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Actualité

France Colonies: La France schizophrène ?
René Naba


Paris, 8 mai 2010

Dossier spécial Afrique

Troisième papier du dossier spécial France Afrique préparé à l’occasion du cinquantenaire de l’indépendance de l’Afrique, offrant une rétrospective des divers aspects occultés de l’histoire de France……..une histoire telle qu’elle aurait dû être enseignée aux écoliers de France.

Ce troisième et dernier papier est publié le 10 Mai à l’occasion de la célébration de la journée commémorative de l’abolition de l’esclavage en France.

(image à droite) : Parcours Maurice Audin – Ernest Pignon Ernest – 2003 (Alger)
Pour plus d’informations :
http://www.pignon-ernest.com/
http://www.pignon-ernest.com/download/articleaudin.pdf

Au survol des siècles s’offre au regard un panorama à deux dimensions, télescopage des ambivalences françaises, où, en Egypte, la figure de Champollion, le déchiffreur des hiéroglyphes, et, de Ferdinand de Lesseps, le constructeur du Canal de Suez, se superposent à celle de Kléber dont les succédanés coloniaux mettront, le pouvoir khédival sous tutelle et l’économie du pays en coupe réglée sous la houlette de la compagnie du Canal de Suez.

En Algérie, celle de Mgr Etienne Duval, figure du clergé anticolonial, cardinal archevêque de l’Algérie indépendante, à celle du cardinal Lavigerie, bras religieux du colonisateur. En Algérie encore, celle de la juvénile figure du supplicié Maurice Audin et de ces compagnons de route, les porteurs de valise, Francis Jeanson et Henri Curiel aux caractères indomptables, celle enfin singulièrement prestigieuse du général Jacques Pâris de la Bollardière, face à l’ensemble de la hiérarchie politico-militaire française dévoyée et dévoilée un demi-siècle plus tard par son double antinomique le général Paul Aussaresses (1).

Pour une armée coutumière de sursauts salutaires et dont le plus illustre officier rebelle n’est autre que le Général Charles de Gaulle, en 1940, le chef de la France libre anti-capitularde, l’onde de choc déclenchée par le coup d’éclat du Général de la Bollardière, qui demandera à être relevé de son commandement en Algérie en 1957 en signe de protestation contre la torture, mettra pourtant 42 ans pour percuter la hiérarchie militaire.

Le devoir de désobéissance aux ordres manifestement contraires à l’éthique universelle est désormais reconnu dans les armées françaises, consigné dans un document de l’état major de l’armée de terre de 1999 portant sur les «Fondements et principes de l’exercice du métier des armes dans l’armée de terre». 42 ans: au regard du principe d’autonomie décrété par Bonaparte au XVIII me siècle et réalisé deux siècles plus tard par Gaston Defferre, l’assimilation est rapide, les délais considérablement raccourcis. Mais que de chemins encore à parcourir.

Dans une sorte de remise en ordre à la fin du XX me siècle, la France reconnaîtra sa responsabilité dans le génocide juif. Le Président Jacques Chirac, nouvellement élu, dénoncera, en 1995, «la folie criminelle de l’occupant, secondée, chacun le sait, par les Français», invitant ses compatriotes à assumer la «dette imprescriptible de la France à l’égard des déportés juifs». Cinquante ans pour purger le passif avec les Juifs, jadis enviés pour leurs conditions au point d’être cités en exemple, «heureux comme un juif en France» qu’ils étaient, avant d’être abandonnés à leur sort morbide.

Cinquante ans aussi pour commencer à purger le passif colonial avec la triple reconnaissance de la France, en 2001, de sa responsabilité tant à l’égard des Harkis, qu’à l’égard des anciens combattants de l’Afrique noire (2), qu’à l’égard des civils algériens lors de la manifestation du 17 octobre 1961 à Paris, dont près de deux cents auraient été massacrés au cours de la répression ordonnée par le Préfet de Police de l’époque Maurice Papon.

