Blog René Naba
La
référence à Guy Môquet, un détournement de mémoire, une
captation d'héritage
René Naba
20 octobre 2007
L’instruction présidentielle prescrivant la lecture, le 22
octobre, dans toutes les écoles de France, de la lettre de Guy Môquet
à ses parents, avant son exécution, relève du détournement de
mémoire et de la captation d’héritage.
Nicolas Sarkozy a été pendant près de vingt ans maire de la
banlieue huppée de Neuilly sans avoir jamais songé à baptiser
une rue du nom de ses illustres personnalités de gauche qu’il
invoque, tel un totem, à tout moment depuis sa campagne électorale.
Pas plus Jean Jaurès que Guy Môquet n’ y figurent mais Maurice
Barrès, chantre de la droite conservatrice, si.
Un tel comportement s’apparente à une imposture lorsque
l’on songe que l’une des premières mesures du nouveau
quinquennat post-gaulliste aura été le «bouclier fiscal», une
mesure qui bénéficie quasi-exclusivement aux privilégiés,
ainsi que le pistage génétique des migrants, un dispositif qui
renvoie aux pires pratiques du totalitarisme.
La France a baigné depuis un an dans un narcissisme entretenu
par son nouveau président, mais à l’instar d’un couple qui
se fracasse, le miroir se brise sur les dures réalités des
contraintes de la vie et la dissipation des mirages entretenus à
coup de promesses non tenues. Et «Magic Sarkozy» se révèlera
être rétrospectivement une Fée Carabosse.
Saluer comme l’a fait le Président de la République la mémoire
de Guy Môquet, ce jeune communiste français fusillé durant la
Deuxième Guerre Mondiale (1939-1945) par les Allemands, est un
acte de justice. Mais cela aurait été pédagogiquement
exemplaire si cet hommage s’était accompagné de la
condamnation des bourreaux, c'est-à-dire cette police française
zélée qui a livré à la mort un compatriote, au seul prétexte
qu’il était un patriote. C’était en cela que le supplice de
Guy Môquet eut été exemplaire des dérives infâmantes et
odieuses de l’appareil étatique. Cette même police a aussi été
maître d’œuvre de la rafle du Vel' d'Hiv et n’a jamais été
condamnée pour cela. Une prophylaxie sociale aurait commandé
d’exalter la lumière de la France, sans négliger de
stigmatiser sa part d’ombre. Mais vous voyez Nicolas Sarkozy
condamner la police, le socle de son pouvoir sécuritaire ?
Il en est de même d’un autre subterfuge: «Le secrétariat
d’État aux affaires étrangères chargé des Droits de
l’homme» est un borborygme, dans la mesure où Les Droits de
l'Homme sont en principe universels, sauf à considérer que la
France ne commet, pour sa part, aucune violation des Droits de
l'homme. L'intitulé des fonctions de Mme Rama Yade-Zimet signifie
sa mise à l'écart des violations françaises qui
interviendraient sur le sol national (charters de la honte,
sans-papiers, etc.). Il lui sera donc loisible de dénoncer tous
les pays du monde, sauf le sien. Voila en clair l'intitulé de sa
mission.
Rama Yade sera particulièrement sous observation. Devra-t-elle
limiter sa défense des Droits de l’homme aux seules instances
internationales et donc ne disposer d’aucun droit de regard sur
les violations des Droits de l’Homme en France ?
Si tel devrait être la cas, elle risque de servir d’alibi
pour la bonne conscience chronique de la mauvaise conscience du
pouvoir français.
Qu’elle garde à l’esprit la malheureuse expérience de son
prestigieux aîné: le général Colin Powell, ancien chef d’État-major
interarmées des États Unis, premier secrétaire d’État
afro-américain de l’Histoire, qui s’est couvert de ridicule
avec son éprouvette remplie de poudre de perlimpinpin brandie
devant le Conseil de sécurité de l’ONU pour justifier
l’invasion américaine de l’Irak. Il est à espérer que Rama
Yade ne sera pas une nouvelle «Uncle Ben’s» à la sauce française…
Cela étant dit, il est à espérer aussi que ces nouvelles
promues ne se révèlent pas être un gadget exotique visant à
masquer une xénophobie d’État, comme en témoignent les
rodomontades du nouveau président français et la création
d’un Ministère de l’Identité nationale et de l’Intégration.
