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Actualité
Le Tribunal spécial sur le Liban à
l'épreuve de la guerre de l'ombre
Part 1/3
René Naba
Paris, le 3 août 2010
I - Le Liban, une passoire
Objet
de fantasme depuis un demi siècle, le Bar de l’Hôtel
Saint Georges de Beyrouth a longtemps été un haut lieu
du monde interlope de la barbouzerie internationale. Réputé pour
ses cocktails détonants, ses barmen avenants, ses yachts
rutilants et sa plage huppée, son ambiance calfeutrée, propice à
tous les chuchotements, le destinait à être le lieu de
côtoiement par excellence de personnages aussi emblématiques1
qu’énigmatiques que l’agent double soviéto britannique, Kim
Philby, membre du fameux groupe «The Cambridge Five», ou, le
Général Taymour Bakhtiar, tombeur de Mohamad Mossadegh, le
premier ministre nationaliste iranien, artisan de la première
nationalisation du pétrole en 1953.
Si Kim Philby, faux journaliste de l’Observer (1), démasqué, a
été exfiltré par un sous marin soviétique au large des côtes
libanaises, le Général Taymour Bakhtiar, son forfait accompli, a
été remercié, en même temps qu’était répudiée sa cousine,
l‘impératrice Soraya, contraint à l’exil et à l’errance à
Beyrouth, Paris et Genève, pour finir assassiné à Bagdad,
paradoxalement, par des agents de la Savak, un comble pour le
fondateur de la police secrète iranienne (2).
L’Hôtel Saint Georges a été détruit aux premiers jours de la
guerre civile libanaise, et sa cave, riche et abondante, pillée,
a longtemps désaltéré les combattants des diverses factions au
plus fort de la bataille pour le contrôle du centre ville de
Beyrouth, à l’automne 1975. Sa silhouette, dessinée par Auguste
Perret dans les années 1930, décorée par Jean Royère dans les
années 1960, demeure mythique dans la mémoire des hommes et
continue de fasciner hommes politiques et aventuriers. C’est
d’ailleurs au pied de la façade de cet hôtel, objet de sa
furieuse convoitise (3), que l’ancien premier ministre libanais
Rafic Hariri a été assassiné, en 2005, trente ans après le début
de la guerre civile.
La
fascination qu’il continue d’exercer dans l’imagerie populaire
s’explique en ce qu’il constituait une marque de distinction
sociale pour sa clientèle, toute une cohorte d’honorables
correspondants, de correspondants en quête d’honorabilité, de
journalistes en quête de respectabilité, qui revendiquaient leur
fonction comme un «trophée», cultivant avec art «le complexe du
drogman», du titre de ces fameux intermédiaires auprès des
chancelleries occidentales. Tous alléchés par le gisement
d’informations constitué par l’imposante infrastructure de
l’organisation de Libération de la Palestine et de la vingtaine
de mouvements de libération du tiers monde qui gravitaient dans
son orbite….. Du Front de Libération de l’Erythrée du futur
président Issayas Afeworki, au FLOSY, le Front de Libération du
Sud Yémen Occupé, du premier ministre nassérien Abdel Qawi
Makkaoui, à l’Armée secrète pour la Libération de l’Arménie
(ASALA). Tous des révolutionnaires en herbe, des
révolutionnaires en puissance. «Koulouna Fidaiyoune», tous, des
guérilleros palestiniens, pour reprendre le titre du film culte
de l’époque du cinéaste libano arménien Garo Garabédian, dont
l’équipe périra carbonisée lors du tournage.
La
guerre clandestine qui s’y livrait à l’ombre de cet
établissement prestigieux n’a jamais cessé, induisant de
nouvelles méthodes au gré des progrès technologiques, mettant
aux prises les traditionnels espions occidentaux et leurs alliés
des monarchies arabes, les agents du Mossad, de l’Intelligence
service britannique, de la CIA américaine, de la DGSE française,
tous engagés dans une guerre opaque avec des concurrents d’un
genre nouveau, agents iraniens, services de renseignements
syriens et activistes du Hezbollah.
« Il n’existe que deux choses infinies, l’univers et la
bêtise humaine… mais pour l’univers, je n’ai pas de certitude
absolue».
