|
Analyse
Rony Brauman, un
curseur dans le domaine humanitaire
René Naba
Paris, 14 novembre 2009 De la cohorte des idéalistes,
opportunistes ou affairistes qui gravitent dans l’orbite de
l’action humanitaire internationale, un homme se distingue: Rony
Brauman, un curseur dans le domaine humanitaire, tant pour son
humanisme que pour son humanité…. que pour son urbanité.
Beaucoup voient en lui le parfait représentant du médecin
urgentiste de l’intervention humanitaire auprès des peuples en
désespérance. Sa profession, la médecine, est une vocation qu’il
vit comme une mission, et, sa judaïté, il l’assume,
naturellement, comme une donnée de la naissance dont il
n’éprouve aucun besoin de justification, de compensation ou de
surcompensation. Une éthique de vie qui l’oblige et non un
argument de vente qu’il instrumentalise pour sa promotion
médiatique.
Beaucoup voient en lui une antithèse du grand gourou de
l’humanitarisme médiatique, Bernard Kouchner, que ses anciens
compagnons de route socialistes qualifient charitablement d’«un
tiers mondiste, deux tiers mondain», pour sa flamboyance et ses
extravagances, grand bourgeois parisien qui se vit comme
«doublement juif parce qu’à moitié juif», comme si l’identité
était quantifiable, l’engagement humanitaire conditionné par sa
rentabilité politique et la solidarité humaine prédéterminée par
la discrimination des critères religieux ou sociaux.
Natif de Jérusalem, Rony Brauman n’en tire aucun argument de
pouvoir, mais une exigence de fidélité aux valeurs de
l’universalisme, du socialisme et de la solidarité avec les
opprimés dont se réclame précisément l’humanisme. Rigoureux,
cohérent, exigeant, dans un pays tétanisé par les remugles de la
collaboration vichyste de la France et l’accusation inhérente
d’antisémitisme qui pend inévitablement sur quiconque s’écarte
de la doxa officielle, il signera, en Août 2006, un appel contre
les frappes israéliennes au Liban, à l’appel de l’Union Juive
Française Pour la Paix (UJFP).
Son combat pour un état palestinien constitue pour lui une
évidence et non un handicap politique, élément d’un combat plus
général en vue de l’instauration de la justice au Moyen orient.
Briseur de tabous, non sans risque, il signera la postface de
l’ouvrage non conformiste du politologue américain, Norman G.
Finkelstein, fils de déportés, portant sur un sujet tabou s’il
en est, «L’Industrie de l’Holocauste: réflexions sur la
souffrance des Juifs». Il s’insurgera contre «l’humanitaire
spectacle» à propos de l’affaire de l’arche de Zoé,
l’exfiltration clandestine d’enfants tchadiens sous couvert du
conflit du Darfour, le point de déploiement médiatique de
Bernard Kouchner dont le ministre atlantiste des affaires
étrangères en a abusivement fait usage comme contre feu
médiatique aux guerres israéliennes de destruction du Liban
(2006) et de Gaza (2008).
Sa vision de l’humain est simple non simpliste, dépouillée
des présupposés idéologiques: L’urgence humanitaire s’applique à
tous sans discrimination et s’impose à tous sans hésitation,
comme un devoir à l’égard de toute souffrance quelle que soit la
religion, l’ethnie ou le degré de richesse de la zone
d’intervention, se plaçant, là aussi, à contre courant de son
faux frère particulièrement motivé, mais non exclusivement, pour
les minorités ethniques des zones pétrolifères, allant jusqu’à
blanchir, contre toute évidence, la junte birmane de
l’accusation d’esclavage des jeunes travailleurs dans un rapport
commandité par la firme pétrolière française «Total».
