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Opinion
Le dispositif médiatique français,
une singularité dans le monde occidental
Vendredi 5 novembre
2010
La
France se retrouve en 44me position, en matière de liberté de la
presse, au classement annuel de «Reporters sans frontières»,
publié fin octobre. La «Patrie des Droits de l’homme », ce pays
qui a longtemps revendiqué une «charge d‘aînesse» à l’égard des
«peuples primitifs» pour justifier ses conquêtes coloniales, est
désormais dépassé par des pays tels que la Lituanie, la
Jamaïque, la Namibie, la Tanzanie, la Corée du Sud et la
Papouasie-Nouvelle-Guinée.
Le
dispositif médiatique français présente une double singularité
dans le monde occidental, celui d’être détenu pour l’essentiel
par des amis d’un président en exercice, en l’occurrence Nicolas
Sarkozy, et, de concentrer la plus forte endogamie entre média
et politique dans la sphère occidentale.
Fait
sans précédent dans les annales des médias, les grands titres de
la presse écrite et audiovisuelle se trouvent sous la coupe de
grands conglomérats quasi exclusivement tributaires des
commandes de l’Etat, dont la fortune s’est constituée sur la
base des marchés publics financés par le Budget, soit en dernier
ressort par le contribuable, dont ils formatent désormais
l’opinion par leur rôle prescripteur, découlant de leur position
hégémonique.
Voici,
à titre informatif, le dispositif médiatique français, détenu
pour l’essentiel par les deux principaux marchands d’armes,
Arnaud Lagardère et Serge Dassault, et, le principal bétonneur
du pays, Martin Bouygues.
Arnaud
Lagardère, qualifié de «frère» de Nicolas Sarkozy, actionnaire
de référence pour le compte français du groupe
aéronautique EADS, est le premier éditeur français et le
détenteur du principal réseau de librairie de France via les
relais «Relay», dans les gares françaises et les stations du
métro parisien.
Dans le
domaine audiovisuel, il possède trois stations de radio (radio
Europe1, Europe 2, RFM), quatorze chaînes de télévision (Canal
J, MCM, Mezzo, Tiji, la chaîne météo, CanalSatellite, Planète,
Planète Future, Planète Thalassa, Canal Jimmy, Season, Ciné
Cinéma et Euro Channel, ainsi que le site informatif Allo Ciné
Info.
Dans le domaine de la presse écrite: L’hebdomadaire Paris Match,
Elle magazine, le Journal du Dimanche, et deux quotidiens
régionaux, La Provence et Nice Matin.
Dans
l’édition, Hachette, Fayard, Grasset, les éditions juridiques
Dalloz, Dunod et Armand Colin, les éditeurs scolaires Larousse
Hatier, Hazan, Le Masque, Marabout, Pluriel, Stock, Le Livre de
Poche.
Arnaud
Lagardère possède en outre «Lagardère Team Sport», une équipe
pluridisciplinaire de sportifs de haut niveau pour des
compétitions professionnelles.
Martin
Bouygues, parrain d’un des trois fils de Nicolas Sarkozy, Louis,
est le premier groupe de bâtiment et travaux publics de France
et propriétaire d’un des trois réseaux de téléphonie mobile
(Bouygues telecom).
Dans le
domaine audiovisuel, il possède la chaîne généraliste de
télévision TF1, la plus importante de l’espace francophone
européen, et ses treize déclinaisons: la chaîne d’information
continue, LCI, Odyssée, Eurosport, Histoire, UshuaïaTV, S Star,
Cinétoile, Cinéstar, Télétoon, Infosport, Série Club, TF6, TV
Breizh.
Bouygues dispose d’une gamme de trois sociétés de production de
films: Téléma, Film Par Film, TF1 Film Production, les sociétés
de distribution de films: TFM, la société d’édition vidéo (TF1
Vidéo) et pour la presse écrite de deux magazines (Tfou Mag,
Star Academy), ainsi que du quotidien gratuit Métro.
Serge
Dassault, avionneur, fabricant du Rafale, l’avion de supériorité
technologique, également proche de Sarkozy, possède Le Figaro,
L’Express, le Figaro Magazine et Valeurs Actuelles. Le sénateur
de l’Essonne a eu un moment, l’été 2010, des visées sur «Le
Parisien», le quotidien le plus lu du bassin parisien.
