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Blog René Naba
De
l’instrumentalisation de l’Islam comme arme de combat
politique
René Naba
Le monde musulman: sa sphère d'influence
culturelle et religieuse
14 octobre 2007
L’incendie de la Mosquée d’Al-Aqsa, acte de
naissance de l’islamisme politique.
L’incendie de la Mosquée d’«Al-Aqsa», survenue deux ans
après la défaite arabe de juin 1967, dans un climat exacerbé
par une ambiance de catastrophisme et d’humiliation, va servir
de détonateur à la résurgence du sentiment religieux dans
l’espace arabo-musulman avec pour inéluctable conséquence la
marginalisation progressive du nationalisme arabe, le fer de lance
de la revendication indépendantiste de la période post-coloniale
qui a suivi la II me Guerre mondiale (1939-1945).
La mise à feu du Dôme de la Mosquée, le 21 Août 1969, a été
d’emblée perçue comme le prélude à la judaïsation rampante
du secteur arabe de la Ville Sainte de Jérusalem. Elle mettra en
ébullition le monde arabe et musulman et favorisera leur jonction
symbolique en donnant lieu à la tenue du premier sommet islamique
contemporain, le 1er septembre 1969, à Rabat, sous l’égide des
monarques arabes proaméricains, Fayçal d’Arabie et Hassan II
du Maroc, épaulés en la circonstance par le Chah d’Iran Reza
Pahlévi, et le Pakistan, le plus grand état islamique après
l’Indonésie et une des grandes puissances militaires d’Asie.
A ce titre, l’incendie du troisième Haut Lieu Saint de l’Islam
apparaît rétrospectivement comme l’acte de naissance de
l’islamisme politique, une date fondatrice de l’histoire de la
sphère arabo-musulmane, devenu au fil des jours un des défis
majeurs de l’histoire contemporaine.
Au départ, cela devait être l’arme absolue, à double détente,
à l’effet, d’une part, de marginaliser, puis de neutraliser
le nationalisme arabe ainsi que son chef charismatique, Gamal
Abdel Nasser, déstabilisé par la défaite de 1967, servir,
d’autre part, de levier au combat anti-communiste, sous couvert
de la lutte contre l’athéisme, au plus fort de la guerre froide
soviéto-américaine.
Mais trente huit ans après sa mise en oeuvre à l’occasion
de l’incendie d’Al-Aqsa, dont la commémoration est célébrée
le 21 Août dans une indifférence quasi-générale qui frise
l’oubli, l’islamisme politique, c’est à dire l’instrumentalisation
de la religion musulmane en tant qu’arme de guerre contre les
ennemis de l’Amérique et des pétromonarchies du Golfe, paraît,
à en juger par son bilan, s’être retourné contre ses
promoteurs, tel un magistral effet de boomerang.
Israël, puissance occupante, s’est empressé d’imputer la
responsabilité de cet acte sacrilège à un illuminé, un
australien de confession juive, Michael Rosen, diagnostiqué comme
atteint de troubles mentaux.
Le même diagnostic sera porté, 24 ans plus tard, à
l’encontre d’un autre illuminé, Baruch Goldstein, militant
intégriste juif, auteur d’une fusillade contre la Mosquée d’Hébron,
en 1994, faisant plusieurs dizaines de victimes. A croire que la démence
est un argument commode pour s’exonérer de toute responsabilité
et se dispenser de toute remise en cause de sa propre politique.
L’homme, Michael Rosen, son forfait accompli, est tombé
depuis lors dans l’oubli, mais les conséquences de son acte se
font sentir encore de nos jours, confirmant non seulement le rôle
détonateur de Jérusalem, comme en témoigne la provocation d’Ariel
Sharon sur l’esplanade de la Mosquée en septembre 2000 déclenchant
la seconde Intifada palestinienne, mais également la prépondérance
prise par l’équation islamique dans la radicalisation du
conflit israélo-arabe.
Le Forum islamique de Rabat qui avait regroupé alors 35 pays
devenus depuis 55, débouche sur une mutation sémantique qui
masque un réel bouleversement géostratégique: Le mot d’ordre
d’unité arabe, moteur de la revendication nationaliste pendant
un quart de siècle, cède le pas à la solidarité islamique et,
au niveau politique, Nasser, qui succombera un an plus tard de
crise cardiaque, cède la prééminence au gardien des Lieux
Saints de l’Islam, le Roi Faysal d’Arabie saoudite.
