir cette réalité de l’oubli. Mais chacun sait que
cela n’est plus possible.
A tous ceux, ici ou ailleurs, des marocains juifs, qui sentent
au fond d’eux-mêmes, consciente ou subconsciente, l’angoisse de
l’isolement et du déracinement, à tous ceux qui, au fur et à
mesure que la réalité et l’impasse du sionisme apparaît,
réfléchissent, nous demandons de s’informer, de briser, d’abord
en eux-mêmes, le monopole de l’information sioniste et la
mystification par l’Occident impérialiste. (n)
La réalité de l’Etat d’Israël, lisez-la à travers cet ouvrage
d’un auteur sioniste qui cherche, en vain, l’issue aux impasses
du sionisme. (1)
L’effondrement du rêve humaniste des juifs trompés par le
sionisme, découvrez-le à travers cet autre auteur qui affirme
pourtant que le «peuple juif» est une notion «sui generis». (2)
Le crime permanent commis contre le judaïsme, réfléchissez-y à
travers l’oeuvre d’Emmanuel Lévyne (3) et le combat qu’il mène
depuis qu’il découvrit, sur l’Exodus, la réalité du sionisme. La
réalité du juif marocain dans l’Etat sioniste peut être perçue à
travers la sécheresse objective d’études comme celle de cette
sociologue juive marocaine, même si celle-ci n’a pu dépasser la
perspective «occidentale». (4) La réalité du racisme dans l’Etat
sioniste ressort dramatiquement des deux études conjointes de
deux citoyens de cet Etat, l’un musulman, l’autre juif. (5)
La réalité du sionisme comme entreprise impérialiste, la réalité
du sionisme comme entreprise d’aventuriers qui n’ont jamais (o)
voulu créer un foyer pour les juifs persécutés, mais construire
un Etat raciste et expansionniste, enclave de l’impérialisme,
ceux qui ne la percevraient pas à travers la réalité vivante
actuelle, peuvent lire l’étude de Maxime Rodinson (6) et
l’important ouvrage de Nathan Weinstock. (7)
La réalité du fascisme à la tête de l’Etat sioniste peut être
perçue à travers l’effrayant autoportrait que Moshé Dayan trace
de lui-même dans son interview à «l’Express» en mai dernier, et
dans cette lettre que lui adresse une mère juive, Miriam Galili.
La réalité de la «culture occidentale», de sa «technique», saute
en éclats sous la poussée des peuples, d’abord du peuple
vietnamien, et, de plus en plus, pour le monde arabe, des
combattants palestiniens.
La réalité du «désert» fructifié, en quoi diffère-t-elle de la
réalité coloniale et néo-coloniale que nous connaissons, en quoi
diffère-t-elle des orangeraies du Sousse? Ceux qui oublient que
le pays de Canaan n’a pas attendu la technique occidentale pour
être le pays du lait et du miel, ceux qui accordent quelque
valeur aux orangeraies nouvelles qui y ont été plantées depuis
vingt ans, qu’ils s’interrogent sur ce cri de Roger Benhaïm,
juif algérien qui vit l’angoisse de son déracinement en France:
«SUR LA TERRE DE DIEU, DE MOISE, DES PROPHETES, DE JESUS, SUR
CETTE TERRE OU COULENT LE LAIT ET LE MIEL, OU POUSSENT L’ORANGER
ET LE PAMPLEMOUSSE, UN HOMME EST MORT SOUS LA TORTURE ET SES
TORTIONNAIRES ETAIENT DES JUIFS, MES FRERES». (2º discours dans
le désert, dédié à Kassem Abou Akar, torturé à mort par les
sionistes).
Face à cette impasse, face à ces crimes commis au nom du
judaïsme, se dresse la perspective du monde arabe fraternel de
demain. Dans la lutte du peuple palestinien pour une Palestine
laïque, unifiée et démocratique se dresse, entre autres, la
figure du Palestinien William Nassar, commandant du secteur de
Jérusalem de Al-Assifah, torturé par les sionistes, de père
chrétien, de mère juive.
Revue Souffles
Numéro spécial 15, 3e trimestre 1969 Juin juillet
1969
Notes
(a) Parmi ceux-ci, deux catégories. Ceux qui souhaitent
simplement vivre chez eux, ici. C’est leur droit, et nul n’a le
droit de le leur contester. Ceux qui se veulent hommes
conscients et responsables n’ont plus le droit d’ignorer que
leur premier devoir, en tant que marocain juif, est la lutte
contre le sionisme dans la communauté juive marocaine.
(b) Rappelons la position de Marx, critiquant la conception
bourgeoise de l’Etat laïc, et qui s’oppose, par là même, aux
interprétations mécanistes du socialisme (2): «l’esprit
religieux ne saurait être réellement sécularisé. En effet,
qu’est-il sinon la forme nullement séculière d’un développement
de l’esprit humain?