Un demi siècle pour résoudre le conflit qui minait la France. Le lancement à grand fracas des «procès identitaires» de la fin du XX me siècle est à cet égard révélateur de la vérité de l’histoire de France, en faisant apparaître dans la pleine lumière de l’histoire les antagonismes de la société française tiraillée entre le «devoir de mémoire» et la nécessité de «l’oubli réparateur». Les procès Klaus Barbie, Paul Touvier et Maurice Papon, comme auparavant au XIX me siècle l’affaire Dreyfus, auront eu une «fonction cathartique» visant à libérer la conscience nationale française de son passé, avancera en guise de justification tardive l’universitaire Jean Pierre Royer (3) dans son «Histoire de la Justice en France».

Le Conseil d’Etat ne s’y est pas trompé en engageant la responsabilité de l’Etat dans l’affaire Papon, le condamnant à payer à parité l’amende infligée à l’ancien haut fonctionnaire, considérant que «le rétablissement de la légalité républicaine par l’ordonnance du 9 août 1944 n’entraîne pas pour autant l’irresponsabilité de la puissance publique», dans la mesure où «certaines décisions ont permis et facilité les opérations qui ont été le prélude à la déportation» (4).

La même ambivalence se retrouve en Afrique où la figure du gouverneur Van Vollenhoven se pose face aux «planqués coloniaux». Gouverneur général d’Afrique occidentale française, Van Vollenhoven démissionnera de son prestigieux poste de Dakar, à l’époque fierté de la colonisation française, pour s’enrôler dans l’armée française supportant mal l’idée de demeurer bien à l’abri sur place alors que des tirailleurs sénégalais partaient défendre son propre pays durant la Première Guerre mondiale. Engagé comme soldat de 1re classe, il sera tué aux combats en 1915.

Son nom a été donné au plus grand lycée français d’Afrique, le lycée «Van vo» à Dakar, siège de son ancien commandement, ainsi qu’à une place du 12me arrondissement de Paris, à proximité du Musée des arts africains et océaniques, telle une relique d’antiquité. Van Vollenhoven ne figure dans aucun dictionnaire français sauvé de l’oubli uniquement par ces deux balises, encore que le Lycée dakarois sera débaptisé après l’indépendance du Sénégal pour prendre le nom de Lamine Guèye, en hommage posthume au défenseur de la «révolte des soldats noirs du camp de Thiaroye».

Mais pour un valeureux «Van vo» que d’imposteurs. Tels ces galonnés qui accueilleront à coup de canon le Général de Gaulle, venu en 1942 à bord du croiseur Richelieu lever des combattants au large de Dakar, qui forceront leur frère d’armes à battre en retraite, à se replier au tréfonds de l’Afrique, rejoint par un surprenant personnage, Félix Eboué, premier rallié de l’outremer français, gouverneur de race noire du Tchad, qui fera de Brazzaville la capitale de la France Libre sur le continent noir, la base arrière de son combat pour soulever l’empire et laver l’honneur défaillant de la France.

Pour un Félix Eboué, plus patriote que nombre de Français de souche, combien de crapules en contrepoint? Tels ces officiers portant haut et beau qui pour carboniser la trace des forfaits de leur supérieurs et enrayer la contamination revendicative des soldats noirs de retour d’Europe, ordonneront l’incendie de leur campement de Thiaroye (5), dans la banlieue de Dakar, au Sénégal, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Ou encore cet administrateur colonial du Cameroun, le bien nommé Toqué de sinistre mémoire, qui pour distraire ses après-midi d’ennui se livrait à des exercices de «pyrotechnie coloniale», ceinturant de bâtons de dynamite les payeurs récalcitrants de race noire avant de les déchiqueter par l’explosion de leur charge.

