|
Opinion
Identité nationale:
Requiem pour un débat
René Naba
Dimanche 12 décembre 2010 Le nouveau gouvernement français,
constitué le 15 novembre 2010, a été marqué par la suppression
du ministère de l’identité nationale, la relégation de son
titulaire, le transfuge socialiste Eric Besson, auparavant un
ministre de plein exercice, vers un ministère rattaché au
ministère des Finances, et l’éviction des symboles de la
diversité, Rama Yade, Fadela Amara, auparavant Rachida Dati.
Cette purge intervient un an après le lancement du débat sur
l’identité nationale, au terme d’un été xénophobe
particulièrement musclé dans la chasse aux Roms et autres gens
du voyage, sur fond de discours discriminatoire entre «Français
de souche» et «Français d‘origine étrangère» (Discours de
Nicolas Sarkozy, Grenoble juillet 2010).
renenaba.com publie le texte de son intervention au colloque
de Poitiers intervenu deux jours après la constitution du
nouveau gouvernement français recentré sur le noyau dur du RPR,
l’ancienne famille gaulliste. Un recentrage prolongé, dix jours
plus tard, d’une ouverture de Nicolas Sarkozy vers les pays
arabes, le 25 octobre 2010, dans un discours au corps
diplomatique arabe à Paris, apparu comme une reproduction
caricaturale du discours de Barack Obama au Caire à destination
du monde Arabe, qui marque néanmoins un coup d’arrêt à quatre
ans de démagogie pro israélienne.
Colloque de Poitiers – 17 novembre 2010
Conférence prononcée à l’amphithéâtre Jean Hardouin de la
Faculté de Droit de Poitiers. | Organisé par le collectif de la
semaine de solidarité internationale et le Comité Poitevin
France Palestine.
La France à l’aune de son identité coloniale, une
invitation à une anthropologie de l’immigration
Une immigration de créance | Les Pieds Noirs, faux victimes
de la colonisation, vrais victimes du pouvoir colonial
Je me réjouis de me retrouver parmi vous, à Poitiers, haut
lieu de la controverse coloniale, lieu d’une mythique bataille,
qui n’a jamais eu lieu, en tout cas certainement pas à Poitiers,
si tant est qu’elle ait jamais eu lieu, qui nourrit néanmoins la
légende française et son cortège de fantasme. Toute conscience,
il est vrai, nul ne l’ignore, se pose en s’opposant. Rendons
donc grâce au Prince Abdel Rahman, le chef des troupes arabes,
d’avoir donné prétexte à Poitiers, et à Charles Martel, le
Maître des céans, de forger la conscience française et son
identité nationale, sur la base d’un anti arabisme primaire.
Treize siècles après, que reste-t-il de ce fait d’armes?
Poitiers est devenu un haut lieu du tourisme, grâce à la
reconstitution du site du champ de bataille, sa vie
universitaire menacée par un nouveau barbare, Jean Pierre
Raffarin, l’ancien premier ministre centriste, artisan des
délocalisations universitaires vers sa bourgade de
Chasseneuil-du-Poitou, Charles Martel, une marque de bière, très
prisée par les soiffards du Front National, 732, un éphémère
code secret de l’attaché case de Bruno Gollnnich, l’éternel
postulant au magistère de la formation d’extrême droite;
Dérisoire ambition, s’il en est, au regard de la légende, de
l’histoire, et, surtout de la passion que ce fait a suscité dans
l’imaginaire français. Et aux cotés de la superbe cathédrale de
Poitiers, dans l’enceinte même de ce qui devait être le
périmètre de défense de la cité, se dresse désormais une superbe
Mosquée, préfiguration sans doute de la convivialité islamo
chrétienne et franco arabe. Au grand Dam de Brigitte Bardot et
des nostalgiques de l’Empire français. Tout cela pour cela ?
La France baigne dans son legs colonial, sans toutefois vouloir
l’admettre, sans peut être s’en rendre compte. Ses villes et
villages en portent l’empreinte et sa langue en est imprégnée,
«à l’insu des Français», d’une manière impensée. Très peu savent
que Ramatuelle, rieuse bourgade du sud de la France, tire son
origine d’une action de grâce des migrants «infidèles» arrivant
à bon port, invoquant la miséricorde de Dieu (Rahmatou llah),
Carcassonne, d’une reine arabe (Karkachouna), que la France
communique avec l’extérieur par le truchement (tourjoumane,
interprète) de ses diplomates, que les Field Medal décernés à
ses mathématiciens résultent de leur maîtrise de l’Algèbre et du
Logarithme (al jabr, al khawarizmi), que les grades de l’armée
française emprunte à l’ordonnancement arabe de l’Amiral (Amir al
bahr, le seigneur des mers), au capitaine (Kobtane, l’homme qui
assure la maîtrise), que le meilleur coup de colère, enfin,
n’est jamais mieux exprimé que dans le langage du bled (al
bilad, le pays), surtout lorsqu’on vous «casse les glaouis»,
suscitant, en retour, une envie de les «niquer», sans doute le
terme le plus usité de la langue française, devant les
exorbitants droits de douanes (diwan, canapé installé à l’entrée
des villes pour prélever les taxes), dont on aimerait être
exonéré, de même que les honoraires du psychanalyste après
passage sur son divan, sauf à recourir à l’alcool (al kouhoul)
pour soigner les blessures du corps, de même que les blessures
du cœur, à moins d’y célébrer l’alchimie (al kimia’) de la belle
symbiose linguistique franco-arabe.
