|
Opinion
Les journalistes,
nouveaux acteurs des relations internationales
René Naba
Paris, le lundi 20 juillet 2009
www.renenaba.com reproduit le texte
condensé d’une intervention de l’auteur lors d’un séminaire à
l’Institut des Etudes Politiques de Paris Mercredi 29 avril 2009
à l’occasion de la parution de son livre «De notre envoyé
spécial, un correspondant sur le théâtre du monde», Harmattan
Mai 2009. Séminaire «Média et Démocratie» dirigé par Sophie
Pommier et Mohamed el-Oifi.
Il est gratifiant pour l’ego de peser sur les relations
internationales, au point que beaucoup se vivent, à tout le
moins au sein de la corporation journalistique, comme des
acteurs majeurs de la scène mondiale, au point que beaucoup
s’imaginent de participer d’une aventure humaine exaltante, le
remodelage de la planète. Mais la réalité journalistique est
toute autre. Au sein de la corporation journalistique se
côtoient deux catégories de journalistes parfaitement
antinomiques: les Journalistes de Légende, rarissime il est
vrai, qui vivent leur mission comme un sacerdoce, et, les
Journalistes de Brocante, qui tirent profit du journalisme, du
prestige de la fonction et de ses privilèges, mus souvent par
des considérations extra journalistiques, notamment une position
de pouvoir, une reconnaissance sociale ou bien encore des
passe-droit ou des avantages matériels. La liste des
prestataires des grandes griffes du vêtement et des accessoires
de luxe qui défile quotidiennement au générique des grandes
émissions de télévision en témoigne. Elle accrédite l’idée d’un
journalisme alimentaire aux allures d’un vaste magasin de
brocante dont ils en tirent profit. Le constat est empirique. Il
se dégage de l’observation du comportement sur une longue
période.
I. Les
Journalistes de brocante (journalistes académiques, journalistes
d’importance, crypto journalistes etc. …)
A. Les
journalistes académiques appartiennent à une catégorie qui
pratique le journalisme institutionnel, appliquant les règles de
la profession stricto sensu sans éléments de pondération ou
d’évaluation. Ils veillent à un équilibre formel de
l’information dans une sorte d’équidistance indifférenciée,
oubliant que l’équité consiste à traiter inégalement une
situation inégale. Cela se traduit par une transmission des
communiqués sans état d’âmes particuliers, sans jugement de
valeur, en fonction de la source de l’information et de sa
position hiérarchique. La compétence est fonctionnelle en somme.
Le journaliste dans ce cas de figure opère comme un
fonctionnaire dans des entreprises de presse, un bureaucrate de
l’information. Aux Etats-Unis, 40 pour cent de ce qui est publié
dans la presse est directement reproduit, sans altération, des
communiqués des «Public relations» (2). Un objectif identique
est recherché en France par M. Frédéric Lefebvre, porte -parole
de l’UMP et exécuteur des basses œuvres du sarkozysme dans sa
tentative de mise au pas de l’Agence France Presse (AFP), la
plus importante entreprise de presse française.
B. Des journalistes d’importance se considèrent comme la caste
nobiliaire de la profession.
D’un
narcissisme exacerbé, ils se bercent de l’illusion de participer
à la définition des relations internationales, à la bataille des
idées. Ils sont sensibles aux marques d’égards personnels à leur
encontre, oubliant hâtivement que tout flatteur vit aux dépens
de celui qui l’écoutent. Sensibles à la flatterie, au
tutoiement, aux agapes politiques, ils sont consciemment ou non
des exécutants fidèles d’un travail fait en amont. Amplificateur
du bruit médiatique, ils constituent une formidable caisse de
résonance. Ce journalisme de révérence et de déférence est érigé
en journalisme de référence, ou dans sa variation la plus
récente, en journalisme de validation, c’est-à-dire un
journalisme qui se borne à confirmer la véracité des faits
rapportés par d’autres journalistes, au péril de leur vie. Une
sorte d’arbitre suprême des élégances de la faune journalistique
française, un usage propre à profession journalistique en
France.
Walter
Lippmann, journaliste au New Republic puis au New York Herald
Tribune a inauguré ce journalisme-là, un journalisme élitiste,
en fait un journalisme de personnes se considérant comme une
élite, supposé dispenser le peuple de la complexité des choses.