Que d’infamies auront été lavées par l’abnégation d’un Albert Schweitzer (6), le bon médecin de Lambaréné au Gabon. Que d’avanies gommées de la mémoire par l’humilité d‘un Raoul Follereau (7), le grand frère des lépreux au Sénégal. Que de dérives mortifères de la Françafrique, une des formes les plus élaborées du pacte de corruption des élites à l’échelle transcontinentale, auront été compensées par le dévouement de René Dumont (8), l’ancêtre de l’écologie moderne, pourfendeur précoce du pillage du tiers monde et du gaspillage des ressources de la planète.

«J’aurai dû entendre Dumont», lâchera désabusé au terme de sa longue présidence sénégalaise, Léopold Sedar Senghor, donnant acte a posteriori au zèle prémonitoire de cet anticonformiste désintéressé, accablé par le bilan calamiteux de l’Afrique postcoloniale, une Afrique qui se présentait à la fin du deuxième millénaire comme «le conservatoire des maux de l’humanité» (9): un continent de près sept cent millions d’habitants, le huitième de la population mondiale, qui ne représente que 2,5 pour cent du marché mondial, avec une forte mortinatalité, une espérance de vie la plus faible du monde, un taux d’analphabétisme le plus élevé de la planète, de l’ordre de 80 pour cent, dont la majorité des habitants de surcroît privée d’accès à l’eau et à l’électricité, frappée de malnutrition, saignée par la traite des esclaves, totalement désarmée face aux fléaux naturels et à une guerre civile endémique.

Hors des sentiers battus, loin des coteries de la société des biens pensants, ces perturbateurs excentriques auront creusé le sillon de la société française et ancré l’humanité de la France dans l’imaginaire du monde, en dépit de bien nombreuses turpitudes.

Au palmarès du rayonnement universel de la France et de son immortalité figurent ainsi Louis Pasteur, inventeur du vaccin contre la rage, Luc Montagnier, découvreur du virus du Sida (HIV), Victor Schoelcher (10), artisan de l’abolition de l’esclavage, Auguste et Louis Lumière, inventeurs de la cinématographie, Pierre de Coubertin, fondateur des jeux olympiques modernes, les dix «Prix Nobel de la Paix» qui ont jalonné le XX me siècle à raison d’un prix par décennie, Aristide Briand (1926), Albert Schweitzer (1952) René Cassin (1968), artisan de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme ainsi que l’organisation pionnière dans l’ingérence humanitaire «Médecins sans frontières» (1999).

Y figurent aussi les animateurs de la prestigieuse recherche scientifique française couronnée par dix Prix Nobel de la Physique en un siècle, dont deux d’origine étrangère, Marie Curie (1903) et Georges Charpak (1992), quatre Prix de médecine (François Jacob, André Lwoff, Jacques Monod (1965) et Jean Dausset (1980), quatre Prix de Chimie dont Frédéric et Irène Joliot-Curie (1935), de même que sa pléiade d’écrivains nobélisés ou pas, Rousseau et Voltaire, Albert Londres, l’auteur du livre «Au Bagne» dénonçant l’horreur du pénitencier de Cayenne, Jean Paul Sartre et Emile Zola, les pourfendeurs francophiles ou simplement francophones des tyrannies, les Martiniquais Aimé Césaire et Frantz Fanon et le Sénégalais Léopold Sedar Senghor, l’Algérien Jean Amirouche, les passeurs des deux rives Louis Massignon (11), symbole de la compréhension islamo chrétienne, Maxime Rodinson, premier intellectuel français à avoir exposé en 1967 dans un discours accessible à l’opinion occidentale les raisons du «refus arabe d’Israël» ou encore l’islamologue Jacques Berque (12), un homme qui aura dominé le siècle de sa stature majestueuse, «l’un des rares points de repères ayant survécu à la débâcle des idées», selon l’expression de l’homme politique français Jean-Pierre Chevènement.

A travers les âges, dans le subconscient collectif des nations, ces éclaireurs auront incarné le vrai visage de la France et compensé quelque peu sa relégation de la position centrale qu’elle occupait au début du XX me siècle, son éclipse partielle de la direction des affaires du monde.