Sous couvert de solidarité islamique, un basculement s’opère.
Le centre de gravité du Monde arabe se déplace vers le Golfe,
des Républiques prosoviétiques vers les pétromonarchies proaméricaines,
des zones de pénurie contestataires de la Méditerranée vers les
zones de prospérité léthargique du Golfe désertique,
accentuant les clivages et la rivalité entre les deux versants du
monde arabe désormais dilué dans un ensemble plus vaste
solidement encadré, face à Israël, par l’Islam asiatique, supérieur
numériquement aux musulmans arabes et constitué des puissances
militaires régionales musulmanes non arabes (Pakistan, Turquie,
Iran). La nomination d’un asiatique, le Tunku Abdul Rahman,
ancien premier ministre de Malaisie, au poste de premier secrétaire
général de la Conférence Islamique entérine cette évolution.
Alors qu’en Amérique Latine, les Etats-Unis combattaient
avec fermeté le clergé se réclamant de la « théologie de libération»,
qu’ils accusaient d’infecter le Christianisme du marxisme, ils
vont, sur le théâtre d’opération du Moyen-Orient, tourné résolument
le dos à la stratégie adoptée sur le continent sud américain.
Sans craindre la contradiction, ils vont parrainer la montée en
puissance de la Monarchie wahhabite, représentant la tendance la
plus rigoriste de l’Islam sunnite, «l’interprétation la plus
pauvre qu’ait jamais connue l’histoire théologique et
doctrinale de l’Islam», selon l’expression de
l’universitaire franco-tunisien Abdel Wahhab Meddeb, professeur
de littérature comparée Islam Europe à l’Université Paris
X-Nanterre .
Alors que 277 membres religieux ou laïcs se réclamant de la
« théologie de Libération» tombaient sous les balles des
militaires latino-américains encadrés par les instructeurs
nord-américains, -faisant du martyrologue chrétien en Amérique
latine l’un des plus élevés de l’époque contemporaine -,
Washington propulsait sur la scène diplomatique internationale un
des régimes les plus totalitaires du Monde sous couvert du combat
contre le totalitarisme.
Sous couvert d’oecuménisme et de solidarité religieuse, le
Forum islamique constituait en fait une structure politique d’obédience
strictement américaine. Ainsi l’Inde, le plus grand pays
musulman avec trois cent millions de fidèles soit autant que la
totalité des pays arabes réunis, sera interdit d’accès pour
cause de neutralisme, de même que pour cause de communisme, l’Union
soviétique, dont la population des Républiques musulmanes d’Asie
centrale dépassait largement celle de bon nombre de pays arabes,
ainsi que la Chine qui n’était même pas reconnue à l’époque
par les Etats-Unis.
En revanche, tous les anciens membres du CENTO (le pacte
central) regroupant les grands pays musulmans non arabes
(Pakistan, Iran, Turquie) étaient fortement présents, notamment
la Turquie, officiellement laïque, mais qui servait de bouclier
au flanc oriental de l’OTAN et qui poussera la complaisance
jusqu’à dénier de surcroît à l’Algérie la qualité de «Guerre
d’indépendance» qu’elle livrait contre la France et votera
en ce sens à l’ONU.
Conclu en 1955 à Bagdad, à l’époque fief britannique, le
Pacte de Bagdad ou le Pacte du CENTO assurait la jonction
militaire entre l’OTAN (le front atlantique) à l’OTASE (le
front pacifique. Il a été neutralisé lors de la destitution de
la Monarchie irakienne en 1958. Le Forum islamique le réactivait
indirectement avec l’entrée en force de tous ses anciens
membres et la marginalisation progressive des tenants du
Nationalisme arabe.
L’Iran impériale, gendarme du Golfe et principal
ravitailleur énergétique d’Israël, le Pakistan, dont les
pilotes assuraient la protection de l’espace aérien saoudien
ainsi que l’Indonésie, dont le président Ahmad Suharto venait
de noyer près d’un million de communistes dans un bain de sang
d’une terrible répression, assistaient la Turquie dans sa
fonction de gardien des intérêts occidentaux au sein du forum
islamique.
