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Opinion
Il était une fois la
dépêche d'agence
René Naba
Paris, 5 janvier 2010 En hommage aux soutiers de
l’information: les agenciers ou journalistes d’agence, par l’un
des leurs.
L’Agence France Presse (AFP) est la doyenne des agences
de presse, première agence francophone et troisième agence
mondiale derrière l’américaine Associated Press (AP) et la
britannique Reuters. Elle est présente dans 165 pays et compte
près de 4 000 collaborateurs à travers le monde. Elle fournit en
continu, à plus de 7 000 clients, un contenu prêt à l’emploi
(dépêches, photos, infographies et vidéos), rédigé et
hiérarchisé dans un souci de qualité éditoriale et
d’objectivité. Son statut fait l’objet d’un débat qui pourrait
remettre en question son indépendance.
Retour sur un métier et son histoire au moment où
l’avenir de l’AFP est plus incertain que jamais.
A la mémoire de Jean Marin, Bernard Cabanes, Boni de Torhout et
Jean Vincent (1)
Plante sauvage qui pousse dans des lieux désertiques, la figue
de Barbarie correspond parfaitement à l’image de l’agencier, le
journaliste d’agence, épineux d’apparence, savoureux de
substance. Premier arrivé sur les lieux, dernier parti,
observateur permanent et méticuleux de l’actualité, loin des
phénomènes de mode, l’agencier est un historien de l’instant,
non un rapporteur factuel des évènements, c’est-à-dire un être
dépourvu de réflexion comme se sont plus à le présenter
longtemps de faux confrères envieux de sa position, encore moins
un retransmetteur passif de communiqués comme projettent de le
réduire des fossoyeurs de la démocratie en mal de notoriété.
Le travail de l’agencier, invariablement, se décompose selon un
rituel immuable: Comme une partition en trois temps, l’entrée en
scène se fait crescendo, le factuel, la description des faits à
l’état brut impérativement «sourcés», puis la mise en
perspective, «la contextualisation», selon le jargon moderne,
enfin l’éclairage, où se glisse parfois un zeste d’analyse
politique. Vigile solitaire, son travail est rythmé par les
fuseaux et les contraintes horaires et son lexique emprunte
parfois au langage guerrier: Deadline, le délai impératif
au-delà duquel un papier est décrété caduc et « poubellisé » en
conséquence. Cauchemar des journalistes en panne d’information
ou tributaires des aléas des transmissions, le deadline équivaut
à une mort subite.
L’agencier, c’est aussi une discipline et une rigueur qui ne
s’encombrent pas de fioritures: les faits bruts impérativement
« sourcés ». L’anonymat est une donnée inhérente à sa fonction
et «le quart d’heure de célébrité médiatique», selon
l’expression chère à Andy Warhol, ne constitue pas son obsession
de vie. Longtemps anonymes, ses papiers, souvent reproduits
quasi intégralement par les journaux clients, ne seront revêtus
de sa signature que très tardivement vers la fin du XX me
siècle, plus exactement dans la décennie 1980. Auparavant, leur
signalement résidait dans les initiales de l’auteur en bas de
texte de la dépêche que les spécialistes décryptaient avec le
plus grand soin pour juger de la valeur d’un papier et jauger
son auteur.
Lorsque parut l’informatique….
Moment charnière de l’histoire des médias, l’avènement de
l’informatique va provoquer un bouleversement radical dans la
conception de l’information, dans la chaîne de production et
l’économie du secteur de l’information. Le passage de la machine
à écrire, et son prolongement le couple télex perforatrice, à
l’ordinateur va ainsi s’accompagner, parallèlement, d’un
bouleversement psychologique et structurel de la profession,
signant au passage l’arrêt de mort des deux symboles séculaires
du travail d’agencier, le télex et le «pneumatique», ce module à
compression couvant en son sein un message propulsé dans des
boyaux souterrains spécialement aménagés dans le ventre de Paris
et les étages de l’AFP. Tonitruant mais efficace messager, plus
discret et moins onéreux en tout cas que les coursiers
contemporains.
