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Actualité
La France et le phénomène exogène: l'être
et le néant
René Naba
Paris, 11 avril 2010 Dossier spécial Afrique
: Deuxième papier du dossier spécial France Afrique préparé à
l’occasion du cinquantenaire de l’indépendance de l’Afrique,
offrant une rétrospective des divers aspects occultés de
l’histoire de France……..une histoire telle qu’elle aurait dû
être enseignée aux écoliers de France.
France: Faire suer le burnous ……… La France et le
phénomène exogène: l’être et le néant
La
perception du fait migratoire en France, la prise en compte par
l’imaginaire français du brassage de la population française et
du métissage culturel de sa société, d’une manière subséquente,
la représentation des populations immigrées dans le champ visuel
et sonore français synthétisée dans les médias ne résultera pas
d’une évolution anticipative de la société française quant à la
conception qu’elle se fait de sa configuration future. Elle se
fera par défaut et se développera d’une manière progressive sous
l’emprise de la nécessité, résultant tant des coups de butoir
revendicatifs des travailleurs immigrés que des contraintes
économiques de l’environnement géostratégique français.
«L’être et le néant»: cette formule empruntée à la
littérature existentielle du philosophe français Jean Paul
Sartre résume bien la situation des populations immigrées en
France et en Europe en général jusqu’au dernier quart du XX me
siècle. Bien que doté d’une existence physique, l’immigré était
cependant inexistant sinon au regard du pays d’accueil, à tout
le moins dans l’univers mental de ses habitants, quand bien même
bon nombre d’entre eux avaient contribué à la libération du sol
français durant la Seconde Guerre mondiale, le plus grand
déferlement d’étrangers de l’histoire, quand bien même ils
étaient recrutés massivement sur place par les grandes
corporations industrielles françaises, quand bien même ils
constituaient une utile main d’oeuvre à la reconstruction de la
France et à la relance de son économie.
En tant qu’agent économique, un immigré avait une existence
par simple accoutumance «paysagère», par familiarisation
rétinienne, mais n’était pas reconnu en tant que sujet
politique. Il était assimilé à une force physique, un
consommateur apparemment dépourvu de divertissement ou de besoin
culturel ou spirituel.
La publicité
« Banania » résume bien l’état d’esprit des Métropolitains de
cette époque à l’égard des « indigènes ». Affiche noire sur fond
jaune montrant un nègre souriant toutes dents blanches dehors
opinant en un langage négro français «ya bon Banania» sa
satisfaction de la consommation d’une marque de cacao: La
représentation naïve du nègre qu’elle donnait déclenchera la
colère du poète martiniquais Aimé Césaire et du grammairien
Léopold Sedar Senghor, qui forgeront le concept de négritude en
instrumentalisant en arme de combat les qualités de leur race.
«Le rythme est nègre, comme l’émotion est hellène», martèlera
pédagogique l’universitaire sénégalais à des «Métropolitains» à
l’ignorance, à ses yeux, consternante, anticipant sans doute les
déchaînements d’enthousiasme que susciteront, sur les scènes du
monde, les artistes noirs de Louis Armstrong à Michael Jackson,
et, sur les stades du monde, les exploits sportifs des athlètes
noirs, à commencer par son propre compatriote, Habib Thiam,
recordman de France des 100 mètres dans les années 1950,
condisciple du Premier ministre français Lionel Jospin et futur
Premier ministre du Sénégal lui-même, les sprinters Jesse Owen,
Carl Lewis Maurice Greene, Michael Johnson, Wilma Rudolph et
Marion Jones, le marathonien éthiopien Gebréséllasié, les
boxeurs Ray Sugar Robinson et Mohamad Ali Cassius Clay, les
basketteurs Michael Jordan et Magic Johnson, qui auront raflé à
eux seuls autant de lauriers que la totalité des équipes
olympiques françaises toutes disciplines confondues depuis le
lancement par la France des jeux olympiques modernes
Par transposition du schéma colonial à l’espace
métropolitain, l’immigré en France était perçu comme un
indigène, ce qui faisait paradoxalement de l’immigré, l’indigène
de celui qui est étymologiquement l’indigène, une main-d’oeuvre
relevant de la domesticité de convenance, dont l’expatriation
assurait sa subsistance et l’obligeait par voie de conséquence à
un devoir de gratitude envers le pays hôte. Des phrases témoins
symbolisent mieux que tout l’état d’esprit dominant de l’époque.