La France a un sérieux problème de mémoire, dont elle veut se
jouer, en occultant ses aspects hideux, qui se jouent finalement
d’elle. Des embardées répétitives comme autant de remugles mal
digérés de l’histoire tourmentée de ce pays, qui expliquent les
dérives du débat public en France. Le seul pays qui soit
traversé périodiquement par le débat sur l’identité nationale,
signe patent d’une pathologie mémorielle.
Près de cinquante ans après l’indépendance de l’Algérie, les
réflexes coloniaux de la France demeurent vivaces, comme tend à
le démontrer la dernière escapade algérienne de Michèle Alliot
Marie, du temps où elle exerçait les fonctions de Garde des
Sceaux, venue se faire adouber, ou amadouer les dirigeants
algériens, dans la perspective de sa candidature au poste de
premier ministre, alors qu’elle avait passé, ces quatre
dernières années, tant au ministère de la justice, qu’au
ministère de l’intérieur, à donner des gages au courant le plus
pro israélien de l’administration française, la présidence néo
conservatrice de Nicolas Sarkozy.
Eradiquant toute sensibilité pro arabe ou pro palestinienne de
l’administration préfectorale (cf à ce propos l’affaire du
préfet Bruno Guigue), elle a pourchassé sans répit les militants
pro palestiniens, au prétexte qu’un appel au boycottage des
produits israéliens des territoires palestiniens sous occupation
israélienne, constituait «un appel à la haine raciale», alors
que la commercialisation des produits israéliens de Cisjordanie
(Palestine occupée) est en infraction avec les prescriptions
européennes.
L’appel au boycott des produits israéliens sur le marché
européen n’est, en fin de compte, qu’un moyen de pression pour
contraindre tant Israël que ses protecteurs occidentaux à faire
respecter la légalité internationale. Michelle Alliot Marie
s’imaginait qu’il suffisait de venir en Algérie et dire au
Président Abdel Aziz Bouteflika «ya habibi, ya ouyouni» pour que
tout se dissipe comme par enchantement. Tout porte à croire que
Michelle Alliot Marie continue de prendre les arabes pour des
«bicots».
Michèle Alliot Marie est désormais attendue au tournant dans
ses nouvelles fonctions de ministre des Affaires &étrangères,
notamment sur le point de savoir comment concilier son
comportement ultra répressif, aux ministères de l’intérieur et
de la justice, et la nécessaire souplesse qu’elle devra
manifester dans ses nouvelles fonctions diplomatiques. Comme
quoi la démagogie peut servir un temps, pas tout le temps,
jamais en même temps contre tout le monde.
Que deux personnes, William Goldnadel et Sammy Gozlan,
auteurs des plaintes anti boycottage, disposent d’un tel pouvoir
d’intimidation laisse songeur. Cela devrait inciter les
partisans de la justice et de la paix à travers le monde à ester
en justice contre tous ceux qui ont appelé à l’invasion de
l’Irak, comme tend à le prouver le dernier rapport Wikileaks. Je
pense notamment à la lourde responsabilité en ce domaine de
Nicolas Sarkozy, Bernard Kouchner, le cinéaste Romain Goupil, le
philosophe André Glucksmann, l’historien évolutif Alexandre
Adler, la revue «Le meilleur des mondes», autant de
personnalités déconsidérées à jamais par leur bellicisme
effréné, qui doivent répondre en justice de leurs actes.
Pour en finir avec ce faux débat et dans l’intérêt de
relations harmonieuses entre les deux rives de la Méditerranée,
il importe de proclamer les vérités suivantes, chiffres à
l’appui.
L’immigration ultramarine en France est une immigration de
«créances» que ne sauraient occulter ni le faux débat sur le
«rôle positif» de la colonisation, ni l’activisme des groupes de
pression «pieds noirs», ces faux victimes de la colonisation,
victimes sans doute du pouvoir colonial.
I – La spécificité de l’immigration basanée en France
In limine litis, l’auteur de ce texte tient à préciser que
son analyse n’est pas réductible à l’Islam de France mais vaut
également, au delà des Musulmans, pour toute la composante
bariolée de la population française, arabes, africains ou
asiatiques, noirs ou blancs, musulmans ou chrétiens,
bouddhistes, agnostiques, laïcs ou athées.
Sur le plan européen, la France présente une spécificité par
rapport aux autres grands pays d’immigration, notamment
l’Allemagne et le Royaume Uni.
A • Le cas de l’Allemagne : une immigration de
partenariat économique
L’immigration musulmane est majoritairement turque. Les
rapports sont linéaires entre l’Allemagne et la Turquie où Il
n’existe aucun passif colonial entre ces deux anciens alliés de
la première guerre mondiale (1914-1918). L’immigration est
quasiment homogène, par sa structuration démographique
(principalement des turcs) et sa nature économique. Les rapports
de l’Islam sont gérés directement depuis le ministère turc des
affaires religieuses qui nomme les Imam et fournit les
programmes profanes ou religieux en langue turque à l’intention
de la communauté turque allemande, qui dispose de deux
imprimeries pour l’impression des grands quotidiens turcs en
vente en Europe occidentale. Une immigration de partenariat
économique. Une sous-traitance de l’Islam en somme par le pays
d’origine.