A ce
trio, il convient d‘ajouter, Vincent Bolloré, le vacancier du
président français, à qui il a prêté son yacht pour sa première
escapade post électorale à Malte. M. Bolloré possède la chaîne
de télévision Direct TV,, les journaux gratuits Direct Soir et
Matin Plus, en sus du groupe publicitaire Havas où figure dans
son escarcelle la firme RSCG de Jacques Séguela, le marieur de
Nicolas Sarkozy avec le mannequin Carla Bruni, ainsi que
l’institut de sondage CSA. Deux autres instituts de sondage sont
détenus par des proches du président, l’IFOP par la patronne des
patrons français, Laurence Parisot, présidente du MEDEF, Et
Opinion Way, le plus grand bénéficiaire des contrats
publicitaires de la présidence sarkozy.
Deux
grands titres quotidiens parisiens échappent à l’emprise directe
du pouvoir: le journal «Le Monde», détenu majoritairement par
des actionnaires ne bénéficiant pas de l’agrément présidentiel
(le banquier Mathieu Pigasse (Banque Lazard), Xavier Niels (le
réseau internet Free) ainsi que Pierre Bergé, le patron de la
maison de couture Yves saint Laurent, ainsi que le quotidien
«Libération» (banquier Edouard Rothschild), et deux
hebdomadaires, la revue Marianne.
Indice
d’un activisme fébrile à l’égard des médias, l’homme qui avait
placé son conseiller durant la campagne présidentielle, Laurent
Solly, à la direction de TFI, récidivera quelques mois plus tard
en propulsant Harry Roselmack au siège de présentateur du
20 Heures de la Une, premier noir aux manettes du JT le
plus vu d’Europe, et son ami Pierre Sled, à la tête des
programmes de France télévision, alors que Jean Pierre El
Kabbache, sur Europe 1, lui fait office d’amplificateur
radiophonique, sollicitant son agrément pour la nomination de
journalistes affectés à sa couverture.
Dans la
foulée, Nicolas Sarkozy fera promulguer une loi sur
l’audiovisuel public, en février 2009, conférant au Président de
la république le droit de nomination des présidents de
l’audiovisuel public (France Télévisions et Radio France),
dessaisissant le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) de
cette prérogative, qui se borne désormais à donner un simple
avis. Les commissions de l’Assemblée nationale et du Sénat
disposent bien d’un droit de veto, qui demeure, toutefois, assez
symbolique. Le Parlement ne peut, en effet, rejeter une
nomination voulue par le chef de l’Etat que si une majorité
qualifiée 3/5e des députés et sénateurs des deux commissions se
dégage.
Autre
singularité française, l’endogamie entre média et politique
atteint un record en France, où la scène politico médiatique
contemporaine abonde de ces couples célèbres dont les plus
visibles sont Bernard Kouchner, ministre des Affaires
étrangères, et Christine Ockrent (France 24-pôle audiovisuel
extérieur), Jean Louis Borloo, ministre d’État et ministre
du Développement durable et Béatrice Schoenberg (France 2),
Dominique Strauss-Kahn, ancien ministre des Finances et
Directeur du Fonds Monétaire International, et Anne Sinclair (RTL-TF1),
Alain Juppé (à l’époque ministre des Affaires étrangères) et
Isabelle Juppé (La Croix), sans oublier les deux
dernières idylles, celle de Nicolas Sarkozy avec Anne Fulda (Le
Figaro), du temps de l’escapade new-yorkaise de son épouse
Cécilia Sarkozy et celle de François Hollande, premier
secrétaire du Parti socialiste, avec Valérie Trierweiler (Paris
Match, puis Direct TV) et l’intermède de François Baroin, du
temps de son passage au ministère de l’Intérieur avec Marie
Drucker (France 3).
La
mutation professionnelle a cédé la place à l’accouplement. Dans
le nouveau cas de figure, l’activité ne change pas, mais se
couple tant au niveau de la vie professionnelle que conjugale
avec un partenaire qui représente l’autre pôle du pouvoir,
nourrissant par là même le procès d’une confusion des genres
préjudiciable à la démocratie.
Dans ce
contexte, Internet semble avoir pris la relève, devenant le
refuge la presse critique, particulièrement les sites
électroniques Médiapart et Rue 89, ainsi que le site satirique
Bakchih aux côtés de l’hebdomadaire satirique «Le Canard
Enchaîné», principal pourvoyeur des révélations de la presse
française sur le dysfonctionnement du pouvoir.
Indice
du climat délétère qui règne dans les rapports entre médias et
politique, sous la présidence Sarkozy, le chef de l’état a
convoqué, en personne, dans un procédure inhabituelle, le
directeur du Monde, Eric Fottorino, pour lui signifier son
mécontentement du choix de ses nouveaux actionnaires, présumés
proches du parti socialiste. Le journal le Monde, de son côté, a
déposé une double plainte pour violation des sources
professionnelles en rapport avec l’affaire Woerth Bettencourt,
portant sur un possible financement occulte du parti
présidentiel (UMP) et sur un possible conflit d’intérêt du
ministre du travail, ancien ministre du budget.
