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Blog de
René Naba
Libye: La Révolution comme alibi
René Naba
Libye été 08 - AFP: Getty Images
Paris, 2 septembre 2008
Hannibal Kadhafi, fils cadet du dirigeant libyen Mouammar
Kadhafi, a égayé les vacanciers européens, l’été 2008, en
défrayant une nouvelle fois la chronique de ses frasques, allant
jusqu’à provoquer une crise diplomatique entre la Suisse et la
Libye, alors que son père faisait l’objet fin Août d’une
citation à comparaître devant la justice libanaise pour sa
complicité dans la disparition de l’Imam Moussa Sadr, chef
spirituel de la communauté chiite libanaise, disparu en Libye le
30 Août alors qu’il effectuait une visite officielle en Libye
sur invitation du «Guide de la Révolution».
Hannibal, dernier des quatre descendants mâles de la famille
Kadhafi, qui porte un nom pourtant si prestigieusement associé à
l’épopée de Carthage, s’est une nouvelle fois distingué par ses
abus de comportement et ses excès de langage, se révélant comme
la pâle copie d’une marionnette d’un vaudeville de répétition.
Fougueux, habitué des gazettes des faits divers, il avait
confondu en 2004, au terme d’une nuit chargée de bruits et de
fureurs, l’avenue des Champs Elysées avec un circuit automobile
de Formule 1, démarrant en trombe à 140 heures km à l’heure.
Récidiviste en 2005, il avait roué de coup sa compagne libanaise
d’alors, à l’époque enceinte. En 2006, son nom a été mentionné
dans un réseau de prostitution de luxe opérant à Cannes, (sud de
la France). En 2008, il avait également roué de coup des membres
de son entourage suscitant son interpellation par la police
suisse et une crise diplomatique subséquente entre la Suisse et
la Libye.
A chacun de ses dérapages, il s’abrite derrière l’immunité
diplomatique que lui confère son statut de «fils à papa» pour se
doter d’une impunité, usant et abusant de sa position en une
pathétique dérive caricaturale du pouvoir libyen qui se
revendique comme une populocratie (gouvernement des masses) mais
qui se révèle comme une des plus grandes supercheries politique
de l’histoire arabe contemporaine
Pour rappel, voici le profil des sept autres enfants Kadhafi
à la personnalité singulièrement contrastée, avec une
particularité propre à la famille Kadhafi: les deux enfants du
Colonel, le sportif Sa’adi et Moutassem Bilal, servant dans
l’armée libyenne, ont tous les deux le grade de colonel, le
grade de leur papa ; un grade indépassable par un curieux
phénomène d’atavisme.
1- L’aîné Mohamad: Fils d’un premier
mariage, est l’artisan de l’implantation en Libye d’Alcatel via
la holding privatisée qu’il préside Libyana Mobile Phone.
Ingénieur discret, il préside l’Association Méditerranéenne des
Echecs.
2- Seïf al-Islam: «Le Sabre de l’Islam »,
est le premier enfant du colonel kadhafi avec sa deuxième femme
Safia. Chef d’une fratrie de sept membres, il est à ce à ce
titre prétendant au trône de cette République dynastique.
Architecte-peintre, playboy dilettante à ces temps perdus, il
est le parangon de la modernisation de la Libye. Seif Al-Islam
est surtout connu pour son rôle dans la libération des
infirmières bulgares, en 2006, et l’indemnisation des familles
des victimes de l’attentat de Lockerbie et du DC-10 d’Utah
abattu par des Libyens en 1988. Il préside la Fondation Khadafi,
organisation non gouvernementale, qui fait fonction de courroie
de transmission de la diplomatie parallèle en Libye. Pour les
besoins de l’arrimage de la Libye à la Mondialisation, les
journaux occidentaux adossés aux conglomérats de l’armement et
des travaux publics ont limé la partie contondante et abrasive
de son prénom pour le désigner plus sombrement du prénom de
Seïf, amputant la partie essentielle de son prénom, celle qui
constituait au regard de son père la phase conquérante et
révolutionnaire de son programme que ce prénom induisait.