B • Le cas du Royaume Uni
L’immigration est ultramarine, principalement d’origine
asiatique indo pakistanaise.
Le passif colonial est atténué en ce qui concerne le Royaume
Uni, du fait de la contribution des peuples basanés à l’effort
de guerre durant les deux conflits mondiaux (19414-1918/
1939-1945) et des conditions d’accession à l’indépendance de
l’Inde et du Pakistan.
En Grande Bretagne, contrairement à la France, la
contribution ultramarine à l’effort de guerre anglais a été de
nature paritaire, le groupe des pays anglo-saxons relevant de la
population Wasp (White Anglo Saxon Protestant), -Canada,
Australie, Nouvelle Zélande-, a fourni des effectifs
sensiblement égaux aux peuples basanés de l’empire britannique
(indiens, pakistanais etc.). Il s’en est suivi la proclamation
de l’Indépendance de l’Inde et du Pakistan en 1948, au sortir de
la guerre, contrairement, là aussi, à la France qui s’engagera
dans dix ans de ruineuses guerres coloniales (Indochine,
Algérie).
C • Le cas de la France
L’immigration basanée en France est une immigration de
créance, résultant d’un tribut de sang, sans pareil dans les
annales, qui fait, qu’à ce titre les immigrés en France se
doivent être accueillis par la grande porte alors que les
instances du pays veillent constamment à leur faire prendre la
porte de service. Qu’on en juge (1).
La contribution globale de colonies à l’effort de guerre
français pour la 1ère Guerre Mondiale (1914-1918) s’est élevée à
555.491 soldats, dont 78.116 ont été tués et 183.903 affectés à
l’arrière à l’effort de guerre économique en vue de compenser
l’enrôlement de soldats français sur le front. L’Algérie, à elle
seule, a fourni 173.000 combattants musulmans, dont 23.000 ont
été tués, et 76.000 travailleurs ont participé à l’effort de
guerre, en remplacement des soldats français partis au front.
La contribution totale des trois pays du Maghreb (Algérie,
Tunisie, Maroc) s’est élevée à 256.778 soldats, 26.543 tués et
129.368 travailleurs. L’Afrique noire (Afrique occidentale et
Afrique équatoriale) a, pour sa part, offert 164.000 combattants
dont 33.320 tués, l’Indochine 43.430 combattants et 1.123 tués),
L’Ile de la Réunion 14.423 combattants et 3.OOO tués,
Guyanne-Antilles (23.OOO combattants, 2037 Tués).
Pour la Deuxième Guerre mondiale (1939-1945): La première
armée d’Afrique qui débarqua en Provence (sud de la France), le
15 août 1944, avait permis d’ouvrir un deuxième front en France
après le débarquement du 6 juin 1944 en Normandie. Cette armée
de 400.000 hommes, comptait 173 000 arabes et africains dans ses
rangs. De juin 1940 à mai 1945, cinquante cinq (55 000)
Algériens, Marocains, Tunisiens et combattants d’Afrique noire
furent tués. 25 000 d’entre eux servaient dans les rangs de
l’armée d’Afrique.
Durant la campagne d’Italie, marquée par la célèbre bataille
de Monte Cassino, qui fit sauter le verrou vers Rome, et, à ce
titre, célébrer comme la grande victoire française de la II me
guerre mondiale, sur les 6.255 soldats français tués, 4.000,
soit les deux étaient originaires du Maghreb et parmi les
23.5000 blessés, 15.600, soit le tiers étaient du Maghreb.
Ahmad Ben Bella, un des futurs chef de file de la guerre
d’indépendance algérienne et premier président de l’Algérie
indépendante, figurait parmi les blessés de la bataille de Monte
Cassino. Il en est de même de la campagne d’Allemagne, sur les
9.237 tués, 3.620 étaient des enrôlés du Maghreb, et sur les
34.714 blessés, 16.531 étaient Maghrébins.
La France a décidé le 13 juillet 2010 l’alignement des pensions
de tous les anciens combattants résidant à l’étranger, quelle
que soit leur nationalité, à l’occasion de la commémoration du
cinquantenaire de l’indépendance de l’Afrique francophone. Cet
alignement devrait bénéficier à quelque 30 000 personnes sur les
quelques 173 000 combattants indigènes qui constituaient
l’ossature de la première armée d’Afrique. Epilogue de soixante
ans d’une aberration morale, cette mesure n’a toutefois pas
d’effet rétroactif et ne concerne pas les anciens combattants
décédés sous le régime de la «cristallisation» des pensions.
«C’est pour témoigner de notre reconnaissance indéfectible
envers les anciens combattants originaires de vos pays que nous
souhaitons les voir bénéficier désormais des mêmes prestations
de retraite que leurs frères d’armes français», a déclaré M.
Sarkozy lors d’un déjeuner réunissant les dirigeants de 13
anciennes colonies françaises en Afrique. Mais cette générosité
française parait parcimonieuse, et apparaît rétrospectivement
comme un solde de tout compte.
Selon l’Elysée, un projet de loi devait être déposé à cette fin
devant le Parlement«dès la rentrée prochaine». Dans une décision
rendue le 28 mai, le Conseil constitutionnel avait estimé non
contraire au principe d’égalité que les pensions soient
différentes, selon que l’ancien combattant réside en France ou à
l’étranger. Mais au 17 novembre, date de ce colloque, soit
quatre mois après la décision française, aucun projet de loi
n’avait été déposé devant le parlement pour la régularisation
des pensions.
