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UJFP
Voyage en terre promise. Promise
pour qui ?
Pierre Stambul
Je n’étais pas retourné en Israël ou en
Palestine depuis 1994. Qu’est-ce qui a changé ? D’abord
et avant tout, il n’y a plus de frontière. L’annexion de
larges parties de la Palestine et celle du Golan Syrien ne sont
plus rampantes, elles sont effectives.
L’espoir a disparu. La quasi-totalité des interlocuteurs/trices
que j’ai rencontréEs, seul ou en groupe, n’entrevoient pas
d’avenir pacifique. Côté Palestinien, qu’il s’agisse
« d’Arabes Israéliens » ou d’habitantEs des
territoires, plus personne ne croit à la viabilité de deux Etats
et beaucoup se prononcent ouvertement pour un seul Etat (celui de
tous ses citoyens). Les mondes israélien et palestinien sont
devenus hermétiques et s’ignorent globalement. Les
possibilités de rencontre sont rares et difficiles. Les
territoires palestiniens ressemblent à une prison à ciel
ouvert, où circuler (ne parlons pas de voyager) est un problème
permanent. Les colonies sont plus nombreuses avec leurs routes de
contournement et certaines sont de véritables villes (Ariel,
Maale Adoumim). Il continue d’y avoir de part et d’autres
des gens qui recherchent la rencontre, l’égalité et la
connaissance de « l’autre ». La gauche
anticolonialiste est active. Mais globalement la société israélienne
est gangrenée par le racisme. La majorité de la
population se partage entre un rejet pur et simple des « Arabes »
(et elle est gagnée par les thèses du « transfert »
des Arabes au-delà du Jourdain) ou leur acceptation à la
condition qu’ils soient soumis et acceptent une infériorité
« naturelle ». On est loin de l’égalité. Certains
continueront de trouver choquant qu’on parle d’Apartheid
ou de colonialisme. Mais comment trouver d’autres termes pour
qualifier une société à deux niveaux ?
Enfin, la société israélienne ne souffre pas de cette guerre.
La croissance est forte, la « sécurité » est
globalement revenue. Le libéralisme a supprimé les solidarités
et a créé comme en Occident des nouveaux pauvres ou des sans
abris. Mais le niveau de vie moyen des IsraélienNEs est 20 fois
supérieur à celui des « territoires » et il est
tentant ou facile de ne pas voir ce qui se passe à quelques kilomètres
de chez soi.
Où est la frontière ?
La frontière internationalement reconnue (celle de 1949) ne
figure plus sur aucune carte israélienne. Le ministre
travailliste qui voulait la réintroduire dans les manuels
scolaires a échoué. La carte des « parcs nationaux israéliens »
comprend le Mont Hermon (Golan) ou la ville antique de Qumran
(Cisjordanie). Les grands axes routiers qui partent de Jérusalem
utilisent la vallée du Jourdain (vers le lac de Tibériade ou
vers Eilat). Même l’autoroute de Tel-Aviv traverse la
Cisjordanie occupée au niveau du village de Latrun, mais il faut
un guide français pour le savoir. Officiellement les villes
saintes israéliennes sont Jérusalem, Safed, Tibériade ou … Hébron
qui est pourtant une grande ville palestinienne. L’économie ou
le tourisme israéliens sont omniprésents dans les territoires
(que les Israéliens appellent territoires « disputés »
et non occupés). Les pistes de ski sont dans le Golan, les
meilleurs vins aussi. L’une des plus grandes usines (Ahava) qui
fabrique et exporte des produits de beauté est en zone annexée
au bord de la Mer Morte. Quant aux colons, qu’ils vivent dans
des colonies « légales » ou dites « illégales »,
ils sont protégés par l’armée et les routes de
contournement leur permettent en quelques minutes d’atteindre
les grandes villes israéliennes.
