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Actualité
France Colonies: La France schizophrène ?
René Naba
Paris, 8 mai 2010 Dossier spécial Afrique
Troisième papier du dossier spécial France Afrique préparé à
l’occasion du cinquantenaire de l’indépendance de l’Afrique,
offrant une rétrospective des divers aspects occultés de
l’histoire de France……..une histoire telle qu’elle aurait dû
être enseignée aux écoliers de France.
Ce troisième et dernier papier est publié le 10 Mai à
l’occasion de la célébration de la journée commémorative de
l’abolition de l’esclavage en France.
(image à droite) : Parcours Maurice Audin –
Ernest Pignon Ernest – 2003 (Alger)
Pour plus d’informations :
http://www.pignon-ernest.com/
http://www.pignon-ernest.com/download/articleaudin.pdf
Au survol des siècles s’offre au regard
un panorama à deux dimensions, télescopage des ambivalences
françaises, où, en Egypte, la figure de Champollion, le
déchiffreur des hiéroglyphes, et, de Ferdinand de Lesseps, le
constructeur du Canal de Suez, se superposent à celle de Kléber
dont les succédanés coloniaux mettront, le pouvoir khédival sous
tutelle et l’économie du pays en coupe réglée sous la houlette
de la compagnie du Canal de Suez.
En Algérie, celle de Mgr Etienne Duval, figure du clergé
anticolonial, cardinal archevêque de l’Algérie indépendante, à
celle du cardinal Lavigerie, bras religieux du colonisateur. En
Algérie encore, celle de la juvénile figure du supplicié Maurice
Audin et de ces compagnons de route, les porteurs de valise,
Francis Jeanson et Henri Curiel aux caractères indomptables,
celle enfin singulièrement prestigieuse du général Jacques Pâris
de la Bollardière, face à l’ensemble de la hiérarchie
politico-militaire française dévoyée et dévoilée un demi-siècle
plus tard par son double antinomique le général Paul Aussaresses
(1).
Pour une armée coutumière de sursauts salutaires et dont le
plus illustre officier rebelle n’est autre que le Général
Charles de Gaulle, en 1940, le chef de la France libre
anti-capitularde, l’onde de choc déclenchée par le coup d’éclat
du Général de la Bollardière, qui demandera à être relevé de son
commandement en Algérie en 1957 en signe de protestation contre
la torture, mettra pourtant 42 ans pour percuter la hiérarchie
militaire.
Le devoir de désobéissance aux ordres manifestement
contraires à l’éthique universelle est désormais reconnu dans
les armées françaises, consigné dans un document de l’état major
de l’armée de terre de 1999 portant sur les «Fondements et
principes de l’exercice du métier des armes dans l’armée de
terre». 42 ans: au regard du principe d’autonomie décrété par
Bonaparte au XVIII me siècle et réalisé deux siècles plus tard
par Gaston Defferre, l’assimilation est rapide, les délais
considérablement raccourcis. Mais que de chemins encore à
parcourir.
Dans une sorte de remise en ordre à la fin du XX me siècle,
la France reconnaîtra sa responsabilité dans le génocide juif.
Le Président Jacques Chirac, nouvellement élu, dénoncera, en
1995, «la folie criminelle de l’occupant, secondée, chacun le
sait, par les Français», invitant ses compatriotes à assumer la
«dette imprescriptible de la France à l’égard des déportés
juifs». Cinquante ans pour purger le passif avec les Juifs,
jadis enviés pour leurs conditions au point d’être cités en
exemple, «heureux comme un juif en France» qu’ils étaient, avant
d’être abandonnés à leur sort morbide.
Cinquante ans aussi pour commencer à purger le passif
colonial avec la triple reconnaissance de la France, en 2001, de
sa responsabilité tant à l’égard des Harkis, qu’à l’égard des
anciens combattants de l’Afrique noire (2), qu’à l’égard des
civils algériens lors de la manifestation du 17 octobre 1961 à
Paris, dont près de deux cents auraient été massacrés au cours
de la répression ordonnée par le Préfet de Police de l’époque
Maurice Papon.
Un demi siècle pour résoudre le conflit qui minait la France.