L’esprit religieux ne peut être réalisé que si le degré de
développement de l’esprit humain, dont il est l’expression, se
manifeste et se constitue dans sa forme séculière. C’est ce qui
se produit dans l’Etat démocratique. Ce qui fonde cet Etat, ce
n’est pas le christianisme, mais le principe humain du
christianisme. La religion demeure la conscience idéale, non
séculière, de ses membres, parce qu’elle est la forme idéale du
degré de développement humain qui s’y trouve réalisé.» Comment
ne pas penser que cet objectif correspond également à
l’aspiration, commune au judaïsme et à l’Islam, de la
réalisation, sur cette terre, du Royaume de Dieu?
(c) Et leurs continuateurs au Centre de Recherches sur l’Afrique
Méditerranéenne de la Faculté d’Aix-en-Provence, tels André Adam
(in «Casablanca») et Robert Mantran (in «L’expansion
musulmane»).
(d) L’une des preuves les plus significatives de cette
réprobation populaire est le fait que le tombeau de «Solica la
Sainte», sainte juive vénérée pour être restée fidèle à sa foi
au mépris de sa vie plutôt que de céder à un souverain, était
également vénéré par les musulmans.
(e) P. Voinot a pu noter 31 cas de saints revendiqués à la fois
par des juifs et des musulmans, 14 cas de saints musulmans
vénérés par des juifs, 50 cas de saints juifs vénérés par des
musulmans. (7)
(f) L’Organisation Socialiste Israélienne Matzpen synthétise
ainsi ce processus: «La civilisation occidentale produisit
L’antisémitisme comme son sous-produit légitime, le nazisme
comme sous-produit illégitime. La Juiverie Européenne, incapable
de reconnaître L’antisémitisme comme un produit d’une
civilisation dont elle était partie, l’éleva au rang d’une «loi
de la nature humaine» et produisit le sionisme pour répondre à
cette aliénation». (Ce n’est, bien entendu, pas la place ici, ni
le rôle de l’auteur, de discute, des positions de telle ou telle
organisation israélienne antisioniste, dont il convient
cependant de saluer le courage.
La praxis révolutionnaire permet déjà, et permettra de plus en
plus, le dépassement de fausses querelles de doctrine et la
réalisation, dans la lutte armée révolutionnaire commune, de la
Palestine unifiée de demain).
(g) Aujourd’hui, comme le fait remarquer Emmanuel Lévyne, la
conception biblique d’Israël correspond aux Palestiniens, et
ceux-ci peuvent effectivement dire «l’an prochain à Jérusalem».
(8)
(h) Précisons qu’une délégation du Joint continue de fonctionner
au Maroc sous contrôle de l’ambassade américaine.
(i) Rappelons que le bâtonnier Henri Bonnet fit, lors du procès
où Ben Hamida, Secrétaire Général de la Fédération du Sous-sol,
fut condamné à 20 ans de travaux forcés, la démonstration de
l’organisation du massacre par les autorités du Protectorat.
(j) Eli Lôbel rappelle «l’affaire malheureuse» où il fut prouvé
que des attentats à la grenade dans une synagogue d’Irak avaient
été organisés par les sionistes, avec l’accord de Ben Gourion
(12); Serge Moati signalait, en 1947, une provocation du même
ordre à Tripoli, sous l’égide de l’Intelligence Service. (13)
(k) La Déclaration contre le sionisme et l’antisémitisme
recueillit, en quelques jours, près d’une centaine de
signatures, dont celle d’un rabbin, qui était venu se joindre
d’elles-mêmes aux premières.
(l) Le rapprochement est, lui, acceptable lorsqu’on connaît ce
que fut «l’opération» Exodus pour le sionisme mondial. Se
référer à ce sujet au témoignage, vécu, de Emmanuel Lévyne (8)
et à l’ouvrage de Alfred Lilienthal.(14)
(m) Ceux qui veulent mieux comprendre le «problème juif» tel,
toutefois, qu’il a trouvé sa source dans le développement du
capitalisme, doivent lire l’ouvrage de Abraham Léon, écrit dans
la clandestinité en 1941, avant que l’auteur ne soit arrêté par
les nazis et tué à Auschwitz. La réédition de l’ouvrage contient
en préface une synthèse historique de Maxime Rodinson. (16)
(n) Il faut dire que, lorsqu’on le désire, cela reste,
matériellement, presque impossible à réaliser. Aucun des
ouvrages ici mentionnés, ne rentre et n’est en vente au Maroc,
double effet de la censure et du réseau étranger des libraires.
La presse de langue française au Maroc est, soit sioniste, soit
entachée de racisme. La presse de l’étranger se ramène au
sionisme de «France-Soir» et à la soi-disant objectivité du
«Monde». Le premier devoir des patriotes est donc d’organiser
cette information.