Albert
Einstein
Etat
tampon, théâtre de deux guerres civiles (1958; 1975-1990), le Liban a longtemps fait
office de soupape de sûreté à l’ordre régional, le point de
dérivation des conflits inter régionaux, le lieu de dénouement
des psychodrames des actes de piraterie aérienne, assumant une
fonction tribunicienne pour le compte des pays arabes, dont il
en constituait une caisse de résonance, et les mouvements de
libération qui leur étaient affiliés. Une des plateformes
opérationnelles majeures de la guerre clandestine à l’apogée de
la rivalité soviéto américaine, Beyrouth a tenu la dragée haute
en matière d’espionnage aux grandes capitales situées sur la
ligne de démarcation du front de la guerre froide. A l’égale de
Berlin, immortalisée par les romans d’espionnage John Le Carré,
ou de Vienne, passée à la postérité avec son «Troisième Homme»
d’Hollywood, le film du cinéaste Orson Wells.
C’est
depuis Beyrouth que la guerre culturelle souterraine de la CIA
contre l’idéologie marxiste a été menée, dans les années
1950-1980, sur l’ensemble du Monde arabe, à travers la presse
pétro monarchique, à coups d’opération oblique, de presse
périphérique, d’informations annexes et de renseignements
connexes. C’est depuis la capitale libanaise que se sont ourdies
les opérations de déstabilisation des régimes arabes. C’est à
Beyrouth enfin que la conférence régionale de la WACL s’est
tenue au début de la guerre civile, en 1975, sous la présidence
de Camille Chamoun, ancien président de la République du temps
de la première guerre civile libanaise, pour convenir de la
réplique américaine à la perte de Saigon et de Pnom Penh, les
deux bastions américains en Asie, signe de l’importance
stratégique de la capitale libanaise et de l’implication
occidentale dans le conflit libanais (4). Fondée à Taiwan par
Tchang Kaï-Chek, la Ligue anti-communiste mondiale (WACL), une
Internationale fasciste regroupant d’anciens criminels de guerre
nazis et nippons, a constitué la matrice de la contre
insurrection dans les zones de confrontation avec la guérilla
marxiste. Elle passe pour avoir recruté des mercenaires en vue
de leur intégration au sein des milices chrétiennes libanaises,
préludant à l’alliance militaire des phalangistes avec Israël,
l’ennemi officiel du Monde arabe.
L’irruption des querelles du Monde arabe propulsée au paroxysme
de la guerre froide soviéto-américaine sur la scène libanaise
transformera le Liban en arène idéologique, où s’opérera un
phénomène de cristallisation de la presse libanaise du fait de
la rivalité égypto saoudienne. Dans un pays qui se targue d’être
un chantre de la liberté de la presse, pas moins d’une dizaine
de journaux libanais se trouvait sous perfusion égyptienne et
autant sous fusion saoudienne. Tandis que le proconsul égyptien,
le Général Abdel Hamid Ghaleb et son attaché de presse Anouar
Jammal faisaient office de Rédacteur en chef occulte de sept
quotidiens (Al-Moharrer, Al-Liwa, As-Siyassa, Al-Kifah,
Al-Hourriya, Al-Anouar et Al-Hawdess), son équivalent saoudien,
le Général, Ali Chaer, régnait en maître sur cinq quotidiens
(Al-Hayat, Az-Zamane, Ad-Dyar, Al Joumhouriya et Ar Rouad).
Un
chiffre suffit à illustrer l’importance de Beyrouth en tant que
plaque tournante de la guerre de l’ombre (5). Entre 1945
et 1995, c’est à dire au cours des trente premières années de
leur indépendance, dix huit coups d’état sanglants ont secoué le
Monde arabe, la plupart fomentés depuis la capitale libanaise,
dont huit en Syrie et trois, rien que dans l’année qui a suivi
la défaite en 1949, avec les coups de force du Colonel Hosni
Zaim, le 29 mars 1949, du Général Sami Hennaoui, 14 Août 1949,
et du général Adib Chichakli, 19 décembre 1949.
Les
visées hégémoniques de la Syrie sur le Liban s’expliquent
partiellement par la volonté de Damas de sanctuariser le
territoire libanais, dont elle a eu à pâtir de ses opérations de
destablisation. Celles des Américains par le souci constant de
«conserver le port de Beyrouth dans le giron de l’Occident»,
selon l’expression du général Alexander Haig, ancien commandant
en chef de l’Otan et secrétaire d’état américain lors du siège
de Beyrouth, en juin 1982. Un euphémisme qui masque mal le souci
des occidentaux de garder par devers eux cette incomparable
banque de données des pulsions du tiers monde militant.