Le lancement à grand fracas des «procès identitaires» de la fin
du XX me siècle est à cet égard révélateur de la vérité de
l’histoire de France, en faisant apparaître dans la pleine
lumière de l’histoire les antagonismes de la société française
tiraillée entre le «devoir de mémoire» et la nécessité de
«l’oubli réparateur». Les procès Klaus Barbie, Paul Touvier et
Maurice Papon, comme auparavant au XIX me siècle l’affaire
Dreyfus, auront eu une «fonction cathartique» visant à libérer
la conscience nationale française de son passé, avancera en
guise de justification tardive l’universitaire Jean Pierre Royer
(3) dans son «Histoire de la Justice en France».
Le Conseil d’Etat ne s’y est pas trompé en engageant la
responsabilité de l’Etat dans l’affaire Papon, le condamnant à
payer à parité l’amende infligée à l’ancien haut fonctionnaire,
considérant que «le rétablissement de la légalité républicaine
par l’ordonnance du 9 août 1944 n’entraîne pas pour autant
l’irresponsabilité de la puissance publique», dans la mesure où
«certaines décisions ont permis et facilité les opérations qui
ont été le prélude à la déportation» (4).
La même ambivalence se retrouve en Afrique où la figure du
gouverneur Van Vollenhoven se pose face aux «planqués
coloniaux». Gouverneur général d’Afrique occidentale française,
Van Vollenhoven démissionnera de son prestigieux poste de Dakar,
à l’époque fierté de la colonisation française, pour s’enrôler
dans l’armée française supportant mal l’idée de demeurer bien à
l’abri sur place alors que des tirailleurs sénégalais partaient
défendre son propre pays durant la Première Guerre mondiale.
Engagé comme soldat de 1re classe, il sera tué aux combats en
1915.
Son nom a été donné au plus grand lycée français d’Afrique,
le lycée «Van vo» à Dakar, siège de son ancien commandement,
ainsi qu’à une place du 12me arrondissement de Paris, à
proximité du Musée des arts africains et océaniques, telle une
relique d’antiquité. Van Vollenhoven ne figure dans aucun
dictionnaire français sauvé de l’oubli uniquement par ces deux
balises, encore que le Lycée dakarois sera débaptisé après
l’indépendance du Sénégal pour prendre le nom de Lamine Guèye,
en hommage posthume au défenseur de la «révolte des soldats
noirs du camp de Thiaroye».
Mais pour un valeureux «Van vo» que d’imposteurs. Tels ces
galonnés qui accueilleront à coup de canon le Général de Gaulle,
venu en 1942 à bord du croiseur Richelieu lever des combattants
au large de Dakar, qui forceront leur frère d’armes à battre en
retraite, à se replier au tréfonds de l’Afrique, rejoint par un
surprenant personnage, Félix Eboué, premier rallié de l’outremer
français, gouverneur de race noire du Tchad, qui fera de
Brazzaville la capitale de la France Libre sur le continent
noir, la base arrière de son combat pour soulever l’empire et
laver l’honneur défaillant de la France.
Pour un Félix Eboué, plus patriote que nombre de Français de
souche, combien de crapules en contrepoint? Tels ces officiers
portant haut et beau qui pour carboniser la trace des forfaits
de leur supérieurs et enrayer la contamination revendicative des
soldats noirs de retour d’Europe, ordonneront l’incendie de leur
campement de Thiaroye (5), dans la banlieue de Dakar, au
Sénégal, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Ou encore
cet administrateur colonial du Cameroun, le bien nommé Toqué de
sinistre mémoire, qui pour distraire ses après-midi d’ennui se
livrait à des exercices de «pyrotechnie coloniale», ceinturant
de bâtons de dynamite les payeurs récalcitrants de race noire
avant de les déchiqueter par l’explosion de leur charge.