Écoutons ce que raconte l’Israélien moyen : « 90%
des Palestiniens sont bons, mais à cause des 10% qui soutiennent
les terroristes, il a fallu prendre des mesures ». « Ces
villages arabes (il s’agit d’Abou Gosh et d’Ein Karem, très
proches de Jérusalem) n’ont jamais pris les armes contre nous,
on les a laissés. Pour les autres, il a fallu reculer la
frontière. » Même remarque sur le Golan :
« les Syriens bombardaient le lac de Tibériade, il a fallu
reculer la frontière ». La reculer jusqu’où ?
Pas de réponse, il n’y a pas vraiment de limite. Tout est
prétexte : l’étroitesse du territoire avant la guerre de
67 (12 Km au niveau de Netanya) « justifie » les
annexions actuelles. Les attentats « justifient » le
Mur. Silence sur le fait que le Mur annexe de larges parties du
territoire palestinien. Dans les discours, rien ne présage un
quelconque retour sur les frontières d’avant 67, surtout à Jérusalem.
Jérusalem
La ville a 700000 habitants. Globalement 1/3 de Juifs Israéliens
à Jérusalem Ouest. 1/3 de Palestiniens à Jérusalem Est et 1/3
de Juifs dans les « nouveaux quartiers » de Jérusalem
Est qui sont en fait des colonies : Gilo, Haroma, Psagot,
Givat Shaul …
Les religieux sont omniprésents. Jérusalem est la
capitale des trois grands monothéismes. Des trois grandes névroses,
faudrait-il dire. Dans notre hôtel, il y a 600 pèlerins chrétiens
venus du Nigeria. Après leur départ, un nombre équivalent de
Juifs religieux leur succède. Les hôtels sont aménagés pour
celles et ceux qui respectent les interdits du shabbat.
Dans la vieille ville, les pèlerins chrétiens sont revenus. Au
Saint-Sépulcre, chaque Eglise chrétienne garde précieusement
son coin de cathédrale et son pilier. Les Eglises copte et éthiopienne
ont été reléguées hors de la cathédrale. En 1994, j’avais
pu visiter la mosquée Al Aqsa et le Dôme du Rocher. À présent,
c’est très difficile, y compris pour les PalestinienNEs qui
n’accèdent pas facilement à l’esplanade des mosquées.
Pour arriver au Mur des Lamentations, on est fouillé comme dans
un aéroport. Des militaires en arme viennent aussi prier
(mais globalement la présence militaire dans la vieille ville est
faible). Curieusement, le Mur des Lamentations est le dernier
vestige du deuxième temple pourtant construit par un ennemi
acharné des Juifs (le roi Hérode). Les religions ont leur mystère.
En ville, la présence des Juifs religieux est dominante alors
qu’il y a 40 ans, ils étaient confinés dans le quartier de Méa
Sharim. Un moment, nous sommes coincés dans un embouteillage
monstrueux : des dizaines d’autobus ont amené des milliers
de Juifs religieux. On ne saura pas exactement s’il s’agit
d’un mariage ou d’une allocution d’un rabbin célèbre.
Partout, il y a des yeshivas (écoles religieuses) financées par
l’Etat.
La vieille ville de Jérusalem à l’intérieur de la citadelle
est historiquement divisée en 4 quartiers : chrétien, arménien,
juif et musulman. Dans le souk, on vend aussi bien des tee-shirts
à la gloire de l’armée israélienne que des effigies
d’Arafat. Dans le quartier musulman, on aperçoit bien
distinctement la villa d’Ariel Sharon, éternel
provocateur qui a tenu à montrer « aux Arabes » que
tout est permis. Dans le quartier Juif, il y a un musée qui célèbre
la mémoire des Juifs de Jérusalem chassés de leur quartier lors
de la victoire Jordanienne de 1948. Rien sur l’épuration
ethnique à l’envers, 20 ans plus tard, quand les Palestiniens
ont été chassés par l’annexion israélienne. Rien bien sûr
sur les 750 villages palestiniens disparus. La mémoire est sélective.