Dans la décennie 1970, la vitesse d’écoulement de la copie par
télex était de 70 bauds par minute, soit pour un papier journée
(le Lead), une moyenne de trois minutes…une lenteur bienvenue en
ce qu’elle prévenait d’éventuelles erreurs de précipitation. Une
décennie plus tard, l’introduction de l’informatique va induire
un phénomène d’accélération des particules, triplant la vitesse
d’éjection de la copie, propulsant une dépêche de 1.000 mots en
une minute, contre trois minutes pour un papier moindre de 600
mots dix ans auparavant. La fébrilité, l’état naturel de
l’agencier en temps normal, cède alors la place à la frénésie,
l’information à la communication, la célérité à la
précipitation.
Concomitante de la mondialisation, l’informatique va accélérer
la circulation de l’information et démultiplier les sources
d’information par le développement de la diffusion satellitaire,
la multiplication des chaînes transfrontières et d’autres canaux
de diffusion tels l’Internet (Web), le courrier électronique, le
blog ou encore le fax ou le mobile (téléphone portable). Au
point que les sociologues et analystes politiques viendront à
célébrer l’avènement d’une «société de l’information» comme la
marque caractéristique du XXI me siècle, l’échec du
totalitarisme et le terme ultime de la démocratie néo-libérale.
Mais ce phénomène va, par contrecoup, impulser un processus de
concentration capitalistique, donnant naissance à des groupes
multimédia agrégeant contenant et contenu, producteur et
distributeur de flux et favoriser la mise des principaux
vecteurs d’information sous la coupe des conglomérats
financiers, assurant la constitution d’une nouvelle «caste
médiatique» technologique propulsée par des promotions
fulgurantes avec ses codes, son langage et ses usages. La
prolifération des bases de données et des moteurs de recherches
va, de surcroît, atrophier quelque peu la mémoire vive au sein
d’une large fraction des opérateurs de la corporation, le
véritable centre de documentation humain, constitué par l’effet
cumulatif de l’expérience, l’antidote au risque de
désinformation généré par la surinformation.
Jamais dans l’histoire de l’humanité, en effet, l’information
n’a été si abondante et si instantanée et sa diffusion si
générale. Cette information mondialisée a certes aboli les
frontières physiques et linguistiques et transformé la planète
en un «village planétaire». Mais cette concentration médiatique
va poser d’une manière récurrente le problème de la préservation
du rôle de la presse, et partant de l’amélioration de
l’information du citoyen et du débat démocratique.
((Selon une étude de John Stauber et Sheldon Rampton, qui
passent pour être les meilleurs spécialistes de la profession et
co-auteurs d’un remarquable ouvrage sur la question (Toxic
sludge is good for you- Common Courage presse 1995), le nombre
des salariés des agences des relations publiques (150.000)
dépassait à partir de la décennie 1990 celui des journalistes
(130.000).
Aux Etats-Unis, 40 pour cent de ce qui est publié dans la presse
est directement reproduit, sans altération, des communiqués des
«Public relations» soutient Paul Moreira, producteur de
l’émission de référence de Canal + et auteur d’un ouvrage
documenté sur «Les nouvelles censures- dans les coulisses de la
manipulation de l’information» (Editions Robert Laffont février
2007).
Tragique retour de choses: La communication a tendu ainsi à se
substituer à l’information et ses dérives avec les «spin
doctor’s» ont tendu à renvoyer à la propagande de base des
régimes totalitaires que les pays démocratiques étaient censés
combattre, comme ce fut le cas notamment lors de l’invasion
américaine de l’Irak, en 2003 (3). Le «quatrième pouvoir», le
garant de la démocratie, est apparu alors comme le vecteur d’une
idéologie dominante et le langage de ses opérateurs comme un
marqueur d’une d’identité culturelle avec les enjeux économiques
que sous tendait la guerre sémantique qu’elle impliquait
(précarité versus flexibilité).
