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Actualité
Liban: Hassan Nasrallah, l'indomptable
René Naba
Paris, le 10 juillet 2010
A Beyrouth, le Vietnam
d’Israël, la mère de toutes les villes du récit de la résistance
arabe,
Dans sa double version: Beyrouth ouest (1982) et Beyrouth sud
(2006) (1)
L’homme pèse ses mots et ses propos valent leur pesant d’or,
immédiatement décryptés par tous les exégètes de la philologie,
de la sémantique et de la linguistique, tant les universitaires
que les diplomates, les stratèges que les spécialistes de la
guerre psychologique, les arabisants de chic que les
orientalistes de toc.
La bulle politico médiatique occidentale risque de
s’étrangler de colère rentrée, de même que ses thuriféraires
arabes, devant une telle affirmation qui correspond néanmoins à
la réalité: Sayyed Hassan Nasrallah (2), chef du Hezbollah, le
mouvement paramilitaire chiite libanais, est un homme qui ne se
paie pas de mots. Ses actes sont conformes à ses discours et ses
discours à ses actes. Le contraire en somme d’un bonimenteur,
dont les propos retentissent comme autant des sentences.
Le constat ne relève pas de la fanfaronnade et sa crédibilité
ne relève pas de l’effet de propagande. Elle est confirmée dans
les faits, attestée par les plus grands journalistes arabophones
d’Israël, dont le signataire de ce texte en a recueilli la
confidence: «Al Manar», la chaîne du Hezbollah, fondée par
Hassan Nasrallah en personne, la chaîne du mouvement chiite
libanais bannie de l’espace européen à l’instigation de la
France, était, en pleine guerre de destruction israélienne du
Liban, en 2006, la chaîne de référence du déroulement des
hostilités, au même titre que la chaîne transfrontière arabe «Al
Jazira», et non la télévision israélienne.
Dans une zone où la démagogie est un mode de gouvernement,
l’homme est sobre sans la moindre théâtralité, en faisant la
spectaculaire démonstration un certain dimanche après midi de
juillet 2006, ordonnant en plein discours politique, depuis sa
tribune télévisuelle, devant des centaines de milliers de
téléspectateurs médusés, la destruction d’une vedette
israélienne qui narguait les côtes libanaises. L’ordre à peine
donné, la balistique hezbollahi atteignait de plein fouet sa
cible, repoussant la vedette au delà de l’horizon dans un nuage
de fumée noire, signe indiscutable de la blessure de l’ennemi
cuirassé, signant par la même dans l’ordre symbolique la défaite
israélienne dans ce duel à distance entre ce moine soldat de
l’Islam moderne et ses assaillants, les fers de lance de
l’hégémonie israélo occidentale sur la sphère arabe.
Dans un pays où l’instrumentalisation du martyrologe relève
d’une véritable industrie florissante au point de constituer une
rente de situation, l’homme n’a jamais cherché à tirer avantage
de la mort de son fils, Hadi, sur le champ d’honneur dans une
opération de harcèlement anti-israélienne au sud Liban. Tué au
combat à 18 ans, à Jabal al Rafei, en 1997, dans la zone
frontalière libano israélienne. Et non au cours d’un règlement
de compte entre factions rivales pour le partage du butin, comme
la guerre du Liban en a donné de nombreux exemples
particulièrement au sein des forces libanaises, la milice
chrétienne libanaise.
Dans une zone gangrenée par une religiosité niaise, ce
religieux au langage châtié, au verbe riche, où s’entremêlent
expressions religieuses et profanes, le dialectal et le
littéraire, est un tribun dont la tonalité du discours ressortit
pleinement de la thématique nationaliste arabe la plus
exigeante. Une tonalité laïque, qui tranche avec le rigorisme de
façade de certains de ses détracteurs. Lointaine réminiscence
d’une conviction filiale d‘un père membre actif d’un parti laïc,
nationaliste et pan syrien, ce chiite libanais et patriote,
formé à Nadjaf, la ville sainte du sud de l’Irak, cité refuge de
l’Ayatollah Ruhollah khomeiny, chef de la révolution iranienne,
passe pour avoir réussi la synthèse du chiisme arabe et iranien,
de l’lslamisme et du nationalisme arabe, du visage occidental du
Liban et de son appartenance au monde arabe.