Au sein de cette architecture, l’ordre américain et pétrolier,
pensait-on alors, pouvait devoir régner sans partage, sans souci
majeur, permettant à l’Amérique de concilier des intérêts
contradictoires, qui déboucheront un quart de siècle plus tard
sur un choc frontal: son ravitaillement énergétique à bas prix
des pétromonarchies tout en conservant sa fonction de principal
protecteur d’Israël, le principal ennemi des Arabes. Trois évènements
-l’éviction du Chah d’Iran et l’assaut la même année
contre le sanctuaire de La Mecque par des opposants saoudiens en
1979 ainsi que le spectaculaire assassinat télévisé du président
égyptien Anouar El-Sadate, le 6 octobre 1981, vont retentir comme
des coups de semonce, galvanisant et amplifiant le combat
islamiste, sans pour autant dissiper l’euphorie saoudo américaine.
Dans la foulée du sommet islamique et du premier choc pétrolier
consécutif à la guerre d’octobre 1973, une période
prodigieuse d’expansion politico-religieuse verra fleurir
partout en Europe occidentale et les autres continents, souvent
avec le consentement des pays d’accueil, des mosquées de rite
wahhabite, culminant avec la troisième guerre israélo-arabe «la
guerre du Ramadan» et la guerre d’Afghanistan (1980-1990).
Il était de bon ton à l’époque pour chaque pays européen
d’avoir son «islamiste». Soixante dirigeants islamistes résidaient
alors en Europe occidentale dont quatorze disposant du statut de
«réfugié politique» notamment Talaat Fouad Kassem (Danemark),
ancien conjuré du complot anti-Sadate pour lequel il a été
condamné à sept ans de prison, promu par la suite porte-parole
du mouvement islamiste en Europe.
L’homme a dû mettre en veilleuse les activités de son
bureau de Copenhague à la suite de l’attentat anti-Moubarak en
1995, de même que Aymane Al-Zawahri, bras droit d’Oussama Ben
Laden, qui résidait à l’époque en Suisse en sa qualité de «commandeur
des croyants des groupements islamistes en Europe», ainsi que ses
deux plus proches collaborateurs Hani Al-Sibaï (Norvège), Adel
Abdel Majid (Grande-Bretagne).
A cette époque, Londres était la capitale mondiale de l’Islam
contestataire, puisqu’elle comptait parmi ses hôtes les
principaux opposants islamistes tels le Tunisien Rachid Ghannouchi,
le Soudanais Moubarak Fadel Al-Mahdi, le Pakistanais Attaf
Hussein, Chef du parti d’opposition Muhajir Qawmi Movement (MQM)
ainsi que l’Algérien Kamar Eddine Katbane, vice-président du
comité du FIS (Front Islamique du Salut).
Depuis sa participation à l’invasion américaine de l’Irak,
en 2003, le Royaume Uni, notamment Londres a été touché, à son
tour, par un attentat faisant 50 morts le 7 juillet 2005, le jour
de la tenue du Sommet du G8 sur son territoire, au lendemain de la
décision du Comité Olympique Internationale de lui attribuer
l’organisation des Jeux Olympiques de 2012.
Un prosélytisme tous azimut se met en route. C’est l’époque
où la Ligue du Monde Islamique prend son envol et où l’Arabie
saoudite, pour briser la prééminence égyptienne dans les
affaires arabes, propulse «le Conseil de coopération du Golfe»,
sorte de «syndicat de défense des intérêts des émirs pétroliers
du golfe proaméricain», selon l’expression en vigueur à l’époque
au sein de l’opposition anti-monarchique. Seront exclus de cette
instance tant l’Irak que l’Iran pourtant d’importants pays pétroliers
de surcroît riverains de la voie d’eau. Si le «Conseil de Coopération
du Golfe» devient l’instrument de la diplomatie régionale de
l’Arabie, la Ligue du Monde islamique sera l’instrument
d’encadrement par excellence des communautés musulmanes de la
diaspora.