Pis, le contrôle accru des grands conglomérats industriels sur
les vecteurs d’information, l’importance prise par ailleurs par
les stratégies de communication, au détriment de l’information
proprement dite, l’endogamie croissante au sein du couple média
et politique de même que l’interactivité des divers acteurs au
sein de ce même couple va poser dans toute son acuité le
problème du rapport entre Média et démocratie, et d’une manière
sous jacente la question de la viabilité d’un débat démocratique
dans une société où les principaux vecteurs d’information sont
dominés par les puissances d’argent et la promotion des intérêts
privés.
En France, la phagocytose des entreprises de presse par le
complexe militaro industriel a eu pour curieux résultat de
placer les grands quotidiens nationaux et les grands vecteurs
audio visuels sous la coupe des grands conglomérats adossés aux
commandes de l’état: TFI Bouygues (Bâtiment et téléphonie
mobile), Le Figaro Dassault aviation, Libération-Edouard de
Rothschild (Banque) ainsi que Lagardère armement et édition (Le
Monde, Paris Match, Europe 1, VSD, Le journal de dimanche).
Autrement dit, l’Etat et partant le contribuable ont nourri de
grands groupes qui se sont emparés de vecteurs pour formater
l’opinion publique au service de la satisfaction des objectifs
particuliers des entreprises privées.
Face à un tel déferlement, l’AFP apparaîtra comme un îlot isolé
d’indépendance. L’agencier sera ainsi relativement préservé de
ce chamboulement par son mode opératoire et son statut hydride,
voté en 1957 à l’initiative du ministre de la justice de
l’époque François Mitterrand, garde fou contre une dérive
collaborationniste du type de la presse française du temps de
Vichy.
Ce que fut l’agencier de l’AFP…
Bien avant l’apparition des nouvelles technologies de la net
économie, l’agencier se devait d’être, en effet, par choix et
par nécessité, concis et économe tant de ses mots que de son
argent. La carte bancaire de paiement n’existait pas alors.
L’agencier était comptable de ses mots, payant rubis sur ongle
chaque terme de sa dépêche au télégraphiste de la poste. Une
retenue qui le préservera ultérieurement de l’inflation verbale,
amplifiée par l’exacerbation de la concurrence et le nouveau
procédé technologique du «copié collé».
Le Flash ne devait en aucun cas dépasser cinq mots source
comprise, un impératif catégorique qui déclenchait
instantanément un branle bas du combat à tous les étages,
mettant en route un mécanisme qui répercutait l’info en trois
secondes aux quatre coins du monde sur fond d’un joyeux
tintamarre réjouissant… mais anxiogène pour la suite de
l’événement.
Le bulletin, lui, avait droit à un paragraphe de trois lignes et
le fameux Lead journée jamais plus de trois feuillets, six cents
mots, le même calibre que l’Editorial du journal le Monde,
identifiable, tel un logo, par sa localisation en première page,
en colonne de gauche pour le lecteur, son orientation politique
du temps où le quotidien vespéral était le journal de référence
intellectuelle et morale de la classe politique et de la
jeunesse étudiante.
Le système pouvait paraître rétrograde mais demeure encore de
nous jour le meilleur antidote à la sialorrhée, le moins propice
à la manipulation et à la désinformation. A ce titre, l’Agence
France Presse, bien avant la floraison des écoles de
journalisme, aura été à sa façon une école de journalisme, le
principal vivier du journalisme français, le pourvoyeur des
grands quotidiens en grande plume, y compris Le Monde, surtout
Le Monde, dont l’organigramme foisonne de ses transfuges, à
commencer par Pierre Vianson Ponté, son prestigieux chef du
service politique du temps du Général de Gaulle.
Que l’on se rassure toutefois: L’agencier ne frise pas
constamment l’apoplexie. Il est des rêveries régénératrices aux
lueurs de l’aube, lors du « Curtain raiser », littéralement, le
lever de rideau, le papier d’ouverture sur le lendemain, bouquet
final d’une production journalière particulièrement harassante.