Natif de Bourj Hammoud, dans la banlieue populeuse de
Beyrouth, Hassan Nasrallah a vu le jour dans la zone de brassage
par excellence des laissés pour compte de la société d’abondance
et de la cohorte des peuples sans terre, réfugiés palestiniens,
minoritaires kurdes et chiites défavorisés refoulés du sud
Liban. Un lieu de naissance, par effet du hasard, formateur,
tout comme sa région d‘origine. Le futur chef du Hezbollah est
en fait originaire d’une zone géographiquement prédestinée au
combat: la région du sud Liban dans la zone frontalière libano
israélienne, une zone qui est la cible de l’artillerie et de
l’aviation israélienne depuis un demi siècle, que les militaires
israéliens vouaient à faire office de zone tampon, qui sera,
paradoxalement, par la suite le fer de lance du combat anti
occidental, le tremplin de Hassan Nasrallah vers la gloire
militaire.
Le chef lieu natal de sa famille, Bazouriyeh, il est vrai,
est une localité située près de Bint Jbeil, la grande bourgade
du sud Liban, qui infligea deux camouflets militaires aux
Israéliens, la première fois, en 1982, avec la destruction du PC
israélien fixé dans ce lieu, dans le cadre de «l’opération Paix
en Galilée», la deuxième fois, un quart de siècle plus tard, en
2006, lors de la mémorable bataille de chars précédant le cessez
le feu israélo-libanais qui transforma Bint Jbeil en cimetière
des Merkava, se soldant par la destruction d’une trentaine de
véhicules blindés israéliens.
L’invasion israélienne du Liban aura d’ailleurs un effet
déclencheur de sa prise de conscience politique. A 22 ans, ce
chef d’une fratrie de neuf enfants s’engagera cette année là au
sein du Hezbollah, à l’époque vague groupuscule sous la férule
des Gardiens de la révolution iranienne, dont il en gravira
rapidement tous les échelons pour en devenir dix ans plus tard,
en 1991, à 31 ans, son secrétaire général après l’assassinat de
Abbas Moussaoui par les Israéliens. Une promotion démocratique,
d’une ascension au mérite, sans coup de force ni coup d‘état,
qui le mettra en position d’intégrer le jeu politique libanais,
en 1992, en concomitance avec l’arrivée au pouvoir du
milliardaire libano saoudien le sunnite Rafic Hariri, l’autre
poids lourd de la politique libanaise, induisant une nouvelle
équation dans le système politico confessionnel libanais,
désormais marqué par la prééminence des deux grandes communautés
musulmanes -sunnite et chiite- au détriment des communautés
historiques fondatrices du Liban, maronite et druze.
Issu de la communauté la plus méprisée à l’époque du Liban et
la plus négligée des pouvoirs publics, la communauté chiite,
dirigée en ces temps là par des féodaux claniques, trafiquants
de drogue et alliés privilégiés du Chah d’Iran et de l’Occident,
notamment la famille Kazem al Khalil de Tyr, parent par alliance
de l’irakien Ahmad Chalabi, l’agent par excellence de l’invasion
américaine de l’Irak, Hassan Nasrallah en fera le fer de lance
du combat anti israélien, la fierté du pays, sa colonne
vertébrale, obtenant le dégagement militaire israélien du Liban
sans négociation ni traité de paix, en 2000, propulsant son pays
à la fonction de curseur diplomatique régional, et, dans
l’histoire du conflit israélo-arabe, le standard libanais au
rang de valeur d’exemple, tant cet exploit a revêtu dans la
mémoire collective arabe un impact psychologique d’une
importance comparable à la destruction de la ligne Bar Lev, lors
du franchissement du Canal de Suez, lors de la guerre d’octobre
1973.
Récidiviste huit ans plus tard, il initiera, face à la
puissance de feu de son ennemi et à l’hostilité quasi générale
des monarchies arabes, une nouvelle méthode de combat, concevant
un conflit mobile dans un champ clos, une novation dans la
stratégie militaire contemporaine, doublée d’une audacieuse
riposte balistique, à la grande consternation des pays
occidentaux et de leurs alliés arabes.
- La crise du modèle occidental de guerre limitée de
haute technologie.