Que d’infamies auront été lavées par l’abnégation d’un Albert
Schweitzer (6), le bon médecin de Lambaréné au Gabon. Que
d’avanies gommées de la mémoire par l’humilité d‘un Raoul
Follereau (7), le grand frère des lépreux au Sénégal. Que de
dérives mortifères de la Françafrique, une des formes les plus
élaborées du pacte de corruption des élites à l’échelle
transcontinentale, auront été compensées par le dévouement de
René Dumont (8), l’ancêtre de l’écologie moderne, pourfendeur
précoce du pillage du tiers monde et du gaspillage des
ressources de la planète.
«J’aurai dû entendre Dumont», lâchera désabusé au terme de sa
longue présidence sénégalaise, Léopold Sedar Senghor, donnant
acte a posteriori au zèle prémonitoire de cet anticonformiste
désintéressé, accablé par le bilan calamiteux de l’Afrique
postcoloniale, une Afrique qui se présentait à la fin du
deuxième millénaire comme «le conservatoire des maux de
l’humanité» (9): un continent de près sept cent millions
d’habitants, le huitième de la population mondiale, qui ne
représente que 2,5 pour cent du marché mondial, avec une forte
mortinatalité, une espérance de vie la plus faible du monde, un
taux d’analphabétisme le plus élevé de la planète, de l’ordre de
80 pour cent, dont la majorité des habitants de surcroît privée
d’accès à l’eau et à l’électricité, frappée de malnutrition,
saignée par la traite des esclaves, totalement désarmée face aux
fléaux naturels et à une guerre civile endémique.
Hors des sentiers battus, loin des coteries de la société des
biens pensants, ces perturbateurs excentriques auront creusé le
sillon de la société française et ancré l’humanité de la France
dans l’imaginaire du monde, en dépit de bien nombreuses
turpitudes.
Au palmarès du rayonnement universel de la France et de son
immortalité figurent ainsi Louis Pasteur, inventeur du vaccin
contre la rage, Luc Montagnier, découvreur du virus du Sida
(HIV), Victor Schoelcher (10), artisan de l’abolition de
l’esclavage, Auguste et Louis Lumière, inventeurs de la
cinématographie, Pierre de Coubertin, fondateur des jeux
olympiques modernes, les dix «Prix Nobel de la Paix» qui ont
jalonné le XX me siècle à raison d’un prix par décennie,
Aristide Briand (1926), Albert Schweitzer (1952) René Cassin
(1968), artisan de la Déclaration universelle des Droits de
l’Homme ainsi que l’organisation pionnière dans l’ingérence
humanitaire «Médecins sans frontières» (1999).
Y figurent aussi les animateurs de la prestigieuse recherche
scientifique française couronnée par dix Prix Nobel de la
Physique en un siècle, dont deux d’origine étrangère, Marie
Curie (1903) et Georges Charpak (1992), quatre Prix de médecine
(François Jacob, André Lwoff, Jacques Monod (1965) et Jean
Dausset (1980), quatre Prix de Chimie dont Frédéric et Irène
Joliot-Curie (1935), de même que sa pléiade d’écrivains
nobélisés ou pas, Rousseau et Voltaire, Albert Londres, l’auteur
du livre «Au Bagne» dénonçant l’horreur du pénitencier de
Cayenne, Jean Paul Sartre et Emile Zola, les pourfendeurs
francophiles ou simplement francophones des tyrannies, les
Martiniquais Aimé Césaire et Frantz Fanon et le Sénégalais
Léopold Sedar Senghor, l’Algérien Jean Amirouche, les passeurs
des deux rives Louis Massignon (11), symbole de la compréhension
islamo chrétienne, Maxime Rodinson, premier intellectuel
français à avoir exposé en 1967 dans un discours accessible à
l’opinion occidentale les raisons du «refus arabe d’Israël» ou
encore l’islamologue Jacques Berque (12), un homme qui aura
dominé le siècle de sa stature majestueuse, «l’un des rares
points de repères ayant survécu à la débâcle des idées», selon
l’expression de l’homme politique français Jean-Pierre
Chevènement.
A travers les âges, dans le subconscient collectif des
nations, ces éclaireurs auront incarné le vrai visage de la
France et compensé quelque peu sa relégation de la position
centrale qu’elle occupait au début du XX me siècle, son éclipse
partielle de la direction des affaires du monde.