Sur les grands coups, l’agencier commence sa journée par un
« Morning Lead », le papier directeur de la matinée, celui qui
donne le ton pour la tranche matinale (06h00-12h00). Il embraye
ensuite pour le « Lead journée » destiné au bouclage des grands
journaux d’Europe et de la province française de même que pour
les bulletins de début de soirée des chaînes de radio et de
télévision. Le « Night Lead » prend le relais pour les
destinations plus lointaines (18h00-24h00) notamment le
continent américain et l’extrême orient, suivi de
« l’Overnighter », l’au-delà de la nuit, qui assure la jonction,
le passage vers le lendemain, avant que ne reprenne ses droits
le « curtain raiser ».
L’agencier, convenons-en, n’est pas un adepte des RTT (réduction
du temps du travail) propre à la civilisation des loisirs ou des
trente-cinq heures, ni même des trois rotations journalières,
les fameuses brigades 3×6 propres à l’industrie lourde, mais des
vacations de quatre fois six heures.
Un soutier de l’information en somme, condamné de surcroît à
être jugé sur pièce, à chaque évènement, sans qu’il lui soit
possible d’opérer la moindre retouche, de se sortir par une
clause de style ou par une pirouette d’une situation quelque peu
complexe.
De mémorables erreurs………..qui font le délice des chaumières
L’agencier n’est toutefois pas cet être parfait, «le Bayard du
journalisme sans peur et sans reproche». Faillible, il l’est,
mais pas trop souvent quand même. Beaucoup de générations de
journalistes se gaussent encore, à son évocation, de cette
bourde monumentale annonçant, dans l’émotion, le décès du
Maréchal Josep Broz Tito, dirigeant de la Fédération de
Yougoslavie. Il a fallu se prendre à trois reprises pour que les
choses se passent dans l’ordre naturel des choses.
Le virtuose du clavier qui se trouvait de fonction n’avait pas,
ce jour-là, le doigt heureux… preuve de l’humanité de la
fonction du journalisme d’agence. Le premier flash qui a crépité
sur les téléscripteurs du monde entier annonçait « Titi est
mort », suivi trois secondes plus tard d’un nouveau Flash
rectificatif « Toto est mort », pour finalement se stabiliser
avec ce flash comminatoire, superbe de désolation, « merci bien
lire partout Tito (bien Tito) est mort ». Tout le monde avait
compris. Mais il fallait que les choses soient dites dans les
normes. Cela a été fait dans les formes.
Une soirée arrosée pouvait sauver l’Italie d’un désastre
écologique, mais non du ridicule. Ainsi cette nuit où un
journaliste du desk anglais, de retour de la célébration de la
région vinicole du Beaujolais, un certain jeudi soir de
Novembre, traitant un effondrement de terrain dans la région
italienne des Pouilles, répercutera ainsi l’information par
l’annonce d’un«collapsus at balls area», ce qui se traduit
pudiquement en langue française par un effondrement «dans la
zone périnéale». L’affaire s’est jouée sur une syllabe. Fruit
d’un journaliste spiritueux, la dépêche, spirituelle, resta sans
conséquence pour la hiérarchie. Ce qui n’a pas été toujours le
cas.
Les intempéries pouvaient jouer un mauvais tour, même à
l’agencier le plus perspicace. Ainsi lors de la réouverture du
Canal de Suez, un cargo empruntant la voie d’eau, a eu droit à
un tonnage variable en fonction de son lieu de passage. C’est
d’ailleurs le seul cas de l’histoire de la navigation qu’un
cargo changeât autant de fois de tonnage en fonction du lieu de
son court passage.
À l’époque les dépêches étaient expédiées en morse, le langage
codé des chiffres et des lettres, et l’émission était tributaire
de la météorologie, si capricieuse en Orient, particulièrement
lors des tempêtes de sable, fréquentes le long du Sinaï. Ainsi
le cargo a emprunté le Canal avec un chargement de départ
officiellement annoncé de 35.000 tonnes. A mi chemin, au cours
d’une halte, le correspondant régional a annoncé l’escale du
bâtiment précisant le tonnage correct, mais c’était sans compter
avec le vent qui en a troublé la réception.