Relevons au passage que Fadela Amara, qui rejetait haut et fort
toute sujétion à la tête de son mouvement Ni putes, ni
soumises, s’est révélée être très soumise aux sirènes du
pouvoir de droite, quand bien même elle trouve «dégueulasse»
le test ADN sur les postulants à la migration en France. Il est
des faiblesses coupables voire mortelles. Pour la crédibilité de
nos engagements, gardons présent à l’esprit l’impérieuse nécessité
de donner toujours l’exemple d’une « éthique de conviction
». L’exact contraire, en somme, de l’opportunisme
d’occasion.
«Égorger les moutons dans la bagnoire». Cette suspicion pèsera
toujours, peu ou prou, sur les personnes d’origine arabe ou
africaine du fait même de cette origine et du fait même de la
volonté de M. Sarkozy, responsable au premier chef de la généralisation
de ce cliché démagogique à vocation électoraliste. Mais ce
cliché va lui coller à la peau, longtemps après son départ du
pouvoir, de la même manière que «le bruit et l'odeur» des
immigrés ont durablement plombé son prédécesseur Jacques
Chirac, obérant son discours humaniste.
Certes, par rapport à la séquence antérieure, la promotion
de Rachida Dati, de Rama Yade et de Fadela Amara constitue un léger
mieux par rapport à Tokia Saïfi, qui avait bénéficié d’un
strapontin et d’une aide parcimonieuse dans le premier
gouvernement de Jean-Pierre Raffarin en 2002. De par son extrême
discrétion, la modicité de sa fonction et le peu de considération
accordée à son département, elle eut droit au titre de «
premier titulaire évanescent du ministère du Développement
durable ». Mais il est à craindre que ce gouvernement
multicolore n’apparaisse à l’usage comme un conglomérat de
personnalités bariolées sans grande expérience, sans véritable
stature politique, comme un gadget médiatique, un assortiment
pour plateaux de télévision.
Madagascar 1947 : 40 à 80 000 morts en 21 mois
«Les murmures de Yad Vashem», qui dictent selon ses propres
dires la conduite du nouveau président français, ne sauraient
occulter les râles des suppliciés de Sétif (Algérie, mai
1945), de Thiaroye (Sénégal, décembre 1944), de Madagascar
(1947) et du Cameroun (19955-1971), pas plus que la longue
complainte contemporaine du peuple palestinien.
Les camps de concentration hitlériens ont abouti à la
liquidation d’êtres humains du fait de leur origine
ethnico-religieuse, de la même manière que l’esclavage et les
zoos humains ont provoqué l’anéantissement mental et physique
d’êtres humains, transformés en cadavres vivants du seul fait
de leur origine ethnico-religieuse. Les deux actes sont hautement
condamnables.
Les deux doivent être condamnés et induire la même réparation.
Il ne saurait y avoir une concurrence mémorielle. Cela relève de
la dignité de l’espèce humaine et, à ce titre, cela est
moralement non négociable.
Retour sur le discours fondateur de Sarko l’Africain
La prestation de M. Sarkozy lors de la première tournée
africaine de sa présidence, en juillet dernier a été
consternante. Et plus consternant encore le silence de la kyrielle
des intellectuels qui participent de son aréopage. Et plus
consternante enfin la satisfaction béate de sa plume, Henri
Guaino, qui se propose de populariser la parole présidentielle
par l’impression du pensum fondateur de «Sarkozy l’Africain».