Puissance atomique, membre de plein droit du directoire du
monde tant au sein du Conseil de sécurité de l’ONU qu’au sein du
G7, le groupement des pays les plus industrialisés, cinquième
puissance économique, le français ne se situe pourtant qu’au
douzième rang du hit parade culturel des nations, loin derrière
le Royaume-Uni (500 millions de locuteurs), l’Espagne (350
millions de locuteurs) et même de l’arabe, 6me position pour 250
millions de locuteurs contre 120 millions de francophones.
Avec en projection, une amplification de l’écart au long du
XXI me siècle au profit de l’anglais, première langue de
communication planétaire dans une société de l’information, de
l’espagnol, qui dispose aux Etats-Unis au coeur du principal
centre de production des richesses et des valeurs de l’époque
contemporaine, d’un solide pied à terre matérialisé par le tiers
d’une population américaine hispanophone adossé de surcroît au
sous-continent latino-américain, enfin de l’arabe avec son
immense réservoir humain, représenté par une communauté de 1,2
milliards de fidèles musulmans répartie dans 52 pays à travers
le monde, potentiellement recyclable linguistiquement et
culturellement.
Pis, au coeur de son nouvel espace vital, l’Union Européenne
tend à devenir une succursale linguistique de l’OTAN, une
organisation que la France a été contrainte de réintégrer
militairement dans la foulée de la guerre du Golfe (1990-1991).
Sanctionnant un renversement de tendance sans doute
irréversible, l’anglais y supplante désormais le français en
tant que langue de travail. 55% pour cent des documents de
travail y sont rédigés en anglais contre 40 pour cent il y dix
ans et 44 pour cent en Français. A la fondation de l’Union
européenne, 80 pour cent du travail interne se faisait en
français, soit une perte de 50 pour cent en près d’une décennie
(13).
Plus grave encore, à l’indice mondial de la corruption, la
France se retrouve dans la fâcheuse position du 23ème rang, avec
une moyenne de 6,7 et la mention passable. En queue de peloton
des pays membres de l’Union Européenne aux côtés de la Belgique,
du Portugal de l’Italie et de la Grèce, mais très loin derrière
les «majors européens», le Royaume-Uni 13ème (moyenne 8,3
mention Bien) et l’Allemagne (moyenne 7,4 mention assez Bien), à
des années lumières de son discours moralisateur. Pour un état
prescripteur de Droit, «seul pays avec les Etats-Unis à
revendiquer un discours universaliste», selon l’expression
prisée de l’intelligentsia parisienne, le classement de
«Transparency International» pour 2001 retentit comme un
camouflet, comme une confirmation d’un discrédit moral de la
classe politico administrative.
L’identité française parait ainsi déstabilisée tant en raison
des mutations dans la fonction de l’état et de la nation
intervenues du fait de la mondialisation, qu’en raison de la
crise de la représentation politique survenue du fait de la
corruption de la République qui gangrène le pays depuis près de
deux décennies et qui fait qu’«une société si pompeusement
fondée sur l’état de droit continue de sécréter les plus vives
exclusions et inégalités» (14).
Au long d’une décennie marquée par une triple révolution,
géostratégique, technologique et socio-économique, résultant
tout à la fois de la disparition de l’URSS, de la résurgence des
sentiments identitaires nationaux à base ethnico religieux, de
la marginalisation du nucléaire dans la gestion collective des
crises de l’après-guerre du Golfe, de l’avènement de la guerre
électronique du futur, enfin de la mondialisation des flux et
«la dérégulation des frontières entre le national et
l’international, le public et le privé, le civil et le
militaire», l’establishment français, en contrechamp, parait
tétanisé par de retentissants scandales financiers, englué dans
d’inextricables procédures judiciaires mettant en cause la
plupart des formations politiques et leurs dirigeants (marchés
publics d’Ile de France, Office HLM de Paris, MNEF, ELF
aquitaine, Crédit Lyonnais, EADS, Clearstream, Angolagate,
vedette de Taiwan etc..) au point qu’une mise en accusation
devant la Justice, fait sans précédent dans l’histoire
constitutionnelle française depuis le Maréchal Pétain, a été
diligentée contre un ancien Chef de l’Etat lui-même, le gardien
des institutions, pour des affaires en rapport avec l’argent
illicite.