Le desk, et, par contrecoup ses destinataires, ont eu droit à
une dépêche à la mi-journée annonçant l’escale du cargo avec un
chargement de 3.500 tonnes, soit une réduction drastique du
chargement. En fin de journée, le cargo atteignait le port
d’Aden et le correspondant au Yémen du Sud relatait le fait dans
sa simplicité, mais c’était sans compter là aussi sur
l’intervention du vent. Via Londres, le journaliste de service
cette nuit-là à Paris décryptait la dépêche pour annoncer
finalement l’arrivée du cargo avec un chargement de 350.000
tonnes, soit une considérable inflation du poids.
L’esprit de synthèse étant une vertu cardinale de l‘agencier, le
journaliste de permanence reprenant les trois messages de la
journée narrant la traversée, en fit une synthèse éblouissante
pour répercuter sur les fils la dépêche dans les termes
suivants: « Le cargo qui change de tonnage à chaque escale est
arrivé à Aden cette nuit, au terme d’une traversée du canal de
Suez marquée par un constant changement de tonnage de sa
cargaison à chaque escale. Parti de Suez avec une cargaison de
35.000 tonnes, il s’est retrouvé à Aden avec 350.000 tonnes,
après une escale à mi-parcours où il se révélait charger 3.500
tonnes. »
L’époque n’était pas encore au vidéo-gag. L’agencier impertinent
a été licencié sur le champ, sans la moindre considération pour
son humour irrévérencieux, qui était grand, ni pour son talent,
qui était tout aussi grand.
Un passeur, un témoin…………
Longtemps, l’agencier était l’interlocuteur obligé,
l’intermédiaire nécessaire entre l’actualité et les médias, un
passeur de nouvelles. Depuis la confuse profusion des moyens de
communication et leur sophistication avec les journalistes
«embedded», les SMS (short message system), Facebook et autres
twitter, son rôle a pu paraître sinon déclassé du moins décalé.
Il demeure néanmoins un intercesseur indispensable, toujours sur
le terrain, irrémédiablement soumis aux contraintes de
l’écriture agencière.
Observateur avisé, il a pu ainsi relever la lente érosion de la
langue française par simple phénomène de mimétisme de
l’anglicisme qui fait qu’il est désormais de bon chic de parler
des « Qataris et Koweïtis » alors que les dépêches rédigées à
l’époque où l’auteur de ces lignes commençait sa carrière, il
était jugé plus conforme à la pureté de la langue française de
dire et d’écrire, les Qatariotes et les Koweïtiens. De même
l’Irak s’écrivait avec un K et non avec un Q, plus conforme,
celle là, à l’orthographe anglaise.
Une personne était «discréditée» du fait de ses actes
répréhensibles et non «décrédibilisée», de même un homme
assumait «la responsabilité de ses propos» et non «assumait ses
propos», son comportement était «réprouvé» et non «désapprouvé»,
tout comme les nouvelles se répandaient «comme un feu sur une
traînée de poudre» et non comme une « traînée de poudre », tant
il est vrai qu’une traînée peut traîner longtemps s’il n’y a feu
qui l’enflamme.
L’alternative s’articulait autour des deux termes, car il a
toujours existé depuis les temps les plus anciens deux termes à
une alternative et non deux alternatives ce qui en faisait
quatre termes donc quatre possibilités. Il était également plus
conforme à la pureté de la langue d’annoncer un entretien d’une
personnalité avec une autre personnalité et non un entretien
entre deux personnalités, ce qui constituait une redondance dans
la mesure où dans le terme entretien, «l’entre – tien» était
suggéré.
Enfin, tout le monde à l’époque travaillait à Paris ou au
Popocatépetl ou ailleurs et non sur Paris ou sur les cimes du
Mexique, à moins d’y être parachuté ou qu’il ne s’agisse d’un
dossier sur la région parisienne ou sur la zone montagneuse
mexicaine.
Quiconque se livrait à de telles incorrections de langage était
accusé de parler le français comme un «basque espagnol» et non
comme «une vache espagnole», tant il est vrai que de mémoire
d’homme jamais vache n’a pu emprunter le langage humain pour
exprimer une pensée problématique.