Ainsi donc, cinq siècles de colonisation intensive à travers
le monde n’ont pas encore banalisé la présence des «basanés» sur
le sol français, de même que treize siècles de présence continue
matérialisée par cinq vagues d’émigration n’ont pas conféré à
l’Islam le statut de religion autochtone en France où le débat,
depuis un demi siècle, porte sur la compatibilité de l’Islam et
de la République, comme pour conjurer l’idée d’une agrégation
inéluctable aux peuples de France de ce groupement ethnico
identitaire, le premier d’une telle importance sédimenté hors de
la sphère européocentriste et judéo-chrétienne.
Réelles et fondées sont les interrogations, mais par leur
déclinaison répétitive (Islam et modernité, Islam et laïcité),
les variations sur ce thème paraissent surtout renvoyer au vieux
débat colonial sur l’assimilation des indigènes, comme pour
démontrer le caractère inassimilable de l’Islam dans
l’imaginaire français, comme pour masquer les antiques phobies
chauvines françaises, malgré le brassage survenu en Afrique du
Nord et les copulations ancillaires de l’outremer colonial,
malgré le mixage démographique dans le sud de la France depuis
la conquête de la Septimanie en 719, et le peuplement des
Pyrénées des 150 000 Morisques fuyant l’inquisition espagnole en
1610, malgré les vagues successives des réfugiés du XX me siècle
d’Europe, d’Afrique, d’Indochine, du Moyen-Orient et d’ailleurs.
Au delà des joutes spéculatives, à savoir si «l’Islam est
soluble dans la République ou à l’inverse si la République est
soluble dans l’Islam», la réalité s’est elle-même chargée de
répondre au principal défi interculturel de la société française
au XXI me siècle. Soluble ou pas, hors de toute supputation,
l’Islam est désormais bien présent dans la République d’une
manière durable et substantielle, de même que la démographie
française relève d’une structuration interraciale et sa
population d’une configuration chromatique.
Premier pays européen par l’importance de sa communauté
musulmane, la France est aussi, proportionnellement à sa
superficie et à sa population, le plus important foyer musulman
du monde occidental. Avec près de cinq millions de musulmans,
dont deux millions de nationalité française, elle compte
davantage de musulmans que pas moins de huit pays membres de la
Ligue arabe (Liban, Koweït, Qatar, Bahreïn, Emirats Arabes Unis,
Palestine, Iles Comores et Djibouti). Elle pourrait, à ce titre,
justifier d’une adhésion à l’Organisation de la Conférence
Islamique (OCI), le forum politique panislamique regroupant
cinquante deux Etats de divers continents ou à tout le moins
disposer d’un siège d’observateur.
II – Une République xénophobe
Première rupture géostratégique majeure de l’époque
contemporaine, la Première Guerre mondiale (1914-1918), saignée
humaine, gâchis économique, provoquera, sur le plan de la
géostratégie, un déclassement progressif de l’Europe au profit
des Etats-Unis, sur le plan démographique, un renversement des
flux migratoires, et sur le plan de la psychologie des
Européens, le rude apprentissage du phénomène exogène, de la
culture de l’altérité, la négation de l’égocentrisme, une
véritable révolution mentale.
Avec 1,4 millions de morts, 900 000 invalides, la France
déplorera la perte de 11 pour cent de sa population active du
fait du premier conflit mondial, auxquelles il conviendrait
d’ajouter les dégâts économiques: 4,2 millions d’hectares
ravagés, 295 000 maisons détruites, 500 000 endommagés, 4.800 km
de voies ferrées et 58.000 km de routes à restaurer et 22 900
usines à reconstruire et 330 millions de m3 de tranchées à
combler.
Les premiers travailleurs immigrés, des Kabyles, arriveront en
France dès 1904 par petits groupes, mais la 1ère Guerre Mondiale
provoquera un effet d’accélérateur entraînant un recours massif
aux «travailleurs coloniaux» auxquels se superposeront les
renforts des champs de bataille comptabilisés sous une autre
rubrique.
Durant la première décennie du XX me siècle, la France comptait
déjà 1,1 millions d’étrangers en 1906, soit 2,7 pour cent de la
population. Vingt ans après, le chiffre doublait avec 2,5
millions étrangers, dont 1,3 millions de travailleurs d’Europe,
et d’Asie et d’Afrique recensés en 1926. L’indigène lointain
cède la place à l’immigré de proximité. De curiosité exotique
que l’on exhibe dans les zoos humains pour glorifier l’action
coloniale française, le mélanoderme deviendra progressivement
une donnée permanente du paysage humain de la vie quotidienne
métropolitaine, sa présence vécue comme une contrainte,
exacerbée par la différenciation des modes de vie entre immigrés
et métropolitains, les fluctuations économiques et les
incertitudes politiques du pays d’accueil
Paradoxalement, dans la période de l’entre-deux guerres
(1918-1938), la France va favoriser la mise en place d’une
«République Xénophobe», matrice de l’idéologie vichyste et de la
«préférence nationale», alors que son besoin en main d’oeuvre
est criant. Bien que contribuant à sortir la France de son champ
de ruine, les travailleurs immigrés seront tenus en suspicion,
pistés au sein d’un grand «fichier central». Soumis pour
l’obtention de la carte de séjour à une taxation équivalant
parfois à un demi mois de salaire, source de revenus
complémentaire pour l’Etat français, ils seront de surcroît
perçus comme porteurs d’un triple péril: péril économique pour
leurs concurrents français, péril sanitaire pour la population
française dans la mesure où l’étranger particulièrement les
Asiatiques, les Africains et les Maghrébins étaient présumés
porteurs de maladies, péril sécuritaire pour l’état français.