«Le casier judiciaire de la République» présente ainsi
l’édifiant bilan suivant: 900 élus figurent sur la liste des
1.500 mises en examen prononcées depuis une décennie, dont 67,7
pour cent inculpation relevant de la délinquance financière
(contre 4,5 pour cent à l’échelle de la population française) et
6,1pour cent de poursuites pour atteintes aux biens et aux
personnes y compris les crimes sexuels (15).
Moteur de la construction européenne à son lancement, la
France apparaît désormais comme à la recherche d’un nouveau
souffle, à la recherche d’un nouveau rôle. Supplantée par
l’Allemagne désormais, puissance centrale de l’Union Européenne,
largement disqualifiée pour prendre la tête d’un réseau de
petits Etats européens, sans points d’appui stables dans son pré
carré arabo-africain, de surcroît handicapée par un système
républicain au comportement d’essence monarchique fonctionnant
sur la base de l’opacité financière des fonds secrets et de
l’impunité administrative, la France, sauf à s’exposer à une
nouvelle déconfiture, parait être à la veille d’une sérieuse
remise en cause de son fonctionnement, d’une douloureuse remise
en question de ses modes de comportement.
Tous les présages s’accordent sur ce diagnostic: «Tout le
corps de la nation est atteint. La démocratie est en congé
maladie de longue durée et la France se glisse lentement vers
une anarchie tolérée. Ses dirigeants sont discrédités par la
corruption et l’absence de projets. Ses citoyens devenus
consommateurs se désintéressent de l’action collective. Quelque
soit le nouvel élu, le prochain Président de la République devra
entreprendre une grande lessive…s’il n’a pas le caractère pour
mener à bien cette entreprise, l’anarchie triomphera». Loin
d’être une prophétie ou de relever d’un exercice de simulation,
ce constat a bel et bien été porté par deux publicistes
français, le politologue Jean Marc Lech et le journaliste Denis
Jeanbar, à la veille de la présidentielle française de…1995,
c’est à dire un septennat auparavant (16).
Un septennat plus tard, subissant la plus sévère ratonnade
collective de son histoire moderne, la France offrait le
spectacle paradoxal d’un président élu avec une avance
considérable sur son concurrent mais sans base sociologique lui
conférant une forte légitimité, de surcroît décrié, mais
néanmoins promu comme «rempart de la République». Un quinquennat
plus tard, sous la mandature de Nicolas Sarkozy, la situation
empirait avec le «bouclier fiscal» succédant à la «fracture
sociale» en pleine tourmente bancaire avec son cortège de
mesures xénophobes d’inspiration populiste au bénéfice d’une
oligarchie indécente, à des années lumières du gaullisme, le
corpus doctrinal dont se réclament les deux derniers Présidents
de la république.
Au seuil du XXI e siècle, la France offrait le spectacle d’un
état aux pouvoirs érodés tant par la construction européenne que
par la mondialisation, que par la gabegie, de l’ordre de 700
milliards de FF de gaspillage par an (17), une société marquée
par la désagrégation des liens collectifs, de partis politiques
coupés des couches populaires, d’une gauche socialiste à la
remorque des thèmes de mode, d’une droite à la dérive reniant
ses idéaux, dévastée par les affaires de corruption avec un
noyau dur de l’extrême droite représentant 1/5 du corps
électoral, une nation mimée par la montée des corporatismes et
du communautarisme ainsi que par l’exacerbation, sur fond de
conflit israélo-palestinien, de l’antagonisme judéo arabe sur le
territoire national.
Une France plongée dans la pénombre, en pertes de repères, en
quête de sens, victime des remugles de sa mémoire. «Le
contentieux non apuré en France à propos de Vichy et de
l’Algérie continuent de hanter la conscience française.
