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Monde
Justice pénale
internationale: posture ou imposture ?
René Naba
Paris, le 1er avril 2009 Le président soudanais Omar al Bachir
a ravi la vedette à ses pairs arabes, en participant au sommet
arabe de Doha, fin mars, infligeant du même coup un camouflet
aux occidentaux, bravant ainsi tant Israël, qui a lancé en
janvier un raid d’intimidation meurtrier contre le Soudan, que
la justice internationale dont la sélectivité dans le choix de
ses justiciables fait craindre une instrumentalisation de cette
juridiction à des fins politiques au service des desseins du
camp occidental.
Sauf infléchissement ultérieur, un tel tri sélectif opéré en
Mars 2009 - Rafic Hariri/Liban (1er mars) et Omar al-Bachir
/Soudan (4 mars) - à l’exclusion de tout autre cas similaire,
pourrait dénaturer la posture morale dont elle ambitionnait de
se draper en une imposture, la négation même de la notion de
justice.
Le ciblage du monde arabo africain, à l’exclusion de toute
autre sphère géopolitique, à la notable exception de l’ex
Yougoslavie et du Cambodge, séquelles du bloc communiste (1),
paraît ressortir d’un projet visant à maintenir sous pression la
zone privilégiée d’expansion de la Chine et de la Russie, sur la
flanc méridional du camp occidental, en désignant à la vindicte
publique leurs traditionnels alliés régionaux, la Syrie, l’Iran
et le Soudan. Plaide en faveur de cette thèse, le choix
discriminatoire de traduire devant la justice internationale les
assassins de Rafic Hariri et pas ceux de Benazir Bhutto, l’un et
l’autre, pourtant, deux anciens premiers ministres musulmans
pro-occidentaux, éliminés à deux ans d’intervalles, le libanais
en 2005, la pakistanaise, en 2007….. de poursuivre le soudanais
Omar El Bachir et non le tchadien Idris Deby au bilan
sanguinairement comparable, voire même le libyen Mouammar
Kadhafi, suspecté de l’élimination du chef spirituel de la
communauté chiite libanaise l’Imam Moussa Sadr.
1- Le Darfour, un contre feu médiatique à
Gaza-Palestine
Plaide également en faveur de cet argument le fait de
privilégier le Darfour et non l’enclave palestinienne de Gaza,
un cas de figure en tout point transposable à la province
sécessionniste du sud Soudan. Le Darfour, il est vrai, fait
office de contre feu médiatique au prurit belligène d’Israël
contre le Liban et la Palestine. Une conférence sur le Darfour
avait d’ailleurs été convoquée, en hâte, en juillet 20O6, à
Paris, par l’écrivain Bernard Henry Lévy et Jacky Mamou, ancien
dirigeant de «Médecins sans frontières», trois jours après le
déclenchement de la guerre de destruction israélienne contre le
Liban dans une tentative de détournement de l’opinion publique
européenne sur les agissements israéliens à Beyrouth.
Contrairement à Gaza, sous blocus israélien depuis quatre ans,
le Darfour bénéficie de ce fait d’une sur médiatisation sans
rapport avec la réalité du drame humain qui s’y joue en raison
vraisemblablement de sa conformité avec la stratégie de
balkanisation de l’Afrique et du Moyen Orient et des liens de
proximité entre Israël et M. Abdel Wahed Nur, chef de la Sudan
Liberation Army (SLA), un proche de Bernard Kouchner, ministre
français des Affaires étrangères (2). Parangon du droit
d’ingérence humanitaire, le tandem Kouchner Lévy a toujours
prôné les interventions au Kurdistan, en Tchétchénie au Darfour,
mais jamais en Palestine, particulièrement à Gaza où aucune aide
gouvernementale française, humanitaire, médicale voire même
alimentaire, n’y a été dépêchée après sa destruction par Israël,
en janvier 2009, illustration caricaturale de
l’instrumentalisation du Droit et de la Justice au service des
visées hégémoniques du camp occidental.
Les chefs d’accusations retenus contre Omar Al Bachir,
premier président en exercice à être poursuivi par la justice
pénale internationale, sont d’ailleurs applicables point par
point aux dirigeants israéliens particulièrement les crimes de
guerre, le déplacement des populations, les assassinats
extrajudiciaires, ainsi que l’usage prohibé de mines
anti-personnels et d’armes chimiques, des bombes au phosphore
blanc, aux projectiles DIME (dense inert metal explosive). Les
témoignages des militaires israéliens de l’académie Itzhak Rabin
viennent en confirmation des accusations lancées sur ce sujet
par les organisations non gouvernementales et des observateurs
occidentaux sur place à Gaza (3). La «lutte contre le
terrorisme» n’autorise pas tous les abus. Elle n’autorise pas
non plus l’usage de procédés terroristes à l’égard de la
population civile, ni l’élimination des témoins gênants des
propres turpitudes de leurs auteurs, notamment les installations
de l’ONU, comme ce fut répétitivement le cas à Cana, au sud
Liban, en 2004, et à Gaza, en 2009.
