Opinion
L'homme de l'année
2011
René
Naba
René Naba
Mardi 3 janvier
2012
L’homme de l’année 2011 :
L’Emir du Qatar, Hamad Ben Khalifa al
Thani, le nouvel Air and Field Marshall
du Monde arabe
Ce papier est publié
simultanément sur le site
www.renenaba.com et par la revue Golias
Omniprésent sur terre et sur air,
l’Emir de Qatar (1) est
incontestablement l’homme de l’année
2011, plus fort que Mohamad Bouazizi,
dont l’immolation a déclenché le
soulèvement salvateur du printemps
arabe, réussissant le tour de force de
retourner en sa faveur le cours de la
révolution arabe, de même que le slogan
qui y a présidé.
إذا الشعب يوما أراد الحياة
فلابد أن يستجيب القدر
En ceci
إذا الشعب يوما أراد الحياة
فلابد أن يستجيب ال(قطر)
«On the air» d’Al Jazira, l’autocrate
intronisera l’égyptien Youssef Al
Qaradawi en prédicateur électronique de
la mouvance islamiste panarabe et
maintiendra en couveuse, en réserve de
la République, le tunisien Rached
Ghannouchi, les deux flotteurs des
Frères musulmans en exil, qu’il fera
réhabiliter par les chancelleries
occidentales, en les plaçant en orbite
dans la foulée du renversement du
président Hosni Moubarak (Egypte) et de
Zine El Abidine Ben Ali (Tunisie).
A coups de pétrodollars et
d’esbroufe, amplifiée par la force
cathodique d’Al Jazira, à l’époque à
l’apogée de sa crédibilité, il
cautionnera une intervention occidentale
en Libye, réintroduisant le loup dans la
bergerie, en la personne d’Abdel Hakim
Belhadj, l’ancien chef des brigades
islamiques de Libye et nouveau
gouverneur militaire de Tripoli.
En tandem avec le roman-enquêteur
français Bernard Henri Lévy, qui lui
dispute la palme pour 2011 (2), les
duettistes se vivront alternativement,
successivement et cumulativement comme
le nouveau Rommel du désert de la
Cyrénaïque, le général Leclerc de
l’oasis de Coufra et le Général
Montgomery de la Tripolitaine, vivant
quotidiennement les épopées conjuguées
de la première armée d’Afrique et du
corps expéditionnaire allié en Afrique
du Nord.
Depuis la mise à mort publique du
Colonel Kadhafi, en octobre 2011, l’Emir
du Qatar
dont l’armée compte cinq mille soldats
et autant de mercenaires, commande une
coalition de treize pays comprenant
trois puissances atomiques alignant
plusieurs centaines d’ogives nucléaires,
nouveau tour de force qui le propulse au
titre très envié de commandant en chef
d’une mythique Africa Korps atlantiste….
Avec les encouragements et les
acclamations d’une cohorte de
commentateurs politiques, dont le plus
en vue n’est autre que l’universitaire
franco-tunisien, l’Islamologue
toulousain Mathieu Guidère, nouveau venu
sur la scène médiatique, de son vrai nom
Moaz Kouider, par ailleurs, précepteur
du propre fils du souverain à l’Ecole
Saint Cyr, l’académie française chargée
de former les officiers de commandement.
En 1990, le Monde arabe avait offert
au Monde un Field Marshall en la
personne de Khaled Ben Sultan,
l’interface saoudien du général Arnold
Schwarzkopf, le maitre d’œuvre de la
tempête du désert contre l’Irak. Bel
exploit d’un pays qui bat tous les
records en matière de dépenses
d’armement sans jamais livrer de guerre
directe.
Le propre fils du ministre saoudien se
distinguera, non sur le champ de
bataille, mais sur le terrain de
l’intendance, prélevant une respectable
commission de l’ordre de trois milliards
de dollars sur les transactions visant
le ravitaillement des 500.000 soldats du
corps expéditionnaire occidental venus
protéger le pétrole saoudien des
convoitises irakiennes.
Bel exploit du plus haut gradé arabe
d’une coalition internationale qui
demeurera dans les annales de la
taxation d’office, dont les prélèvements
effrénés lui ont permis de s’emparer du
journal trans arabe «Al-Hayat», le porte
voix de la servitude volontaire arabe à
l‘ordre israélo-américain.
Trente ans après, c’est autour d’une
autre pétromonarchie d’offrir au monde
un nouveau Field Marshall. Bel exploit
d’une principauté, le Qatar, dont le
quart du territoire abrite la plus
importante base américaine hors Otan,
celle du commandement central, le
maillon intermédiaire qui assure la
jonction entre l’Otan (Atlantique Nord)
et l’OTASE (Asie du Sud Ouest).
Parricide, le 2eme Field Marshall
pétro monarchique s’emparera du pouvoir
à Doha, à la faveur d’un coup de force
des paras commandos jordaniens, en 1995,
accourus au Qatar pour restaurer les
intérêts pétroliers lésés des compagnies
britanniques. Brutus n’est pas le
monopole de Rome, il en pousse à l’ombre
des derricks.
Prédateur à l’instar de son
prédécesseur, sa réconciliation avec le
principal opposant à la dynastie, Nasser
al Misnad, exilé au Koweït depuis 1950,
sera scellée, périnéalement, par les
épousailles de l’Emir avec la propre
fille de son ancien ennemi, Mozza, la
ci-devant princess (Banana).
