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Actualité
Qatar: Un rebut de
luxe pour recyclage haut de gamme (1/2)
René Naba
Paris, 5 février 2010 L‘effondrement économique de la
principauté de Doubaï, à l’automne 2009, a fait craindre un
écroulement cumulatif des autres pétromonarchies du Golfe, par
effet de domino, jetant le doute sur la viabilité de ces émirats
mirages, attisant la méfiance à l’égard de la finance islamique
que les pays occidentaux souhaitent attirer en vue de dynamiser
leurs économies convalescentes.
Parmi ces émirats mirages à forte attractivité, à l’existence
aléatoire, le Qatar fait en France l’objet d’un engouement à la
mesure de la projection fantasmatique qu’il propulse dans
l’imaginaire du landerneau politique, souvent en méconnaissance
de cause.
Tout le monde en parle mais très peu en connaissance de cause
d’un pays sans doute l’un des rares au monde à être davantage
connu pour ses installations que pour ses réalisations, son
histoire ou sa géographie, ses belles lettres ou ses beaux-arts.
Désigné au choix, comme le pays d’Al Jazira ou du CENTCOM, le
lieu d’exil des indésirables arabes, Qatar est à la fois tout
cela et bien plus.
Siège du nouveau Quartier Général du «Central command»
américain, le commandement du théâtre des opérations allant de
l’Afghanistan au Maroc, et de la chaîne transfrontière arabe
«Al-Jazira», Qatar fait cohabiter sur son sol, dans l’harmonie
la plus discrète, la famille de l’ancien président irakien
Saddam Hussein, le prédicateur islamique Youssef Al-Qaradawi, un
des grands officiants de la chaîne transfrontière, et une
discrète mission commerciale israélienne, assumant avec bonheur
sa fonction de rebut de luxe pour recyclage haut de gamme.
Important producteur de pétrole et membre de l’Organisation
des pays exportateurs de pétrole (OPEP), le Qatar a refusé
d’adhérer à la Fédération des Emirats arabes Unis. Il gère de ce
fait pour son propre compte de fabuleuses richesses.
L’engouement de la classe politique française à son égard est
comparable à celui qui prévalait à l’égard de l’Irak de Saddam
Hussein du temps de sa splendeur et de l’avidité de ses
interlocuteurs français, durant les décennies 1970-1980.
Là s’arrête la comparaison. Entourée par l’Arabie saoudite au
sud et le golfe arabo-persique au nord, cette minuscule
principauté de 11 427 km² peut être menacée, jamais menaçante,
toujours alléchante.
L’Emir de Qatar est à Nicolas Sarkozy ce que Rafic Hariri était
à Jacques Chirac, une béquille financière
Distinction rarissime, son Emir, Hamad bin Khalifa Al Thani, qui
dirige le pays depuis 1995, est l’unique dirigeant arabe -et
sans doute de la planète- à avoir bénéficié de l’extraordinaire
privilège de co-présider à deux reprises, deux années
consécutives (2007-2008), la prestigieuse parade militaire du 14
juillet, la fête nationale française. Sans doute pour les menus
et multiples services rendus à la diplomatie française:
Lubrification des négociations visant à la libération des
infirmières bulgares de Libye, intercession dans les
transactions visant à la libération du soldat israélien Gilad
Shalit, captif du Hamas, intermédiation dans le conflit libanais
visant à l’élection d’un nouveau président, implication dans le
rapprochement syro-libanais et franco-syrien.
Entre la France et le Qatar, l’histoire, il est vrai, est
ancienne, dont le mérite revient, contrairement aux apparences,
non à Nicolas Sarkozy qui n’en est que l’ultime bénéficiaire
ostentatoirement tapageur, mais à William Kazan, l’homme
d’affaires libanais à qui il convient de rendre cette justice
(1). Pour dire vrai d’ailleurs, le Qatar est à la France sous
Nicolas Sarkozy ce que le milliardaire libano saoudien, l’ancien
premier ministre Rafic Hariri, l’a été sous la mandature
présidentielle de Jacques Chirac, avant que le premier ne
périsse dans un attentat dont on commémore le 5eme anniversaire
ce 15 février et que le second, seul président français à
comparaître depuis le Maréchal Philipe Pétain en 1945-46, ne
soit traduit en justice pour une affaire en rapport avec
l’argent illicite… Une béquille financière, camouflée par
l’adoubement du prince arabe d’un rôle honorifique de missi
dominici convivial et bénévole. C’est ainsi du moins que l’Emir
du Qatar apparaît à bon nombre d’observateurs.