L’agencier débutant dans les années 1970 s’amusera de constater
l’ampleur prise ultérieurement par la nouvelle génération
politique de la « gauche mutante », inconcevable à l’époque,
phénomène marquant de l‘époque contemporaine, le plus important
vivier de transfuges du militantisme révolutionnaire vers le
conservatisme contemporain le plus rigide. Ce phénomène frappe
aussi bien le monde arabe que le monde occidental. Il s’amusera
de constater aussi la permanence de la stigmatisation de la
figure du croquemitaine dans la construction de l’imaginaire
occidental.
De Gamal Abdel Nasser (Égypte) à Mohammad Mossadegh, à
l’Ayatollah Ruhollah Khomeiny et Mahmoud Ahmadinejad (Iran) en
passant par Yasser Arafat et Cheikh Ahmad Yassine (Palestine), à
Moqtada Sadr (Irak) et Hassan Nasrallah (Liban), tous ont eu
l’honneur d’assumer cette fonction sans que jamais personne
n’ait songé à établir un lien entre l’arrogance occidentale et
la radicalisation des contestataires de sa suprématie.
En trois décennies, la carte géostratégique du monde a connu une
modification radicale, mais le lexique diplomatique
international demeure inchangé sur un seul fait: « l’Arabe
israélien », une expression forgée pour désigner un Palestinien
porteur de la nationalité israélienne, mais l’occultation du
fait national palestinien, fait majeur de la diplomatie
internationale de la seconde moitié du XX me siècle, a conduit
les stratèges de la communication à forger cet être hybride par
excellence, comme si l’Arabe israélien n’était pas un
Palestinien, comme si le Palestinien et la Palestine ne se
situaient pas au cœur du monde arabe et au cœur des conflits du
XX me siècle.
Epilogue
L’auteur de ces Lignes a vécu cet état pendant vingt ans sur les
«points chauds» de l’actualité internationale, d’abord, en tant
que correspondant tournant au bureau régional de l’Agence France
Presse à Beyrouth (1969 à 1979) où il a notamment couvert la
guerre civile jordano palestinienne, le «septembre noir» de
1970, la nationalisation des installations pétrolières d’Irak et
de Libye (1972), une dizaine de coups d’Etat et de détournements
d’avion, ainsi que la guerre du Liban (1975-1990), la guerre
d’octobre (1973), les premières négociations de paix égypto
israéliennes de Mena House Le Caire (1979).
Puis en tant que responsable du monde arabo-musulman au service
diplomatique de l’Agence France presse (1978-1989) où il a
couvert, à ce titre, la guerre irako iranienne (1979-1988), la
guerre algéro-marocaine, la guerre tchado-libyéenne (1982-1987),
le conflit américano-libyen (1986-1987), l’assassinat du
président égyptien Anouar El-Sadate (1981), le raid contre la
centrale nucléaire irakienne de Tammouz (1980), les sommets des
Non-alignés de New Delhi (1983) et de Harare (1987), les sommets
arabes de Fès (1981 et 1982) de Rabat et d’Alger (1988), les
sommets islamique de Lahore (1974), de Kuala Lumpur (1975) et de
Ryad (affaire Salman Rushdie 1989) ainsi que l’affaire des
otages occidentaux au Liban (1984-1988), la guerre des
ambassades entre Paris et Téhéran (1987) et la percée
diplomatique de Yasser Arafat à Paris (1989) et en Europe
occidentale.
Français d’origine libanaise, jouissant d’une double culture
franco arabe, natif d’Afrique, juriste de formation et
journaliste de profession ayant opéré pendant 40 ans au Moyen
Orient, en Afrique du Nord et en Europe, l’auteur de ces lignes
dont l’expérience internationale s’articule sur trois continents
(Afrique – Europe Asie) a été la première personne d’origine
arabe à exercer, bien avant la diversité, des responsabilités
journalistiques sur le Monde arabo-musulman au sein d’une grande
entreprise de presse française de dimension mondiale. Le mérite
en revient à l’AFP, qui a eu, en la matière, un rôle précurseur,
bien avant que les concepts de «discrimination positive» ou de
«quotas ethniques» ne viennent polluer le débat public.
