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Actualité
Egypte: Décès de l'intellectuel critique
Hamed Nasr Abou Zeid
René Naba
Paris, 6 juillet 2010
Requiem pour une pensée critique.
L’universitaire égyptien, Hamed Nasr Abou Zeid, décédé au Caire
des suites d’une infection virale, a été enterré dans son
village natal de Qufahan, près de Tanta, (province occidentale),
en Egypte, lundi 5 juillet 2010, ultime étape d’une longue
errance de quinze ans qui l’avait conduit à s’exiler pour
échapper aux foudres de l’inquisition religieuse et de la
justice égyptienne qui l’avait condamné du «crime d’apostasie».
Auteur d’une étude magistrale portant sur la «critique du
discours religieux», l’homme avait déchaîné les passions en
Egypte, en pleine fermentation islamiste.
L’universitaire avait soutenu que la pensée islamique s’était
«rigidifiée» depuis l’époque d’Averroès et perdu de sa vitalité
en raison du défaut de son enrichissement par un débat
pluraliste.
Condamné pour apostasie en 1995 par la Cour d’Appel du Caire,
et, faisant l’objet de menaces de morts de la part de
l’organisation le djihad, Hamed a dû s’exiler aux Pays Bas, ou
il exerça son enseignement d’abord à l’Université de Leyde, puis
d’Utrecht, avant d’obtenir la chaire «Ibn Roshd (Averroès)» de
l’Université de Berlin pour un enseignement consacré aux
rapports entre «Humanisme et Islam».
Son épouse, Ibtihal Younis, titulaire d’un doctorat d’état,
refusant de souscrire au jugement des hommes, a accompagné son
époux dans son exil. L’affaire a soulevé un tel tollé que la loi
sur l’apostasie a été amendée en 1998, par le gouvernement
égyptien, confiant au procureur de la République la prérogative
de la Hisba, le droit pour tout croyant d’ester en justice dans
l’intérêt de la religion musulmane.
Le procès s’est déroulé dans un climat d’hostilité aux
intellectuels et artistes caractéristique des années 1990 avec
la défaite de l’armée rouge en Afghanistan et l’hégémonie du
fondamentalisme saoudien sur la sphère arabe consécutive à la
première guerre contre l’Irak.
L’intellectuel Farag Foda a été assassiné en 1993, Le Docteur
Ahmed Sohby Mansour renvoyé de l’Université D’Al Azhar et jeté
en prison pour six mois, alors que le prix Nobel Naguib Mahfouz
était poignardé par un islamiste en 1994, handicapant
l’écrivain, devenu incapable d’utiliser sa main pour écrire. La
chasse aux intellectuels atteint aussi le cinéaste Youssef
Chahine pour son film «Al-Mohager, L’émigré», de même que Hassan
Hanafi, professeur de philosophie à l’université du Caire, lui
aussi condamné pour apostasie.
La répression qui a gagne le monde arabe a frappé au Koweït, le
journaliste Ahmad al Baghdadi, en 1996, emprisonné un mois pour
offenses à Mahomet, de même que deux auteurs koweitiennes, Leila
Osman, et Alia Choua’ah, pour insulte à l’Islam dans leurs
écrits. Au Liban, toujours en 1996, le célèbre chanteur libanais
Marcel Khalifé a été menacé de trois ans de prison, accusé
d’avoir insulté le Coran dans sa chanson « Je suis Josephf(Ana
Youssef). Il en a été de même pour l’intellectuel libanais
Hussein Mroueh et trois intellectuels algériens Abdel Kader
Alloula, Bekhti Benaouda et Tahar Djaout.
Hamed Nasr Abou Zeid a été atteint d’une infection maligne, en
juin 2010, alors qu’il effectuait une visite pédagogique en
Indonésie à l’invitation du «Centre International des Etudes
islamiques» de Djakarta. L’homme était âgé de 67 ans. Son exil a
duré quinze ans. Son diagnostic établi, il a décidé de braver
ses censeurs. D’opérer en quelque sorte un retour au pays natal
pour y mourir parmi les siens, la marque d’une victoire posthume
sur ses détracteurs.
Pour mémoire, la référence de ses ouvrages en
français
1. Le Discours Religieux Contemporain: Mécanismes et
Fondements Intellectuels, traduit par Nachwa al-Azhari, Edwige
Lambert and Iman Farag, Dans : CEDEJ – Égypte/Monde arabe, No.3,
3e trimestre, 1990, pp. 73-120.
2. Critique du Discours Religieux, traduit par Mohamed
Chairet, Sindbad Actes Sud, 1999.
En rappel
Le
Syndrome égyptien, le rétablissement du crime d’apostasie, une
longue complainte de la liberté étranglée.
René Naba | 26/06/1995 | Paris
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Publié le 7 juillet 2010 avec l'aimable autorisation de René Naba.
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