A • Les cotations boursières des travailleurs
coloniaux
Près de deux cent mille «travailleurs coloniaux» (200 000)
seront ainsi importés d’Afrique du Nord et du continent noir par
de véritables corporations négrières, telle la «Société générale
de l’immigration» (SGI), afin de pallier la main d’oeuvre
française principalement dans le bâtiment et l’industrie textile
en remplacement des soldats français partis au front. Dans la
cohorte de travailleurs immigrés, venus d’abord principalement
d’Italie et de Pologne, les Maghrébins feront l’objet d’une
attention spéciale de la part des pouvoirs publics.
Un «Bureau de surveillance et de protection des indigènes
nord-africains chargé de la répression des crimes et des délits»
est constitué le 31 mars 1925. Un bureau spécial rien que pour
les Maghrébins, précurseur du «service des questions juives» que
le pouvoir vichyste mettra en place en 1940 pour la surveillance
des nationaux français de «race juive» ou de confession
israélite» durant la Seconde Guerre mondiale. L’intitulé de
l’office en dit long quant à l’opinion du gouvernement français
et de ses intentions à leur égard. Le phénomène ira en
s’amplifiant avec la 2me Guerre Mondiale et les trente
glorieuses années de l’après-guerre (1945-1975) qui suivirent la
reconstruction de l’Europe, où le besoin de «chairs à canon» et
d’une main d’oeuvre abondante à bas prix provoqueront un nouveau
flux migratoire égal en importance au précédent.
B • Sur le plan externe, Alexandrette, Sétif et
Thiaroye
Curieux rapport que celui qui lie la France à sa mémoire,
étrange rapport que celui qui lie ce pays à lui-même, à la fois
«Patrie des lumières et des Droits de l’Homme» et patrie du
«Code Noir» de l’esclavage, le code de l’abomination, de la
traite de l’Ebène et du mépris de l’Indigène. Etrangement
curieux le rapport qui lie ce pays à ses alliés de la période
coloniale, les peuples colonisés d’Outre-mer.
Par deux fois en un même siècle, phénomène rarissime dans
l’histoire, ces soldats de l’avant, les avant-gardes de la mort
et de la victoire, goumiers Algériens, spahis Marocains,
tirailleurs Tunisiens, Sénégalais et Soudano nigériens, auront
été embrigadés dans des conflits qui leur étaient,
étymologiquement, totalement étrangers, avant d’être rejetés,
dans une sorte de catharsis, dans les ténèbres de l’infériorité,
renvoyés à leur condition subalterne, sérieusement réprimés
aussitôt leur devoir accompli, comme ce fut le cas d’une manière
répétitive pour ne pas être un hasard, à Sétif (Algérie), en
1945, cruellement le jour de la victoire alliée de la seconde
Guerre Mondiale, au camp de Thiaroye (Sénégal) en 1946, et, à
Madagascar, en 1947, sans doute à titre de rétribution pour leur
concours à l’effort de guerre français.
Substituer une sujétion à une autre, se faire décimer, au choix,
sur les champs de bataille ou sur le terrain de la répression au
retour au pays, avant d‘être mobilisé à nouveau pour la relance
de l’économie de la Métropole, que de conséquences traumatiques
ils pâtiront de cette «querelle de blancs». Il n’était pas
question à l’époque de «seuil de tolérance» mais de sang à
verser à profusion. Beaucoup acquitteront leur tribut du sang en
faisant l’apprentissage de l’ébriété, sans connaître l’ivresse
de la victoire. Beaucoup survivront à l’enfer de Verdun ou de
Monte Cassino avant de sombrer dans le désarroi de
l’incompréhension au sein de la cohorte des alcooliques
anonymes. Beaucoup en perdront la raison devant une telle
aberration de comportement. Beaucoup, plus tard, bien plus tard,
basculeront dans une révolte libératoire qui sonnera le glas de
l’empire français.
A l’épreuve des faits, la politique arabe de la France, dogme
sacré s’il en est, s’est révélée être, par moments, une vaste
mystification, un argument de vente du complexe
militaro-industriel français. Qu’on en juge. L’histoire en est
témoin.
La contribution des Arabes à l’effort de guerre français en
1914-1918 pour la reconquête de l’Alsace-Lorraine a été franche
et massive. Sans contrepartie. La France, en retour, vingt ans
après cette contribution, a témoigné de sa gratitude à sa façon,
en amputant la Syrie du district d’Alexandrette, en 1937, pour
le céder à la Turquie, son ennemi de la Première guerre
mondiale.
Dans la foulée de la Deuxième Guerre mondiale, la France,
récidiviste, carbonisera la première manifestation autonomiste
des Algériens, à Sétif, le jour même de la victoire alliée, le 9
mai 1945, une répression qui apparaîtra rétrospectivement comme
une aberration de l’esprit sans doute unique dans l’histoire du
monde, dont les effets se font encore sentir de nos jours. Dix
ans plus tard, en 1956, de concert avec Israël et la Grande
Bretagne, la France se livrait à une «expédition punitive»
contre le chef de file du nationalisme arabe, Nasser, coupable
d’avoir voulu récupérer son unique richesse nationale «le Canal
de Suez».