Haut
lieu de la contestation panarabe, Beyrouth représente, en effet,
pour les Occidentaux, un observatoire permanent de la lumpen
humanité, permettant aux cinq cents correspondants de la presse
étrangère accrédités à l’époque au Liban, et à la multitude
d’honorables correspondants se plaçant dans leur sillage,
d’observer le déroulement de la guerre inter yéménite entre
Républicains et Monarchiques du temps de la rivalité Saoud
Nasser, dans la décennie 1960, les soubresauts du septembre noir
jordanien, le massacre des Fedayine palestiniens par les
Bédouins du Roi Hachémite, en 1970, les convulsions de la
monarchie iranienne et sa chute, en 1979, dans la foulée du
triomphe de la révolution islamique ou encore la riposte
balistique du Hezbollah à la guerre de destruction israélienne
du Liban, en juillet 2006.
II- Le
paradis libanais, une fournaise
Mais le
paradis libanais tant vanté par les maquettes publicitaires de
luxe s’est révélé être une fournaise. A l’ombre de la dolce vita
et de la farniente de la riviera libanaise, longtemps à la botte
des états arabes, toujours à la remorque des occidentaux,
constamment en quête de reconnaissance internationale, les
Palestiniens paieront un lourd tribut à leur débordement de type
mafieux, à leur laxisme contre révolutionnaire. Un maillon
important de la chaîne de commandement en fera les frais, dont
les principaux responsables politiques et militaires, que cela
soit au Liban même ou à Tunis, leur troisième lieu d’exil. Au
Liban avec l’assassinat de Kamal Nasser, porte parole officiel
de l’OLP, Abou Youssef an Najjar, le ministre de l’intérieur de
la centrale palestinienne, Kamal Adouane, le responsable des
formations de jeunesse, tué lors d’un raid israélien en avril
1973, et le play boy Ali Hassan Salamah, chargé de la protection
rapprochée de Yasser Arafat. A Tunis, avec l’assassinat des
successeurs présumés du chef palestinien, Khalil Wazir, alias
Abou Jihad, commandant en chef adjoint et ordonnateur de
l’Intifada en Cisjordanie, et, Salah Khalaf, alias Abou Iyad,
responsable de l’appareil de sécurité. La décapitation des chefs
charismatiques de la guérilla palestinienne privera le combat
palestinien d’une direction révolutionnaire, déblayant la voie à
la promotion de bureaucrates aux postes de commandement dont
Mahmoud Abbas en constitue le parfait représentant, de la même
manière que l‘incarcération des deux figures emblématiques de la
résistance de l’intérieur, Marwane Barghouti (Fatah) et Ahmad
Saadate (FPLP) dégagera le terrain à la propulsion de deux
cerbères affectés à la sécurité d’Israël, Mohammed Dahlan et
Djibril Rajoub, dont le goût prononcé pour le luxe leur sera
fatal.
La donne changera avec la relève chiite, et, en dépit de la
disproportion des forces, le combat parait moins inégal. Certes
le Hezbollah a dû pâtir de sérieux coups de butoir tant des
israéliens que des occidentaux, mais le décompte au terme de
trois décennies ne lui apparaît pas totalement aussi défavorable
que la supériorité technologique du camp adverse et son impunité
n’auraient pu le suggérer. Deux des prestigieux chefs du
Hezbollah, Abbas Moussawi, premier chef du Hezbollah, et surtout
Imad Moughnieh, le bâtisseur de sa branche militaire, ont certes
été éliminés par assassinat, et le chef dignitaire religieux
chiite, Cheikh Mohamad Hassan Fadlallah, objet d’un attentant
manqué ourdi par la CIA avec des fonds pétro monarchiques. Mais,
stoïc dans l’adversité, sa riposte a été à la hauteur de ses
pertes.