«Le vote ethnique est en passe de se substituer au vote de
classe», constate l’historien Benjamin Stora (18) dans la foulée
des élections présidentielles françaises de 2002, estimant que
«si le sentiment anti-juif révélé par Vichy structure encore
puissamment l’imaginaire de l’extrême droite, il reste réfréné
par le souvenir des atrocités nazies à l’encontre des Juifs. En
revanche, la séquence algérienne, une histoire non réglée,
encourage fortement (…) «un transfert de mémoire en Métropole»,
soutient M. Stora considérant que pour l’extrême droite
française «la guerre d’Algérie n’est jamais finie. Toujours
rejouée, elle se donne une suite à travers un combat contre
l’Islam et légitime d’avance toutes les violences pour
défendre…la liturgie d’une France enracinée dans la pureté d’une
identité mythique».
Au delà du camouflet électoral, symptomatiquement caricatural
de la marginalisation française sur le plan international est le
comportement de la France dans le conflit afghan consécutif aux
attentats du 11 septembre 2001 sur le sol américain: alors que
la planète était mobilisée par la riposte anglo-américaine aux
attentats de New York et du Pentagone, la France demeurait
suspendue à la décision de la Cour de Cassation rendue le 10
octobre 2001 sur le statut pénal du Chef de l’Etat consécutif à
sa mise en cause dans des affaires en rapport avec l’argent
illicite.
La France s’est ainsi retrouvée en rade, à l’image du fleuron
de sa flotte, le porte-avions nucléaire «Charles De Gaulle»,
sans avions à long rayon d’action, ni missiles de croisières, ni
groupe aéronaval, se bornant à mettre à la disposition de ses
alliés occidentaux une frégate furtive et un ravitailleur.
Dans le premier conflit majeur du XXI me siècle, la France
s’est trouvée réduite à une fonction de «station service dans le
Golfe», selon l’expression d’un des ténors du gaullisme,
Philippe Seguin, ancien Président de l’Assemblée nationale (19),
alors que l’Allemagne abritait la première conférence de
réconciliation inter afghane et que la Grande Bretagne prenait
la tête du contingent de la force d’interposition
internationale.
L’honneur de la France ne sera pas de refuser un combat, mais
de livrer un combat sans jamais offenser la dignité humaine. Sa
grandeur ne sera pas de mutiler ou de rabaisser les autres mais
de se hisser au niveau du meilleur des autres et l’exception
française qu’elle brandit devra se vivre non comme un passe
droit, mais comme une exigence de l’excellence. Telle est du
moins l’enseignement que la France pourrait tirer d’un
millénaire de son histoire, alors qu’elle pâtit à son tour de
l’hyper puissance américaine, qu’elle a tant infligée aux autres
des siècles durant. Tel devrait être le pari que la France
devrait se faire à elle-même afin que «les pays du nord et leur
appétit de domination ne soient pas les principaux fossoyeurs de
l’humanité», selon la jolie expression de René Dumont et qu’à la
loi de la jungle d’un monde unipolaire propulsé par les
conglomérats multinationaux se substitue enfin une politique à
dimension humaine, une «politique des égards», meilleure
expression du respect de soi, que la France du XXI e siècle
devrait réapprendre pour reconquérir le respect des autres.
Références
1-Paul Aussaresses: Général français spécialiste du
renseignement, fondateur du 11me Choc (bras armé de la division
action des services de renseignements français), il sera connu
dans la clandestinité sous le pseudonyme de «Commandant O».
Auteur d’un ouvrage qui fera scandale sur la torture en Algérie
«Services spéciaux-1955-1957», Edition Perrin 2001, il y relate
son rôle de tortionnaire dans la bataille d’Alger notamment dans
l’exécution du responsable militaire algérien Larbi Ben Mhidi et
la disparition de Maurice Audin, enseignant communiste partisan
de l’indépendance algérienne. Après la parution de son livre en
mai 2001, il fera l’objet de poursuites judiciaires et mis à la
retraite d’office. En première instance, le général Aussaresses
sera condamné à une amende de 7 500 euro, en janvier 2002, alors
que cinq cents officiers français, dont 328 généraux, signaient
un manifeste justifiant le combat de l’armée française en
Algérie, en préface à un livre blanc sur ce thème.