Le parrainage financier arabe parait d’ailleurs être une
spécificité des présidents post gaullistes à en juger par le
nombre des dirigeants français ayant recours à de telles
pratiques: Chirac Hariri, Sarkozy Hamad bin Khalifa, auparavant
Valéry Giscard d’Estaing et l’Empereur Jean Bedel Bokassa de
Centrafrique, un tandem passé à la postérité pour ses
prestations diamantaires.
William Kazan comme l’ancien premier ministre libanais
assassiné Rafic Hariri, l‘homme lige des saoudiens, de même que
le bijoutier Robert Mouawad, appartiennent à cette race de
Libanais dont la fortune, fabuleuse, s’est faite au prix d’une
abnégation sans failles à l’égard des familles dirigeantes des
pétromonarchies du Golfe.
Entre William Kazan et Rafic Hariri, ces deux êtres au
parcours similaire, se pose toutefois le problème de la
doublure. Qui est le double de l’autre, qui est la copie
conforme de l’autre?
Sur Hariri, William Kazan avait un double avantage:
l’antériorité dans le circuit de la prestation de services et
une dignité d’ambassadeur de par sa situation de compagnon de
fortune, puis d’infortune, de l’ancien Emir de Qatar.
Tel un mauvais conte de fées, cet émir, Cheikh Khalifa Bin
Hamad Al-Thani, régna sur sa principauté pendant près de vingt
ans, avant d’être déboulonné par son propre fils, l’actuel
prince. Brutus n’est pas le monopole de Rome, il s’en trouve de
cas semblables à l’ombre des derricks (2).
Ami de la France, heureux propriétaire d’un fabuleux et
convoité gisement gazier offshore North-Dome, Cheikh Khalifa,
grand seigneur, gratifiera son dévoué serviteur du titre envié
d’ambassadeur itinérant du Qatar en Europe occidentale, avec
compétence sur une douzaine de pays et sur une multitude de
fournisseurs multiformes, au moment où Rafic Hariri figurait sur
la liste diplomatique saoudienne à Paris en tant que 3 me
secrétaire.
A sa luxueuse résidence de l’avenue Montaigne à Paris,
William Kazan, bijoutier de son état, sera aussi scintillant que
resplendira l’état de grâce de son mentor du Qatar. L’éviction
du souverain entraînera pour William Kazan et la perte de son
immunité et la fin de son impunité.
Il se retrouve quelque temps en prison pour une sombre
histoire de galantes compagnies, une fâcheuse affaire
opportunément mise à jour qui comble d’aise le nouveau monarque
qatariote, une heureuse coïncidence qui permet à la France,
terre d’asile de son père, de rentrer dans les bonnes grâces du
filial successeur. Ténébreuse affaire qui permis du coup au
milliardaire libano-saoudien Rafic Hariri, fort de son amitié
avec le président Jacques Chirac, d’éliminer son rival en
affaires William Kazan.
Par une cruelle ironie du destin, les deux préposés pétro
monarchiques mourront la même année en 2005, à six mois
d’intervalle, Rafic Hariri de mort violente, dans un attentat le
15 février, William Kazan, de cancer, en Août, le même mois qui
vit la mort du Roi Fahd d’Arabie et l’élection à la tête de
l’Iran de Mahmoud Ahmadinejad.
Depuis lors, la lune miel se poursuit sans accroc. En France,
rien n’est refusé à l’Emir ni l’Hôtel Lambert (3), ni l’Hôtel
Raphaël à Paris, ni un deuxième Hôtel particulier, rue de
Courcelles, à deux pas de l’Elysée, ni une superbe résidence
d’été à Chateauneuf-de-Grasse dans les Alpes Maritimes, qui
offre un beau panorama jusque dans la baie de Cannes. Détenteur
de 25 pour cent du capital de la Société fermière du casino
municipal de Cannes, Qatar est également devenu le partenaire
titre de la célèbre course hippique du Prix de l’Arc de triomphe
et le deuxième actionnaire du groupe Vinci.