«Malgré l’engagement de l’équivalent de l’armée de terre et
l’armée de l’air françaises, les Israéliens ont échoué à vaincre
au Liban quelques milliers d’hommes retranchés dans un rectangle
de 45 km sur 25 km, un résultat tactique surprenant,
probablement annonciateur d’un phénomène nouveau, la fin une ère
de guerres limitées dominées par la haute technologie
occidentale. L’armée israélienne découvre alors que ses
adversaires se sont parfaitement adaptés face au feu aérien
israélien, le Hezbollah a développé une version « basse
technologie » de la furtivité, combinant réseaux souterrains,
fortifications et – surtout – mélange avec la population. Le
Hezbollah, légèrement équipé, maîtrisant parfaitement son
arsenal, notamment antichar, a mené un combat décentralisé, à la
manière des Finlandais face aux Soviétiques en 1940. Il pratique
aussi une guerre totale, tant par l’acceptation des sacrifices
que par l’intégration étroite de tous les aspects de la guerre
au cœur de la population. En face, l’armée d’Israël s’engage
dans une ambiance de « zéro mort», et échoue. Au bilan, Israël a
perdu 120 hommes et 6 milliards de dollars, soit presque 10
millions de dollars par ennemi tué, et ce, sans parvenir à
vaincre le Parti de Dieu. À ce prix, sans doute eut-il été
tactiquement plus efficace de proposer plusieurs centaines de
milliers de dollars à chacun des 3 000 combattants
professionnels du Hezbollah en échange d’un exil à l’étranger»
estimera un stratège français au Centre français de doctrine
d’emploi des forces (armée de terre), chargé du retour
d’expériences des opérations françaises et étrangères dans la
zone Asie/Moyen-Orient (3).
Mais au regard de cet exploit singulier dans l’histoire peu
glorieuse du monde arabe contemporain, une levée de bouclier
d’une classe politique archaïque, reformatée dans la féodalité
moderniste, résultante d’un torrent d’opportunisme fera alors
vibrer la fibre communautaire dans une zone en proie à
l’intégrisme, dans un pays qui en a si grandement pâti dans le
passé, en proie à la désespérance d’une population en voie de
paupérisation croissante, en proie à l’amnésie des victimes des
anciennes turpitudes, en proie à la mauvaise humeur débridée
d’une jeunesse en révolte contre toute forme de tutelle, en
proie à l’indigence intellectuelle et morale d’une fraction de
l’élite, en proie enfin au nanisme des géants de la politique
libanaise coalisés au sein d’une alliance contre nature des
anciens «seigneurs de la guerre» et de leur principal bailleur
de fonds.
Pariant implicitement sur une défaite du Hezbollah, le trio
pro occidental -Saad Hariri, Walid Joumblatt et leur allié
maronite Samir Geagea, l’ancien compagnon de route d’Israël de
la guerre civile inter-libanaise- s’est lancé dès la fin des
hostilités, au-delà de toute décence, dans le procès de la
milice chiite aux cris «Al-Haqiqa» (la vérité), plutôt que de
rechercher la condamnation d’Israël pour sa violation du Droit
Humanitaire International et sa destruction des infrastructures
libanaises. Un cri de guerre curieusement popularisé par la
fugace pasionaria de la scène libanaise, la ministre maronite
Nayla Mouawad, paradoxalement, plus soucieuse de démasquer les
assassins de Rafic Hariri que ceux de son propre époux, l’ancien
Président René Mouawad, tué dans un attentat le 22 novembre
1990, le jour anniversaire de l’Indépendance libanaise.
Affligeant spectacle et infamant.
Nasrallah s’en tirera, faisant preuve de mansuétude à l’égard
des supplétifs de l’armée israélienne, enrôlés sous la férule
d’un général félon, Antoine Lahad, les exonérant du crime de
trahison, leur épargnant le supplice du goudron réservé aux
collaborateurs français du régime nazi. Il contournera ce piège
démagogique par son alliance avec la hiérarchie militaire
chrétienne, les deux anciens commandants en chef de l’armée,
soucieux de brider les pulsions mortifères de l’ordre milicien
chrétien. Le président Emile Lahoud «un résistant par
excellence» aux dires de son allié chiite et le général Michel
Aoun, chef de la plus importante formation politique chrétienne,
l’assureront d’une couverture diplomatique internationale
transconfessionnelle, d’un sas de sécurité à l’effet de briser
net un nouveau clivage islamo chrétien, point de basculement
vers une nouvelle guerre civile à connotation religieuse.