À l’Est, sur les collines qui dominent le désert de Judée,
les quartiers Palestiniens sont entourés par les « nouveaux
quartiers ». Le territoire de Jérusalem a considérablement
augmenté et tout a été urbanisé de Ramallah au nord jusqu’à
Bethléem au Sud. Le quartier palestinien périphérique d’Abou
Dis jouxte la gigantesque colonie de Maale Adoumim (très
étendue et très peuplée : plus de 30000 habitants attirés
par des loyers faibles, un cadre de vie agréable et une vue
superbe). Aux négociations de Taba, les négociateurs israéliens
avaient proposé de faire d’Abou Dis la capitale de l’état
palestinien. « C’est comme si Créteil devenait capitale
de la France et qu’on essaie de vous persuader que Créteil,
c’est Paris » nous avait expliqué Elias Sanbar. Maale
Adoumim coupe la Palestine en deux, isolant totalement le sud
(Bethléem et Hébron) du centre (Ramallah) et du nord (Naplouse,
Jénine). Les Israéliens (même la « gauche ») ont
exclu de restituer cette ville.
Le guide israélien égrène les noms des nouveaux quartiers. Le
lendemain, au même endroit un guide Palestinien fait la liste de
tous les villages palestiniens qui entouraient Jérusalem et qui
ont disparu. La ville nouvelle de Givat Shaul s’appelait Deir
Yassine, le village massacré par les terroristes de l’Irgoun
en 1948. Le tunnel routier qui passe sous Givat Shaul s’appelle
aujourd’hui « tunnel Begin » du nom du chef
historique de l’Irgoun. Le Sionisme a effacé les différences
idéologiques et tous les grands noms du Sionisme (de l’extrême
droite à la « gauche », de Jabotinsky et Begin à
Golda Meïr ou Lévy Eshkol) ont leurs rues.
Devant un hôtel de Jérusalem, le guide israélien raconte que
c’est là qu’un terroriste palestinien a assassiné un
ministre israélien, il y a 6 ans. Le ministre s’appelait
Rehavam Zvi. Il était favorable au « transfert » de
tous les Arabes au-delà du Jourdain. L’auteur de l’attentat
et le dirigeant de son parti (le FPLP) ont été arrêtés par
l’Autorité Palestinienne et emprisonnés à Jéricho avant d’être
enlevés par les Israéliens lors d’une attaque meurtrière
contre la prison de Jéricho. Là encore, la version de notre
guide est sélective.
Dans un restaurant français de Jérusalem Ouest, tout près du
tramway en construction (construit par Véolia et Alsthom) qui ira
à l’Est, une jeune Française un peu paumée chante (mal) pour
gagner sa vie. Elle a fait récemment son « alya »,
elle est « montée » en Israël. Je n’aurai pas le
temps de lui demander pourquoi. Elle est passée par les « Eclaireurs
Israélites de France ».
Jérusalem est un endroit fantastique. Collines et vallées, vues
étonnantes sur la vieille ville ou le Mont des Oliviers, nuages
qui se vident aux portes du désert de Judée. Mais on est bien
loin d’une ville harmonieuse ou de la capitale de deux états. Les
PalestinienNEs de Jérusalem ont des papiers et un statut à part.
Leurs quartiers sont souvent délabrés et ils se plaignent de
payer des impôts et de ne rien avoir en retour en terme de voirie
ou d’égouts. Très peu d’entre eux ont pris la nationalité
israélienne. Ils votent aux élections municipales (souvent en
s’abstenant) mais pas aux nationales. Ils ont un avantage sur
les autres Palestiniens : il leur est plus facile de circuler
et de franchir les barrages.
Les territoires occupés : enclaves et colonies.