La souffrance représente pour lui réalité humaine concrète et
ne relève d’aucune construction intellectuelle, encore moins
d’un tropisme occidental à l’égard de l’Islam, contrairement à
la tendance dominante de l’intelligentsia parisienne qui
conduira en France chaque notabilité intellectuelle à disposer
de sa minorité protégée, comme la marque de la bonne conscience
chronique de la mauvaise conscience, comme une sorte de
compensation à son trop grand désintérêt pour les Palestiniens,
compensant son hostilité aux revendications du noyau central de
l’Islam, la Palestine et le Monde arabe, par un soutien à
l’Islam périphérique: Il en est ainsi du philosophe André
Glucksman pour les Tchétchènes, quand bien même son nouvel ami
le président Nicolas Sarkozy, est devenu le meilleur ami
occidental du président russe Vladimir Poutine; il en est de
même de Bernard Henry Lévy, pour le Darfour, quand bien même son
entreprise familiale est mentionnée dans la déforestation de la
forêt africaine. Ill en est aussi et surtout de Bernard
Kouchner, pour les Kurdes, ces supplétifs des américains dans
l’invasion américaine d’Irak, pour le Darfour, le Biafra et la
Birmanie.
Au point qu’un journaliste anglais Christopher Caldwell en
déduira dans la prestigieuse revue London Review of Books que
cette prédilection pour les zones pétrolifères stratégiques de
«l’humanitarisme transfrontière de Bernard Kouchner asservit les
intérêts de la politique étrangère française à ceux des
Etats-Unis et que l’humanitarisme militarisé du transfuge néo
sarkozyste n’est qu’une forme de néo conservatisme larvé».
«Humanitaire, diplomatie et droits de l’homme», le dernier
ouvrage de Rony Brauman (Editions du Cygne) met en rapport les
termes du débat contradictoire qui anime depuis près d’un demi
siècle l’action humanitaire internationale, dont les deux
anciens présidents de «Médecins Sans frontières», Rony Brauman
et Bernard Kouchner, en ont alimenté la controverse à fronts
renversés.
Mais, paradoxalement, celui qui devrait personnifier le mieux
cette dualité, théoriquement complémentaire, celui qui devait
par principe privilégier la diplomatie à double titre, au titre
de médecin et au titre de chef de la diplomatie française,
paraîtra constamment fasciner par les avantages d’un bellicisme
purificateur, suscitant l’émotion de la communauté diplomatique
internationale par des propos alarmistes sur l’Iran le 15
septembre 2007.
De retour d’une visite en Israël, et relayant sans doute les
préoccupations de ses interlocuteurs, Bernard Kouchner, ce
récidiviste en la matière, partisan auparavant d’une
intervention musclée en Irak pour évincer Saddam Hussein, n’a
pas écarté l’hypothèse d’une guerre contre l’Iran rejoignant en
cela les thèses atlantistes de son nouveau mentor Nicolas
Sarkozy, auteur d’une équation aussi sommaire que rudimentaire
«la bombe iranienne ou le bombardement de l’Iran», seul
dirigeant au Monde d’ailleurs à adopter ouvertement sur ce thème
un lexique identique aux Israéliens, désignant Gaza de «Hamastan»
et le Hezbollah libanais de «terroriste».
Toute honte bue, Kouchner n’hésitera pas, non plus, à
revendiquer le bénéfice de la politique menée par son
prédécesseur Dominique de Villepin, qu’il couvrait pourtant de
sarcasme, pour son hostilité à l’invasion américaine de l’Irak.
Pis, à l’apogée de sa gloire ministérielle, au poste
prestigieux de ministre des affaires étrangères de la France,
Bernard Kouchner reniera ses idéaux de jeunesse et le combat de
sa vie: «J’ai eu tort de demander ce secrétariat. Il y a
contradiction permanente entre les droits de l’homme et la
politique étrangère d’un Etat, même en France », dit-il dans le
journal «Le Parisien» à propos de la création d’un pote de
secrétariat aux droits de l’homme dans le premier gouvernement
de la présidence Sarkozy et son attribution à Rama Yade.