Tout le monde garde présent à l’esprit ce trait d’humour qui
résume pourtant bien le sentiment de culpabilité ambiant à
l’idée de « l’Arabe qui mangeait le pain du Portugais qui
mangeait le pain du Français ». Les raisons de ce
travestissement sont multiples de sorte que l’étranger était
doublement étranger, voire étrange même. D’extraction modeste,
affecté à des taches subalternes et pénibles de surcroît non
valorisantes, l’immigré, parqué en marge des villes, était par
définition et par destination un être en marge de la société, un
élément marginal et non une composante de la société française.
Il n’avait de ce fait ni droit de cité, ni droit de regard, ni a
fortiori droit de parole. Soustrait à la vue du public, hors des
usines, il ne disposait pas d’une existence propre.
Ne maîtrisant ni la culture, ni le discours du pays
d’accueil, il ne pouvait revendiquer le droit à la parole et ne
pouvait dès lors faire l’objet d’une représentation.
L’immigré a
été d’autant plus occulté qu’il deviendra durant les années
1950-1970 responsable de tous les maux diplomatiques et
économiques français: du désastre de Dien Bien Phu, en 1954, à
la Guerre d’Algérie, à l’expédition franco-britannique de Suez
contre le symbole du nationalisme arabe Nasser, en 1956, à
l’affrontement de Bizerte et la décolonisation de l’Afrique, en
1960, à la 3ème guerre israélo-arabe de juin 1967, à la première
crise pétrolière, en 1973, autant d’événements qui ont fini par
diaboliser l’immigré notamment « arabo-musulman » dans le regard
du français.
Sous la plume de l’écrivain Jean Lartéguy et des nostalgiques
de l’Empire Français les vertus des « paras commandos » sont
alors exaltées dans les écrits et sur les écrans. Son livre «les
Centurions» sera d’ailleurs porté à l’écran par des célébrités
du cinéma français tel Alain Delon au machisme déclaré. Par
antiphrase seront ainsi magnifiées avec « les paras » et leurs
«bérets rouges» les plus sévères « ratonnades » contre les
éléments exogènes de la population. Dans le domaine de
l’imaginaire et le champ de la production intellectuelle,
l’arabe représentait alors par compensation « le mal absolu »
identifié dans le langage courant par cette rodomontade
musculatoire: « le bougnoule à qui l’on doit faire suer le
burnous ».
Pendant près de vingt ans, la période de la décolonisation
sous la IV me République (1946-1958) et le début de la V me
République, le boubou va suer et saigner en Afrique, en Côte
d’Ivoire, à Madagascar et au Cameroun, le burnous va suer et
saigner au Maghreb et sur le territoire métropolitain proprement
dit. Félix Moumié, chef charismatique de l’opposition
camerounaise sera liquidé et 60 000 de ses partisans carbonisés
par la «politique de terre brûlée», le Roi Mohamed V du Maroc
forcé à l’exil après des émeutes à Casablanca, le dirigeant
nationaliste tunisien Habib Bourguiba exilé lui aussi après des
ratonnades au Cap Bon et cinq chefs historiques du mouvement
indépendantiste algérien (Ahmad Ben Bella, Mohamad Khider,
Mohamad Boudiaf et Krim Belkacem) capturés à la faveur du
premier acte de piraterie aérienne de l’histoire, le
détournement par l’aviation française de leur appareil civil
effectuant un vol commercial Maroc Tunisie, en seront les
figures les plus illustres.