De l’aveu même des responsables américains, les Etats Unis,
depuis 2006, à travers l’USAID et la Middle East Partnership
Initiative (MEPI), ont débloqué de plus de 500 millions de
dollars, pour neutraliser le Hezbollah, la plus importante
formation paramilitaire du tiers monde, arrosant près de sept
cents personnalités et institutions libanaises d’une pluie de
dollars «pour créer des alternatives à l’extrémisme et réduire
l’influence du Hezbollah dans la jeunesse» (4). A cette somme se
superpose le financement de la campagne électorale de la
coalition gouvernementale aux élections de juin 2009, de l’ordre
de 780 millions de dollars, soit un total de 1,2 milliards de
dollars en trois ans, à raison de 400 millions de dollars par
an. En vain.
Véritable état dans l’état, le principal grief de ses
adversaires, son mouvement aura pourtant supplée pendant trente
ans la vacance d’un pouvoir d’état longtemps auparavant vidé de
sa substance par l’ordre milicien prédateur et parasite, en tout
cas bien avant la naissance du Hezbollah, collaborant
étroitement avec les services d’un état en déshérence, initiant
une culture du combat et de la résistance dans un pays aux
moeurs redoutablement mercantiles.
Principale formation politico-militaire libanaise, dont le
démantèlement est réclamé les Etats-Unis, le Hezbollah dispose
d’une représentation parlementaire sans commune mesure avec
l’importance numérique de la communauté chiite, sans commune
mesure avec sa contribution à la libération du territoire
national, sans commune mesure avec son prestige régional, sans
commune mesure avec l’adhésion populaire dont il jouit sans
chercher à en tirer avantage. Tant au niveau de la démocratie
numérique que de la démocratie patriotique, la place qu’occupe
le Hezbollah est une place de choix. Un positionnement
incontournable à l’effet de dissuader quiconque songerait à
usurper la place qui n’est pas la sienne. Dans les querelles
byzantines dont les Libanais sont tant friands, il était
salutaire que cette vérité d’évidence soit rappelée et les
mésaventures du tandem Hariri Joumblatt sont là pour l’attester.
Walid Joumblatt et Saad Hariri feront amende honorable après
une succession de revers et reprendront le chemin de Damas, sans
trop de fanfaronnade, tandis que Nayla Moawad était battue aux
élections législatives et son fils, Michel, l’espoir de la
relève maronite au sein des néo conservateurs américains qui
finançaient le culte de la mémoire de son père et sa propre
carrière politique via le National Endowment for Democracy,
était conduit à s’expatrier en Amérique latine pour se refaire
une santé financière à défaut d’une rigueur morale
Le premier ministre socialiste français Lionel Jospin, qui
avait qualifié de «terroriste» le Hezbollah, en a fait
l’expérience à ces dépens, déclenchant le plus célèbre
caillassage de l’époque contemporaine, terminant piteusement sa
carrière politique, irrémédiablement carbonisé. Jacques Chirac
qui avait préconisé des «mesures coercitives» pour brider le
Hezbollah se ravisera après l’échec israélien dépêchant une
escadrille française pour protéger l’espace aérien libanais lors
du défilé célébrant la «divine victoire», craignant que la
moindre anicroche atteignant Nasrallah, ne déclenche par
représailles l’éradication politique et physique de la famille
de son ami Rafic Hariri, assassiné en février 2005,
particulièrement de son héritier politique, Saad Hariri, planqué
à l’étranger durant les hostilités loin d’une capitale dont il
est le député et d‘un pays dont il est le chef de sa majorité
gouvernementale. La «belle» Condoleeza Rice, secrétaire d’état
américain, le plus ferme soutien à l’équipée israélienne, a
depuis lors été renvoyée à ses chères études, de même que
l’ancien agent du Mossad, la «belle» Tzivi Lipni, sa collègue
israélienne; Dan Halloutz, chef de l’aviation israélienne,
ordonnateur des raids destructeurs sur Beyrouth, a été démis de
ses fonctions, renvoyé à ses pénates pour manigance financière,
de même que son premier ministre Ehud Olmert.