Véritable prise de guerre, l’occupation de l’ambassade
américaine à Téhéran, en 1980, a permis la mainmise sur un
important lot de documents confidentiels, détaillant
l’architecture du réseau du renseignement américain au Moyen
orient et la liste des émargements. La décapitation de l’Etat
major de la CIA pour le Moyen orient, une trentaine de
personnes, lors de l’attentat contre le siège de l’ambassade
américaine à Beyrouth, en 1983, de même que le dynamitage du PC
des marines (214 tués), en même temps que le PC français, le
Drakkar, en octobre 1983, constitueront de sérieux revers pour
le renseignement occidental, accentué par la prise en otage, le
16 mars 1984, de William Buckley officiellement diplomate
américain à Beyrouth, en fait un des animateurs de l’antenne de
la CIA au Moyen orient, mort en 1985 en captivité, après avoir,
semble-t-il, fourni des précieuses indications à ses
tortionnaires. Sans compter le retentissant scandale de
l’Irangate, la vente prohibée d’armes américaines à l’Iran, le
scandale de la décennie 1980, allumé par une mèche à lente
combustion depuis Beyrouth, pour finir par carboniser
l’administration républicaine du président Ronald Reagan.
En trente ans, la guerre de l’ombre a été ponctuée de raids de
commandos héliportés israélien sur Beyrouth et sur le sud Liban
et de spectaculaires opérations. L’enlèvement de deux
responsables chiites, Cheikh Karim Obeid (1989) et Moustapha
Dirani (1994), et, le contre enlèvement d’un colonel israélien
du cadre de réserve Hannane Tannebaum (2000), en témoignent. De
non moins spectaculaires échanges de prisonniers aussi, une
dizaine au total, permettant la libération de près de sept mille
prisonniers palestiniens et arabes, en contrepartie de la
restitution de dépouilles de militaires israéliens et d’espions,
sans toutefois que ces gestes de conciliation n’affectent
l’intensité du combat.
Beyrouth est un vaste cimetière de traîtres, mais ce
bilan macabre n’a apparemment pas découragé les vocations tant
cette activité périlleuse s’est révélée lucrative, à en juger
par le récent coup de filet anti israélien réalisé par les
services de sécurité libanais. Du gros gibier: Un
général, deux colonels, trois cadres supérieurs occupant des
fonctions névralgiques au sein d‘une entreprise stratégique de
communications, un président sunnite d’un conseil municipal,
proche du premier ministre Saad Hariri, le frère d’un garde de
corps d’un dirigeant du mouvement chiite Amal. Tous à des postes
sensibles. Soixante dix arrestations, 25 inculpations
pour espionnage au profit d’Israël, un chiffre sans précédent,
infligeant au renseignement israélien l’un des plus importants
revers de son histoire (6).
L’élément déclencheur de cette contre offensive libanaise aura
été l’assassinat en février 2008 à Damas d’Imad Moughniyeh, le
cauchemar de l’Occident pendant un quart de siècle, qui
conduisit cette organisation clandestine et opaque à opérer un
travail de contre espionnage en profondeur pour finir par
démasquer les pisteurs: deux frères sunnites, originaires de la
bourgade d’al-Marj, dans la vallée de la Bekaa, Ali et Youssouf
Jarrah, en possession du matériel photographique et vidéo, d’un
système GPS dissimulé dans leur véhicule fréquemment garé au
poste frontière de Masnaa, sur la route entre Beyrouth et Damas,
en vue de pointer les responsables du Hezbollah empruntant le
passage vers la Syrie. Opérant depuis vingt ans pour le compte
des Israéliens, Ali Jarrah était même muni d’un passeport
israélien, pour ses déplacements, via Chypre, en Israël.
Au niveau
chrétien,
six acteurs majeurs ont été arrêtés: Le général Adib Semaan al
Alam, un ancien de la sûreté nationale, un poste où il avait
aussi accès au département des passeports, source d’information
capitale. Recruté par les services israéliens en 1994, il aurait
loué pour le compte des Israéliens des abonnements à lignes de
téléphonie cellulaire. Ses employeurs l’auraient convaincu de
prendre sa retraite pour monter une agence de recrutement de
domestiques asiatiques «Douglas office», qu’il utilisait comme
taupes auprès de leurs employeurs, membres de la bourgeoisie
libanaise. Grâce à cette couverture, Adib Alam aurait fourni des
informations sur le Hezbollah et sur les mouvements internes de
l’armée libanaise. Un deuxième officier chrétien inculpé est un
beau frère d’un officier de l’armée dissidente libanaise du
général Antoine Lahad, les supplétifs de l’armée israélienne au
sud Liban. Convaincu de collaboration avec Israël, le colonel
Mansour Diab, était directeur de l’Ecole des forces spéciales
des commandos de marine, un poste qui lui a permis de superviser
les opérations d’exfiltration d’agents et de transbordement de
matériels d’espionnage. L’un des héros de la prise d’assaut du
camp de réfugiés palestiniens de Nahr el-Bared, l’été 2007,
blessé à l’épaule lors de l’attaque, il aurait été recruté par
le Mossad pendant ses stages aux Etats-Unis.