On quitte Jérusalem Est en jouant au chat et à la souris avec
le Mur et les check-points. Le Mur est tagué partout par des
slogans pacifistes. On évite Qalandia. Ruelles défoncées,
pleines de trous, trottoirs chaotiques. L’effet est amplifié
par le bus qui n’a pas d’amortisseurs. On rentre dans Ramallah
sans avoir vu la campagne. La région est surpeuplée. La route
longe un camp de réfugiés. Ramallah n’est pas représentative
des villes Palestiniennes. Aux élections municipales, la liste
dite « de troisième voie » de l’ancienne négociatrice
Hanane Ashraoui l’a emporté sur les deux grands partis.
Dès notre arrivée devant le centre franco-allemand, des voitures
de la police sont là pour nous escorter : la veille, l’armée
israélienne est violemment intervenue (comme elle en a
l’habitude) à Naplouse et Jénine. Il y a eu plusieurs morts
et ils ont peur « pour notre sécurité ». Français
et Allemands se sont regroupés pour avoir un centre culturel
digne de ce nom capable d’agir efficacement. Le diplomate français
est totalement conscient de la situation dramatique des
Palestiniens. On sent bien qu’il aurait besoin de beaucoup plus
de moyens et qu’il désapprouve le fait que l’Union Européenne
ait coupé l’aide à la Palestine.
On rencontre la déléguée d’une association de femmes. Cette
association fait un travail important : elle aide les femmes
à s’organiser ou à se syndiquer, elle lutte contre toutes les
violences (violences domestiques, crimes d’honneur) que les
femmes subissent et elle aide les femmes à fabriquer et
commercialiser des produits d’artisanat.
Un jeune Palestinien parfaitement francophone nous accompagne. Il
a un discours inhabituel, très critique contre une partie de la
société palestinienne, son culte du martyr ou son militarisme.
Il est très hostile aux religions et au Hamas. Même lui, qui
milite avec des Israéliens, doit ruser pour les rencontrer.
Pendant longtemps, les rencontres étaient possibles dans des
restaurants sur la route de Jéricho. Mais ce n’est plus
possible.
On rentre dans la Mouqata de Ramallah. Il y a des gravats un peu
partout et quelques militaires gardent les lieux. Ça ressemble
plus à un terrain vague qu’à un siège de gouvernement. Le
tombeau d’Arafat est là. Les Palestiniens n’ont pas obtenu
qu’il soit inhumé à la mosquée Al Aqsa. Notre guide
palestinien m’affirme sa certitude qu’il a été empoisonné.
Le centre de Ramallah est engorgé par la circulation. Les
magasins semblent bien achalandés. Il y a quelques belles
maisons. Tout le monde ne souffre pas de la même façon dans
cette société.
Nous prenons la route du nord. On passe devant l’université de
Bir Zeit. Depuis la route, on voit la côte et Tel-Aviv. Les
distances sont petites. Par moments, nous quittons la route défoncée
pour emprunter une route de contournement. Ça nous est possible
car le bus est immatriculé à Jérusalem. La Palestine est divisée
en trois zones : A (sous souveraineté palestinienne, ce qui
n’empêche pas les « incursions »), B (sous
souveraineté mixte) et C (de fait annexé par Israël). Ces zones
sont devenues un véritable casse-tête juridique et certains
Palestiniens en viennent à regretter de ne pas être partout
occupés de la même façon.
Les colonies contrastent avec leurs belles maisons et leurs
pelouses. Elles sont entourées de clôtures et protégées
par l’armée. Un membre de notre groupe ira visiter un cousin
proche, qui s’est établi dans une de ces colonies. Il fera un récit
assez émouvant de cette rencontre et de cet univers. Les colons
vivent dans une négation complète du monde qui les entoure,
qu’ils soient là pour des raisons économiques ou idéologiques.
On voit aussi des « colonies illégales » (comme si
les autres étaient légales). Ce sont des caravanes et des
bungalows dans lesquels les colons s’installent sans
autorisation mais avec la protection immédiate de l’armée.