Puissance atomique, membre de plein droit du directoire du monde tant au sein du Conseil de sécurité de l’ONU qu’au sein du G7, le groupement des pays les plus industrialisés, cinquième puissance économique, le français ne se situe pourtant qu’au douzième rang du hit parade culturel des nations, loin derrière le Royaume-Uni (500 millions de locuteurs), l’Espagne (350 millions de locuteurs) et même de l’arabe, 6me position pour 250 millions de locuteurs contre 120 millions de francophones.

Avec en projection, une amplification de l’écart au long du XXI me siècle au profit de l’anglais, première langue de communication planétaire dans une société de l’information, de l’espagnol, qui dispose aux Etats-Unis au coeur du principal centre de production des richesses et des valeurs de l’époque contemporaine, d’un solide pied à terre matérialisé par le tiers d’une population américaine hispanophone adossé de surcroît au sous-continent latino-américain, enfin de l’arabe avec son immense réservoir humain, représenté par une communauté de 1,2 milliards de fidèles musulmans répartie dans 52 pays à travers le monde, potentiellement recyclable linguistiquement et culturellement.

Pis, au coeur de son nouvel espace vital, l’Union Européenne tend à devenir une succursale linguistique de l’OTAN, une organisation que la France a été contrainte de réintégrer militairement dans la foulée de la guerre du Golfe (1990-1991). Sanctionnant un renversement de tendance sans doute irréversible, l’anglais y supplante désormais le français en tant que langue de travail. 55% pour cent des documents de travail y sont rédigés en anglais contre 40 pour cent il y dix ans et 44 pour cent en Français. A la fondation de l’Union européenne, 80 pour cent du travail interne se faisait en français, soit une perte de 50 pour cent en près d’une décennie (13).

Plus grave encore, à l’indice mondial de la corruption, la France se retrouve dans la fâcheuse position du 23ème rang, avec une moyenne de 6,7 et la mention passable. En queue de peloton des pays membres de l’Union Européenne aux côtés de la Belgique, du Portugal de l’Italie et de la Grèce, mais très loin derrière les «majors européens», le Royaume-Uni 13ème (moyenne 8,3 mention Bien) et l’Allemagne (moyenne 7,4 mention assez Bien), à des années lumières de son discours moralisateur. Pour un état prescripteur de Droit, «seul pays avec les Etats-Unis à revendiquer un discours universaliste», selon l’expression prisée de l’intelligentsia parisienne, le classement de «Transparency International» pour 2001 retentit comme un camouflet, comme une confirmation d’un discrédit moral de la classe politico administrative.

L’identité française parait ainsi déstabilisée tant en raison des mutations dans la fonction de l’état et de la nation intervenues du fait de la mondialisation, qu’en raison de la crise de la représentation politique survenue du fait de la corruption de la République qui gangrène le pays depuis près de deux décennies et qui fait qu’«une société si pompeusement fondée sur l’état de droit continue de sécréter les plus vives exclusions et inégalités» (14).

Au long d’une décennie marquée par une triple révolution, géostratégique, technologique et socio-économique, résultant tout à la fois de la disparition de l’URSS, de la résurgence des sentiments identitaires nationaux à base ethnico religieux, de la marginalisation du nucléaire dans la gestion collective des crises de l’après-guerre du Golfe, de l’avènement de la guerre électronique du futur, enfin de la mondialisation des flux et «la dérégulation des frontières entre le national et l’international, le public et le privé, le civil et le militaire», l’establishment français, en contrechamp, parait tétanisé par de retentissants scandales financiers, englué dans d’inextricables procédures judiciaires mettant en cause la plupart des formations politiques et leurs dirigeants (marchés publics d’Ile de France, Office HLM de Paris, MNEF, ELF aquitaine, Crédit Lyonnais, EADS, Clearstream, Angolagate, vedette de Taiwan etc..) au point qu’une mise en accusation devant la Justice, fait sans précédent dans l’histoire constitutionnelle française depuis le Maréchal Pétain, a été diligentée contre un ancien Chef de l’Etat lui-même, le gardien des institutions, pour des affaires en rapport avec l’argent illicite.