Chantre du néo-libéralisme, l’auteur de «Public Opinion-2002»,
puis de «Public Fantome (Demoplis/ Paris 2008)» Walter Lippmann
a théorisé la relative impuissance et l’incompétence des
citoyens ordinaires, les citoyens de base, à appréhender les
complexités du monde. «La manière de sélectionner, de présenter
et de censurer un fait peut avoir une importance sur sa
réception, par conséquent sur le destin des évènements»,
écrit-il. Cet aveu de Walter Lippmann prouve à l’évidence que la
manipulation de l’information n’est pas l’apanage exclusif du
totalitarisme. «L’opinion publique est une illusion et un
danger. L’essentiel lui est invisible, le processus de décision
lui échappe. Il importe de confier à l’élite le soin de
l’éclairer et de la guider», poursuit-il anticipant le
comportement du journalisme du début du XXI me siècle, notamment
la démarche suivie par la classe médiatique française lors
référendum sur le traité européen de 2005 ……..avec les résultats
que l’on sait.
En
France ce journalisme d’élite se vit comme prescripteur
d’opinion par excellence. Jean Pierre el-Kabbache, ancien
directeur de la chaîne de télévision France 2 et de la radio
Europe 1, s’est décrété ainsi, un jour, «meilleur interviewer
d’Europe», sans se préoccuper de savoir s’il existait de
meilleur que lui, ailleurs qu’en France, en dehors du cercle des
journalistes égotiques du parisianisme calfeutré, et, Christine
Ockrent a longtemps été dénommée «la Reine Christine» sans qu’il
soit possible de déterminer les origines de ce royaume, son
fondement et sa légitimité. Sa mission est non pas informative,
mais à proprement parler salvatrice. Ils se retrouvent
généralement au sein d’un «cercle de la raison», par opposition
à l’irrationalité des citoyens de base, captant pour leur
bénéfice exclusif le débat démocratique. La Fondation Saint
Simon se targue ainsi, dans la dernière décennie du XX me
siècle, d’avoir propulsé la modernisation post-industrielle de
la France en promouvant les thématiques qui ont accompagné la
mondialisation et l’ultralibéralisme débridé.
Cette
thématique avait été conçue et propagée au départ par des
laboratoires idéologiques outre atlantique notamment le
consensus de Washington et le consensus de Bruxelles
(déréglementation, privatisation, réduction des prestations
sociales). Elle a été appliquée sans la moindre retenue par «les
esprits les plus brillants de la République», selon l’expression
consacrée, avec les conséquences désastreuses que l’on sait sur
l’économie mondiale sans toutefois que ces prescripteurs n’aient
eu à pâtir des conséquences de leurs prescriptions. Jean Marc
Sylvestre, journaliste économique multicartes (France-inter,
LCI) en est un parfait exemple. Le journaliste, dans ce cas là,
est non un acteur, mais un exécutant. Mais pour bon nombre
d’entre eux l’essentiel est de participer, de figurer dans le
cercle ultra privilégiés des «happy few».
Si la
Fondation Saint Simon a joué un rôle majeur dans la fabrique de
l’opinion française, notamment en faveur de la construction
d’une Union Européenne ultralibérale, le grand prescripteur sur
le plan mondial de la stratégie occidentale et de la carrière
politique de ses servants demeure incontestablement le Forum de
Bilderberg (3) qui regroupe, chaque année, dans la plus grande
discrétion, les «décideurs » des Etats-Unis, d’Europe et du
Japon avec le concours et la participation des cent plus
puissantes entreprises du monde (Microsoft, Unilever, Coca Cola,
British Petroleum, Total, Chase Manhattan Bank, American
Express, Goldman Sachs). La 56 me rencontre de « Bilderberg»
qui s’est tenue en juin 2008 à Chantilly (région parisienne) a
été marquée, du côté français, par la participation, comme de
juste, de Christine Ockrent, Directrice du Pôle audiovisuel
extérieur (France 24, TV5, RFI, RMC International), compagne en
ville de Bernard Kouchner, ministre français des Affaires
étrangères, ainsi que de François Pérol, nouveau PDG du groupe
Natixis Nexis (Banque Populaire + Caisse d’Epargne), ancien
secrétaire général adjoint de l’Elysée, de
Manuel Valls, député socialiste, représentant de
l’aile sécuritaire du parti socialiste et partisan de la
réconciliation de la Gauche et de l’ultralibéralisme, l’homme
qui rêve de peupler la ville d’Evry, dont il est le maire,
de «White» et de « blancos», ainsi que de Bassma Kodmani,
franco-syrienne, directrice de l’Initiative Arabe de Réforme (Arab
Reform Initiative), un « think tank» regroupant divers
instituts de recherche du monde arabe, travaillant en
partenariat avec des instituts européens et américains sur la
transition démocratique dans le monde arabe, en coordination à
Paris avec l’Institut d’études de sécurité.