De son côté, Qatari Diar, un fonds d’investissement possédé à
100% par Qatar Investment Authority, le fonds souverain du
Qatar, est engagé dans des négociations exclusive avec Cegelec
(ancienne filiale d’Alcatel), pour le rachat de ce poids lourd
spécialisé dans les services liés à l’énergie, à l’électricité
et la rénovation des caténaires ferroviaires au Maroc. Qatari
Diar est très présent sur le plan international, au Maroc, en
Egypte et dans tout le Moyen-Orient, mais aussi en
Grande-Bretagne, dans l’immobilier, comme dans le quartier de
Canary Wharf à Londres.
En retour, La France dispose au Qatar d’une école de
gendarmerie et d’une duplication de l’Ecole Saint-Cyr,
l’académie chargée de former les officiers supérieurs des
Emirats. Une école qui compte déjà à son crédit la formation du
Prince héritier qatariote. Parmi les autres bénéficiaires de
l’hospitalité du Qatar figurent la sœur de Rachid Dati, ancien
ministre français de la justice, affectée au service du
patrimoine, une structure placée sous l’autorité de l’épouse de
l’Emir du Qatar, Cheikha Mozah, fraîchement élue membre de
l’Académie des beaux-arts de France.
Il en est de même de l’ancien directeur controversé de
Reporters sans frontières (4), Robert Ménard, pour la présidence
d’une problématique fondation pour la défense de la liberté de
la presse, qu’il désertera au bout d’un an, devant son peu de
poids face à la structure parallèle mise sur pied par un
authentique homme de terrain qui a donné au journalisme ses
lettres de noblesse, le photographe Sami al-Hajj, de la chaîne
al-Jazira, ancien pensionnaire du bagne de Guantanamo, fondateur
du «Guantanamo Center», chargé de combattre les atteintes à la
liberté de la presse.
Seule fausse note à ce tableau idyllique, la tentative de
mise sur pied, en mars 2009, d’un «CRIF musulman», une structure
de l’Islam laïc en France, à l’initiative d’une sous-préfète,
Malika Benlarbi, sur suggestion du conseiller présidentiel Henri
Guaino. La tentative tourna court par suite de la protestation
du Conseil Français du Culte Musulman (CFCM), qui y a vu une
«ingérence dans les affaires intérieures françaises» et une
menace directe à sa représentativité.
Le balancement est constant dans l’Emirat, au point que
certains jugent cette dualité comme relevant de la duplicité, la
caution de desseins inavoués: Il en est ainsi du duo CENTCOM
/al-Jazira. Il en est de même avec la France: L’amitié avec
Sarkozy a permis au président français d’éradiquer toute
sensibilité pro arabe au sein de l’administration préfectorale
et du dispositif audiovisuel français et la promotion
concomitante de personnalités notoirement pro israéliennes.
La liste est longue qui va de Bernard Kouchner (Quai
d’Orsay), flamboyant ministre des Affaires étrangères à ses
débuts contraint à une honteuse normalisation avec le
génocidaire du Rwanda, Paul Kagamé, dans la foulée des
révélations sur ses connections affairistes avec les dictateurs
africains, à Dominique Strauss Khan (FMI), qui se demande à
chacun de ses réveils ce qu’il peut bien faire pour Israël et
non à la France dont il porte la nationalité, à Arno Klarsfeld
(Matignon), réserviste de l’armée israélienne, à Pierre
Lellouche (Affaires européennes), à François Zimmeray, ancien
vice-président de la commission d’études politiques du CRIF,
Ambassadeur pour les Droits de l’homme, en passant par Christine
Ockrent (pôle audiovisuel extérieur), Philippe Val (France
inter), et à la toute dernière recrue Valérie Hoffenberg,
directrice pour la France de l’American Jewish Committee,
représentante spéciale de la France au processus de paix au
Proche-Orient.
Une promotion accompagnée parallèlement de la mise à l’écart
de Bruno Guigue (administration préfectorale), de la mise à
l’index de l’universitaire Vincent Geisser et de l’éviction de
Richard Labévière (Média) ainsi que de Waheeb Abou Wassil, seul
palestinien du dispositif médiatique extérieur.