Premier pays à avoir institutionnalisé la terreur, comme mode
de gouvernement, avec Maximilien de Robespierre, sous la
Révolution française (1794), la France sera aussi le premier
pays à inaugurer la piraterie aérienne, en 1955, donnant ainsi
l’exemple aux militants du tiers-monde en lutte pour leur
indépendance.
La France pensera compenser ainsi sa propre défaillance à
l’égard de ses nationaux juifs, en 1940, par les ratonnades
anti-arabes en France et un soutien sans faille à Israël, une
«solidarité expiatoire» qui culminera avec la fourniture de la
technologie nucléaire à la centrale de Dimona, en 1955, dans le
Néguev, l’expédition de Suez en 1956 et l’aménagement d’un
bureau d’achat militaire israélien au sein même du ministère
français de la défense. Du jamais vu dans les autres pays
occidentaux.
Par un faux effet d’optique, elle se donnera l’illusion de
venger ses avatars d’Algérie et, par un philosémitisme actif,
l’illusion de sa rédemption, substituant une arabophobie à une
judéophobie, en somme une injustice à une autre injustice,
feignant par là même d’ignorer que l’injustice ne se combat pas
par une autre injustice.
Symptomatique de cet état de fait, le harki, celui-là même
qui dans le schéma mental français devait représenter le bon
arabe ou le bon immigré puisqu’il s’était rangé de son côté,
c’est à dire du bon côté, sera gommé de la conscience nationale
et dissimulé dans les recoins arides du pays, dans une démarche
symbolique destinée à refouler ce «déchet du colonialisme» dans
le tréfonds de la conscience. De 30 000 à 150 000 harkis seront
tués sur place en Algérie, du fait de la passivité de l’armée
française, et les 20 000 survivants seront cantonnés en
Métropole dans une vingtaine de baraquements de fortune, vivant
de mendicité et d’indignité, dans un système de relégation.
Quarante ans après leur drame, leurs descendants actionneront en
justice la France, la patrie de leur choix, le 1er septembre
2001, pour crime contre l’humanité, en vue d’obtenir une
réparation morale à l’égard d’un épisode qui constitue «une des
pages honteuses de l’histoire de France, comme l’ont été
l’instauration du statut des juifs le 3 octobre 1940 ou la rafle
du Vel’d’Hiv» (1).
Ironie de
l’histoire d’une rare cruauté, qui signe le retour du refoulé
dans le subconscient français, l’un des plus célèbres
tortionnaires de l’époque sera, paradoxalement, Maurice Papon,
secrétaire de Mairie à Bordeaux sous le régime de Vichy en 1942
durant la déportation des Juifs et Préfet de Police à Paris
durant la brutale répression anti-algérienne du 17 octobre 1961.
La présence inamovible de ce haut fonctionnaire à des postes
de responsabilité pendant 40 ans sous les divers régimes de la
République (III me, IV me et V me), dont la carrière sera de
surcroît couronnée par sa promotion au poste de trésorier du
parti gaulliste UNR (Union pour la Nouvelle République) et un
poste ministériel (Budget) sous Valéry Giscard d’Estaing
apparaît comme l’illustration symptomatique de la complaisance
française envers sa propre vérité historique.
Maurice Papon «cristallisera les deux grandes fractures de
l’histoire contemporaine française» (2). Bouc émissaire idéal de
la compromission bureaucratique, sa condamnation sépulcrale pour
«crimes de bureau», pour patentes que soient ses responsabilités
ainsi que les actes de repentance en cascade des corps
constitués (Eglise, Police) qui ont de peu précédé son procès,
apparaîtront rétrospectivement comme une opération de
régularisation a posteriori, un solde de tout compte, le quitus
que s’est octroyé la France à son comportement dans les deux
points noirs de son histoire, Vichy, symbole de l’abaissement
moral de la France, et l’Algérie, symbole de la fin de l’Empire
français, symbole de l’abandon de la Patrie, pour les tenants
d’un nationalisme exacerbé.