La 57
ème édition tenue en Grèce en Mai 2009 a été marquée par la
participation des personnalités françaises suivantes : Alexandre
Bompard (Europe 1-Groupe Lagardère), Denis Olivennes (Nouvel
Observateur), Nicolas Baverez (Le Point-Groupe Pinault) et
Xavier Bertrand (secrétaire général de l’UMP).
C. Les crypto journalistes: Le journalisme-là sert de camouflage
au militantisme politique.
Soldats de la guerre idéologique, les journalistes de Radio Free
Europe et ceux qui émargeaient sur le budget du Congrès pour la
Liberté et la Culture, organe souterrain de la CIA, à l’époque
de la guerre froide soviéto-américaine, appartiennent à cette
catégorie comme de nos jour Fox news, la chaîne
ultraconservatrice américaine, et, sur le plan arabe, les
journalistes de Radio Sawa et de la chaîne TV «Al- Hurrah», les
deux vecteurs américains lancés après l’invasion de l’Irak, en
2003 (4). Nonobstant leur talent, les journalistes d’importance
et les crypto journalistes sont généralement des journalistes
multicartes, affectés à une amplification maximale de leurs
thèses.
Alexandre Adler, en France, et, Abdel Rahman ar Rached, dans le
monde arabe, sont de parfaits exemples de journalistes
multicartes.
Passé,
à l’instar de sa tante par alliance, Annie Kriegel, du
communisme le plus rigide à l’ultra libéralisme le plus débridé
sans le moindre sas de décompression, l’éditorialiste du Figaro
et de France Culture assume de surcroît les fonctions de porte
voix compulsif des crispations communautaristes du judaïsme
institutionnel français. Quant au Directeur d’Al Sharq al Awsat,
le journal panarabe saoudien, il cumule cette responsabilité
avec les fonctions de directeur de la chaîne saoudienne «al
Arabya» et d’ éditorialiste de la chaîne américaine arabophone
«Al Hurrah», créée après l’invasion américaine de l ’Irak.
Assumant une fonction déclamatoire, les journalistes
d’importance sont en rivalité avec les diplomates, les
intellectuels médiatiques et leur excroissance, les
intellectuels médiatiques évolutifs, dont le plus illustre
exemple n’est autre qu’Alexandre Adler déjà cité, passé de
l’Humanité au Figaro en transitant par Libération, le Courrier
International et Le Monde, sans que personne ne songe à
l’interroger sur cette mobilité et ses répercussions sur sa
fiabilité, au point de jeter un voile de suspicion sur un large
spectre du champ médiatique. Bon nombre d’entre eux apparaissent
ainsi comme des mercenaires de la presse exonérés des
conséquences de leur prescription, une suspicion accentuée par
le prestige du nouveau venu sur la scène médiatique, les
organisations non gouvernementales (ONG), un opérateur majeur,
dont la présence sur le terrain confère à ses membres une
crédibilité certaine en tant que témoins dotés d’une expertise,
contrairement à de nombreux experts autoproclamés de la cohorte
journalistique.
II. Les
journalistes de légende
Le
journaliste de légende représente une incongruité dans le
paysage médiatique, car il se vit non comme un partenaire mineur
du gouvernement, mais un observateur majeur de la vie politique.