Tout au long de cette séquence, l’AFP a veillé à maintenir une
visibilité pluraliste de l’actualité, comme lors de la guerre du
Vietnam ou le conflit du Liban, forçant le respect de ses
usagers, gage de sa pérennité, compensant quelque peu sa
conquête tardive du marché de l’Information économique. L’auteur
de ces lignes a exercé ses fonctions sans la moindre
interférence éditoriale de sa hiérarchie ou des pouvoirs
publics, ce qui est loin d’être le cas dans l’audiovisuel
public. Il a souhaité en donner publiquement acte et porter
témoignage en ce moment particulier de l’histoire de l’AFP, en
hommage à l’esprit d’indépendance forgé par des générations
d’agenciers, alors que le débat sur le statut de l’Agence France
Presse mène cette prestigieuse entreprise vers un avenir
incertain.
Bernard Cabanes, rédacteur en chef à l’AFP, -tué le 13 juin 1975
par erreur dans un attentat à la bombe contre son appartement en
banlieue parisienne-, a été le premier à repérer « le saute
ruisseau» que le signataire de ce texte devait sans doute être à
l’époque, le faisant venir depuis Beyrouth en stage de
familiarisation avec le desk central à Paris, en juin 1975,
prélude à sa titularisation. Boni de Torhout, Chef du service
diplomatique de l’AFP, a été le premier envoyé spécial de l’AFP
en Cisjordanie occupée en 1967, correspondant de guerre en
Irlande du nord, puis à Beyrouth. Grand spécialiste de l’Asie,
Jean Vincent a été l’interlocuteur du premier ministre chinois
Chou En Lai et du Général Nguyen Van Giap, ministre vietnamien
de la défense, vainqueur de la bataille de DIEN BIEN PHU.
L’auteur de ces lignes a eu le délicieux privilège de servir
sous leur autorité au sein du service diplomatique de l’AFP
(1980-1990), du temps de son prestige avant son démantèlement.
En leur dédiant ce papier, il a souhaité s’acquitter de sa dette
de gratitude à leur égard, rendant ce témoignage posthume à ces
trois grands seigneurs du journalisme, au-delà à l’AFP, et, à
travers l’AFP, à tous les agenciers à travers le monde.
Références
1.
Jean Marin a été le premier président de l’Agence France Presse
de l’après guerre, de 1957 à 1975. De son vrai nom Yves Morvan,
il était un journaliste et résistant français, né à Douarnenez
le 24 février 1909, mort à Paris le 30 juin 1995. En 1940, il
entre dans la Résistance alors qu’il est correspondant pour
l’agence Havas à Londres depuis un an. Il sera, jusqu’en 1943,
l’une des voix de la France Libre sur l’antenne de la BBC, dans
la célèbre émission écoutée clandestinement de l’autre côté de
la manche Les Français parlent aux Français». En 1944, il
intègre la deuxième division blindée du Maréchal Leclerc qui
libère Paris le 25 août.
2.
Ce texte d’hommage est tiré du prologue du dernier ouvrage de
René Naba
« De notre envoyé spécial……Un correspondant sur le théâtre du
monde (1969-2009)»
Editions l’Harmattan Mai 2009
3.
Sur la nouvelle problématique des Médias à l’ère de la
Mondialisation et de la net-économie
Voir à ce propos :
De l’endogamie entre Média et Politique
en France, l’embedded à la française
http://www.renenaba.com/?p=524
Les médias comme véhicule d’‘une
idéologie dominante
http://www.renenaba.com/?p=520
Les journalistes, nouveaux acteurs des
relations internationales
http://www.renenaba.com/?p=1159
© Toute reproduction intégrale ou
partielle de cette page faite sans le consentement écrit de René
Naba serait illicite (Art L.122-4), et serait sanctionnée par
les articles L.335-2 et suivants du Code.
Publié le 5 janvier 2010 avec l'aimable autorisation de René Naba.
Les
textes de René Naba
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