De ce refoulement généralisé émergeront, sur le plan
institutionnel, le Musée des Arts Africains et Océaniques et le
Jardin zoologique de Vincennes, double survivance des
expositions ethnologiques coloniales, ainsi que la Mosquée de
Paris, édifiée en guise d’hommage posthume aux combattants
musulmans morts pour la France, mais dont le financement fera
l’objet d’une générosité parcimonieuse de la part du
gouvernement français qui débloquera certes le terrain et un
crédit de 500 000 FF mais qu’il grèvera toutefois d’un impôt
spécial que les Algériens acquitteront en sus de leur tribut de
sang (3).
De ce refoulement généralisé, rares seront les rescapés sur
le plan individuel. Tels des jalons lumineux striant la nuit
noire de l’oppression s’imposeront grâce à leurs talents
intrinsèques: Joséphine Baker et sa «Revue Nègre» aux Folies
Bergères qui s’appliquera par la suite à fonder la première
grande famille multicolore et multiraciale, la préfiguration de
l’équipe française victorieuse du Mundial 1998, les chanteurs
Henri Salvador et Georges Mouloudji, le champion olympique Alain
Mimoun, le célèbre marathonien de Melbourne, en 1956, l’un des
rares médaillés d’or français de l’époque. S’imposeront aussi
Roger Bambuck, recordman du monde du 100 mètres en 1963, premier
coureur à avoir franchi la barre des 10 secondes dans cette
épreuve reine de l’athlétisme et futur ministre socialiste du
sport sous le gouvernement de Michel Rocard en 1988, le
footballeur algérien Rachid Mekhloufi, prédécesseur de Zidane et
premier titulaire d’origine maghrébine du dossard N°10 au sein
de la mythique formation des «Verts» de Saint Etienne de la
décennie 1960 et coéquipier d’Aimé Jacquet, le futur entraîneur
de l’équipe du Mondial 1998, ainsi que Marie José Nat.
« Elise ou la vraie vie » interprétée par l’actrice française
à la consanguinité algérienne sera d’ailleurs un des rares films
français témoin des années de braises de la guerre d’Algérie,
aux cotés du film d’Yves Boisset «Le vent de la Toussaint» et
«Le petit soldat» de Jean Luc-Godard, le cinéaste suisse dont
l’expulsion sera réclamée en tant que «cinéaste étranger» bien
avant celle de Daniel Cohn-Bendit le «Juif Allemand» animateur
du mouvement contestataire de mai 1968. En huit ans, de novembre
1954 à juin 1962, la durée de la guerre d’Algérie, 855
publications françaises feront l’objet d’une mesure de censure,
dont 269 en Métropole et 586 en Algérie même, soit une moyenne
de 107 journaux par an, un journal tous les trois jours. Chiffre
record difficilement égalable même dans les pays totalitaires ou
les démocraties gadget du tiers-monde.
L’indépendance de l’Algérie en 1962 sonne le glas de l’idée
impériale en France. Les accords franco-algériens d’Evian le 18
mars 1962 en même temps qu’ils aménagent l’indépendance de
l’Algérie mettent fin à cinq siècles d’aventures coloniales. «De
Dunkerque à Tamanrasset», la France est réduite désormais «de
Dunkerque à Menton». Elle se tourne vers l’Europe et tourne en
même temps le dos à son empire colonial, limitant aux relations
institutionnelles et aux relations d’affaires ses rapports à
l’outremer.
«La Corrèze passe désormais avant le Zambèze» dans les
préoccupations des Français selon le mot d’ordre popularisé par
le journaliste de Paris-Match Raymond Cartier. Jacques Dutronc
fustigera bien le nombrilisme français avec une chanson à succès
«500 millions de Chinois et moi, et moi et moi». En vain.
La révolte étudiante de Mai 1968 secouera bien la léthargie
ambiante d’une «France qui s’ennuie», selon le diagnostic lucide
d’un des plus pertinents journalistes de l’époque,
l’éditorialiste du Monde, Pierre Vianson Ponté, mais le grand
chamboulement qu’elle provoque, le brassage socioculturel
qu’elle induit, la libération des moeurs et le changement des
mentalités qu’elle suscite, ne modifieront pas pour autant la
représentation du monde des Français, à l’exception de sa frange
marginale politisée.