Il en est de même sur le plan international. Se plaçant à la
pointe du combat pour la défense des causes arabes, le Qatar, en
vertu du principe du balancement politique, est l’un des rares
pays arabes à abriter néanmoins une discrète mission commerciale
israélienne.
L’Emir du Qatar sera ainsi le premier dirigeant arabe à se
rendre au Liban dès l’annonce du cessez le feu libano israélien,
en Août 2006, prenant à sa charge la reconstruction de localités
du sud Liban détruites par les Israéliens. Et la principauté
sera aussi le pays hôte du sommet arabe pour l’aide à la
reconstruction de Gaz. Mais malgré ses largesses et
l’hospitalité d’Al-Jazira aux voix discordantes arabes, l’Emir
sera contraint dan la foulée du sommet de Doha de fermer la
mission israélienne à la suite de la destruction de l’enclave
palestinienne par les Israéliens en janvier 2009, sous peine
d’accusation de duplicité.
Al-Jazira, observe, elle, une retenue à l’égard du pays hôte,
qu’elle n’a jamais interrogé ni sur la présence sur son sol de
la mission commerciale israélienne, ni sur celle du Quartier
Général du «Central Command» américain, ni sur la propulsion de
personnalités pro-israéliennes dans les principaux rouages de
l’administration diplomatique française. Une retenue semblable à
la déférence témoignée par des vecteurs occidentaux à l’égard de
leur gouvernement respectif, notamment la chaîne «Fox» à l’égard
de l’administration Bush jr ou les chaînes publiques ou privées
françaises à l’égard du pouvoir politique en France
L’honneur est sauf, au prix de quelques aménagements avec la
liberté d’expression. Il permet au Qatar, par son amitié
affichée avec la France, sans passé colonial dans la zone, de
faire la démonstration de son indépendance tant vis-à-vis du
grand frère saoudien, que du pesant tuteur américain, que de
l’Irak ou de l’Egypte. Un exercice de saltimbanque qui lui
permet de flirter, sans risque, avec l’Iran, contigu au champ
gazier off shore du Qatar, et les autres bêtes noires de
l’Occident -le mouvement islamique palestinien Hamas, le
mouvement chiite libanais Hezbollah-, tous les contestataires à
l’ordre hégémonique israélo américain sur l’espace arabe, mais
dans les limites des règles du jeu imposé par son protecteur
américain, sous peine de retour de bâton, comme en témoigne la
tentative de déstabilisation d’Al Jazira lors de l’invasion
américaine de l’Irak en 2003.
Suivra......RN
Références
1.
CF «Rafic Hariri, un homme d’affaires premier ministre» de René
Naba Editions l’Harmattan 2000 notamment le chapitre V «Les
ombres du passé».
2.
Le coup d’état de 1995 porte en lui de forts relents pétroliers.
British Petroleum qui avait commis l’erreur de se retirer de
Qatargas en 1992 projetait de récupérer ses positions prises par
la firme américaine Mobil. La Jordanie une créature de la Grande
Bretagne lui prêta main forte en dépêchant près de 600
militaires et du matériel de guerre pour soutenir le putchiste,
le propre fils de l’Emir, en verrouillant la frontière empêchant
ainsi tout renfort au prince régnant. L’intervention jordanienne
a constitué un cas flagrant d’ingérence étrangère, mais n’a
jamais été dénoncée dans la mesure où elle servait les intérêts
anglo saxons. Songeons à la tempête qui s’est déchaînée contre
la Syrie, dix ans plus tard, au moment de l’attentat contre
Rafic Hariri en février 2005.
3.
L’Hôtel Lambert est situé à la proue de l’île Saint-Louis. Ses
plans ont été dessinés par Louis Le Vau, maître d’oeuvre de
Vaux-le-Vicomte. Anciennement propriété de la famille
Rothschild, il a notamment abrité le couple mythique du cinéma
français de la décennie 1960, Henri Vidal -Michèle Morgan.
4.
«La face cachée de reporters sans frontières. De la CIA aux
Faucons du Pentagone»-Editions Aden de Maxime Vivas.
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Publié le 5 février 2010 avec l'aimable autorisation de René Naba.
Les
textes de René Naba
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