«Le casier judiciaire de la République» présente ainsi l’édifiant bilan suivant: 900 élus figurent sur la liste des 1.500 mises en examen prononcées depuis une décennie, dont 67,7 pour cent inculpation relevant de la délinquance financière (contre 4,5 pour cent à l’échelle de la population française) et 6,1pour cent de poursuites pour atteintes aux biens et aux personnes y compris les crimes sexuels (15).

Moteur de la construction européenne à son lancement, la France apparaît désormais comme à la recherche d’un nouveau souffle, à la recherche d’un nouveau rôle. Supplantée par l’Allemagne désormais, puissance centrale de l’Union Européenne, largement disqualifiée pour prendre la tête d’un réseau de petits Etats européens, sans points d’appui stables dans son pré carré arabo-africain, de surcroît handicapée par un système républicain au comportement d’essence monarchique fonctionnant sur la base de l’opacité financière des fonds secrets et de l’impunité administrative, la France, sauf à s’exposer à une nouvelle déconfiture, parait être à la veille d’une sérieuse remise en cause de son fonctionnement, d’une douloureuse remise en question de ses modes de comportement.

Tous les présages s’accordent sur ce diagnostic: «Tout le corps de la nation est atteint. La démocratie est en congé maladie de longue durée et la France se glisse lentement vers une anarchie tolérée. Ses dirigeants sont discrédités par la corruption et l’absence de projets. Ses citoyens devenus consommateurs se désintéressent de l’action collective. Quelque soit le nouvel élu, le prochain Président de la République devra entreprendre une grande lessive…s’il n’a pas le caractère pour mener à bien cette entreprise, l’anarchie triomphera». Loin d’être une prophétie ou de relever d’un exercice de simulation, ce constat a bel et bien été porté par deux publicistes français, le politologue Jean Marc Lech et le journaliste Denis Jeanbar, à la veille de la présidentielle française de…1995, c’est à dire un septennat auparavant (16).

Un septennat plus tard, subissant la plus sévère ratonnade collective de son histoire moderne, la France offrait le spectacle paradoxal d’un président élu avec une avance considérable sur son concurrent mais sans base sociologique lui conférant une forte légitimité, de surcroît décrié, mais néanmoins promu comme «rempart de la République». Un quinquennat plus tard, sous la mandature de Nicolas Sarkozy, la situation empirait avec le «bouclier fiscal» succédant à la «fracture sociale» en pleine tourmente bancaire avec son cortège de mesures xénophobes d’inspiration populiste au bénéfice d’une oligarchie indécente, à des années lumières du gaullisme, le corpus doctrinal dont se réclament les deux derniers Présidents de la république.

Au seuil du XXI e siècle, la France offrait le spectacle d’un état aux pouvoirs érodés tant par la construction européenne que par la mondialisation, que par la gabegie, de l’ordre de 700 milliards de FF de gaspillage par an (17), une société marquée par la désagrégation des liens collectifs, de partis politiques coupés des couches populaires, d’une gauche socialiste à la remorque des thèmes de mode, d’une droite à la dérive reniant ses idéaux, dévastée par les affaires de corruption avec un noyau dur de l’extrême droite représentant 1/5 du corps électoral, une nation mimée par la montée des corporatismes et du communautarisme ainsi que par l’exacerbation, sur fond de conflit israélo-palestinien, de l’antagonisme judéo arabe sur le territoire national.

Une France plongée dans la pénombre, en pertes de repères, en quête de sens, victime des remugles de sa mémoire. «Le contentieux non apuré en France à propos de Vichy et de l’Algérie continuent de hanter la conscience française.