Curieux attelage d’ailleurs que cette «équipée de Suez» entre
les rescapés du génocide hitlérien (les Israéliens) et l’un de
leur ancien bourreau, la France, qui fut sous Vichy
l’anti-chambre des camps de la mort. Curieux attelage pour quel
combat ? Contre qui ? Des Arabes ? Ceux-là mêmes qui furent
abondamment sollicités durant la Deuxième Guerre Mondiale pour
vaincre le régime nazi, c’est-à-dire l’occupant des Français et
le bourreau des Israéliens ? A moins qu’il ne s’agisse d’une
forme élaborée de l’exception française, on aurait rêvé
meilleure expression de la gratitude.
Si Nicolas Sarkozy peut présider aujourd’hui un pays se
rangeant dans le camp de la Démocratie, il le doit, certes, aux
«Croix Blanches» des cimetières américains de Normandie, mais
aussi au sacrifice des quelques cinq cent mille combattants du
Monde arabe et africain qui ont aidé la France à se libérer du
joug nazi, alors qu’une large fraction de la population
française pratiquait la collaboration avec l’ennemi. Cinq cent
mille combattants pour la Première Guerre mondiale (1914-1918),
autant sinon plus pour la Deuxième Guerre mondiale (1939-1945),
il n’était pas question alors de pistage génétique, de «test
ADN» ou d’ «immigration choisie» pour leur enrôlement, de «seuil
de tolérance» pour leur sang versé à profusion pour une guerre
qui se présentait pour eux comme «une querelle de blanc».
C • Le Panache français ou le mythe de la grandeur
Le propos n’est pas anodin. Il correspond à une réalité
indéniable: la dernière grande victoire militaire française
remonte à deux siècles: Austerlitz (1905). Certes il y eut Valmy
et le Pont d’Arcole. Puis Austerlitz. Puis plus rien…. Ce fut
ensuite Waterloo (1815), face aux Anglais, Sedan (1870), face
aux Allemands, Fachoda (1898), qui brisa net l’accès de la
France aux sources du Nil, au Soudan. Soit près d‘un siècle de
désastres militaires ininterrompus, compensés, il est vrai, par
les conquêtes coloniales notamment l’Algérie. A croire que les
expéditions coloniales sont d’utiles palliatifs aux désastres
nationaux et par transposition au débat contemporain, les
immigrés d’indispensables dérivatifs aux difficultés internes.
VERDUN 1916 et Rethondes I (l’armistice du 11 novembre 1918),
cent ans après Waterloo refermeront la parenthèse néfaste. Mais
là, les Français ne sont pas seuls. Ils ne peuvent plus
revendiquer la victoire à leur bénéfice exclusif. C’est une
«victoire alliée» qu’ils devront partager avec leurs alliés
britanniques et américains mais aussi avec les nouveaux venus de
la scène internationale: les Basanés. 550.449 soldats de l’Outre
mer dont 173.000 Algériens, soit 20 pour cent des effectifs et
10 pour cent de la population du pays participeront à l’effort
de guerre de la France. 78.116 ultramarins tomberont sur le
champ d’honneur, soit l’équivalent de la totalité de la
population de Vitrolles et d’Orange prises ensemble, les deux
fiefs de l‘extrême droite française contemporaine.
La pensée peut paraître sacrilège mais elle correspond, là
aussi, à la réalité: Verdun est à ce titre autant une victoire
française qu’une victoire arabe et africaine. Certes la «chair à
canon» était présentée comme étant de peu de valeur face à la
qualité des stratèges du Haut commandement. Mais le fait est là
aussi démontré : Après Verdun beaucoup avaient cru naïvement que
la France s’était réconciliée avec la victoire. Et bien non.
1940 et Rethondes Bis (la capitulation de Montoire du 21 juin
1940) apporteront la preuve du contraire.
Monte Cassino (1944) lavera l’honneur français mais la plus
grande victoire française de la Deuxième Guerre mondiale est une
victoire mixte: Cent mille (100.000) soldats alliés, contre
60.000 Allemands, ainsi que 4000 ressortissants du Maghreb
auront payé de leur vie cette victoire. 4.000 originaires du
Maghreb sur 6.300 tués dans les rangs français, soit les 2/3 des
effectifs. Monte Cassino est donc tout autant une victoire
alliée, qu’une victoire française, arabe et africaine.
Le schéma est identique en ce qui concerne le domaine naval. Le
dernier fait d’armes français -controversé tout de même- remonte
à Aboukir (1799). Puis ce fut au tour de Trafalgar (1805),
Toulon (1942), le Charles de Gaulle et son hélice manquante
durant la guerre d’Afghanistan (2001), la première guerre du XXI
me siècle, enfin les pérégrinations de l’ancien joyau de la
flotte française, le Clemenceau, en 2005. On aurait rêvé
meilleur traitement à De Gaulle et à Clemenceau, tout de même
deux personnages considérables de l’Histoire de France.
Victorieuse avec ses anciens colonisés, la France retrouvera le
chemin de la défaite lorsqu’elle se dressera contre eux.