Trois
autres libanais employés d’une société de téléphonie cellulaire,
la société Alpha, exerçant des fonctions sensibles au sein d‘une
entreprise stratégique de communications, ont été inculpés pour
«intelligence avec l’ennemi». Précisément pour avoir connecté le
réseau de la téléphonie mobile de leur firme au réseau des
services de renseignement israéliens, leur répercutant
l’ensemble du répertoire de leurs abonnés, de leurs coordonnées
personnelles et professionnelles y compris les coordonnées
bancaires. Tareq Raba, ingénieur des télécommunications, et son
subordonné hiérarchique, Charbel Qazzi, auraient fourni à leur
commanditaires le code d’accès des abonnés avec possibilité de
permuter les numéros de téléphone en vue de brouiller l’origine
d’un appel et son destinataire. Le chef du réseau, Tareq Raba,
en poste depuis 1996, a été recruté par le Mossad en 2001 et
percevait pour prix de sa trahison 10 000 dollars par mois. Le
5me chrétien, Joseph Sader, est un employé à l’aéroport de
Beyrouth, qui a admis être en charge du repérage des émissaires
et diplomates du Moyen-Orient transitant par l’aéroport de la
capitale libanaise.
Au niveau
sunnite,
un officier supérieur a été inculpé, originaire du Akkkar,
région nord du Liban, le colonel Shahid Toumiyeh, frère de cinq
officiers en service dans l’armée et la gendarmerie libanaise.
Il a été arrêté en sa possession de plusieurs centaines de
documents ultra secrets de l’armée libanaise. Toujours au niveau
sunnite, un proche de Saad Hariri, Zyad Ahmad Hosni, président
du Conseil municipal d’une localité de la Bekaa, était chargé de
pister les déplacements des dignitaires du Hezbollah dans la
zone frontalière libano syrienne et d’obtenir un rendez vous
avec Hassan Nasrallah, le chef du mouvement chiite, en vue de
son assassinat à distance.
Au niveau
chiite,
quatre prises consistantes: Ali Hussein Mintash, frère d’un
garde de corps d’un dirigeant du mouvement chiite Amal, chargé
du repérage des sites de lancement des missiles, le deuxième, un
représentant en pharmacie, Jaoudat Salmane al Hakim, revendique
un bilan particulièrement lourd puis qu’il a participé à
l’assassinat de trois responsables du Hezbollah, Ghaleb Awad,
dans la banlieue sud de Beyrouth, en 2004, et les frères
Majzoub, à Saida, en 2006. Toujours au niveau chiite, un
garagiste de Nabatiyeh, ville chiite du Sud Liban, Marwan Fakir,
un concessionnaire automobile du Hezbollah, aurait utilisé ses
talent pour installer des dispositifs de localisation sur des
voitures du parti. Un quatrième chiite, Nasser Nader, est
suspecté d’avoir organisé la surveillance du quartier de Dahieh,
le bastion du Hezbollah dans la banlieue sud de Beyrouth,
dévasté par des bombardements israélien d’une grande précision
en 2006.
La
découverte de ce réseau serait le fruit d’un événement fortuit:
un puissant logiciel confié par les Occidentaux à la sécurité
libanaise pour détecter les anomalies des communications
cellulaires dans l’enquête sur l’assassinat de Rafic Hariri, un
logiciel capable d’analyser des dizaines de milliers d’appels
téléphoniques et d’en déceler les anomalies. Comme, par exemple,
des téléphones portables qui ne s’activent qu’à certains
moments. Ou qui ne communiquent qu’avec un ou deux numéros. Le
responsable de ce programme, un brillant officier spécialiste
des systèmes informatiques, le capitaine Wissam Eid, devenu sans
doute encombrant par ses découvertes, a été pulvérisé, le 25
janvier 2008, par un attentat à la voiture piégée.