Un sondage officiel de l’époque créditait d’ailleurs
l’ensemble arabo-musulman de deux pour cent d’opinion favorable
au sein de la population française, malgré la réconciliation
scellée avec le monde arabe par le général de Gaulle à son
retour au pouvoir en 1958, malgré la rente de situation que
représentaient pour l’industrie française les juteux contrats
civils et militaires et leurs importantes retombées sur
l’économie nationale.
Le Palestinien, nouveau venu sur la scène du tiers-monde
militant, se substitue à l’Algérien refoulé dans la phobie des
Français dont la visibilité demeure obturée par la «centralité
d’Israël», horizon indépassable des principaux analystes
français. Michel Jobert, ministre des Affaires étrangères du
Président Georges Pompidou, aura à l’époque toutes les peines du
monde à convaincre ses compatriotes que «tenter de retourner
chez soi ne constitue pas forcément une agression» en guise de
justification à l’offensive égyptienne du 6 octobre 1973 contre
la Ligne Bar lev visant à récupérer le Canal de Suez et le
Sinaï. Peine perdue.
Des idées mais pas du pétrole.
Secousse économique pour la France, le choc pétrolier de 1973
consécutif au boycottage décrété par les pays arabes à
l’encontre des Etats occidentaux soutenant Israël, a constitué
pour les Français et bien qu’ils en aient été épargnés, un
traumatisme psychologique.
Se superposant à la perte de l’empire colonial, le premier
choc pétrolier est intervenu à un moment crucial pour la France,
la privant de ce qui a été pendant des siècles son « marché
captif » idéal, son débouché naturel à la fois pour sa
surpopulation, pour sa production industrielle et pour sa main
d’oeuvre bon marché. Coup de frein brutal à trente ans
d’expansion économique, la crise pétrolière a généré une
situation de précarité marquée par l’apparition d’un chômage
endémique, déclenchant une relance subséquente de la xénophobie
latente d’une société qui s’affiche volontiers révolutionnaire
mais qui se révèle dans ses tréfonds foncièrement conservatrice.
En 1973, La France est officiellement le partenaire
privilégié du Monde arabe, officiellement épargnée par le
boycottage pétrolier anti-occidental, le principal bénéficiaire
du boom pétrolier, le principal bénéficiaire des contrats pétro
monarchiques, mais les Français se cramponnent à une xénophobie
lancinante, crispés sur un comportement guidé par une
psychorigidité nourrie d’une nostalgie de grandeur.
Tout le monde garde présent à l’esprit les traits d’humour
d’une époque où les Français exultaient de compenser leur
absence de ressources naturelles par une prétendue supériorité
intellectuelle, affichant leur fierté de ne « pas avoir de
pétrole mais des idées », formule qui peut se décrypter de la
façon suivante: « pas d’essence, mais la quintessence de
l’esprit », humour qui sous-tendait une arabophobie ambiante
dans une période où les arabo-musulmans étaient cloués au pilori
pour avoir osé frigorifier les Français avec leur crise de
l’énergie. Le renchérissement du coût du pétrole était vécu
comme un crime de lèse-majesté, alors qu’il s’agissait d’un
problème de rajustement des prix du brut, longtemps
outrageusement favorables aux économies occidentales. La
contradiction entre l’ouverture panarabe de la diplomatie
française et la crispation identitaire de l’opinion française
posait déjà à l’époque le problème de la mise en cohérence de la
politique française à l’égard du fait arabo-musulman.
Indice du conservatisme de la France, ce pays qui depuis la
bataille de Valmy était porteur, selon Goethe, de la promesse
d’«une ère nouvelle dans l’histoire du monde», mettra quarante
cinq ans pour reconnaître, en 1999, la qualité d’anciens
combattants aux 1,7 millions de militaires français engagés dans
la guerre d’Algérie.