2- La France, une suspicion légitime
La justice pénale internationale, dont l’avènement avait été
salué comme annonciateur d’une ère nouvelle est ainsi, d’emblée,
obérée par sa sélectivité et ses immunités, en un mot par sa
partialité. Les Etats-Unis, un des tortionnaires majeurs de
l’époque contemporaine, le maître d’œuvre des tortures de la
base américaine de Guantanamo (Cuba), de Bagram (Afghanistan) et
d’Abou Ghraib (Irak), de même qu’Israël, considéré par une
fraction importante de l’opinion publique mondiale comme «l’Etat
voyou N°1» de la scène internationale, n’ont pas souscrit au
traité fondateur de la Cour pénale internationale. Ils disposent
de ce fait d’un privilège de juridiction qui leur confère une
sorte d’immunité impériale les plaçant à l’abri des poursuites,
héritage de l’ancien «régime des capitulations» de l’empire
ottoman.
Il en est de même des autres pays du champ occidental,
notamment la France, qui compte à son actif l’élimination des
principaux opposants du tiers monde hostiles à son hégémonie,
Félix Mounier (Cameroun-1958), Mehdi Ben Barka (Maroc 1965), de
même que les chefs de file du mouvement indépendantiste Kanak
Jean Marie Tjibaou et Yéwéné Yéwéné, tous deux assassinés en
1989 en Nouvelle Calédonie sur un territoire dont la France a la
charge de sa sécurité, ou enfin le chef de l’opposition
tchadienne Ibn Omar Mahmat Saleh (2008), le «tchadien disparu
qui embarrasse la France», arrêté à la suite d’informations
émanant des services d’écoute de l’armée française (4). Une
«suspicion légitime» frappe d’ailleurs la France tant en ce qui
concerne le Darfour que le Liban, en raison de son rôle présumé
dans l’élimination de l’opposant tchadien et de son activisme à
«internationaliser» l’assassinat de Rafic Hariri, un crime
relevant en principe du droit pénal libanais, que le président
français de l’époque, Jacques Chirac, un obligé notoire de
l’ancien premier ministre libanais dont il est le pensionnaire
posthume, s’est appliqué à porter devant la justice pénale
internationale. La reconnaissance du ventre ne saurait donner
lieu à des excès, ni manipuler de faux témoins, tel Zouheir
Siddiq, pour accuser à tort de présumés coupables pour les
besoins de sa propre cause.
Rafic Hariri n’est pas l’unique «martyr» du Liban, qui compte
une quarantaine de personnalités de premier plan assassinée,
dont deux présidents de la République assassinés (Bachir Gemayel
et René Mouawad), trois anciens premiers ministres (Riad el-Solh,
Rachid Karamé et Hariri), un chef d’état major (le Général
François el-Hajj), le chef spirituel de la communauté chiite
l’Imam Moussa Sadr et le Mufti sunnite de la république Cheikh
Hassan Khaled, deux dirigeants du parti communiste libanais
Rizckallah Hélou et Georges Hawi, le chef du Parti socialiste
progressiste, le druze Kamal Joumblatt, les députés Maarouf
Saad, Tony Frangieh et Pierre Gemayel, l’ancien chef milicien
chrétien Elie Hobeika, ainsi que des journalistes Toufic Metni,
Kamel Mroueh, Riad Taha, Salim Laouzi, Samir Kassir et Gibrane
Tuéni.
Le tribunal spécial sur le Liban, institué par un accord
conclu entre le Liban et les Nations Unies, le 5 juin 2005,
confère des privilèges exorbitants à la commission d’enquête de
l’ONU en ce qu’elle permet à cette instance d’exercer une
tutelle de fait sur les autorités locales libanaises, en
l’habilitant à enquêter sur un fait qui ne constitue pas un
«crime international» juridiquement parlant (5). Mais le fait de
privilégier le cas du chef du clan saoudo américain au Moyen
orient, au détriment d’autres personnalités éminentes de la
scène internationale (Benazir Bhutto Pakistan 2007, Salvador
Allende Chili 1973, Patrice Lumumba Congo Kinshasa 1961), au
détriment des dizaines de personnalités libanaises , au
détriment des milliers des victimes civiles de la guerre
libanaise, au détriment des dizaines de dirigeants palestiniens
et des milliers de civils palestiniens tués par les Israéliens,
donne à penser que les ides de Mars ont voulu sonner le branle
bas des grandes manoeuvres diplomatiques américaines régionales
en vue d’insuffler une bouffée d’oxygène à la coalition
occidentale libanaise en mauvaise posture dans la compétition
électorale, à trois mois des élections législatives libanaises
prévues en juin 2009, en plaçant sur la défensive les principaux
contestataires de l’ordre hégémonique américain dans la zone, la
Syrie, via le procès Hariri, et l’Iran, via le dossier
nucléaire, de même que le Soudan au prétexte du Darfour.