Deux
journalistes travaillant sur cette affaire, Gérard Davet (Le
Monde) et Hervé Gattegno (Le Point), ont été cambriolés, fin
octobre 2010, et leur ordinateur respectif dérobé, de même que
deux ordinateurs du site Mediapart, qui joua un rôle pionnier
dans cette affaire, alors que le site «Rue 89» était poursuivi
par Alain de Sérigny, conseiller d’Eric Woerth, en dédommagement
d’un préjudice qu’il estime à cinq millions d’euros.
« Le
Canard enchaîné » va même jusqu’à soutenir que Nicolas Sarkozy,
en personne, superviserait l’espionnage de journalistes.
L’accusation est de taille. Dans un article signé de son
rédacteur en en chef, Claude Angeli, l’hebdomadaire
satirique en date du 3 novembre 2010 affirme que «depuis
le début de l’année, au moins, dès qu’un journaliste se livre à
une enquête gênante pour lui ou pour les siens, Sarkozy demande
à Bernard Squarcini, patron du renseignement français, de
s’intéresser à cet effronté. En clair, de le mettre sous
surveillance, de recenser ses relations et, surtout, ses
informateurs ».
Citant
des sources anonymes au sein de la division centrale du
renseignement intérieur (DCRI), le journal précise que la DCRI a
même mis en place un groupe spécial chargé de traquer les
sources de certains journalistes. La méthode, explique Le
Canard enchaîné, passe d’abord par la consultation des
factures téléphoniques détaillées des journalistes pour
identifier leurs sources. « Les opérateurs sont d’une grande
complicité avec nous », assure une source au sein de la DCRI.
L’hebdomadaire évoque le cas d« Un bon nombre de
membres du Quai d’Orsay convoqués au siège de la DCRI », à
la suite d’une plainte déposée par Bernard Kouchner, ministre
des affaires étrangères.
Alain
Genestar, Directeur de Paris Match, avait été, auparavant,
démissionné de son poste sur injonction de Nicolas Sarkozy pour
avoir autorisé la publication d’une photo de Cecilia Sarkozy, se
baladant dans les rues de New York avec son amant de l’époque
devenu depuis lors son époux, le publiciste Richard Attias et
l’éditeur First, qui se proposait de publier un livre de Valérie
Domain, journaliste à Gala et auteur d’une biographie
autorisée sur Cécilia Sarkozy, y renoncera à la suite de sa
convocation au ministère de l’intérieur, fin 2005, au terme
d’une conversation sans doute persuasive de Nicolas Sarkozy.
Pour la
première fois depuis la création du classement annuel, en 2002,
Cuba ne fait pas partie des dix derniers, mais occupe quand même
la 166e place sur 178. Au “trio infernal,
Erythrée, Corée du Nord, Turkménistan” s’ajoutent l’Iran, la
Birmanie, la Syrie, le Soudan, la Chine, le Yémen et le Rwanda,
précise l’association.
La
France (44eme position) se place juste devant l’Italie (49eme
place) en matière de liberté de la presse, parmi les grands pays
européens. «La France perd encore une place et les déclarations
de la majorité présidentielle «très menaçants, parfois
insultants, envers certains médias ont eu une résonance mondiale
et, dans beaucoup de pays, le gouvernement français n’est plus
considéré comme respectueux de la liberté d’information»,
souligne RSF dans la 9eme édition de son classement dans une
allusion aux attaques des partisans du président Nicolas Sarkozy
contre la presse, particulièrement la presse électronique (Mediapart
et Rue 89) dans la foulée de l’expulsion musclée des Roms,
en guise de dérivatif au scandale Woerth Bettencourt.
RSF
fait remarquer que «si l’Union européenne ne se ressaisit pas,
elle risque de perdre son statut de leader mondial dans le
domaine du respect des droits de l’homme», posant la question de
son autorité morale à l’égard des régimes autoritaires. «Comment
pourra-t-elle alors se montrer convaincante lorsqu’elle
demandera aux régimes autoritaires de procéder à des
améliorations?» écrit-il.
Il
invite en conséquence les pays européens à «retrouver leur
statut d’exemplarité.”
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Publié le 5 novembre 2010 avec l'aimable autorisation de René Naba.
Les
textes de René Naba
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