Béquille financière de la France,
caution arabe du plus pro israélien des
dirigeants français, son plus bel
exploit demeure toutefois d’avoir
retourné en sa faveur le slogan
révolutionnaire lancé à l’aube du
printemps arabe dont la pleine saveur se
retrouve dans sa formulation en arabe:
إذا الشعب يوما أراد الحياة
فلابد أن يستجيب القدر
إذا الشعب يوما أراد الحياة
فلا ، كلا، أبدا أن يستجيب القطر
Si le peuple veut la vie
Il importe au destin d’y faire droit
Si le peuple veut la vie
Il importe au Qatar d’y faire droit
Non, jamais, au grand jamais que le
Qatar y fasse droit.
Un otage de
l’Amérique
Le plus zélé disciple des Etats-Unis
dans la mise à l’index des Républiques
arabes, la Libye puis la Syrie, se tient
bien car bien tenu. Le 12 novembre 2002,
alors que les Etats-Unis mobilisaient
l’opinion internationale pour l’invasion
de l’Irak et cherchaient une base de
repli à leur QG saoudien, un média
saoudien laisse opportunément filtrer ce
jour là, sur son site Internet «Arabic
news.com», une information apparemment
puisée aux meilleurs sources américaines
et saoudiennes annonçant «une tentative
de coup d’état» contre l’Emir de Qatar,
Cheikh Hamad Ben Issa al-Khalifa,
«déjouée par les Etats-Unis».
L’information laconique ne
mentionnait ni les auteurs de la
tentative, ni la date à laquelle elle a
été déjouée. Fomentée par qui? Déjouée
comment? Tentative fomentée et en même
temps déjouée par le même opérateur?
Coup d’état par simulation virtuelle?
Quiconque connaît le fonctionnement
de la presse saoudienne,
particulièrement la censure en temps de
guerre, pareille information bienvenue
pour la diplomatie américaine et
saoudienne n’aurait jamais pu filtrer
sans l’assentiment des autorités de
tutelle tant saoudiennes qu’américaines.
Le message sera entendu par le Qatar qui
dans un geste de bonne volonté signera
le lendemain un accord de coopération
avec le Paraguay, une prestation de
service qui serait en fait une opération
de couverture pour les services
américains en Amérique latine.
La pression est de nouveau mise lors
de la phase finale de l’offensive
américaine en Irak: le 8 avril 2003,
jour de la chute de Bagdad,
l’hebdomadaire américain «Newsweek»
annonce à grands renforts de publicité
une information sans véritable lien avec
la conduite de la guerre: le lancement
d’une enquête pour corruption contre le
le premier ministre et ministre des
Affaires étrangères du Qatar, Hamad Ben
Jassem Ben Jaber qui aurait été impliqué
dans le courtage d’une affaire
d’assurances et le blanchissement
subséquent de cent cinquante millions de
dollars sur un compte dans les Iles
Jersey (Royaume Uni).
Curieuse information qui apparaît
rétrospectivement comme un contre feux
alors que le bureau d’Al-Jazira dans la
capitale irakienne était de nouveau la
cible de dommages collatéraux de la part
de l’artillerie américaine et que des
informations persistantes faisaient état
de l’implication de la firme Halliburton
dont Dick Cheney en était le patron
avant sa nomination au poste de vice
président américain, tant dans des
versements de pots de vin au Nigeria et
que dans la surfacturation de
prestations pétrolières en Irak.
L’affaire tournera court mais le
message sera entendu. Le dirigeant
qatariote sera blanchi, et dans la
foulée l’Emir de Qatar annonce
l’éviction pour des liens présumés avec
le régime de Saddam Hussein du Directeur
Général d’«Al-Jazira», celui là même qui
avait été félicitée par l’ambassadrice
américaine lors du repas du Ramadan,
alors que son correspondant à Kaboul et
Bagdad, Tayssir Allouni, était traduit
en justice en Espagne pour ses présumés
liens avec «Al-Qaîda».
La
mégalocéphalyte et le syndrome de la
courbe de gausse
Le nouveau «Air and Field Marshall»
devrait toutefois méditer les
enseignements des fables de Jean de La
Fontaine particulièrement «la grenouille
qui veut se faire aussi grosse que le
bœuf». Gageons que ceux qui le
lâcheront, ce jour là, seront ses plus
intimes amis, à l’instar du Chah d’Iran
par les Etats-Unis et de l’irakien
Saddam Hussein par la France, l’Iran et
l’Irak, les deux grands voisins du
Qatar, atteints de mégalocéphalyte et
projetés inexorablement dans la Courbe
de Gausse, cette fameuse courbe qui
démarre du point zéro vers un sommet
situé au niveau d’un axe central
vertical et qui redescend parallèlement
vers le point zéro.
Références
1- Cf à ce propos «le
Qatar, la béquille financière de la
France, la caution arabe du plus pro
israélien des dirigeants français» in «
Erhal, dégage, la France face aux
rebelles arabes (René Naba Editions
Golias automne 2011.
2-Bernard Henry Lévy,
qui a disputé à l’Emir de Qatar, le
titre nobiliaire de l’Homme de l’année
2011, fera l’objet d’un hommage à part,
en mars 2012, à l’occasion du premier
anniversaire de l’intervention
occidentale en Libye dans un papier de
reneba.com intitulé
«BHL: Homme de son temps ou homme de
l’Otan».
© René Naba
Reçu de René Naba pour publication
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