3- Sa’adi: Le footballeur fantaisiste, a
connu la notoriété internationale pour avoir provoqué une
fusillade mortelle dans un stade de foot à Tripoli. Membre de
l’équipe de Pérouse (Italie), sa carrière internationale passe
pour avoir été l’une des plus courtes de l’histoire
footballistique mondiale. Jamais sélectionné dans ce club qu’il
s’est fait pourtant offrir par son père, il sera condamné en
2003 pour dopage. Actionnaire du club italien de football de «la
Juventus », il dirige aujourd'hui une unité d'élite de l’armée
où il a fait carrière.
4- Moutassem Bilal: Colonel de l’armée
libyenne, il préside depuis 2007 le Conseil national de
sécurité. Il accompagne son père dans tous ses déplacements,
avec pour mission d’épauler son aîné Seïf al-Islam et sa mise
sur orbite présidentielle. Il passe pour être le fils fiable du
guide suprême de la Révolution libyenne, dont il contrôle pour
son compte les réseaux d’influence et les groupes de pression en
Libye. Il est l’un des artisans du récent apaisement entre
l’Egypte et la libye.
5eme-Aïcha, présidente de la fondation caritative «Waatassimou
», par référence aux premiers termes d’un verset du Coran qui
stipule «cramponez-vous à la croyance en Dieu et vous dispersez
pas», cette juriste flamboyante a participé au comité de soutien
de la défense de l’ancien président irakien Saddam Hussein.
Diplômée de l’Université Paris VII, auteur d’une thèse sur le
tiers monde, la benjamine de la famille ambitionne un rôle de
premier plan dans son pays jouant la carte de la féminité et de
modernité. Portant lunettes noires et jeans, cette fausse blonde
décolorée est présentée par la presse internationale au gré des
rumeurs de son comportement tantôt comme la «Claudia Schiffer de
la Libye», tantôt comme la lofteuse «Loana» de la téléréalité
française, sans qu’il soit possible de savoir si cette
extravagance constitue un atout ou un handicap dans une société
majoritairement d’extraction bédouine.
Outre Hannibal, les deux derniers de la fratrie Kadhafi sont:
Seîf al Arab, «Le sabre des Arabes», et Khamis Kadhafi. Le 8eme
enfant, Aïcha, la file adoptive du colonel, a été tuée lors du
raid américain contre Tripoli, en avril 1986
Fraîchement dégagé de l’embargo qui l’étranglait, le pouvoir
libyen s’est empressé une nouvelle fois de se vautrer dans ses
habitudes si abusivement corrosives tant pour la Libye que pour
l’image de l’Arabe dans l’opinion internationale. A l’image des
princes du pétrole qu’il dénigre mais dont il est l’égal. Un tel
comportement s’apparente à une imposture doublée d’une calamité,
tant ce révolutionnaire de pacotille ne témoigne la moindre
considération pour l’austérité endurée par le peuple libyen du
fait de la politique erratique de son père, les souffrances du
peuple palestinien, les privations des peuples libanais et
irakiens, la précarité du monde arabe et sa vassalisation à
l’ordre israélo-américain
Mouammar al-Khadafi, guide de la Révolution, avait pourtant
assuré dernièrement qu’il avait commis des erreurs et qu’il
avait changé. Ce n’est assurément pas le cas, ou alors la
rémission aura été de courte durée. Avec en prime, l’absence de
tout remords: pas un mot de regret pour tous ses forfaits
antérieurs au point que la justice libanaise vient de lui
administrer une douloureuse piqûre de rappel par une citation à
comparaître, pour lui rafraîchir la mémoire dans son implication
dans la disparition du dignitaire religieux libanais.
Ci joint des extraits de l’ouvrage «La Libye, la
révolution comme alibi», René Naba - Editions du Cygne-, paru le
1er septembre 2008 qui brosse une rétrospective de 40 ans de
pouvoir du doyen des chefs d’état arabes et sans doute l’un des
plus erratiques.
Kadhafi: J’ai changé, mais je n’ai pas changé
Mouammar al-Kadhafi, le doyen des chefs d’Etat arabes, est,
paradoxalement, l’un des moins âgés des dirigeants arabes.