Souvent, la colonie finit par être légalisée.
Le village d’Aboud est moitié chrétien (catholique latin),
moitié musulman. Le Père Firas qui nous reçoit est un
militant. D’origine jordanienne, il se bat contre
l’occupation. Le livre qu’il nous donne nous vaudra quelques
ennuis lors de la fouille des bagages en quittant Israël. Il y a
quelques années, un colon a été tué près d’Aboud. En représailles,
l’armée israélienne a abattu 4000 oliviers dans le village. Le
père Firas en a mis un dans son église. Il nous montre une vidéo
sur la résistance de son village, aujourd’hui traversé par le
Mur et isolé par l’extension de la colonie d’Ariel (véritable
ville dotée d’une université).
Pour rejoindre Bethléem, il faut franchir deux grands
check-points et retraverser Jérusalem-Est. Pour nous, c’est
simple : notre bus a une file à part dans la queue et un
soldat entre dedans en vérifiant les passeports. Pour les
Palestiniens, c’est une complication quotidienne. Ils dépendent
de l’arbitraire des soldats qui sont souvent des garçons ou des
filles très jeunes (3 ans de service militaire pour les garçons
et deux ans pour les filles).
Bethléem comportait 92% de Chrétiens avant la Naqba. Ils ne sont
plus que 35%. Leur natalité est inférieure à celle des
musulmans et beaucoup ont émigré (en Amérique notamment). La
ville vivait du tourisme et des travailleurs qui partaient chaque
jour travailler à Jérusalem proche de 15 Km. Le tourisme a
quasiment disparu et les travailleurs immigrés ne peuvent plus
aller en Israël et ont été licenciés. La ville est encerclée
par les nouvelles colonies devenues des quartiers de Jérusalem
(notamment Haroma). Une large partie de la population de Bethléem
vit sous le seuil de pauvreté. Nous sommes accueillis par des
familles qui nous hébergent. Échange de cadeaux. Dans les
familles chrétiennes (catholiques ou orthodoxes), les symboles
religieux sont omniprésents dans les maisons. Il y a une grande
préoccupation pour l’éducation des enfants, mais cette éducation
est payante et se fait à l’école religieuse. Dans la famille
musulmane, il y a des portraits d’Arafat. Plusieurs de nos
interlocuteurs nous expliquent qu’ils ne sont pas allés à Jérusalem
depuis des années. Même pour nous, le franchissement du
check-point en retournant à Jérusalem est sévère avec passage
à pied et changement de véhicule.
Arabes ou Palestiniens d’Israël ?
Comment faut-il nommer les « Non-Juifs » de l’Etat
Juif qui sont souvent des sous-citoyens ? Ecoutons-les :
ils ne sont pas assez israéliens pour les Israéliens, pas assez
arabes pour les Arabes, pas assez palestiniens pour les
Palestiniens. Peut-être du coup sont-ils porteurs de « modernité ».
La population « arabe » d’Israël (environ un
million trois cent mille personnes ayant la nationalité israélienne,
soit 20% de la population) est composite : la majorité est
musulmane avec une petite minorité chrétienne. Il y a aussi (à
part) les Druzes et les Bédouins. Les Israéliens ont
partiellement réussi à diviser cette population. Les Druzes font
obligatoirement l’armée et une haine ancestrale les oppose aux
Palestiniens. Pourtant même chez eux, il y a des résistances :
des jeunes sont devenus refuzniks, et les Druzes du Golan refusent
l’annexion et veulent rester syriens. Les Bédouins de Galilée
ont une histoire qui rappelle celle des Harkis. Beaucoup
d’hommes sont volontaires dans l’armée israélienne et ils
ont eu de nombreuses victimes dans les guerres successives. Il y a
aussi des anciens soldats de l’ALS (Armée du Liban Sud, qui a
servi d’auxiliaire à l’armée israélienne) ou des « collaborateurs »
qui ne peuvent plus rentrer chez eux dans les « territoires »
et qui vivent dans les villes arabes d’Israël. Ces villes sont
Nazareth (qui a toujours eu un maire communiste), Akko (Saint-Jean
d’Accre), Jaffa (banlieue de Tel-Aviv) et Haïfa où plus de 10%
de la population est « arabe ». Le reste de la
population arabe vit principalement dans les villages de Galilée
(50% de la population). Il n’y a quasiment pas de quartiers
mixtes ou de villages mixtes. Juifs et Arabes vivent côte à côte
mais séparément sauf dans des petits villages comme Peki’in où
Druzes, Palestiniens, Bédouins et Juifs cohabitent. Les systèmes
d’éducation sont séparés. Quand on voyage dans le Nord, les
villages arabes sont faciles à reconnaître : ils sont plus
pauvres et moins bien équipés.