Siégeant à La Mecque, dirigée statutairement par un
saoudien, ayant la haute main sur la formation des Imams et des prédicateurs,
l’attribution des bourses d’études, le développement des
instruments de communication à vocation pédagogique (diffusion
du Coran et de documents audio-visuels), elle supervisera aussi la
mission du «Conseil Supérieur des Mosquées» qui lui est affilié
et dont la tâche exclusive est la promotion des lieux de culte
dans le monde.
En Europe, la Ligue disposera de représentations dans la
plupart des métropoles (Londres, Bruxelles, Rome, Genève,
Vienne, Copenhague, Lisbonne et Madrid). La pénétration des
populations musulmanes se fera de manière stratégique par la
multiplication des centres culturels et religieux et
d’institutions spécialisées.
L‘Arabie Saoudite répartira ses principales institutions
entre les grandes capitales européennes dans le souci
d’impliquer le plus grand nombre des pays de l’Union à sa
politique de sensibilisation islamique et de prévenir toute
vacuité institutionnelle qui profiterait à ses rivaux.
Si le Conseil Continental des Mosquées d’Europe choisira
Bruxelles pour siège, l’Académie Européenne de Jurisprudence
Islamique sera basée à Londres. Ces deux instances seront doublées
d’une organisation internationale “World Assembly of Muslim
Youth” dont la vocation sera de faire contrepoint à
l’organisation correspondante des “Frères Musulmans”, The
“International Islamic Fédération of students Organization”.
L’existence de la Ligue du Monde Islamique traduisait alors
le souci constant des dirigeants wahhabites de s’assurer la
supervision de la gestion de la sphère spirituelle au sein du
Monde Musulman. Véritable structure de diplomatie parallèle, la
Ligue Islamique sera le précurseur et la matrice de l’Organisation
de la Conférence Islamique, vaste rassemblement d’une
cinquantaine de pays représentant près d’un milliard de
personnes, devenu l’un des plus importants forums du Monde non
occidental. Il n’était pas question à l’époque de «péril
islamiste» ou de «chocs de civilisations», mais d’alliance
contre l’athéisme anti-totalitaire sur fonds de recyclage de pétrodollars.
Pour répondre à la demande, au plus fort du Djihad Afghan,
l’Arabie allouera une subvention annuelle de près de 750.000
(sept cent cinquante mille) dollars à l’Université islamique
d’Islamabad dirigée à l’époque par un Recteur à sa dévotion
lui permettant ainsi de superviser la production de la
jurisprudence islamique de cette institution qui constituait avec
le Centre Islamique de Lahore (Pakistan) l’une des plus fécondes
sources de jurisprudence du monde musulman, loin devant l’Université
égyptienne d’«Al Azhar». Le Royaume se dotera même en 1984
d’une imprimerie spéciale «le complexe du Roi Fahd pour
l’impression du Livre sacré», éditant annuellement huit
millions d’exemplaires dans les principales langues de la sphère
musulmane (français, anglais, arabe, espagnol, haoussa, urdu,
turc), se hissant au rang de principal pourvoyeur du Livre Saint
dans le monde. Au total durant la décennie 1980, l’Arabie éditera
cinquante trois (53) millions d’exemplaires du Coran offrant
gracieusement trente six (36) millions d’exemplaires aux fidèles
de 78 pays à l’occasion du Ramadan . Vingt six millions
d’exemplaires ont été offerts aux fidèles des pays d’Asie,
cinq millions pour l’Afrique, un million pour l’Europe, autant
pour l’Australie et pour l’Amérique et le reliquat aux pèlerins
à l’occasion du pèlerinage de La Mecque.