Une guerre jusqu’alors qualifiée pudiquement d’«événements»
quand bien même elle avait coûté la vie à 30 000 soldats
français et produit, selon les estimations de plusieurs experts,
près de 350 000 victimes de «névrose traumatique» (4), les
troubles psychiques liées aux conséquences de cette guerre, sans
compter les pertes algériennes estimées, elles, selon un bilan
officiel algérien, à près d’un million de mort. Un délai
identique sera mis par la France pour admettre le devoir de
désobéissance aux ordres manifestement illégaux, quarante deux
ans après le coup d’éclat du général de la Bollardière en 1957
en Algérie contre la torture (5), quarante deux ans après le
coup d’éclat de Boris Vian, auteur de la chanson mythique de
l’insoumission «Le déserteur».
A l’instigation du pouvoir gaulliste, une « association
d’amitié France Pays arabes» est mise sur pied, sous la
présidence de Louis Terrenoire, ancien ministre du général De
Gaulle, en vue de sensibiliser l’opinion française à la
civilisation arabe.
Une grande radio française arabophone « RMC-MO » est lancée à
destination du monde arabe. Sous forme d’une timide ouverture,
décidée non sous l’effet d’une action revendicative mais
paradoxalement par décret anticipatif d’une évolution, la
normalisation franco-arabe se répercutera néanmoins au niveau de
la population immigrée arabo-musulmane de France: L’Islam et la
culture arabe apparaissent dans le champ visuel et l’imaginaire
français par le biais des émissions religieuses de la chaîne
publique Antenne 2.
Sous l’ère giscardienne (1974-1981) et sa « société libérale
avancée » le progrès s’accomplit à dose homéopathique: les
« gens de couleurs » font leur apparition sur les écrans à dose
infinitésimale, originaire généralement des départements
français d’Outre mer. Des journalistes originaires des pays
arabes, c’est-à-dire des producteurs d’information, font
entendre leur voix sur les ondes des radios françaises, non sans
avoir auparavant francisé leurs noms afin de gommer toute
aspérité culturelle quant à leur origine.
Fait substantiel sur le plan interne, la normalisation
franco-arabe coïncide en France avec la scolarisation de la
deuxième génération issue de l’immigration et débouche sur une
politique éducative tendant à valoriser la langue et la culture
d’origine des expatriés: Mosaïque, première émission à
destination de la population issue de l’immigration voit le jour
en 1977 (6), avec pour ambition, selon l’expression d’un de ses
réalisateurs Djelloul Beghoura, d’«accompagner l’évolution
sociologique de l’immigration et de servir de caisse de
résonance à sa créativité ». Un pas timide.
Dans sa phase post-coloniale les préoccupations de la société
de consommation métropolitaine se portaient principalement alors
sur la conquête de nouveaux espaces de liberté de la société
civile: l’abaissement de l’âge de la majorité de 21 à 18 ans,
qui sera obtenu le 5 juillet 1974, la reconnaissance légale de
l’interruption volontaire de grossesse (I.V.G.) qui sera
officialisée par la loi Veil le 20 septembre 1974 et surtout les
manifestations du Larzac de 1973 contre le dépeuplement des
campagnes par l’extension du domaine militaire menée par un
jeune agriculteur du nom de José Bové, futur porte-drapeau de la
contestation anti-mondialiste. Des manifestations qui finiront
par mobiliser jusqu’à près de 100 000 personnes, induisant les
manifestations de l’écologie naissante contre la centrale
nucléaire de Creys-Malville le 31 juillet 1977, qui fera un mort
et cent blessés, les manifestations contre les quartiers de
haute sécurité dans les prisons, contre les juridictions
d’exception, contre la «Loi Sécurité et Liberté» du ministre de
la Justice Alain Peyrefitte, contre la censure institutionnelle
des médias et contre la peine de mort.
Autant de coup de butoirs qui ébranleront un conformisme
social traditionnel conforté de surcroît par un quart de siècle
de politique conservatrice.