Victorieux sans appel d’une épreuve de force contre une
coalition pro occidentale agrégeant tous les anciens seigneurs
de la guerre du Liban, qui voulaient porter atteinte à
l’autonomie de son réseau de transmissions, le nerf de sa guerre
contre Israël, le 7 mai 2008, le dignitaire religieux acquiert
alors une nouvelle stature, celle d’un prescripteur dans l’ordre
régional, initiateur de la rhétorique des représailles et de la
parité de la terreur. Son fief du sud de Beyrouth supplante
alors Beyrouth Ouest dans la conscience arabe en tant que foyer
de la contestation pan arabe, signant définitivement le
désengagement du sunnisme militant dans le combat contre Israël,
le Hamas palestinien excepté à Gaza.
L’homme qui sera le premier à accorder son soutien à Bachar
al Assad, à l’autorité mal assurée à la succession de son père,
alors que ses rivaux libanais supputaient les chances de survie
politique du jeune président, sera payé en retour par le syrien
qui en fera son interlocuteur pivot au Liban. Consécration
suprême, Hassan Nasrallah est désormais investi de la mission de
servir de caution patriotique aux anciens enfants prodiges de la
politique libanaise, tel le chef druze Walid Joumblatt, brebis
égarée dans le marécage politique libanais, revenu au bercail
sur le chemin de Damas, sous les auspices du Chef du Hezbollah,
son garant auprès du pouvoir syrien.
Cette mesure, insolite, révèle néanmoins le degré de
fiabilité du personnage, une mesure de précaution qui révèle le
degré de suspicion que nourrissent les Syriens et leurs alliés
libanais à l’encontre de son lieutenant, M. Marwane Hamadé,
ancien ministre des télécommunications, maître d’œuvre du projet
de neutralisation du réseau de transmissions du Hezbollah.
L’inculpation début juillet 2010 d’un responsable exerçant des
fonctions sensibles au sein d‘une entreprise stratégique de
téléphonie cellulaire pour «intelligence avec l’ennemi», a donné
a posteriori raison au Hezbollah dans sa détermination à
préserver son autonomie tant au niveau de son réseau de
télécommunications que de ses voies de ravitaillement. Elle a
justifié en même temps la méfiance des Syriens à l’égard de
l’entourage de Walid Joumblatt tant est patente sa connivence
pro occidentale. L’homme, Charbel Qazzi, en poste depuis
quatorze ans dans les télécommunications, est accusé par la
justice militaire d’avoir connecté le réseau de la téléphonie
mobile de sa firme Alpha, au réseau des services israéliens,
répercutant l’ensemble du répertoire de ses abonnés et de leurs
coordonnées personnelles et professionnelles, y compris
bancaires, de même que leur communications à un pays
officiellement en guerre au Liban et qui n’a cessé ses
incursions militaires contre le Liban.
Alors que le Liban retentit régulièrement de la commémoration
des «martyrs» Bachir Gemayel, le chef des milices chrétiennes et
président éphémère du Liban, septembre 1982, et Rafic Hariri, le
milliardaire libano saoudien, ancien bailleur de fonds de la
guerre inter factionnelle libanaise et ancien premier ministre
sunnite du Liban, Hassan Nasrallah porte un deuil muet sur son
fils, trente ans après sa mort au combat, ne mentionnant jamais
cette douleur d’ordre personnel, s’abstenant de toute
commémoration, un comportement identique à celui qu’il observe à
l’égard d’une autre figure prestigieuse du Hezbollah, Imad Fayez
Moughnieh «Al Hajj Radwane», le cauchemar de l’Occident, maître
d’œuvre des opérations anti occidentales au Moyen orient depuis
la décennie 1980, fondateur de l’ossature militaire du Hezbollah
et par capillarité militante du mouvement palestinien Hamas à
Gaza, artisan du dégagement militaire israélien du sud Liban
après 22 ans d’occupation, tué dans un attentat à Damas, le 12
février 2008.
Ni Palace, ni limousine, incorruptible dans un monde
ruisselant de pétrodollars, cette figure marquante du monde
arabo musulman force le respect de ses interlocuteurs par la
retenue de son comportement, son sens de l’humour et une
crédibilité à tout crin, sa marque de fabrique, son viatique
pour l’éternité. «Al Wahd al Sadeq», la «promesse sincère» sera
une promesse tenue. Elle apportera, en 2007, la démonstration la
plus éclatante de sa fiabilité en obtenant la libération du
doyen des prisonniers arabes en Israël, le druze libanais Samir
Kintar, au cours de la plus importante opération d’échange de
prisonniers qui aboutit en outre à la restitution de la
dépouille de Dalal Moughrabi, une résistante palestinienne tuée
au cours d’une opération commando à l’intérieur du territoire
israélien.