Ce discours du Président Sarkozy renvoie à des stéréotypes
coloniaux primaires et ses propos outranciers révèlent sa vision
d’une «anthropologie raciste», selon l’admirable expression
de Thomas Heams, maître de conférences en génétique à Paris
(1) Ainsi donc l’Africain est figé dans la nostalgie. Ainsi
donc, à l’instar des pédophiles, cela est «inné» chez eux,
suggère le président. L’Africain, dit-il, «ne connaît que
l’éternel recommencement du temps rythmé par la répétition
sans fin des mêmes gestes et des mêmes paroles. Dans cet
imaginaire où tout recommence toujours, il n’y a de place ni
pour l’aventure humaine, ni pour l’idée de progrès… »
C’est vrai qu’il y a de la répétition chez l’Africain.
La première fois c’était à Verdun en 1916, la deuxième fois
à Monte-Cassino en 1944. Mais il y a aussi de la répétition
chez les Français eux-mêmes. Il s’agit d’une répétition
dans l’ingratitude, marquée par les massacres de Sétif
(Alger), Thiaroye (Sénégal) et Madagascar.
Et cela ne relève pas de la répétition de ma part, mais de
la réitération pour que cela soit définitivement ancré dans la
conscience nationale française: la France est le seul pays au
monde à avoir pratiqué une répression compulsive au sortir de
la Deuxième Guerre mondiale à l’encontre de ses colonies, au
moment où le Royaume-Uni accordait leur indépendance tant à
l’Inde qu’au Pakistan…
M. Sarkozy soutient que la France n’est responsable ni de la
corruption, ni de la dictature en Afrique. S’agit-il d’une méconnaissance
de notre histoire nationale, ou plus simplement de mauvaise foi ?
Le Président de la France semble ignorer l’existence de M.
Jacques Foccart et des réseaux de la Françafrique. Il semble
ignorer l’assassinat le 15 octobre 1960 à Genève de Félix
Moumié, chef de la Résistance camerounaise, dont le prédecesseur
Ruben Um Nyobé fut assassiné en septembre 1958 et le successeur
Ernest Ouandié fut fusillé en 1971.
Ruben Um Nyobè
Félix Moumié
Ernest Ouandié
Il semble ignorer le supplice de Patrice Lumumba, Premier
ministre charismatique du Congo indépendant, en 1961. Il semble
ignorer le supplice de Mehdi Ben Barka, figure de proue de
l’opposition marocaine et du Tiers-monde. Toutes ces personnalités
ont été éliminées avec l’aide des réseaux gaullistes,
l’ancêtre du parti de M. Sarkozy.
La Belgique, elle, a reconnu depuis belle lurette sa
responsabilité morale dans les dérives de son système colonial.
Mais la France, pour sa part, persiste à louvoyer, quand bien même
elle a été grandement bénéficiaire de son aventure coloniale
tant en termes économiques qu’en termes d’influence
diplomatique dans le monde… Être grand, c’est assumer ses
propres actes, c’est s’assumer sans fioritures. Il est à
craindre que la France ait encore des progrès à faire dans ce
domaine.
Il importe de ne pas banaliser l’infâme, mais d’établir
une claire démarcation entre compromis et compromission. Faire
travailler gauche et droite dans l’espace démocratique est une
chose, dédouaner un personnage qui a érigé la xénophobie en
principe de vie et programme de gouvernement en est une autre.
Nicolas Sarkozy a phagocyté la thématique de l’idéologie du
Front National, la vidant de sa substance et siphonnant du même
coup l’électorat lepéniste. En recevant Jean-Marie Le Pen à
l’Elysée, c’est en tant que vainqueur qu’il reçoit un
vaincu sur son propre terrain, mais dans le même temps, il
banalise sa thématique.
Le laxisme idéologique entretient la confusion mentale et
justifie a posteriori tout le débauchage politique dont la vie
française a offert le spectacle depuis la campagne présidentielle
2007 et l’arrivée au pouvoir de Nicolas Sarkozy. Il y a des
mutations qui retentissent comme des désertions. A défaut, la
lutte des classes cède le pas à la lutte des places et cette dérive
dévalorise le combat politique…
Références
1- « L’homme africain… », Retour sur le
discours de Nicolas Sarkozy à Dakar le 26 juillet dernier, par
Thomas Heams, Libération, 2 Août 2007.
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Publié le 20 octobre 2007 avec l'aimable autorisation de René
Naba
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