Face à cette fermentation s’opère dans l’imaginaire français
un compromis entre la rationalité cartésienne et la truculence
méditerranéenne représentée par « le pied noir », pas tout à
fait blanc pas tout à fait noir, métissé, d’origine européenne
mais d’une imprégnation culturelle arabo-musulmane.
Roger Hanin, Enrico Macias et le «couscous Garbit» en seront
le symbole absolu. Sur fond de faire valoir culturel à incidente
folklorique, l’engouement pour cette triptyque constituera la
marque d’ouverture rétroactive de la France vers ses rapatriés
d’Algérie, au nombre d’un million, revenus au pays une décennie
auparavant. Le prélude à une nouvelle mutation psychologique
française que le foisonnement identitaire consécutif à l’arrivée
à maturité de la III me génération issue de l’immigration va
amplifier et bousculer, non sans convulsions, à l’occasion du
grand basculement du 10 mai 1981 et l’arrivée des socialistes au
pouvoir avec l’élection du président François Mitterrand, point
de basculement revendicatif de l’autre volet constitutif de la
société française, la France de l’immigration, initié par la
marche pour l’égalité et les révoltes périurbaines.
Références 1- L’expression est de la sociologue
Dominique Chnapper dans sa préface au livre «Et ils sont devenus
harkis» de Mohand Hamoumou (Fayard 1994), cf journal Libération
du jeudi 30 août 2001.
2-François Loncle, président de la commission
des Affaires étrangères de l’Assemblée Nationale, in «Ecrire
l’histoire commune» (Pour panser les plaies franco-algériennes
stimulons les recherches historiques sur les deux rives de la
Méditerranée) cf. Rebonds Journal Libération Mardi 24 juillet
2001.
3-Inaugurée en 1927 par Gaston Doumergue à
l’occasion du dixième anniversaire de Verdun, la Mosquée a été
construite grâce à un don de terrain et un crédit de 500.000
Francs du gouvernement français complété par un impôt spécial
prélevé sur les Algériens. «Plusieurs dizaines de milliers de
combattants musulmans» sont morts pour la France en 1914-18,
notamment à Verdun ou un carré musulman leur a été aménagé. 450
artisans et techniciens du Maghreb ont participé à la
construction de la Mosquée dont les travaux ont duré 4 ans
(1922-1926).
4- Florence Beaugé «350.000 anciens d’Algérie
souffriraient de troubles psychiques liés à la guerre», cf
journal Le Monde 28 décembre 2000.
5-Jacques Pâris de la Bollardière: Compagnon
de la Libération, Grand officier de la Légion d’Honneur,
commandant des parachutistes, les troupes de choc de l’armée
française, en Indochine, en 1952-53, général à 49 ans, il
démissionnera de son commandement en Algérie en signe de
protestation contre la torture. Fils d’un officier ayant servi
sous les ordres de Maréchal Lyautey à l’état-major français
durant la 1ère Guerre Mondiale, il plaidera en Algérie pour un
«dialogue des civilisations». A ses subordonnés il fera prêter
serment assurant que «tout musulman sera considéré par moi comme
un ami et non comme un suspect, sauf preuve du contraire».
6-Mosaïque sera diffusée pendant dix ans
(1977-87) sur FR3 le dimanche matin. Produite par « Point du
jour » avec à la réalisation Tewfik Farès, l’émission
bénéficiait des subventions du FAS (Fonds d’action sociale) et
de l’ADRI (Agence pour le développement des relations
interculturelles). Pionnier en la matière, le cinéaste Tewfik
Farès initiera par la suite «télé cité», une émission qui donne
la parole aux jeunes en leur proposant de tourner des reportages
sur leur vie quotidienne. Diffusé en septembre 1999 sur France 3
Ile-de-France, l’émission est depuis janvier 2001 diffusée dans
la région Nord-Pas-de-Calais.
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partielle de cette page faite sans le consentement écrit de René
Naba serait illicite (Art L.122-4), et serait sanctionnée par
les articles L.335-2 et suivants du Code.
Publié le 12 avril 2010 avec l'aimable autorisation de René Naba.
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