Ni port, ni aéroport, aucune route ni autoroute, pas la
moindre ruelle, ni venelle ne rend hommage à celui qui porte en
lui une part du destin du Liban et du monde arabe, un
prescripteur essentiel de l’ordre régional. Aucun monument,
aucune oeuvre humaine pour immortaliser le passage sur terre de
cet homme. Aucune trace, aucune autre trace que celle que
l’histoire réservera à cet homme dont le passage réussi des
Thermopyles, l’été 2006, au sud Liban sur le champ d’honneur de
la résistance, a réanimé le souffle du monde arabe dans la
reconquête de sa dignité. Huit cent des siens ont péri cet été
là, l’arme à la main, pour que vive le Liban dans son intégrité
territoriale et sa souveraineté nationale et que se maintienne
vivante la revendication nationale palestinienne à un état
indépendant.
Bulleurs occidentaux, ne vous égarez pas trop une fois de
plus en de vaines recherches: «L’Islam des Lumières», c’est lui
et non la cohorte des gérontocratiques pétro monarchies
obscurantistes du Golfe.
Bulleurs occidentaux, ne vous méprenez pas, non plus:
«L’Islam moderne», c’est lui et non cette cohorte de dictateurs
bureaucratiques à propension dynastique.
Lui, le nouveau chef de file d’un nationalisme arabe
revigoré, que vous avez tenté de démanteler depuis un demi
siècle, lui ce chiite minoritaire d’un monde arabe
majoritairement sunnite, le digne héritier du sunnite Nasser.
Lui, et non ce «bouffon du roi», véritable dindon de la farce
de l’affaire afghane, Oussama Ben Laden, célébré par vous toute
une décennie en tant que «combattant de la liberté» pour avoir
détourné 50.OOO combattants et vingt milliards de dollars pour
faire le coup de feu contre les Russes en Afghanistan à des
milliers de km du principal champ de bataille, la Palestine.
Lui, l’idole des jeunes et des moins jeunes, de Tachkent à
Tamanrasset, de Toubrouk à Tombouctou, lui, le théologien de la
libération sans successeur prédestiné, lui, Hassan Nasrallah,
l’indomptable, l’homme qui n’a jamais pactisé avec ses ennemis,
ni avec les ennemis de ses ennemis, lui, dont l’unique point de
mire est Israël, dont il n’en détachera ni le regard ni la
gâchette pour d’autres de vos mirages incertains, pour d’autres
de vos cibles incertaines, pour aucune autre cible, aucun autre
objectif que la libération du sol national et la sécurisation de
l’espace national arabe.
Pour aller plus loin
Du Grand Moyen Orient au Nouveau Proche-Orient ou le
conte d’une folie ordinaire
Par Roger Naba’a, Universitaire et philosophe libanais in «
Liban: chroniques d’un pays en sursis» ouvrage co-écrit par
Roger Naba’a et René Naba, Editions du Cygne, 2007.
Références
1- Les journalistes français, particulièrement
ignorants en la circonstance des réalités locales, s’imaginent
que Hassan Nasrallah habite une autre planète que la capitale
libanaise, qualifiant son lieu de résidence de «Dahiyeh». «Dahyeh»
signifie en fait en arabe «banlieue» par abréviation de «Dahyeh
al jounoubiyah», la banlieue sud de Beyrouth, ce qui prouve a
contrario que le chef du Hezbollalh réside bien dans la banlieue
sud de Beyrouth et non dans une agglomération urbaine autre que
la capitale libanaise.
2- Sayyed Hassan Nasrallah signifie
littéralement en arabe «Belle Victoire de Dieu». Le titre Sayyed
qui signifie littéralement en arabe «seigneur» ou «Maître», est
un titre honorifique donné à des musulmans de haut rang,
descendants du prophète Mahomet par sa fille Fatima Zahrah et
son cousin et beau-fils Ali ibn Abi Talib.