Il ne pratique pas le devoir de référence ou de déférence, mais
un devoir d’impertinence. Sa grille de décryptage ne relève pas
d’une lecture linéaire des phénomènes politiques et sociaux,
voire d’une lecture nourrie de présupposés, mais d’une lecture
fractale, une lecture en contre champs des événements et
n’hésite pas, le cas échéant, à penser contre son propre camp,
si besoin est. Les journalistes français qui ont dénoncé la
torture en Algérie durant la guerre d’indépendance, les
journalistes américains sur la liste noire des services
américains qui ont «brisé la loi du silence» (5) en dénonçant
les manipulations de l’opinion publique américaine et les
opérations de déstabilisation dans le tiers monde relèvent
normalement de cette catégorie.
Connu
pour son professionnalisme, reconnu à contrecoeur au sein de la
profession, méconnu par les pouvoirs publics et inconnu du grand
public, le journaliste de légende souffre d’une tare
irrémédiable. En infraction avec les règles de la connivence, ce
journaliste là est un «tricard» parce qu’ «incontrôlable», ce
qui donne à penser a contrario que le journaliste d’importance
est fréquentable car «contrôlable». La mise à l’index est une
pratique courante du débat d’idées pour neutraliser une opinion
dissidente. Il en a été ainsi au XIX me siècle avec le
Syllabus édicté en1864 sous PIE IX qui recensait la liste
des idées condamnées par le Souverain Pontife (laïcité,
athéisme etc.), qui finira, par analogie, à englober
l’ensemble des idées que l’idéologie dominante interdit
d’exprimer. Toute proportion gardée, le régime hitlérien, en
Allemagne, avait lui aussi édicté son propre Linguæ Franca, le
langage codifié qui permettait à ses usagers de déceler les
récalcitrants au nazisme. Plus près de nous, la France
sarkozyste dispose, elle aussi, de son propre «Linguæ Quintae
Respublicae» (6), avec son concert de balivernes «travailler
plus pour gagner plus», flexibilité du monde du travail au lieu
de précarisation du travailleur etc.….
Aboutissement des relations incestueuses entre media et
politique, l’embedded a représenté dans l’histoire de la presse
la forme la plus achevée de l’imbrication du journalisme au
pouvoir politique. L’embedded (7) a fait son apparition
lors de l’invasion américaine de l’Irak, en mars 2003.Il a pris
en France l’ampleur d’un phénomène tel qu’il constitue un cas
d’école à nul autre pareil, à tout le moins au sein des grandes
démocraties occidentales. L’embedded est littéralement
celui qui partage le même lit que le sujet de son reportage. Un
couplage en somme.
La
scène médiatico-politique contemporaine française abonde de ces
couples célèbres dont les plus visibles sont Bernard Kouchner,
ministre des Affaires étrangères, et Christine Ockrent (pôle
audiovisuel extérieur), Jean Louis Borloo, ministre d’État
et ministre du Développement durable et Béatrice Schoenberg (France
2), Dominique Strauss-Kahn, ancien ministre des Finances et
candidat à la direction du Fonds Monétaire International, et
Anne Sinclair (RTL-TF1), François Baroin, ancien
ministre de l’Outre-mer et de l’Intérieur et Marie Drucker
(France 3), auparavant, Alain Juppé (à l’époque ministre
des Affaires étrangères) et Isabelle Juppé (La Croix),
sans oublier les deux dernières idylles, celle de Nicolas
Sarkozy avec Anne Fulda (Le Figaro), du temps de l’escapade
new-yorkaise de son épouse Cécilia Sarkozy et celle de François
Hollande, premier secrétaire du Parti socialiste, avec Valérie
Treirveiler (Paris Match, puis Direct TV).
La
mutation professionnelle a cédé la place à l’accouplement. Dans
le nouveau cas de figure, l’activité ne change pas, mais se
couple tant au niveau de la vie professionnelle que conjugale
avec un partenaire qui représente l’autre pôle du pouvoir,
nourrissant par là même le procès d’une confusion des genres
préjudiciable à la démocratie. Là où Clemenceau et Jaurès
changeaient la forme de leur combat dans la fidélité à leur
engagement antérieur, –des journalistes devenus des hommes
politiques–, la nouvelle génération paraît avoir empruntée un
chemin différent privilégiant le plan de carrière à la fidélité
aux engagements antérieurs.