Parvenu très jeune au pouvoir, en 1969, à l‘âge de 26 ans, à la
faveur d’un coup d’Etat, il s’y maintient depuis 40 ans, univers
indépassable de trois générations de Libyens, au point que dans
les recoins du pays beaucoup s’imaginent que la Jamahirya
-littéralement la populocratie (le gouvernement des masses)-,
est sa propriété et non la propriété du peuple, tel qu’il l’a
décrétée il y a vingt cinq ans.
Plus fort que les wahhabites, Kadhafi. Unique pays arabe
portant le nom de son fondateur, l’Arabie saoudite, propriété de
fait de la Famille al-Saoud, a tout de même vu se succéder
depuis 1969 quatre monarques: Faysal, Khaled, Fahd et Abdallah.
En Libye, Kadhafi se succède a lui-même.
Dirigeant nationaliste arabe, en 1969, il sera au gré des
appellations journalistiques de la presse occidentale en manque
de sensation mais non d’imagination, un chef de file du
«trotskysme musulman», un «révolutionnaire tiers-mondiste», un
«sage africain» pour finir sa mutation en chantre du pan
capitalisme financier proaméricain. Mais par ses faits et ses
méfaits, il aura été le meilleur allié objectif des Etats Unis
et d’Israël, contribuant activement à la liquidation physique de
ses alliés potentiels, les chefs de file du combat
anti-américain et anti-israélien. Nul depuis n’a réussi à égaler
sa performance.
L’accession du Colonel Kadhafi au pouvoir en Libye, le 1er
septembre 1969, est contemporaine de mon admission au bureau
régional de l’AFP à Beyrouth. Depuis cette date, sur place sur
le terrain, ou à distance, au gré de mes affectations et de mes
missions, je n’ai cessé d’observer ses évolutions et
circonvolutions par nécessité professionnelle en quelque sorte.
Adoubé par Nasser, le plus populaire des dirigeants arabes de
l’époque, qui voyait en lui son héritier, le fougueux colonel
faisait chavirer le coeur des foules par son allure fringante et
ses coups d’éclat: Nationalisations de l’industrie pétrolière,
nationalisation de la gigantesque base américaine de Wheelus
Airfield, rebaptisée «Okbah Ben Nafeh» du nom du grand
conquérant arabe….Tripoli était surpeuplée d’hôtes nombreux qui
logeaient à bord de bateaux ferries pour fêter l’évènement. Pas
un mois sans qu’un festival, un colloque, une conférence des
Indiens d’Amérique, une manifestation des musulmans de l’Île
philippine de Mindanao ne donne lieu à des réjouissances.
Beyrouth et Alger servaient de plateforme opérationnelle aux
mouvements de libération du tiers-monde et Tripoli tenait de la
kermesse permanente.
L’Euphorie aura duré trois ans. Jusqu’en 1972. A partir de
cette date, chaque année apportera son lot de désolation,
détournement d’un avion de ligne anglais pour livrer au Soudan
des dirigeants communistes aussitôt décapités à Khartoum,
évaporation sans raison du chef du mouvement chiite libanais
Moussa Sadr, soutien résolu au Président soudanais Gaafar
al-Nimeiry, pourtant un des artisans du transfert vers Israël de
plusieurs milliers de juifs éthiopiens «Falashas».
Un phénomène d’hystérésis se produisit alors. Mais Kadhafi,
et son entourage l’en persuadait, s’imaginait encore en phase
avec son auditoire. En saltimbanque, le dirigeant libyen se
livrait périodiquement à des exercices d’équilibrisme devant un
public de plus en plus sceptique, à la réceptivité tarifée. Nul
dans son entourage n’a osé en effet lui souffler que le chantre
de l’Unité Africaine ne pouvait être crédible en ordonnant
l’expulsion de près d’un million d’Africains, que le chantre de
l’Unité Arabe ne pouvait être audible après sa décapitation des
chefs de file du camp anti-impérialiste. Peu de ses pairs
voleront à son secours lorsqu’il sera confiné de longues années
dans sa libye. Peu lui témoignent de la sympathie, tant ses
foucades ont fini par exaspérer même le mieux disposé à son
égard.