Plus
grave, un des fournisseurs d’accès internet au Liban était
alimenté par une société israélienne, la branche régionale de la
société anglo italienne Tiscali, via son relais de Chypre, relié
par une antenne pirate sur le Mont Barouk au Liban, une antenne
pirate greffée sur l’antenne de la chaîne de télévision MTV,
propriété de Gabriel Murr, frère du ministre de la défense Elias
el Murr. Pis encore, une des antennes placées au sud Liban, dans
la bourgade de Safarieh, proche de Saida, était dirigée vers la
zone frontalière libano israélienne, zone de déploiement de la
Finul, avec un réseau disposant d’une capacité de captation de
la totalité de la messagerie électronique des «Casques bleus» de
l’ONU.
Toutes les
communautés libanaises sont représentées: chrétiens, sunnites,
chiites, originaires du Sud Liban, de la Bekaa ou de Beyrouth.
Toutes ont fourni des agents, soit pour glaner des informations,
soit pour préparer des dossiers d’objectif ou organiser la
filature des dirigeants du Hezbollah. Certains travaillaient
pour Israël depuis les années 1980, recrutés pour des motifs
variés: financiers, idéologiques ou psychologiques, voire même
pour des cas de chantages sexuels ou d’addiction à la drogue.
Une quarantaine de suspects ont été placés en détention, une
trentaine d’autres sont toujours recherchés par les autorités
libanaises. Certains ont réussi à fuir, prenant l’avion vers une
destination inconnue, d’autres ont franchi la frontière entre
les deux pays, toujours techniquement en guerre depuis 1949.
Ce bilan ne tient pas compte des avatars tel celui de l’agent franco
afghan Karim Pakzad, représentant du Parti socialiste français à
l’Internationale socialiste, arrêté le 26 avril 2007 par le
Hezbollah, dans la banlieue Sud de Beyrouth, alors qu’il prenait
des photos du bunker d’Hassan Nasrallah, porteur d’un appareil
d’interception des communications téléphoniques, ni de la
mystérieuse évaporation d’une non moins mystérieuse
néerlandaise, Inneke Botter, ancien cadre supérieur de la
succursale hollandaise de la firme française Orange, partenaire
de la société libanaise, proche de la Mafia israélienne opérant
en Europe centrale notamment en Géorgie et en Ukraine, démasquée
par les services de renseignements russes.
Suivra
2ème volet
du papier le 12 Août
II • Le Tribunal spécial sur le Liban, une parodie de justice,
un vaudeville tragique
Le Liban, banc d’essai de la théorie de la désorientation
informative et de la dissension sociale.
Références
1- Harold Adrian Russel Philby, plus connu
sous le nom de Kim Philby (1er janvier 1912 – 11 mai 1988), fut
un agent double britannique, membre des services secrets
britanniques, le MI6, et espion à la solde du KGB au profit
duquel il trahissait le premier. Fils d’un homme de génie, St.
John Philby (1885-1960) orientaliste de tout premier ordre,
grand rival du colonel T. E. Lawrence, avant de devenir
«l’inventeur» d’Ibn Séoud, le fondateur de l’Arabie saoudite,
puis son éminence grise. La personnalité hors du commun du père
a certainement profondément joué dans les choix de son fils Kim.
Issu de la Gentry, il entre en 1929 au Trinity College de
Cambridge, il y étudie l’économie et l’histoire. Il y rencontre
ses futurs collègues dans l’espionnage, le Groupe de Cambridge
ou Magnificent Five (Donald Maclean, Guy Burgess, Anthony Blunt
et John Cairncross) qui deviendront complices de sa trahison. En
1940, il intègre le MI6, le service de renseignement
britannique, plus connu sous le nom d’Intelligence Service. En
1944, il est affecté à la tête de la toute nouvelle section IX,
chargée de lutter contre le communisme: il transmet des
informations confidentielles aux Soviétiques qui permettent
d’écraser une insurrection anti-communiste en Albanie. Les
Américains les soupçonnent d’avoir transmis aux Soviétiques des
informations confidentielles sur le programme nucléaire
militaire et de leur avoir dénoncé les opérations de
déstabilisation de l’Albanie, menées par la CIA et le MI6 entre
1949 et 1951. Définitivement exclu du MI6, Philby s’installe à
Beyrouth comme correspondant de l’Observer puis de The Economist.
Il y couvre la crise de Suez en octobre novembre 1956. En
janvier 1963, il passe définitivement en Union soviétique,
probablement avec l’accord tacite du gouvernement britannique.