« Cette contradiction peut être féconde, mais fallait-il lui
donner un caractère gouvernemental en créant ce secrétariat
d’Etat ? Je ne le crois plus et c’est une erreur de ma part de
l’avoir proposé au président», ajoute le ministre soulignant
dans cette interview en date du 10 décembre 2008, confessant
qu’on « ne peut pas diriger la politique extérieure d’un pays
uniquement en fonction des droits de l’homme ».
Cette déclaration de Bernard Kouchner a retenti comme un
reniement, et par contrecoup, comme un désaveu de celui qui
passe pour s‘être servi du combat pour la défense des Droits de
l’homme comme un tremplin vers le pouvoir politique, et au delà
vers le maroquin ministériel.
Dans le cas de Rony Brauman, ce risque là est inexistant.
Partisan de l’ingérence sous sa forme pacifique à l’époque de la
guerre froide, Rony Brauman en devient un critique constant
lorsque celle-ci se transforme en justification d’invasions
armées. Considérant que les mésaventures de l’Arche de Zoé sont
plus un symptôme qu’une dérive, il soutient que toute forme de
secours ou de solidarité ne relève pas nécessairement de
l’humanitaire et toute action humanitaire n’est pas
nécessairement bonne. Et Plutôt que d’asséner des principes ou
réitérer des idéaux, Rony Brauman fait le choix de s’interroger
sur les limites d’une forme d’action dans laquelle il reste
engagé.
Une des rares personnalités à parler vrai en connaissance de
cause, il n’a jamais brigué d’autres responsabilités qui ne
relèvent de la médecine ou de l’humanitarisme, sans le moindre
débordement sur le plan politique, sans la moindre tentation
carriériste, sans le moindre soupçon d’affairisme, contrairement
au «cosmopolite» Bernard Kouchner et ses contrats gabonais qui
permirent au ministre français des affaires étrangères de
cachetonner sans état d’âme pour une dictature corrompue (3).
En somme, le Fondateur de «Médecins Sans Frontières» et son
successeur constituent les déclinaisons antinomiques d’un même
brillant, celui qui démarque le clinquant fondateur de
l’étincelant successeur.
Références
Rony
Brauman
Humanitaire, diplomatie et droits de l’homme
Editions du Cygne
ISBN: 978-2-84924-152-3
Spécialisé en pathologie tropicale, de
nationalité française, Rony Brauman est né le 19 juin 1950 à
Jérusalem. Ancien président de Médecins sans frontières de
France (de 1982 à 1994), il est lauréat du Prix de la Fondation
Henri Dunant 1997. Coréalisateur avec le cinéaste israélien Eyan
Sivan d’un documentaire (1999) sur le procès d’Adolf Eichmann
(1961) dont le scénario est basé sur l’essai Eichmann in
Jérusalem de la philosophe Hannah Arendt, il est l’auteur de
plusieurs ouvrages notamment. Penser dans l’urgence : Parcours
critique d’un humanitaire, Seuil, 2006 – entretien avec
Catherine Portevin.
Éloge de la désobéissance (Le Pommier, 1999,
document d’accompagnement du film intitulé Un spécialiste:
portrait d’un criminel moderne, réalisé à partir des archives
vidéo du procès d’Eichmann, avec le cinéaste Eyal Sivan), Les
médias et l’humanitaire (avec René Backmann, Victoires, 1998),
Devant le Mal. Rwanda, un génocide en direct, Arléa, 1994, Le
crime humanitaire. Somalie. Arléa, 1993
2.
«Kouchner ou l’ambiguïté à la française», Christopher Caldwell
London Review of Books 1e Août 2009
3.
«Le Monde selon K.» par Pierre Péan Fayard Février 2009© Toute reproduction intégrale ou
partielle de cette page faite sans le consentement écrit de René
Naba serait illicite (Art L.122-4), et serait sanctionnée par
les articles L.335-2 et suivants du Code.
Publié le 14 novembre 2009 avec l'aimable autorisation de René Naba.
Les
textes de René Naba
|