Il y a incontestablement de part et d’autre des tentatives
courageuses pour combattre les inégalités et se rencontrer.
Citons Névé Shalom. Ce projet un peu utopique (naïf
diront certains) date de 1970. Il s’agit d’un projet éducatif.
Faire vivre ensemble, à égalité numérique, des Juifs et des
Arabes dans un même village et éduquer les enfants ensemble dans
des écoles bilingues, avec deux instituteurs/trices par classe,
unE en hébreu, unE en arabe (mais unE seulE payéE par l’Etat,
l’autre est financéE par l’association). Névé Shalom est
installé dans l’ancienne zone démilitarisée d’avant 1967,
sur un terrain du monastère de Latrun. De nombreux Israéliens
seraient prêts à généraliser ailleurs cette expérience, mais
c’est impossible, faute de terrain disponible. On rencontre à Névé
Shalom des Palestiniens parmi les enseignants et les parents. Ils
ont trouvé là un contrepoids aux inégalités. Même eux
souhaitent un seul Etat laïque car ils souffrent de vivre dans un
Etat Juif. Un « couple mixte » (femme juive, mari
palestinien) s’est établi à Névé Shalom. Il n’y a que là
qu’ils puissent trouver un enseignement mixte pour leurs
enfants. Avant la deuxième Intifada, Névé Shalom avait des
programmes d’aide aux territoires occupés. Politiquement, les
habitants de Névé Shalom votent « à gauche » dans
une grande diversité. Revers de la médaille : l’expérience
de Névé Shalom touche essentiellement les classes moyennes préoccupées
par l’éducation. Elle ne paraît pas généralisable et c’est
une goutte d’eau dans un système d’éducation cloisonné.
Haïfa. En haut de la tour de l’université (tour Eshkol
construite par Niemeyer au sommet du mont Carmel), des
universitaires nous reçoivent. Eux/elles aussi se préoccupent
d’harmoniser l’éducation des Israéliens, Juifs et Arabes et
de promouvoir l’enseignement de l’Arabe. Ils/elles citent
l’exemple de Névé Shalom. La conférencière est une amie de
Sylvain Cypel, correspondant du « Monde » et
souvent très critique sur la société israélienne. Initiatives
courageuses mais qui ne parviennent pas à modifier en profondeur
le système éducatif. Officiellement, les panneaux indicateurs du
pays doivent être écrits en 3 langues (hébreu, anglais, arabe)
mais parfois des racistes recouvrent l’inscription arabe.
Haïfa toujours : près du jardin Baha’i, nous sommes reçus
au centre associatif du quartier Wadi Nisnas. C’est un
quartier palestinien de 8000 habitants avec une forte proportion
de Chrétiens. Les maisons sont petites et anciennes. Au centre du
quartier, le bâtiment d’un journal arabe soufflé par un obus
du Hezbollah pendant la guerre du Liban (18 des 41 morts civils
israéliens étaient arabes). Avant 1948, Haïfa avait 140000
habitants dont 50% de Palestiniens. Presque tous ont été forcés
de partir. Des artistes ont réhabilité une porte où est
accrochée une clé, symbolisant la clé que les Palestiniens ont
laissée en quittant leur maison au moment de la Naqba. La
plupart des Arabes vivant aujourd’hui à Haïfa sont venus
des villages de Galilée. Le responsable associatif nous explique
que pour visiter sa famille qui habite tout près dans les
territoires, il faut aller à Amman, en Jordanie.