L’Arabie Saoudite qui a consacré durant la décennie 1980 près
d’un milliard de dollars (10 milliards de FF au taux de l’époque)
à l’entretien des lieux de culte, compte trente mille (30.000)
mosquées, 90 Universités et Facultés théologiques, record
mondial absolu par rapport à la densité de la population. Durant
cette même décennie, le Roi Fahd va également procéder à
l’expansion des sites situés dans l’enceinte du périmètre
sacré des lieux Saints de l’Islam, décuplant leur superficie
et leur capacité d’accueil, respectivement de 730.000 fidèles
pour La Mecque et 650.000 pour Médine, alors que simultanément
l’effort se portait sur l’enseignement religieux à l’aide
des deux grandes universités islamiques du Royaume: l’Université
de l’Iman Mohamad Ben Saoud de Riyad qui a procédé à la
formation de 23.000 étudiants d’une quarantaine de nationalités
et l’Université Oum Al Qorah à La Mecque, (16.000 étudiants
de 47 nationalités), se muant en autant de zélés propagateurs
d’une conception saoudienne de l’Islam au sein de la communauté
des pays musulmans.
Certes, l’usage par l’Arabie saoudite, le plus gros détenteur
des réserves énergétiques du monde, de l’arme du pétrole, en
appui aux Egyptiens et aux Syriens, dans leur combat pour la
reconquête de leurs territoires occupés par Israël en 1967 a
placé Fayçal au Zénith de la popularité et propulsé la
monarchie wahhabite à la faveur de la manne pétrolière au rôle
de référence spirituelle et économique du monde arabo-musulman.
Certes aussi, en Afghanistan, l’alliance saoudo américaine
dans la guerre contre l’URSS, par combattants islamistes
interposés (1980-1989), a précipité la chute de l’Empire soviétique
et l’implosion du bloc communiste, entraînant un bouleversement
en profondeur de la donne planétaire en faveur des deux grands
dogmes de la diplomatie américaine, l’unilatéralisme et le
libre accès aux ressources énergétiques.
Mais, à l’exception de ces deux faits d’armes, le bilan
trente huit ans après le lancement de l’Islamisme politique
apparaît toutefois globalement calamiteux pour ses promoteurs,
comme si la dynamique initiée par les Saoudiens et les Américains
avait échappé à ses tuteurs, les commandités se retournant
contre leurs commanditaires dans un classique exercice
d’apprenti sorcier.
Certes, l’Arabie saoudite et ses alliés monarchiques
tireront profit, à tout le moins indirectement, de la
neutralisation du Liban et de l’Algérie, les deux plates-formes
territoriales des mouvements de libération du tiers monde dans
les années 1960-70, qui imploseront dans la guerre civile dans le
dernier quart du XX me siècle, le premier au Machreq (1975-1990),
le second au Maghreb (1990). Mais le triomphe de Faysal et de ses
alliés aura été de courte durée. Le Monarque wahabite ne
survivra pas longtemps à son rival égyptien. Cinq ans après
Nasser, le Roi Faysal tombait sous le feu d’un de ses neveux, en
mars 1975 dans un acte de vengeance relevant de la grande
tradition de la vendetta des systèmes claniques.
Son collègue iranien, le Chah d’Iran, perdra, lui, son trône,
quatre ans plus tard, en 1979, remplacé par des islamistes d’un
genre nouveau, instaurant, sous la conduite de leur chef
spirituel, l’Ayatollah Ruhollah Khomeiny, une «République
islamique», premier état ouvertement théocratique du monde, de
surcroît, résolument anti-américain. Leur compère égyptien,
Anouar El-Sadate, qui représentait l’Egypte en tant que vice-président
de Nasser au premier sommet islamique de Rabat, tombera, lui, deux
ans plus tard sous les balles des islamistes égyptiens au cours
d’un attentat hautement médiatisé, le jour anniversaire de la
destruction de la ligne de défense israélienne sur le Canal de
Suez, «la ligne Bar Lev».
Quant au Maroc, durablement affligé par les conséquences désastreuses
du règne calamiteux de Hassan II, il est désormais le principal
foyer d’exportation des volontaires islamistes à destination de
l’Europe occidentale, le plus gros pourvoyeur de drogue aussi
vers cette destination, de l’ordre de douze milliards de dollars
par an .
L’Afghanistan, libéré, coup sur coup, du joug communiste et
de l’obscurantisme des wahhabites afghans, les Talibans, sert désormais
de poste de commandement virtuel à la plus grande organisation
clandestine islamiste trans-nationale aux ramifications planétaires,
«Al-Qaîda», dirigée symboliquement par un ancien protégé des
Saoudiens et des Américains, leur intermédiaire auprès des
Taliban, Oussama Ben Laden, coexistant avec un pouvoir proaméricain
exercé par Hamid Karzai sur une portion congrue du territoire.