De par mes fonctions à l’Agence France Presse, en charge du
Monde arabo-musulman au service diplomatique pendant dix ans
(1980-1990), j’ai dû effectuer une vingtaine de voyages en Libye
durant cette période pour de reportages de longue durée tant au
moment du raid américain contre Tripoli et Benghazi que lors de
la bataille pour la reconquête de la bande d’Aouzou à la
frontière tchado-libyenne ou encore lors de la destruction de
l’aviation libyenne lors des batailles de Wadi Doum et Maaten
as-sara, assistant même à un singulier réveillon de Noël
(décembre 1986). Organisé par le «Guide de la Révolution» à
l’intention des enfants de la communauté occidentale de Libye,
en signe d’œcuménisme, ce réveillon a tourné au cauchemar pour
ses jeunes bambins confinés dans une grande sale des heures
durant dans l’attente de l’apparition du dirigeant libyen avec
des gâteaux et des jouets directement transportés d’Italie par
avion.
«La Libye, la révolution comme alibi» est le récit
des choses vues au fil des ans dans ce pays déconnecté.
Compilation d’articles s’étendant sur 25 ans, ce livre aurait pu
s’intituler «La Libye, l’alibi comme révolution», tant
les officiels libyens sont passés maîtres dans l’art de triturer
la réalité, de torturer la vérité dans l’unique but de
s’exonérer de tout ce gâchis.
L’homme qui déclare avoir changé n’a en fait jamais changé,
toujours fidèle lui-même, comme tend à le démontrer sa dernière
frasque au sommet arabe de Damas, le 29 mars 2008. Contre toute
évidence, Kadhafi qui venait juste de passer sous les fourches
caudines de l’administration américaine, a fustigé ses pairs
arabes, dénonçant leur couardise lors de l’invasion américaine
de l’Irak. «L’Amérique va s’en prendre à vous l’un après
l’autre, chacun à son tour», lança-t-il aux dirigeants arabes
médusés par tant d’inconsistance devant un discours qui gomme
les propres responsabilités de Kadhafi dans l’affaiblissement du
camp arabe.
Justifiant son virage et ses multiples reniements, Kadhafi a
confessé dernièrement, en guise d’excuse absolutoire, qu’il
s’était trompé durant la première tranche de son règne. Il se
murmure à Tripoli, Benghazi, Sebha et Syrte qu’un cauchemar
hante les Libyens, celui de se réveiller un jour avec un Kadhafi
leur confessant à nouveau qu’il s’est une nouvelle fois trompé
les trente années suivantes de son règne.
Rendez vous au terme de son mandat pour un strict bilan de la
présidence Kadhafi dont ce livre vous en donne un avant goût.
Libye/Intermède …….Le temps du blocus
Avril 1992: six ans après le raid américain
contre Tripoli et Benghazi, la Libye était frappée d’embargo par
l’ONU à la demande des Etats-Unis qui avaient attendu la fin de
la 1ère guerre contre l’Irak (1990-1991) pour activer la
machinerie diplomatique internationale en vue de remettre la
pression sur le Colonel Mouammar El-Kadhafi, considéré alors
comme un chef de file révolutionnaire dans le tiers-monde et
commanditaire d’attentats de type terroriste.
Pendant sept ans (12 avril 1992 - 11 décembre 1999), la
Jamahirya vivra en autarcie économique et en réclusion
médiatique, comme zappée des écrans mondiaux. Le trublion ne
faisait plus recette, faute de ressources, faute de recette
miracle pour amuser la galerie. Hagard, livide, Kadhafi errait
de campement en campement dans son grand désert libyen,
subitement déserté par la cohorte des satrapes en manque de
sinécures.
La Libye n’était pas d’un abord facile. Elle est devenue d’un
accès difficile. Douze heures de route depuis Djerba en Tunisie,
même en limousine climatisée, même à travers une route
goudronnée, pouvaient rebuter le plus endurci des voyageurs:
Tripoli est l’une des villes les moins riantes du pourtour
méditerranéen et le discours libyen d’une indigence soporifique.
Et puis la Libye n’était pas l’Empire du milieu ni Kadhafi le
centre du Monde, dont le centre de gravité s’était déplacé
depuis le début de la décennie 1980 vers l’Asie occidentale, la
zone Afghanistan-Irak, l’autre point d’endiguement du camp
anti-occidental.