2-le 25 septembre 2001, la France a rendu solennellement
hommage aux Harkis par l’apposition d’une plaque commémorative
aux Invalides. De son coté, le Conseil d’état a sanctionné le 30
novembre 2001 le gouvernement français pour son refus de
revaloriser la pension militaire de retraite des anciens
combattants africains de l’armée française, décision avec ses
effets rétroactifs devrait grever le budget de l’état de près de
12 milliards de francs. Enfin le maire socialiste de Paris
Bertrand Delanoë, a dévoilé une plaque le 17 octobre sur l’un
des ponts de Paris en hommage aux victimes algériennes de la
répression policière française.
3-«Histoire de la Justice en France» Prix Malesherbes 1996, 3
me édition refondue Ed. PUF «collection Droit Fondamental –
Droit politique et théorique», octobre 2001 par Jean-Pierre
Royer, Professeur de Droit à l’Université de Lille II.
4-Le Conseil d’Etat, par arrêt du 12 avril 2002, a condamné
l’Etat à payer la moitié des condamnations civiles infligées à
Maurice Papon (soit 50 pour cent des 720 000 euros, 4,7 millions
de FF), considérant que «l’ordonnance du 9 août 1944 relative au
rétablissement de la légalité républicaine n’entraîne pas pour
autant l’irresponsabilité de la puissance publique». La plus
haute juridiction administrative a en effet estimé que
«certaines décisions ont permis et facilité les opérations qui
ont été le prélude à la déportation», citant notamment
l’aménagement d’un camp de détention à Mérignac, près de
Bordeaux, ainsi que l’existence d’un service des questions
juives chargé de tenir à jour un fichier recensant les personnes
de «race juive» ou de «confession israélite».
5-Thiaroye: Un film et un ouvrage retracent la tragédie de ce
camp. Le film du cinéaste sénégalais Ousmane Sembene intitulé
«Thiaroye» en hommage au martyr de ces 2 000 soldats sénégalais,
nigériens, soudanais et guinéens, qui dans la perspective de
leur démobilisation, avaient osé revendiquer leur arriéré de
solde en souffrance depuis 18 mois, solde en fait détourné par
leurs supérieurs français, qui pour masquer leur forfait
ordonneront l’incendie de la caserne, en justifiant leur acte
comme étant une mesure de prévention contre une éventuelle
«contamination démocratique» de l’Afrique par les soldats noirs
de retour d’Europe. L’ouvrage «Des tranchées de Verdun à
l’église Saint Bernard, 80.000 combattants maliens au secours de
la France 1914-1918/1939-1945» de Bakari Kamian (Ed.Karthala) a
été publié après l’assaut de la police française contre l’église
Saint Bernard à Paris, l’été 1995, sous les ordres du ministre
gaulliste de l’Intérieur Jean Louis Debré, pour y déloger les
«sans papiers» africains en prévision de leur rapatriement forcé
en Afrique.
6-Schweitzer Albert (1875-1965): théologien, musicien,
pasteur puis médecin, fonda un hôpital au Gabon, à Lambaréné,
qu’il dirigera et où il résidera d’une façon permanente à partir
de 1924, consacrant sa vie aux soins aux malades africains. Prix
Nobel de la Paix 1924.
7-Follereau Raoul (1903-1977): journaliste et avocat
français, consacrera sa vie à la lutte contre la Lèpre,
fondateur d’une léproserie au Sénégal, dans la région de
Kaolack, il lancera en 1954 la «Journée Mondiale des Lépreux»,
et en 1966 la «Fédération Internationale des Associations de
Lutte contre la Lèpre».
8-René Dumont (1904-2001): «agronome de la faim», ainsi qu’il
se définissait, auteur d’un retentissant ouvrage «l’Afrique
noire est mal partie» au diagnostic prémonitoire, publié en 1962
aux premiers jours des indépendances africaines. Premier
candidat écologiste à l’élection présidentielle française, en
1974, il est le pourfendeur de «l’auto génocide planétaire». cf.
son portrait réalisé dans le journal Le Monde mercredi 20 juin
2001 «les excessives vérités de René Dumont» de Jean-Paul
Besset.