Le
journaliste cesse d’être un observateur critique de la vie
politique pour se muer par synergie, sinon en amplificateur des
idées de son partenaire politique, à tout le moins en un facteur
de surexposition médiatique de son compagnon de vie. Les médias
apparaissent désormais comme véhicule d’une idéologie dominante,
la surinformation aboutit à une désinformation et les citoyens
tout comme la grande majorité des prescripteurs des
«analphabètes secondaires », en pleine désorientation, selon
l’expression de Hans Magnus Eisenberger, auteur de «Médiocrité
et folie». Tout un programme.
La
communication tend en effet à se substituer à l’information et
ses dérives nous renvoient à la propagande de base des régimes
totalitaires que les pays démocratiques sont censés combattre. A
la fin des années 1990, le nombre des salariés des agences des
relations publiques (150.000) aux Etats Unis dépassait celui des
journalistes (130.000) et le budget américain de l’industrie des
relations publiques a dépassé celui de la publicité. Le chiffre
d’affaires mondial des journaux et magazines avoisinait, en
2006, les 275 milliards de dollars, dont environ 175 milliards
financés par la publicité, soit 65%, en augmentation, avec un
maximum de 88% aux Etats-Unis. En ajoutant les radios, cela
faisait environ 540 milliards de dollars par an, soit presque
deux fois les dépenses annuelles de l’état français.
«Entertainment» (divertissement) comme outil et «advertising»
(publicité) comme finalité. Le but n’est pas d’informer, mais
d’attirer assez l’attention pour faire passer le vrai produit:
la publicité. L’«information» là-dedans est un excipient comme
un autre, dont le but n’est pas d’informer mais d’attirer
l’attention et de véhiculer des messages publicitaires.
L’information devient «infotainement», une information de
divertissement. Ce qui explique en France que les grandes
émissions politiques des précédentes décennies, comme l’«Heure
de vérité» sur France 2, faite par des journalistes, a
depuis longtemps cédé la place aux émissions de divertissement.
Les hommes politiques préfèrent, et de loin, passer chez les
animateurs de variétés (Michel Drucker ou Marc Olivier Fogiel)
pour promouvoir leurs idées. Le temps de cerveau disponible du
lecteur ou téléspectateur humain ingurgite chaque année pour 400
milliards de dollars américains de messages intéressés. Emis par
qui? Sur les 360 milliards fournis aux anciens médias par la
publicité, 160 milliards, soit 44%, sont «attribués» par les
sept premiers groupes de publicité, qui font un chiffre
d’affaires direct d’environ 50 milliards.
En
France, en deux ans (2004-2005), les trois principaux quotidiens
français ont bouleversé leur actionnariat dans une relative
indifférence: Le Figaro a été racheté par Dassault, Libération
recapitalisé par Rothschild et Le Monde renfloué par Lagardère
(8). Il en découle de ce panorama que le journaliste qui se
propose d’être un acteur des relations internationales se doit
d’être rarement sur la table des convives.
Le
journaliste acteur des relations internationales est celui qui
rompt le monopole du récit médiatique des médias du consensus.
Tel est le cas aux Etats-Unis de Seymour Hersch (9) (New Yorker),
qui révéla les massacres de My lai, (Vietnam 1969), ou de
Franklin Lamb de la revue Counterpunch (Etats-Unis), qui
dévoila la connivence du clan Hariri au Liban avec les groupes
radicaux de l’Islam sunnite dans les affrontements du camp
palestinien de Nahr el Bared (Nord Liban) en 2007. En France, la
revue bimestrielle RILI (Revue Internationale des Livres et des
Idées), le mensuel «Le Monde Diplomatique», notamment lors de sa
bataille victorieuse pour torpiller l’AMI (accord multilatéral
sur les biens culturels) ou encore, chacun à sa façon,
l’hebdomadaire satirique «Le Canard Enchaîné» et «Le plan B», la
revue critique des médias relèvent de cette catégorie. Dans le
monde arabe, Al Qods al arabi, le journal transfrontière arabe
basé Londres, et la chaîne de télévision al Jazira, ont réussi à
modifier l’agenda médiatique international, à contre-courant de
la tendance générale.