L’Irak, fer de lance de la guerre contre l’Iran et sa «Révolution
islamique», s’est transformé en principal champ de
confrontation entre Islamistes et Américains, le principal champ
de bataille contre l’hégémonie militaire américaine. Saddam
Hussein, son président d’alors, l’allié souterrain des Américains
et des Saoudiens dans la guerre contre l’expansionnisme iranien,
destitué par ses anciens mentors, a été pendu au terme d’une
cérémonie odieusement macabre, terme ultime d’une mascarade de
procès qui aura durablement terni la justice américaine et la
Justice internationale.
Le Liban, destiné à devenir le cimetière du mouvement
national palestinien à l’occasion de l’invasion israélienne
de Beyrouth, en juin 1982, a brisé le mythe de l’invincibilité
de l’armée israélienne, donnant naissance à la plus
importante organisation religieuse politico-militaire libanaise,
le Hezbollah, fer de lance du combat anti-israélien.
Forcé à se retirer du Liban sous les coups de butoir de ce
mouvement chiite libanais, Israël, subit, de plein fouet, avec
960 victimes en quatre ans d’Intifada (2000-2004), les retombées
de la flambée islamiste dont il avait favorisé la montée en
puissance en vue de faire pièce à Yasser Arafat, le chef
historique du mouvement national palestinien. Un revers réitéré,
en 2006, avec la guerre menée contre le Liban avec, pour la première
fois dans l’histoire du conflit israélo-arabe, le bombardement
balistique des agglomérations israéliennes du nord d’Israël,
notamment de Haïfa. L’Arabie saoudite, enfin, profondément déstabilisée
par des attentats meurtriers périodiques, révélant de
nombreuses complicités au sein même des cercles du pouvoir
monarchique, se pose désormais à son égard la question de la pérennité
de la dynastie wahhabite.
L’Amérique, doublement victorieuse tant en Afghanistan
(2001) qu’en Irak (2003), mais discréditée moralement par ses
abus et ses mensonges sur les buts de guerre d’Irak, fait
l’objet d’une détestation quasi-générale dans le monde
arabo-musulman, en butte à une guérilla permanente et sanglante,
qui suscite, même au sein des alliés occidentaux, une suspicion
quant à l’efficacité de la politique de la première puissance
planétaire. Sur les débris du colonialisme français et anglais,
l’Amérique, soutenant les indépendances du Maroc et de l’Algérie
dans la foulée de l’ équipée de Suez, en 1956, a été
accueillie en héros par les peuples arabes, mais, au mépris des
leçons de l’histoire, elle a fondé son hégémonie sur une
connivence avec les forces arabes les plus conservatrices et des
alliances contre-nature avec les principaux ennemis du monde
arabe, dilapidant son capital de sympathie par une politique
erratique illustrée par le combat implacable qu’elle a menée
contre le nationalisme arabe renaissant, faisant ainsi le lit de
l’intégrisme islamique.
Une diplomatie de la canonnière et la négation des profondes
aspirations des peuples autochtones, dans la plus pure tradition
coloniale européenne, ont fini par générer une réplique matérialisée
par l’usage de l’arme de la terreur dans un combat asymétrique
développant à son paroxysme une culture de la mort avec pour
objectif, tant à New York, qu’à Washington, qu’en Israël
Palestine, qu’à Ryad, à Kaboul, Ankara, Casablanca, Madrid,
Londres, Falloujah, Nadjaf, ou ailleurs, une déstructuration de
l’adversaire à défaut de sa destruction.
La géostratégie tectonique impulsée par les attentats
anti-américains du 11 septembre 2001 et la collusion frontale qui
s’est ensuivie en Afghanistan et en Irak contre les deux plus
importants foyers de percussion de la stratégie régionale de
l’axe saoudo américain dans la sphère arabo musulmane a
constitué un acte fondateur d’une nouvelle forme de subversion
transnationale anti-occidentale tout autant qu’un acte de
rupture avec l’ordre arabe ancien,
Le «Mardi Noir» américain- l’implosion de bombes humaines
volantes contre les symboles économiques et militaires de la
puissance américaine, le Pentagone à Washington et les tours
jumelles du World Trade Center de New York- a modifié
radicalement les formes du combat politico-militaire.