9-Françafrique, l’échec: L’Afrique postcoloniale en question
de Baadikko Mamammadu Dirigeant d’entreprise, ancien enseignant
à l’Ecole supérieure des sciences économiques et commerciales de
Douala (Cameroun) (Ed. L’HARMATTAN, avril 2001).
10-Schoelcher Victor (1804-1893): homme politique français,
sous secrétaire d’Etat au sein du gouvernement provisoire qui
suivit la révolution de 1948, il mena un combat sans répit pour
l’abolition de l’esclavage dans les colonies. Homme de gauche,
il vécut en exil à Londres sous le règne de Napoléon III. De
retour en France à la chute du II me Empire, il siégera à
l’assemblée nationale en tant que député de la Martinique et de
la Guadeloupe. En 1949, ses cendres ont été transférées au
Panthéon.
11-Massignon Louis (1883-1962): auteur d’importants travaux
sur le mysticisme islamique: «Les Sept Dormants d’Ephèse»
(1955), «Essai sur les origines du lexique technique de la
mystique musulmane» (1927) «Passion d’Al Halladj, mystique
musulman» (1922). Par symbiose avec l’orient, il obtiendra et
bien que marié, d’être ordonné prêtre de l’église grecque
Melkite Catholique.
12-Berque Jacques (1910-1995), islamologue, professeur au
Collège de France, auteur d’une importante oeuvre de
vulgarisation du Coran «Le Coran, essai de traduction de
Jacques Berque Bibliothèque spirituelle-Edition Albin Michel.
Auteur également d’ouvrages de référence pour la connaissance du
monde arabe notamment «Les Arabes d’hier à demain» et «Egypte,
impérialisme et révolution» 1967), ainsi que «L’intérieur du
Maghreb (XVe-XIXe siècle)», en 1978. Dans un message d’hommage
publié à son décès, Jean Pierre Chevènement, ancien Ministre
français de la Défense, puis de l’Intérieur, le qualifiera d’«un
des rares points de repère ayant survécu à la débâcle des
idées», cf. version française du Journal Al-Moharrer paru à
Paris le lundi 10 juillet 1995, n°19.
13-«L’idiome international tente Bruxelles», cf. journal
Libération 27 juillet 2001 Marie Cousin et Jean Quatremer.
14-«Le regard des vainqueurs, les enjeux français de
l’immigration» Sami Naïr, Figures Grasset.
15-Sur les 128 personnalités ayant exercé des responsabilités
gouvernementales depuis 1992, 34 ont été mises en examen, soit
le quart du personnel gouvernemental français et le nombre des
inculpations concernant les élus depuis 1990 se situerait entre
2 000 et 5 000 personnes, la région Ile de France ainsi que la
région Provence cote d’azur figurent en tête du palmarès, cf.
«Le casier judiciaire de la République) Bruno Fay et Laurent
Ollivier, Editions Ramsay janvier 2002. Par ailleurs trois cent
soixante quinze (375) élus français ont été mis en examen rien
qu’en 1998, illustrant le haut degré de la corruption politique
française, cf. «L’Omerta française» de Sophie Coignard et
Alexandre Wickham, éditions Albin Michel octobre 1999.
16-Denis Jeanbar et Jean Marc Lech «La grande lessive,
anarchie et corruption» Flammarion 1995.
17-«Le grand gaspillage-les vrais comptes de l’état» par
Jacques Marseille, Ed. Plon février 2002
18-«Communautarisme blanc ou République?» par Benjamin Stora
Le Monde 24 avril 2002
19-La France est «gérée par deux candidats à la Présidence de
la République (le Président Jacques Chirac et le Premier
Ministre Lionel Jospin) qui gèrent leur communication dans un
pays qui a connu des pages plus glorieuses que celle
d’aujourd’hui où il sert de station service dans le golfe»,
opinera Philippe Seguin, un des ténors du parti néo-gaulliste
dans l’hebdomadaire L’Express du 25 octobre 2001 in «La
Cohabitation Chirac Jospin: Chronique de la haine» par
Christophe Barbier, Eric Mandonnet, Romain Russo.
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Publié le 9 mai 2010 avec l'aimable autorisation de René Naba.
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