Conséquence de cette endogamie de la classe politico médiatique,
les grands pontifes de la presse pâtissent de la désaffection du
public à leur égard et de l’engouement d’une nouvelle génération
de lecteurs pour le journalisme électronique, notamment, en
France, le site Bakchich (journalisme d’investigation), Acrimed,
le site critique des Médias, les grands sites fédérateurs à
l’instar de Rebelion. org (Amérique Latine), Mondialisation.ca
(Amérique du Nord), Oumma.com (France), Al Andalus.ma (Maghreb),
qui drainent près de quinze millions de lecteurs réguliers en
France.
Les
journalistes sont-ils des acteurs de l’Histoire ? C’est
l’histoire qui décidera en fait quels sont les journalistes qui
sont des acteurs et quels sont ceux qui font l’histoire. C’est
elle qui fera le tri, qui désignera les élus, distinguera pour
la postérité ceux qui ont contribué à l’Histoire, et, partant
les falsificateurs.
Que
reste-t-il en effet de Judith Miller, la grande prêtresse du
journalisme américain du Moyen orient ? Renvoyée sans ménagement
du prestigieux journal New York Times qu’elle a sérieusement
discréditée par sa manipulation de l’opinion publique
internationale à propos des armes de destruction massives en
Irak, dans une opération menée en concertation avec le vice
président Dick Cheyney, le sulfureux opposant irakien Ahmad
Chalabi et la nièce de ce dernier, employée du journal américain
au Koweït. Relayant et amplifiant une information devenue par
saturation un de arguments justificatifs de l’administration
néo-conservatrice à l’invasion américaine en Irak, Judith Miller
traîne désormais comme un boulet son accablant sobriquet:
l’«arme de destruction massive de la crédibilité du New York
Times», récupérée, juste retour des choses, par l’American
Enterprise Institute, le fief du néo-conservatisme américain et
du christianisme sioniste, terme ultime de quarante ans de
mystification professionnelle.
Que
reste-t-il de Robert Maxwell, le flamboyant magnat de la presse
britannique, agent de renseignement souterrain des services
israéliens? Suicidé par noyade, par une nuit noire, à bord de
son yacht, et sa famille acculée à la faillite.
Que
reste-t-il de PPDA, au-delà de ses succès mondains? La fausse
interview de Fidel Castro et sa condamnation pour abus de biens
sociaux dans l’affaire Pierre Botton. Le présentateur le plus
populaire de France de la plus importante chaîne de télévision
d’Europe (TF1), qui avait eu l’outrecuidance de fixer lui-même
la date de son retrait, a été licencié par SMS, comme un
vulgaire saute-ruisseau, résigné à courir le cacheton dans
les médias périphériques.
Que
reste-t-il de Jean Pierre el Kabbache? Le souvenir cuisant de sa
honteuse manœuvre pour s’exonérer de sa responsabilité dans
l’annonce prématurée de la mort de l’artiste Pascal Sevran et
son souci d’obtenir l’aval préalable de Nicolas Sarkozy pour la
nomination du journaliste accrédité au ministère de l’intérieur,
du temps où le président français était titulaire de la charge
Que
reste-t-il de Christine Ockrent? L’interview d’un condamné à
mort, la veille de son exécution, l’ancien premier ministre
monarchiste iranien, Amir Abbas Hoveyda, révélant prématurément
son opportunisme à tout crin. Sa réputation de professionnalisme
dégonflée comme un ballon de baudruche par son recours abusif
aux publi-reportages surtarifés, en contradiction avec la
déontologie, accréditant l’image d’une ménagère affairiste avide
et cupide.
Que
reste-t-il de Jean Marie Colombani? Désavoué par sa propre
rédaction du fait de sa grande proximité avec un plagiaire,
Alain Minc, le fossoyeur de l’empire italien de Carlo de
Benedetti, et sa fanfaronnade honteuse du lendemain des
attentats du 11 septembre 2001: «Nous sommes tous des
Américains», méprisante à l’égard de tous ceux qui à travers le
monde ont eu à pâtir du bellicisme américain: Les Vietnamiens
carbonisés par l’agent orange, les Latino-américains pressurisés
par United Fruit, la population caramélisée de Hiroshima et
Nagasaki (Japon), les Palestiniens en voie d’éradication.