Hassan Nasrallah est né le 31 Août 1960 dans le quartier de
Bourj-Hammoud (Beyrouth Est). Il est l’aîné d’une famille de
neuf enfants qui n’est pas particulièrement religieuse. Son
père, Abdel Karim, épicier de son état, est membre du Parti
Social Nationaliste syrien. Il débute des études théologiques à
l’école publique de Sin el Fil, un quartier où cohabitent
chrétiens et musulmans à l’est de Beyrouth, ce qui lui permet de
faire la connaissance de chrétiens libanais. En 1975, lorsque la
guerre civile éclate au Liban, sa famille est obligée de
retourner dans leur village d’origine, Bazourieh, proche de la
ville de Tyr (Sud Liban). C’est là que Nasrallah décide de
rejoindre le mouvement Amal (« Espoir »), une organisation
chiite politique et paramilitaire, présidée alors par l’Imam
Moussa Sadr, chef spirituel de la communauté chiite,
mystérieusement disparu en 1978 lors d’un voyage en Libye.
Il étudie la Théologie dans la ville sainte de Nadjaf, en Irak,
où il fait la connaissance de celui qui sera son prédécesseur à
la tête du Hezbollah, Abbas Moussaoui. La jonction s’est faite,
sous l’égide de L’Imam Mohamad Bakr al Sadr, Fondateur du parti
ad-Daawa et parent de l’Iman Moqtada Sadr, le chef de la révolte
anti américaine en Irak. L’intensification de la répression du
gouvernement de Saddam Hussein à l’encontre des religieux
chiites en Irak, de même que la guerre de succession engagée au
sein du Amal libanais, consécutive à la disparition de l’Iman
Moussa Sadr en Libye, le contraint à rentrer au Liban en 1978
pour intégrer avec son ami Abbas Moussaoui le Hezbollah. Hassan
Nasrallah est marié et père de trois enfants, dont l’aîné, Hadi,
tué alors qu’il combattait l’armée israélienne au Liban sud à
Jabal al-Rafei, en 1997. -Ses deux prédécesseurs ne disposaient
ni de son charisme, ni son sens de l’organisation. Le premier
cheikh Sobhi Toufayli était davantage perçu comme un chef
radical, en méconnaissance des rapports de forces régionaux, le
second Abbas Moussaoui a été tué sans disposer du temps pour
imprimer sa marque au mouvement.
Le grand ayatollah Mohammad Hussein Fadlallah, mort dimanche 4
juillet 2010, a longtemps été considéré comme le mentor du parti
pro-iranien Hezbollah. A l’instar du dirigeant actuel du
Hezbollah, Hassan Nasrallah, il était inscrit par les Etats-Unis
sur leur liste des « terroristes internationaux » établie en
1995. Il avait été accusé dans les années 1980 par les médias
américains d’être à l’origine des prises d’otages d’Américains
au Liban par des groupes radicaux liés à l’Iran. En 1985, il a
été la cible d’un attentat qui a tué 80 personnes, une opération
organisée par la CIA avec trois millions de dollars, venant de
fonds pétro monarchiques du Golfe. Son garde de corps de
l’époque n’était autre qu’Imad Moughniyeh. Personnalité très
influente de l’Islam chiite au Liban, en Asie centrale et dans
le Golfe, Fadlallah se servait de ses prêches du vendredi pour
dénoncer la politique américaine au Moyen-Orient. Il a émis des
fatwas (décrets religieux) interdisant les crimes dits d’honneur
ou l’excision. Auteur de plusieurs ouvrages théologiques, il
était connu pour son ouverture sur le développement scientifique
et son audace dans l’interprétation des textes de l’islam. Le
charismatique dignitaire à la barbe blanche et au visage serein
était connu pour ses avis religieux tolérants, notamment
vis-à-vis des femmes.
3-«Dix millions de dollars le milicien, La
crise du modèle occidental de guerre limitée de haute
technologie» par Michel Goya, CF la revue Politique étrangère
1/2007 (Printemps), p. 191-202. Lieutenant-colonel et rédacteur
au Centre de doctrine d’emploi des forces (armée de terre), il
est chargé du retour d’expériences des opérations françaises et
étrangères dans la zone Asie/Moyen-Orient. Il est l’auteur de La
Chair et l’Acier (Paris, Tallandier, 2004) qui s’attache au
processus d’évolution tactique de l’armée française pendant la
Première Guerre mondiale.