(o) La responsabilité du sionisme dans le massacre nazi est
clairement établie par la lettre suivante, adressée par Ben
Gourion à l’exécutif sioniste, le 17 décembre 1938, alors que
les pays anglo-saxons proposaient d’ouvrir leurs portes aux
juifs d’Allemagne et d’Europe Centrale. «Le problème juif
actuellement n’est pas tel qu’il était habituel de le voir. Le
sort des juifs en Allemagne n’est pas une fin mais un
commencement. D’autres états antisémites prendront des leçons de
Hitler. Des millions de juifs sont face à l’anéantissement, le
problème de leur refuge a pris des proportions mondiales. La
Grande-Bretagne essaie de séparer la solution à ce problème de
celle de la Palestine. Elle est appuyée par les juifs
antisionistes. Les dimensions du problème des réfugiés demandent
une solution immédiate, territoriale; si la Palestine ne les
absorbe pas, un autre territoire le fera. Le Sionisme est en
danger. Toutes les autres solutions territoriales, vouées à
l’échec, demanderont d’énormes sommes d’argent.
Si les juifs ont à choisir entre les réfugiés, sauvant les juifs
des camps de concentration, et l’assistance à un muséum national
en Palestine, la pitié t’emportera et toute l’énergie du peuple
sera canalisée pour sauver les juifs de divers pays. Le Sionisme
sera écarté de l’ordre du jour, non seulement dans l’opinion
publique mondiale, en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis, mais
partout ailleurs dans l’opinion publique juive. Si nous
permettons une séparation entre le problème des réfugiés et le
problème de Palestine, nous risquons l’existence du Sionisme.»
(Cité in Thèses de l’Organisation Socialiste Israélienne Matzpen).
Références
1: S. GOTTEIN. Juifs et Arabes. Editions de Minuit. Paris, 1957.
2: K. MARX. La Question Juive. Collection 10/18.
3: E. MOUILLEFARINE. Etude historique sur la condition juridique
des juifs au Maroc. Paris, 1941.
4: Is. D. ABBOU. Musulmans Andalous et Judéo-Espagnols.
Casablanca, 1952.
5: M. MOLINARI. Observations sur la condition juridique des
juifs en tribu de droit coutumier berbère, dans le territoire du
Tafilalet. In Revue de la Justice Coutumière, nº 1, Mars 1955.
6: NOAR, n, 11-12, juin juillet 1947: «La revanche du Mellah:
Charonot à Sefrou». NOAR, nº 14, février 1947. «Visite d’un
Rabbin Français au Maroc».
7: P. VOINOT. Pèlerinages Judéo Musulmans du Maroc. Paris.
Larose. 1948.
8: E. LÉVYNE. «Le judaïsme et la libération de la Palestine», in
Revue Hérytem, nº 1 (Nº spécial sur la Palestine).
9: P. COHEN, Congrès Juif Mondial. Conférence Extraordinaire de
Guerre 1944. Casablanca, 1945.
10: B. SIKIRDJI. S.D. Lévy, une belle figure du judaïsme
marocain. Casablanca, 1955.
11: Noar, nº 3 de juin juillet 1946.
12 : in Eli LÖBEL. Les juifs et la Palestine. Maspero, 1969.
13 : Noar, nº 12, août septembre 1947.
14: A. LILIENTHAL, What price Israël? Regnery éd. s.d.
15 : Doris BENSIMON-DONATH. Evolution du Judaïsme Marocain sous
le Protectorat français, 1912-1956. Mouton. Paris, 1968.
16: A. LÉON. La conception matérialiste de la question juive.
EDI. Paris, 1968.
Documentation
(1) Marc HILLEL. Israël en danger de paix. Fayard. Paris, 1968.
(2) Saül FRIEDLANDER. Réflexions sur l’avenir d’Israël. Seuil.
Paris, 1969.
(3) Emmanuel LÉVYNE. Judaïsme contre Sionisme. Cujas. Paris,
1969.
(4) Doris BENSIMON-DONATH. Développement et sous-développement
en Israël, in Revue Française de Sociologie. Octobre décembre
1968.
(5) Sabri GERICS. Les arabes en Israël, précédé de Les juifs et
la Palestine par Eli Löbel. Maspero. Paris, 1969.
(6) Maxime ROBINSON. Israël fait colonial? In Les Temps
Modernes, nº spécial de juin 1967 sur «Le conflit
israélo-arabe».
(7) Nathan WEINSTOCK. Le sionisme contre Israël. Maspero. Paris,
1969. © Toute reproduction intégrale ou
partielle de cette page faite sans le consentement écrit de René
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Publié le 21 décembre 2009 avec l'aimable autorisation de René Naba.
Les
textes de René Naba
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