«Le vote ethnique est en passe de se substituer au vote de classe», constate l’historien Benjamin Stora (18) dans la foulée des élections présidentielles françaises de 2002, estimant que «si le sentiment anti-juif révélé par Vichy structure encore puissamment l’imaginaire de l’extrême droite, il reste réfréné par le souvenir des atrocités nazies à l’encontre des Juifs. En revanche, la séquence algérienne, une histoire non réglée, encourage fortement (…) «un transfert de mémoire en Métropole», soutient M. Stora considérant que pour l’extrême droite française «la guerre d’Algérie n’est jamais finie. Toujours rejouée, elle se donne une suite à travers un combat contre l’Islam et légitime d’avance toutes les violences pour défendre…la liturgie d’une France enracinée dans la pureté d’une identité mythique».

Au delà du camouflet électoral, symptomatiquement caricatural de la marginalisation française sur le plan international est le comportement de la France dans le conflit afghan consécutif aux attentats du 11 septembre 2001 sur le sol américain: alors que la planète était mobilisée par la riposte anglo-américaine aux attentats de New York et du Pentagone, la France demeurait suspendue à la décision de la Cour de Cassation rendue le 10 octobre 2001 sur le statut pénal du Chef de l’Etat consécutif à sa mise en cause dans des affaires en rapport avec l’argent illicite.

La France s’est ainsi retrouvée en rade, à l’image du fleuron de sa flotte, le porte-avions nucléaire «Charles De Gaulle», sans avions à long rayon d’action, ni missiles de croisières, ni groupe aéronaval, se bornant à mettre à la disposition de ses alliés occidentaux une frégate furtive et un ravitailleur.

Dans le premier conflit majeur du XXI me siècle, la France s’est trouvée réduite à une fonction de «station service dans le Golfe», selon l’expression d’un des ténors du gaullisme, Philippe Seguin, ancien Président de l’Assemblée nationale (19), alors que l’Allemagne abritait la première conférence de réconciliation inter afghane et que la Grande Bretagne prenait la tête du contingent de la force d’interposition internationale.

L’honneur de la France ne sera pas de refuser un combat, mais de livrer un combat sans jamais offenser la dignité humaine. Sa grandeur ne sera pas de mutiler ou de rabaisser les autres mais de se hisser au niveau du meilleur des autres et l’exception française qu’elle brandit devra se vivre non comme un passe droit, mais comme une exigence de l’excellence. Telle est du moins l’enseignement que la France pourrait tirer d’un millénaire de son histoire, alors qu’elle pâtit à son tour de l’hyper puissance américaine, qu’elle a tant infligée aux autres des siècles durant. Tel devrait être le pari que la France devrait se faire à elle-même afin que «les pays du nord et leur appétit de domination ne soient pas les principaux fossoyeurs de l’humanité», selon la jolie expression de René Dumont et qu’à la loi de la jungle d’un monde unipolaire propulsé par les conglomérats multinationaux se substitue enfin une politique à dimension humaine, une «politique des égards», meilleure expression du respect de soi, que la France du XXI e siècle devrait réapprendre pour reconquérir le respect des autres.

Références

1-Paul Aussaresses: Général français spécialiste du renseignement, fondateur du 11me Choc (bras armé de la division action des services de renseignements français), il sera connu dans la clandestinité sous le pseudonyme de «Commandant O». Auteur d’un ouvrage qui fera scandale sur la torture en Algérie «Services spéciaux-1955-1957», Edition Perrin 2001, il y relate son rôle de tortionnaire dans la bataille d’Alger notamment dans l’exécution du responsable militaire algérien Larbi Ben Mhidi et la disparition de Maurice Audin, enseignant communiste partisan de l’indépendance algérienne. Après la parution de son livre en mai 2001, il fera l’objet de poursuites judiciaires et mis à la retraite d’office. En première instance, le général Aussaresses sera condamné à une amende de 7 500 euro, en janvier 2002, alors que cinq cents officiers français, dont 328 généraux, signaient un manifeste justifiant le combat de l’armée française en Algérie, en préface à un livre blanc sur ce thème.