2 -Taymour Bakhtiar: né en 1914 à Isfahan,
fondateur de la SAVAK, la redoutable police secrète du Chah
D’Iran. Commandant de la brigade blindée de Kermânchâh, il
soutient, en 1953, le général Zahedi dans con coup de force
contre le premier ministre nationaliste Mohamad Mossadegh,
artisan de la nationalisation du pétrole iranien. En 1961,
destitué de sa fonction, il s’installe dans un premier temps au
Liban qu’il quittera ensuite pour l’Irak et s’allie à Saddam
Hussein contre le Chah. Il est assassiné en 1970 lors d’une
partie de chasse par des agents envoyés par la SAVAK.
3– Un robuste contentieux oppose les
propriétaires de l’Hôtel Saint Georges à SOLIDERE, la société
immobilière de Rafic Hariri. De tout temps l’Hôtel Saint-Georges
a eu des facilités balnéaires qui ont fait son cachet. Ce à quoi
s’oppose SOLIDERE qui se veut l’exploitant unique de la Baie
Saint Georges que surplombe l’Hôtel. Ce contentieux paralyse le
projet de rénovation de l’Etablissement. Depuis dix ans Rafic
Hariri alternait mesures coercitives et offre de rachat, dans la
pure tradition des pratiques italiennes illustrées par le film
«Main basse sur la ville». Le journal «al Akhbar» évoque dans
son édition du 12 Août 2010 « le récit de la mainmise de
SOLIDERE sur le souk des bijoutiers» de Beyrouth. «SOLIDERE loue
aux bijoutiers des biens fonciers qu’elle leur a vendus 12 ans
auparavant. Les ayants droits portent plainte en justice. Qui va
arrêter Solidere ?».
4- Le décompte des 18 coups d’état dans le
monde arabe s’établit comme suit: Huit pour la seule Syrie:
Hosni Zaim, Sami Hennaoui et Adib Chichakli en 1949, Faysal Al-Attassi,
février 1954, Colonel Nahlaoui auteur du coup d’état qui a
entraîné la rupture syro égyptienne le 28 septembre 1961, Ziad
Harari 8 mars 1963 qui inaugure la série des coups d’état
baasistes présentés comme des corrections de trajectoire avec
Salah Jedid, 23 février 1966 et Hafez Al-Assad, 15 novembre
1970. En deuxième position dans l’ordre putschiste, l’Irak avec
quatre coups de force notamment celui de Abdel Karim Kassem
contre le trône hachémite (14 juillet 1958), lui même sera
renversé par le général Abdel Salam Aref en 1961 avant que son
Abdel Rahman Aref frère ne lui succède à la suite de son décès
accidentel et que celui-ci ne soit évincé à son tour par les
baasistes, le tandem Ahmad Hassan Al-Bakr-Saddam Hussein en
1968. L’Egypte avec Farouk, en 1952, L’Imam Badr au Yémen, en
1961, le Liban avec le coup d’état avorté de la Saint Sylvestre
1961 mené par le parti populaire syrien, le Roi Idriss Senoussi
en Libye en 1969, le Sultan Qabous d’Oman qui a évincé son père
en 1971, de même que le cheikh Zayed d’Abou Dhabi qui a évincé
son frère le cheikh Chakhbout ainsi que la Tunisie avec le coup
d‘état médical du général Ben Ali contre le président Bourguiba,
en 1987, ainsi que l’Emir de Qatar qui a détrôné son père en
juin 1995 ferment la liste des Etats putschistes. En
comparaison, l’Afrique aura connu de 1960 à 1990, les trente
premières années de son indépendance, 79 coups de force au cours
desquels 82 dirigeants ont été tués ou renversés, selon le
recensement établi par Antoine Glaser et Stephen Smith dans leur
ouvrage «Comment la France a perdu l’Afrique» Ed. Calmann-Lévy
2005.
5- Cf. «L’Orchestre noir» de Frédéric
Laurent, Editions Stock 1978 – note de bas de page (page 299)
qui fait état d’une réunion régionale de la WACL sous le titre
MESC (Middle East Solidarity Conference), en 1975, à Beyrouth
sous la présidence de Camille Chamoun, qui sera aux premiers
mois de la guerre civile, ministre de l’Intérieur.
6- «La Liste des agents israéliens» Cf. le journal libanais as
Safir 28 juillet 2009 «Noir parcours de 22 agents israéliens.
Nasrallah, cible prioritaire» par Hussein Yaacoub.
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Publié le 12 août 2010 avec l'aimable autorisation de René Naba.
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