Cette première irruption brutale en temps de paix sur le
territoire d’un état occidental de crimes de masses indifférents
à la qualité sociopolitique des victimes (5) constitue la première
illustration à l’échelle planétaire des guerres asymétriques
de l’ère post-communiste.
Mais cette stratégie cathartique entre d’anciens partenaires
essentiels de l’époque de la guerre froide soviéto-américaine,
-les islamistes de la mouvance saoudienne anti-soviétique et leur
parrain américain- a surtout révélé la corrosivité de l’instrumentalisation
abusive de la religion comme arme du combat politique, en même
temps qu’elle mettait à nu la cécité politique américaine,
la vulnérabilité de l’espace national des Etats-Unis, l’impéritie
des dirigeants arabes, la vacuité intellectuelle de leurs élites
et l’inanité d’un ravalement de façade d’édifices lézardés
du système politique arabe tel qu’il a fonctionné depuis
l’indépendance des pays arabes au lendemain de la Deuxième
Guerre mondiale (1939-1945).
L’Amérique, embourbée en Afghanistan et en Irak, devrait
songer à se reformer elle même, réformer sa conception du monde
et son approche des relations internationales, parallèlement aux
réformes qu’elle recommande au monde arabe. Au vu du bilan de
la stratégie saoudo américaine, la réforme ne saurait être à
sens unique. Tel pourrait être le principal enseignement d’une
diplomatie à la cohérence problématique menée tout au long de
ses trente huit dernières années, si préjudiciable à l’Amérique
elle même autant qu’aux autres peuples jadis se considérant
comme ses amis.
Notes:
1- «La période la plus noire
de l’histoire des Arabes» par Abdel Wahhab Meddeb, in N°272 «l’Histoire»:
«Les Arabes de La Mecque aux Banlieues de l’Islam».
2- Le martyrologue chrétien en
Amérique latine, de 1966 à 1992, s’élève à quatre évêques,
85 prêtres, 19 religieuses catholiques, 10 religieux non prêtres,
9 pasteurs et 150 laïcs membres du mouvement catholique et coopérants
étrangers, tués pour motif politique, alors que plusieurs théologiens
seront réduits au silence, notamment Hans Kung (Suisse) et le prêtre
brésilien franciscain Leonardo Boff), in «Guerre froide et
Eglise catholique en Amérique Latine» Editions du Cerf
1999-Charles Antoine.
3- Un membre de la confrérie
saoudienne d’«Al-Ikhwane» Jouneib Al-Oteiba, soutiendra un siège
de 18 jours dans les sous-sol et les étages supérieurs du
sanctuaire de La Mecque avant d’être délogé par le GIGN
(groupe d’intervention de la gendarmerie nationale) les troupes
d’élite de la gendarmerie française, une intervention qui
marquera la première présence chrétienne dans ce haut lieu
saint de l’Islam et considéré à ce titre par le tenants
d’un islam rigoriste comme une profanation.
4- Déclaration de M. Mohamad
Ben Abdel Rahman Ben Salman, vice-ministre saoudien des biens
religieux lors de la première guerre contre l’Irak à la revue
saoudienne «AL-Majallah» N° 593, en date du 19-25 juin 1991.
5- Le Roi Fayçal a été
assassiné par Fahd Ben Massaede, frère d‘un prince tué par la
police saoudienne dix ans plus tôt, en 1965, lors d’une
manifestation contre la mise en route du système audiovisuel dans
le royaume.
6- Rapport du Drug Enforcement
Administration (DEA) daté de 2002 cité dans «Comment la France
a perdu l’Afrique» Antoine Glaser et Stephen Smith (Ed.
Calmann-Lévy) Mai 2005-Paris.
7- Laurent Bonelli, chercheur
en science politique à l’Université Paris X (Nanterre), in le
Monde diplomatique N° Avril 2005 «Quand les services de
renseignement construisent un nouvel ennemi».
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Publié le 15 octobre 2007 avec l'aimable autorisation de René
Naba.
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