Carbonisée à Dien Bien Phu (1954) contre le Vietnam, première
victoire d’un pays du tiers monde sur un pays occidental, ainsi
qu’en Algérie (1954-1962).
III – Le triptyque républicain (Liberté, Egalité,
Fraternité), le mythe fondateur de l’exception française.
A • La liberté :
La Colonisation est la négation de la Liberté. La
Colonisation n’est pas, loin s’en faut, «la mise en valeur des
richesses d’un pays transformé en colonie», selon la plus
récente définition du dictionnaire «Le Petit Robert» Edition
-2007. La liberté et La colonisation sont proprement
antinomiques. Car la colonisation est l’exploitation d’un pays,
la spoliation de ses richesses, l’asservissement de sa
population au bénéfice d’une Métropole dont elle est, en fait,
un marché captif, le réservoir de ses matières premières et le
déversoir de son surplus démographique, de sa main d’œuvre et de
sa surpopulation, le volant régulateur du chômage et de
l’inflation dans les sociétés occidentales.
Contraire aux idéaux de Liberté, d’Egalité et de fraternité, les
principes fondateurs de la Révolution Française, la colonisation
a été le fossoyeur de l’idéal républicain. Elle l’aura été quand
bien même d’illustres figures françaises, telles Léon Blum, la
conscience morale du socialisme, auront voulu – déjà- en
célébrer les bienfaits comme un devoir de faire accéder à la
civilisation les peuples primitifs.
Par transposition au débat contemporain, la rhétorique de Léon
Blum est comparable à celle de la nouvelle conscience de la
nouvelle gauche française, le philosophe André Glucksmann,
présentant l’invasion américaine de l’Irak en 2003 comme une
contribution occidentale à l’instauration de la démocratie en
terre arabe et non comme la mainmise américaine sur les
gisements pétroliers de ce pays. «Le fardeau de l’homme blanc»,
théorisé par l’anglais Rudyard Kipling, est un alibi commode, le
thème récurrent à toutes les équipées prédatrices du monde
occidental.
B • L’Egalité :
L’exception française est une singularité: Premier pays à
avoir institutionnalisé la terreur comme mode de gouvernement,
avec Maximilien de Robespierre, sous la Révolution française
(1794), la France sera aussi le premier pays à inaugurer la
piraterie aérienne, en 1955, avec le déroutement de l’avion des
chefs historiques du mouvement indépendantiste algérien Ahmad
Ben Bella, Mohamad Khider, Mohamad Boudiaf et Krim Belkacem),
donnant ainsi l’exemple aux militants du tiers-monde en lutte
pour leur indépendance.
La récidive dans la singularité est aussi un trait de
l’exception française: En effet, ce pays jacobin, égalisateur et
égalitaire se singularisera, aussi, en étant le seul pays au
monde à avoir officialisé le «gobino-darwinisme juridique», à
avoir codifié en Droit «la théorie de l’inégalité des races»,
une codification opérée sans discernement, pour promouvoir non
l’égalité, mais la ségrégation.
La «Patrie des Droits de L’Homme» et des compilations juridiques
modernes -le code civil et le code pénal- est aussi le pays de
la codification discriminatoire, le pays de la codification de
l’abomination: le pays du «Code Noir» de l’esclavage, sous la
Monarchie, du «Code de l’indigénat» en Algérie, sous la
République, qu’il mettra en pratique avec les «expositions
ethnologiques», ces «zoos humains» dressés pour ancrer dans
l’imaginaire collectif des peuples du tiers monde l’idée d’une
infériorité durable des «peuples de couleur», et, par
contrecoup, la supériorité de la race blanche comme si le blanc
n’était pas une couleur, même si elle est immaculée, ce qui est
loin d’être le cas.
Un chiffre suffit à démontrer l’inanité de ce principe
d’égalité: Trois membres du dernier gouvernement de l’ère
chiraquienne présidé par Dominique De Villepin (2005) ont été
affectés à la mise en œuvre de ce principe dans ses diverses
déclinaisons : la cohésion sociale (Jean Louis Borloo), la
promotion de l’égalité des chances entre Français de souche et
Français naturalisés (Azouz Begag) enfin la parité Hommes femmes
(Catherine Vautrin), sans parler des amazones gadget Rachida
Dati (justice) et Rama Yade (Droits de l’homme), la garde
rapprochée médiatique du premier «président de sang mêlé» de
France.
Ce principe d’égalité est pourtant l’un des principes fondateurs
de la République, entériné comme bien commun de la nation depuis
deux siècles. Que n’a-t-on songé à le mettre en œuvre auparavant
? A croire que la laïcité ce concept unique au monde ne s’est
forgé que pour servir de cache-misère à un chauvinisme récurrent
de la société française.
Les hochets offerts épisodiquement non aux plus méritants mais
aux plus dociles, en guise de lot de consolation, loin
d’atténuer cette politique discriminatoire, en soulignent la
parfaite contradiction avec le message universaliste de la
France. Ils l’exposent à de douloureux retours de bâtons.
C • Fraternité : Le Bougnoule, la marque de
stigmatisation absolue, le symbole de l’ingratitude absolue.