L’Irak, fort de son exploit d’avoir fixé la Révolution chiite
khoméiniste pendant dix ans (1979-1989) sur le champ de bataille
irako-iranien dans la plus longue guerre conventionnelle de
l’histoire moderne, convoitait le Koweït en guise de butin de
guerre pour renflouer sa trésorerie défaillante. Une «tempête du
désert» soufflée par l’Amérique pulvérisera et ses rêves et ses
projets, renvoyant l’Irak à un âge quasi-néolithique, en marge
de l’Histoire et Saddam Hussein, le Nabuchodonosor des temps
modernes, réduit au rang de simple mercenaire des
pétromonarchies du Golfe. Un constat d’autant plus amer que la
tempête chamboulant tout sur son passage rompait la logique des
blocs en cimentant dans une même alliance d’anciens adversaires
irréductibles (Nord-Sud, producteurs et consommateurs de
pétrole, Arabes et Israéliens), un bouleversement stratégique
préfigurant les alliances du XXI me siècle qui se reproduira
lors de l’invasion américaine de l’Irak, en 2003, qui se
reproduira une troisième fois en 2007-2008 contre l’Iran en
phase de nucléarisation.
L’Afghanistan, l’autre volet de la stratégie américaine,
avait lui aussi cloué au sol pendant dix ans (1980-1990) la
glorieuse «armée rouge», accélérant la décomposition de l’Empire
soviétique, mais les Talibans wahhabites, fruits de la
copulation américano-saoudienne, désormais en déshérence de
pouvoir procédaient au meurtre symbolique de leurs parrains
respectifs par une série d’actions d’éclats politique et
militaire contre le royaume saoudien et les Etats-Unis
d’Amérique.
Alors que l’ancien agent de liaison entre Américains et
combattants islamistes, Oussama Ben Laden, ancien ressortissant
saoudien, revendiquait la constitution d’une «République
islamique du Hedjaz» sur le périmètre des lieux saints de
l’Islam pour châtier la dynastie «impie» des Wahhabites pour sa
connivence avec l’Amérique lors de la guerre contre l’Irak, ses
poulains se livraient en 1995 à des attentats contre des
objectifs américains en Afrique (attentats contre les ambassades
américaines de Dar es-Salam (Tanzanie) et Nairobi (Kenya), ainsi
que contre le QG de la garde nationale saoudienne, en prélude au
grand exercice de pyrotechnie aérienne du 11 septembre 2001.
La Libye était aux abonnés absents, à dire vrai, le cadet des
soucis des Américains. En butte comme eux à l’opposition
islamiste, Kadhafi retrouvera les attraits d’autant plus
rapidement qu’il avait rendu de signalés services aux
occidentaux durant sa période faste, pourchassant les
communistes soudanais, décapitant le mouvement chiite libanais
Amal, apparaissant de surcroît comme un utile contrepoint à
l’Algérie et à la Russie, deux pays hors de la sphère
occidentale, fournisseurs exclusifs de gaz à l’Europe
continentale.
Le blocus de la Libye a duré sept ans (12 avril 1992-11
décembre 1999), le plus court blocus de l’histoire
contemporaine. En comparaison, Cuba résiste depuis cinquante ans
au blocus américain. Malgré toutes les privations, le régime
castriste continue de tenir tête à la première puissance
militaire de la planète pourtant située à quelques encablures de
l’Île. Fidel Castro assumera la transition du pouvoir après
s’être assuré de la relève révolutionnaire en Amérique latine,
Hugo Chavez au Venezuela et Evo Morales en Bolivie. Saddam
Hussein, pour sa part, aura résisté 13 ans à la pression
américaine et tombera dans la dignité, faisant de son supplice
un exemple de courage dans l’adversité, transcendant son passé
dictatorial au point de passer pour un «martyr» au regard d’une
large fraction de l’opinion arabe et musulmane.
Kadhafi, lui, sacrifiera deux de ses subordonnés en guise de
solde de tout compte aux attentats aériens qu’il est accusé
d’avoir commandité à Lockerbie (Ecosse) et au Ténéré (désert
africain). Il sacrifiera également dans la foulée son programme
nucléaire dévoilant du coup tout un pan de la coopération
atomique avec les pays arabes et musulmans pour la survie de son
régime.