Que
restera-t-il de Claude Askolovitch, l’étoile montante du
journalisme sarkozyste, le nouveau patron de presse du groupe
Lagardère? L’affaire Siné: une carrière météorique propulsée par
une délation calomnieuse d’un faux procès en antisémitisme à
l’encontre d’un confrère satirique. Une ambition satisfaite
d’une haine recuite par le recours à une pratique honteuse de
l’Histoire de France dont une large fraction de la communauté
juive en a eu à pâtir durant la Deuxième Guerre mondiale
(1939-1945).
Acteur
ou non de l’histoire, le journaliste est d’abord le reflet de
son époque. La notoriété n’est pas forcément synonyme de
crédibilité. Elle est tout au plus le reflet de la presse à une
époque, dans son aspect glorieux parfois, dans son aspect
hideux, souvent.
Références 1-Texte condensé
d’une intervention de l’auteur lors d’un séminaire à l’Institut
des Etudes Politiques de Paris Mercredi 29 avril 2009 à
l’occasion de la parution de son livre «De notre envoyé spécial,
un correspondant sur le théâtre du monde», Harmattan- Mai 2009.
Séminaire dirigé par Sophie Pommier et Mohamad el-Oifi.
2- Paul Moreira, producteur de l’émission de
référence de Canal + et auteur d’un ouvrage documenté sur «Les
nouvelles censures- dans les coulisses de la manipulation de
l’information» (Editions Robert Laffont février 2007). Un
objectif identique est recherché en France par M. Frédéric
Lefebvre, porte -parole de l’UMP et exécuteur
3- Le groupe Bilderberg a vu le jour en 1954 à
l’initiative Josef Luns, ancien secrétaire général de l’Otan
secondé par le banquier américain David Rockefeller et du
Prince Bernhard des Pays-Bas, époux de la Reine Juliana,
ultérieurement éclaboussé par le scandale des pots de vin de la
firme aéronautique Lockheed. Le groupe tire son nom du lieu de
ses premières assises, l’hôtel Bilderberg à Oosterbeek (Pays
Bas).
4 –Cf. : Mohamed el-Oifi, Maître de
conférences à l’Institut d’Etudes Politiques de Paris, «Al
Hurrah ou les limites de la diplomatie médiatique», in «Les
Arabes parlent aux Arabes, la révolution de l’information dans
le monde arabe», sous la direction de Yves Gonzales-Quijano
et Tourya Guaaybess (Sindbad – Mai 2009)
5 – Cf. à ce propos les deux ouvrages de
Kristina Borjesson: « Black List, quinze grands journalistes
américains brisent la loi du silence» de Kristina
Borjesson – Editons les Arènes-2003 et » Média control,
huit grands journalistes américains résistent aux pressions de
l’administration Bush» Kristina Borjesson – Les Arènes – Mai
2006.
6- « LQR (Linguae Quintae Respublicae),
la propagande au quotidien» de Eric Hazan, Editions Raisons
d’agir 2006
7- Cf. à propos «De notre envoyé spécial, un
correspondant sur le théâtre du Monde (1969-2009) – René Naba
Editions l’Harmattan notamment les chapitres «Média et
démocratie», 1- l’ Embedded à la française, 2- Les Médias comme
véhicule d’une idéologie dominante.
Et en ce qui concerne, la presse arabe en
générale et la presse libanaise en particulier: «Les
tribulations de la presse libanaise: de référence journalistique
au contorsionnement mercantile».
8 – «Libération de Sartre à Rothschild» de
Pierre Rimbert Editions Raisons d’agir 2005-
9- Seymour Hersch, prix Pulitzer 1970, est
l’auteur des révélations du Massacre de My Lai au Vietnam en
novembre1969, du projet Jennifer (tentative de récupération de
l’épave du sous-marin soviétique K-129), des activités de la CIA
sur le territoire américain contre les mouvements pacifiques et
autres opposants sous le couvert de contre-espionnage,
contraignant à la démission James Jesus Angleton, le chef du
contre-espionnage de la CIA, en 1974.
© Toute reproduction intégrale ou
partielle de cette page faite sans le consentement écrit de René
Naba serait illicite (Art L.122-4), et serait sanctionnée par
les articles L.335-2 et suivants du Code.
Publié le 31 juillet 2009 avec l'aimable autorisation de René Naba.
|