La fraternisation sur les champs de bataille a bien eu lieu
mais la fraternité jamais. Jamais pays au monde n’a autant été
redevable de sa liberté aux peuples basanés et pourtant jamais
pays au monde n’a autant compulsivement réprimé ses alliés
coloniaux, dont il a été lourdement redevable de sa survie en
tant que grande nation. De Fraternité point, mais en guise de
substitut, la stigmatisation, la discrimination et la répression
à profusion avec son cortège de cristallisation des pensions des
anciens combattants basanés, «oubliés de la république», un
salaire ethnique, inique et cynique d’une république si
oublieuse et ingrate s’il en est.
IV -Considérations additives sur la spécificité du débat post
colonial
Le cas de Haïti: Au delà du Code Noir de l’esclavage, et du code
de l’indigénat, la France, autre incongruité du comportement
colonial français, est sans doute l’unique pays au monde à avoir
exigé un dédommagement financier pour accorder l’indépendance à
une de ses anciennes colonies, Haïti, en l’occurrence, dont elle
lui réclamera 150 millions de francs or, chiffre considérable
pour l’époque, pour lui concéder son indépendance.
Autrement dit, la France a occupé d’autorité un territoire qui
ne lui appartenait pas, exploiter ses richesses et plutôt que
d’indemniser ce pays de l’avoir exploité, lui réclame, au
contraire, un dédommagement d’un manque à gagner futur sur un
bien qui ne lui appartenait pas au départ. Un tel comportement
s’apparente à de pratiques mafieuses, du jamais vu dans
l’histoire coloniale.
Le cas des «Pieds Noirs»
Les Pieds Noirs, français rapatriés d’Algérie dans la foulée de
l’Indépendance de ce pays, constituent une singularité dans le
paysage colonial planétaire. La France est le seul pays qui
introduit les pieds noirs dans le débat. Les colons blancs des
colonies britanniques de Rhodésie Nyassaland, du Kenya,
d’Ouganda, d’Inde ou du Pakistan ne se sont pas constitués en
lobby pour occulter l’histoire coloniale ni peser sur le débat
sur l’identité nationale, ni, non plus, réclamé et obtenu pour
des raisons électoralistes le vote d’une loi sur le « rôle
positif de la colonisation ».
Les Pieds Noirs font partie de la colonisation et n’existent que
dans un seul pays, l’Algérie. Curieux qu’il n’y ait pas eu de
phénomène pied noir en Afrique noire. Pourquoi les privilégier
au détriment des populations des autres pays, alors que le code
de l‘indigénat ne s’appliquait pas à eux, preuve irréfutable de
leur appartenance à la société coloniale. Il parait malsain, en
termes de cohérence intellectuelle, de mettre sur le même plan
l’exploitation, l’oppression, la dépersonnalisation
pluriséculaire des colonisés, leur mise en esclavage et la
traite dont ils ont été l’objet, et les mésaventures d’anciens
colons, fourvoyés par la politique de leur gouvernement.
Les Pieds Noirs sont les victimes privilégiées de l’Etat
colonial et non de l’état colonisé. Il importe de ne pas
banaliser le débat, mettre le colonisateur et le colonisé, sur
le même plan, et mutatis mutandis, persécuteurs et persécutés,
sous prétexte d’un équilibre du temps de parole: quinze minutes
aux uns et quinze minute aux autres.
Les Pieds Noirs ressortissent du même monde que le pouvoir
colonial: Colons, ils jouissaient des mêmes droits et
obligations que leurs compatriotes de France. Ils n’étaient pas
soumis au code de l’indigénat. Ils étaient des colons, la
population autochtone des colonisés.
Porteurs de la nationalité française, ils avaient obligation
de défendre la France durant les deux guerres mondiales, les
autres, indigènes, pas du tout. C’est là toute la différence qui
fait qu’un groupe de nostalgiques de l’Empire colonial français
prenne en otage la République et la soumet au chantage électoral
bannissant la remise en cause de la doxa officielle sur
l’histoire coloniale (Cf. à ce propos la controverse sur le Film
Hors la Loi de Rachid Bouchareb sur les massacres de Sétif).
Le paradoxe français réside dans ce fait qui explique les
dérives du débat public. Si le «rôle positif de la colonisation»
constitue désormais un dogme inaltérable de la pensée française
contemporaine, il est à espérer que cette intervention à ce
colloque aura apporté sa contribution à la démonstration du
«rôle positif des colonisés par rapport à leur colonisateur».
La démarche de la composante bariolée de la société française
devrait porter non sur l’aménagement d’un statut d’exception à
leur communauté en fonction des cultes, des rites, des us et
coutumes, à l’effet de superposer un ghetto communautaire à
d’autres ghettos communautaires, mais de réclamer la mise en
pratique des principes fondateurs de la République respectant la
Liberté, l’égalité et la fraternité pour tous.
Une culture de paix présuppose le respect d’autrui, la
reconnaissance de sa spécificité et de son apport et non son
dénigrement et sa négation. Il y va de la salubrité du débat
public en France, de sa grandeur et de son honneur.
Référence:
1-Cf. «Du Bougnoule au sauvageon, voyage dans
l’imaginaire français», René Naba – Harmattan 2002, notamment
annexe documentaire fourni par les services d’information de
l’armée.
© Toute reproduction intégrale ou
partielle de cette page faite sans le consentement écrit de René
Naba serait illicite (Art L.122-4), et serait sanctionnée par
les articles L.335-2 et suivants du Code.
Publié le 12 décembre 2010 avec l'aimable autorisation de René Naba.
Les
textes de René Naba
Les dernières mises à
jour
|