Kadhafi est un rescapé politique sans être assuré pour autant
d’une pérennité historique. Un parfait exemple d’un naufrage
politique. Un parfait contre-exemple d’une éthique du
commandement.
En guise d’Epilogue; Kadhafi à Paris: Le pas de deux
entre un libyen erratique et un français compulsif.
Paris - Premier déplacement officiel en
Europe occidentale depuis un quart de siècle, la visite du
Mouammar al-Kadhafi en France, le 10 décembre 207, se voulait un
acte de réhabilitation solennelle du dirigeant libyen par la
communauté occidentale par suite de son ralliement à sa
stratégie tant en ce qui concerne son désarmement, que la lutte
contre le fondamentalisme islamique, l’immigration clandestine
africaine ou la politique énergétique mondiale.
Mais ce processus de respectabilisation semble s’être
retourné contre ses concepteurs tant les objectifs divergeaient
sur le sens et la portée de ce voyage, leur conception
respective de l’hospitalité, les pesanteurs du pays hôte, la
fulgurance de l’autre.
Tout pourtant avait été méticuleusement réglé pour que le
séjour français du dirigeant libyen soit vécu comme une
apothéose, la justification a posteriori de ses reniements
successifs et sa mise conformité avec les standards occidentaux.
Tout jusques y compris la date de la visite qui ne devait rien
au hasard.
En perfectionniste, le protocole français avait fait
coïncider la visite avec la date commémorative du 8 me
anniversaire de la levée des sanctions de l’Onu le 11 décembre
1999. Manque de chance ou de perspicacité? Cette date là
coïncidait aussi avec la célébration annuelle de la Journée
internationale des Droits de l’Homme. Un hasard de calendrier
malheureux qui donnera l’occasion à d’anciens commensaux de
Kadhafi de se démarquer à bon compte, en un pur exercice de
démagogie et d’opportunisme politique. Ce fut notamment le cas
de Rama Yade, une participante aux agapes de Juillet à Tripoli
avec le Colonel Kadhafi, qui n’hésitera pourtant pas à
s’indigner opportunément lors de la venue du dirigeant libyen à
Paris. Ainsi se forgent les légendes par le maniement d’une
indignation sélective.
Chef d’un Etat à la richesse convoitée, Kadhafi se vivait à
Paris de plain pied comme un négociant majeur de la scène
mondiale, non comme un marginal. Sa visite au château de
Versailles casqué en peau de lapin et botté n’avait pas d’autre
sens.
La où ses détracteurs, nombreux, décelaient des
excentricités, Kadhafi ancrait sinon son authenticité du moins
son originalité: Installer une tente dans l’enceinte du Palais
Marigny, la résidence officielle des hôtes de la France, pouvait
accentuer l’image caricaturale des Arabes, déjà passablement
dégradée dans un pays en pleine poussée xénophobe. Et beaucoup
se sont gaussés de ce Camp du Drap d’or, de ce camp du drap d’or
griffé Dior, qui a accentué dans l’opinion l’idée d’un Roi
d’opérette, ce qu’il peut être par moment, souvent,
passionnément même devant la cohorte de ses flagorneurs.
Le dîner a minima à l’Elysée d’où s’exonérèrent de
personnalités de premier plan, tel Bernard Kouchner, en charge
de la diplomatie et à ce titre un ancien commensal de Kadhafi en
juillet à Tripoli achèvera de convaincre le libyen que ce voyage
prenait l’apparence d’un attrape-nigaud.
Là où Sarkozy faisait miroiter centrales nucléaires, avions
de combat rafale invendables, le bédouin du désert libyen
comptabilisait les manquements à son égard. L’Espagne, deuxième
étape de la tournée européenne du dirigeant libyen, fera une
abondante moisson de onze milliards de dollars de contrats. La
France, un maigre kopeck.
La mauvaise alchimie entre un dirigeant libyen erratique et
un président français impulsif et compulsif a fait de ce voyage
la plus grosse plaisanterie planétaire de l’histoire
diplomatique récente.
Une mascarade, littéralement en arabe d’où l’expression tire
son origine, une «Maskhara», une risée universelle
A lire :
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Publié le 2 septembre 2008 avec l'aimable autorisation de René Naba
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