4- Déposition de Jeffrey D. Feltman, assistant
de la secrétaire d’Etat américaine et responsable du bureau des
affaires du Proche-Orient, et de Daniel Benjamin, coordinateur
du bureau de lutte contre le terrorisme, devant une commission
du Sénat américain le 8 juin 2010. CF à ce propos le journal
libanais «As Safir», en date du 29 juin 2010, sous la plume de
Nabil Haitam, affirmant qu’ «une liste de 700 noms de personnes
et d’organisations ayant bénéficié de l’aide américaine circule
et que certains ont reçu des sommes comprises entre 100 000 et 2
millions de dollars. Le journaliste s’interroge: «Quelles
clauses du code pénal ces groupes ou personnes ont-ils violées ?
Est-ce que contacter ou agir avec un Etat étranger, et
travailler avec cet Etat en échange d’argent à une campagne
visant l’une des composantes de la société libanaise – une
campagne qui pourrait avoir déstabilisé la société –, est légal
? » (…) Et Haitam se demande pourquoi Feltman a rendu cette
information publique, d’autant qu’elle risque d’embarrasser des
alliés des Etats-Unis au Liban. Selon lui, l’ambassade
américaine à Beyrouth a rassuré ses alliés en leur affirmant que
Feltman voulait simplement montrer au Congrès que les Etats-Unis
agissaient au Liban et qu’il n’est pas question qu’ils révèlent
des noms». A cette somme de 500 millions de dollars se superpose
le financement de la campagne électorale de la coalition pro
occidentale. Le quotidien américain New York Times a accusé, de
son côté, l’Arabie Saoudite et les Etats-Unis, dans un article
intitulé «élections libanaises: les plus chères au monde»,
d’ingérence dans le processus électoral des prochaines élections
législatives de juin 2009 en révélant que des sources proches du
gouvernement saoudien ont admis le financement de candidats
opposés au mouvement chiite Hezbollah, le financement du voyage
d’expatriés libanais, voire l’achat du vote collectif de
communautés entières en faveur de leurs alliés locaux. Selon le
New York Times, plusieurs centaines de millions de dollars (700
millions de dollars) auraient été ainsi transférés au Liban non
seulement pour participer à la campagne électorale mais
également pour corrompre leur vote. Le quotidien ajoute qu’il
s’agirait pour l’Arabie Saoudite de limiter l’influence
iranienne au Liban et de soutenir ses alliés pour faire pression
sur Téhéran. Côté américain, toujours selon le même quotidien,
l’International Republican Institute, réputé pour être un lobby
proche du parti républicain, aurait ouvert des bureaux à
Beyrouth pour aider les dirigeants de la majorité actuelle ainsi
que leurs médias affiliés dans la campagne électorale. Ce lobby
aurait ainsi ouvert des bureaux auprès des différents partis
appartenant à la coalition pro occidentale du 14 mars, dont les
forces libanaises de Samir Geagea, le courant du futur du député
Saad Hariri, le parti phalangiste d’Amine Gemayel et du député
druze Walid Joumblatt (New York Times 24 avril 2009, «élections
libanaises : les plus chères au monde»). Deux jours après ses
révélations, Hillary Clinton, secrétaire d’état, effectuait une
visite surprise à Beyrouth pour fleurir la tombe de Rafic
Hariri, l’ancien premier ministre assassiné, et préconisé, sans
craindre le ridicule, des élections libres de toute
ingérence……..à l’exception sans doute de l‘argent saoudien et
américain.
5-Le juge du Tribunal spécial pour le Liban
(TSL) a ordonné mercredi 29 avril 2009 la remise en liberté
immédiate des quatre généraux libanais prosyriens détenus depuis
2005 dans le cadre de l’enquête sur l’assassinat de l’ancien
Premier ministre Rafic Hariri. L’attentat à la bombe avait fait
un total de 23 morts le 14 février 2005 à Beyrouth. Les généraux
Jamil Sayyed, Ali Hajj, Raymond Azar et Mustafa Hamdan, seuls
suspects, étaient détenus le 30 août 2005.Ils n’avaient pas été
officiellement inculpés. Le juge Daniel Fransen a suivi les
procureurs qui trouvaient le dossier trop léger pour maintenir
ces hommes en détention. Des feux d’artifice ont salué l’annonce
de leur libération à Beyrouth.
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Publié le 10 juillet 2010 avec l'aimable autorisation de René Naba.
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