Via l’Iran, le Soudan et l’Arabie saoudite, la Chine vise à
sécuriser son ravitaillement énergétique de l’ordre de dix
millions de barils/jour en 2010, en vue de soutenir sa
croissance et de réussir l’enjeu majeur de sa diplomatie
attractive, le développement sud sud. Mais la croissance
exponentielle de ses besoins pourrait exacerber la tension sur
les cours du brut et les marchés pétroliers fragilisant
davantage les économies occidentales déjà déstabilisées par
l’effondrement du système bancaire. Le commerce bilatéral Chine
Afrique a été multiplié par 50 entre 1980 et 2005, quintuplant
entre 2000 et 2006 (6). Avec 1.995 milliards de dollars de
réserve de change, une main d’œuvre bon marché exportable, une
absence de passif colonial, la Chine, qui a déjà supplanté la
France en Afrique, se pose en puissance mondiale. Premier
détenteur de bons de trésor américain, de l’ordre de 727
milliards de dollars, devant le Japon (626 milliards de
dollars), la Chine y a déjà adopté le ton, invitant, le 13 mars,
les Etats-Unis à «honorer ses engagements, à se comporter en une
nation en qui on peut avoir confiance et à garantir la sécurité
des liquidités chinoises », dans une admonestation jamais subie
par la puissance américaine (7). Dans cette perspective, des
stratèges occidentaux n’hésitent pas à prédire un affrontement
majeur entre la Chine et les Etats-Unis pour le leadership
mondial, à l’horizon de l’an 2030.
La saisine de la justice internationale, en mars 2009,
simultanément à propos du Liban et du Soudan, a coïncidé avec le
ralliement de la France à l’Otan, après un demi siècle de
bouderie, en vue de créer une structure de substitution au
Conseil de sécurité de l’Onu et de contourner les veto tant de
la Chine que de la Russie dans la gestion hégémonique des
affaires du monde, hors de tout multilatéralisme. Face à une
telle distorsion de comportement, la justice pénale
internationale est attendue au tournant. Le véritable test de sa
crédibilité résidera dans son traitement du dossier israélien.
Faute de s’autosaisir, en cas de classement sans suite, elle
apparaîtra alors comme une justice politique «aux ordres», un
outil de répression des récalcitrants à l’ordre occidental, un
habillage juridique de l’appareil répressif du militarisme
atlantiste.
Références :
1- Depuis la fin de la guerre froide
soviéto-américaine, en 1989, l’ONU a crée plusieurs tribunaux ad
hoc pour juger des crimes de guerre notamment dans l’ex
Yougoslavie (1993) au Rwanda (1994) et en Sierra Leone (2009),
ainsi que pour juger les Khmers Rouges du Cambodge, soit deux
tribunaux concernant l’Afrique, sans compter le Soudan, un
tribunal pour l’Asie et un tribunal pour l’Europe. La justice
internationale ne s’est saisie d’aucune plainte concernant les
pays de la sphère occidentale. Pour aller plus loin, Cf.
«L’essentiel de la justice pénale internationale» par Stéphanie
Maupas, Gualino Editeur (groupe Lextenso).
2- L’armée de libération du Soudan (SLA) de M.
Abdel Wahed Nur a installé un bureau de représentation à Tel
Aviv, le 25 février 2007. Cf. à ce propos «Le Monde selon K.» de
Pierre Péan Editions Fayard février 2009, particulièrement le
chapitre 8 «Urgence Darfour» dans lequel journaliste français
fait le récit de la connivence de Bernard Kouchner avec
l‘écrivain Bernard Henry et les manipulations de l’opinion
publique internationale sur cette affaire, de même que les
opérations de déstabilisation menées par les services américains
afin de provoquer une balkanisation du Soudan en vue de
pérenniser l’emprise occidentale sur les réserves énergétiques
du continent africain.
3- De soldats israéliens accusent Tsahal de
crimes de guerre le Monde.fr AFP/ 19.03.09
4-Le Tchadien disparu qui embarrasse la
France», Jean François Julliard, Cf. Le Canard Enchaîné »,
mercredi 4 mars 2009-
5-«Douteuse instrumentalisation de la justice
internationale au Liban» par Geouffre de la Pradelle, Antoine
Korkmaz et Raphaëlle Maison, Cf. Le Monde diplomatique Août 2007
6-«La Chine Afrique, Pékin à la conquête du
continent noir». Michel Beuret, Serge Michel et Paolo Wood-
Grasset 2008
7- «Pékin s’inquiète pour ses placements aux
Etats-Unis» par Bruno Philip, Cf. Le Monde 14 mars 2009
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Publié le 1er avril 2009 avec l'aimable autorisation de René Naba.
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