2-le 25 septembre 2001, la France a rendu solennellement hommage aux Harkis par l’apposition d’une plaque commémorative aux Invalides. De son coté, le Conseil d’état a sanctionné le 30 novembre 2001 le gouvernement français pour son refus de revaloriser la pension militaire de retraite des anciens combattants africains de l’armée française, décision avec ses effets rétroactifs devrait grever le budget de l’état de près de 12 milliards de francs. Enfin le maire socialiste de Paris Bertrand Delanoë, a dévoilé une plaque le 17 octobre sur l’un des ponts de Paris en hommage aux victimes algériennes de la répression policière française.

3-«Histoire de la Justice en France» Prix Malesherbes 1996, 3 me édition refondue Ed. PUF «collection Droit Fondamental – Droit politique et théorique», octobre 2001 par Jean-Pierre Royer, Professeur de Droit à l’Université de Lille II.

4-Le Conseil d’Etat, par arrêt du 12 avril 2002, a condamné l’Etat à payer la moitié des condamnations civiles infligées à Maurice Papon (soit 50 pour cent des 720 000 euros, 4,7 millions de FF), considérant que «l’ordonnance du 9 août 1944 relative au rétablissement de la légalité républicaine n’entraîne pas pour autant l’irresponsabilité de la puissance publique». La plus haute juridiction administrative a en effet estimé que «certaines décisions ont permis et facilité les opérations qui ont été le prélude à la déportation», citant notamment l’aménagement d’un camp de détention à Mérignac, près de Bordeaux, ainsi que l’existence d’un service des questions juives chargé de tenir à jour un fichier recensant les personnes de «race juive» ou de «confession israélite».

5-Thiaroye: Un film et un ouvrage retracent la tragédie de ce camp. Le film du cinéaste sénégalais Ousmane Sembene intitulé «Thiaroye» en hommage au martyr de ces 2 000 soldats sénégalais, nigériens, soudanais et guinéens, qui dans la perspective de leur démobilisation, avaient osé revendiquer leur arriéré de solde en souffrance depuis 18 mois, solde en fait détourné par leurs supérieurs français, qui pour masquer leur forfait ordonneront l’incendie de la caserne, en justifiant leur acte comme étant une mesure de prévention contre une éventuelle «contamination démocratique» de l’Afrique par les soldats noirs de retour d’Europe. L’ouvrage «Des tranchées de Verdun à l’église Saint Bernard, 80.000 combattants maliens au secours de la France 1914-1918/1939-1945» de Bakari Kamian (Ed.Karthala) a été publié après l’assaut de la police française contre l’église Saint Bernard à Paris, l’été 1995, sous les ordres du ministre gaulliste de l’Intérieur Jean Louis Debré, pour y déloger les «sans papiers» africains en prévision de leur rapatriement forcé en Afrique.

6-Schweitzer Albert (1875-1965): théologien, musicien, pasteur puis médecin, fonda un hôpital au Gabon, à Lambaréné, qu’il dirigera et où il résidera d’une façon permanente à partir de 1924, consacrant sa vie aux soins aux malades africains. Prix Nobel de la Paix 1924.

7-Follereau Raoul (1903-1977): journaliste et avocat français, consacrera sa vie à la lutte contre la Lèpre, fondateur d’une léproserie au Sénégal, dans la région de Kaolack, il lancera en 1954 la «Journée Mondiale des Lépreux», et en 1966 la «Fédération Internationale des Associations de Lutte contre la Lèpre».

8-René Dumont (1904-2001): «agronome de la faim», ainsi qu’il se définissait, auteur d’un retentissant ouvrage «l’Afrique noire est mal partie» au diagnostic prémonitoire, publié en 1962 aux premiers jours des indépendances africaines. Premier candidat écologiste à l’élection présidentielle française, en 1974, il est le pourfendeur de «l’auto génocide planétaire». cf. son portrait réalisé dans le journal Le Monde mercredi 20 juin 2001 «les excessives vérités de René Dumont» de Jean-Paul Besset.

9-Françafrique, l’échec: L’Afrique postcoloniale en question de Baadikko Mamammadu Dirigeant d’entreprise, ancien enseignant à l’Ecole supérieure des sciences économiques et commerciales de Douala (Cameroun) (Ed. L’HARMATTAN, avril 2001).

10-Schoelcher Victor (1804-1893): homme politique français, sous secrétaire d’Etat au sein du gouvernement provisoire qui suivit la révolution de 1948, il mena un combat sans répit pour l’abolition de l’esclavage dans les colonies. Homme de gauche, il vécut en exil à Londres sous le règne de Napoléon III. De retour en France à la chute du II me Empire, il siégera à l’assemblée nationale en tant que député de la Martinique et de la Guadeloupe. En 1949, ses cendres ont été transférées au Panthéon.

11-Massignon Louis (1883-1962): auteur d’importants travaux sur le mysticisme islamique: «Les Sept Dormants d’Ephèse» (1955), «Essai sur les origines du lexique technique de la mystique musulmane» (1927) «Passion d’Al Halladj, mystique musulman» (1922). Par symbiose avec l’orient, il obtiendra et bien que marié, d’être ordonné prêtre de l’église grecque Melkite Catholique.

12-Berque Jacques (1910-1995), islamologue, professeur au Collège de France, auteur d’une importante oeuvre de vulgarisation du Coran  «Le Coran, essai de traduction de Jacques Berque Bibliothèque spirituelle-Edition Albin Michel. Auteur également d’ouvrages de référence pour la connaissance du monde arabe notamment «Les Arabes d’hier à demain» et «Egypte, impérialisme et révolution» 1967), ainsi que «L’intérieur du Maghreb (XVe-XIXe siècle)», en 1978. Dans un message d’hommage publié à son décès, Jean Pierre Chevènement, ancien Ministre français de la Défense, puis de l’Intérieur, le qualifiera d’«un des rares points de repère ayant survécu à la débâcle des idées», cf. version française du Journal Al-Moharrer paru à Paris le lundi 10 juillet 1995, n°19.

13-«L’idiome international tente Bruxelles», cf. journal Libération 27 juillet 2001 Marie Cousin et Jean Quatremer.

14-«Le regard des vainqueurs, les enjeux français de l’immigration» Sami Naïr, Figures Grasset.

15-Sur les 128 personnalités ayant exercé des responsabilités gouvernementales depuis 1992, 34 ont été mises en examen, soit le quart du personnel gouvernemental français et le nombre des inculpations concernant les élus depuis 1990 se situerait entre 2 000 et 5 000 personnes, la région Ile de France ainsi que la région Provence cote d’azur figurent en tête du palmarès, cf. «Le casier judiciaire de la République) Bruno Fay et Laurent Ollivier, Editions Ramsay janvier 2002. Par ailleurs trois cent soixante quinze (375) élus français ont été mis en examen rien qu’en 1998, illustrant le haut degré de la corruption politique française, cf. «L’Omerta française» de Sophie Coignard et Alexandre Wickham, éditions Albin Michel octobre 1999.

16-Denis Jeanbar et Jean Marc Lech «La grande lessive, anarchie et corruption» Flammarion 1995.

17-«Le grand gaspillage-les vrais comptes de l’état» par Jacques Marseille, Ed. Plon février 2002

18-«Communautarisme blanc ou République?» par Benjamin Stora Le Monde 24 avril 2002

19-La France est «gérée par deux candidats à la Présidence de la République (le Président Jacques Chirac et le Premier Ministre Lionel Jospin) qui gèrent leur communication dans un pays qui a connu des pages plus glorieuses que celle d’aujourd’hui où il sert de station service dans le golfe», opinera Philippe Seguin, un des ténors du parti néo-gaulliste dans l’hebdomadaire L’Express du 25 octobre 2001 in «La Cohabitation Chirac Jospin: Chronique de la haine» par Christophe Barbier, Eric Mandonnet, Romain Russo.

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Publié le 9 mai 2010 avec l'aimable autorisation de René Naba.

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