Sakhnine : ville entièrement palestinienne de 25000
habitants en Galilée. Nous sommes accueillis au centre social –
éducation à la démocratie. Ecoutons un des responsables :
« après 1948, il ne restait que 155000 Arabes en Israël
dont 2900 à Sakhnine. Aujourd’hui, c’est 20% de la
population. On est une minorité, on a eu de la chance. Nous
connaissons bien les Juifs, leur langue et leur histoire qu’on
étudie à l’école. La réciproque est fausse. On est espionné,
on nous demande sans arrêt des preuves de loyauté un peu
comme un homme qui demanderait tous les jours à sa femme si elle
est fidèle. Je voudrais être fier et pas discriminé. On a
besoin d’égalité, ça rendrait tout le monde plus fort. Nous
voulons un compromis entre Israël et la Palestine. Nous sommes
contre le Mur qui rend les deux sociétés plus violentes. »
Il évoque les papiers d’identité des Palestiniens d’Israël.
Ils ne font pas l’armée, mais un très grand nombre de métiers
leur sont interdits (officiellement pour des raisons de sécurité) :
pas possible de travailler dans les transports publics, l’énergie,
l’eau, la fonction publique (sauf l’enseignement). Résultat
40% de chômeurs à Sakhnine contre 2% dans la ville juive voisine
de Carmiel et 60% de la population est pauvre. « Est-ce que
la majorité juive est capable de nous intégrer ? La
clé, c’est la confiance, elle est absente. » Le
responsable se félicite que des enseignantEs Juifs/ves viennent
enseigner à Sakhnine. Il nous raconte l’histoire du club de
football de Sakhnine. Il n’y a pas de stade dans la ville.
Pourtant le club a gagné la coupe d’Israël en battant le Bétar
(club lié à l’extrême droite). Il a représenté Israël à
l’étranger. Il a fourni à l’équipe nationale un de ses
meilleurs buteurs (un Palestinien). Il est en première division
avec des joueurs Juifs et Arabes. Le responsable déplore
l’enseignement de l’histoire en Israël qui confisque
l’histoire palestinienne (on parle pour 1948 d’indépendance
et pas de Naqba). Il regrette le cloisonnement des sociétés
juives et arabes : « les habitants des territoires ne
connaissent que les colons et les soldats. » La présence de
Liberman au gouvernement lui fait peur, le danger raciste est évident.
Il parle des préjugés des médias : un grand journal israélien
qui avait enquêté sur Sakhnine exigeait pour publier l’article
qu’on photographie une chèvre et un âne devant le centre
social ! Après son exposé, je discute avec un journaliste
palestinien beaucoup plus radical. Lui est antisioniste et se
prononce pour un seul Etat laïque : « les frontières
sont trop imbriquées ».
Nazareth : une troupe de théâtre avec des acteurs
Juifs et Arabes s’est installée dans la vieille ville. Elle
joue des pièces ou déclame des contes sur le refus de la
haine, sur l’acceptation de son pire ennemi. Un peu partout,
des gens essaient de jeter des ponts. Mais ils restent isolés.
Les Bédouins : ils sont arrivés, il y a 350 ans en
Palestine en provenance d’Irak, de Syrie ou de Jordanie. Au
moment de la guerre de 48, une moitié sont partis. Il reste 80000
Bédouins en Galilée, 160000 dans le Néguev et quelques milliers
en Cisjordanie. Ceux du Néguev autour de Beersheva subissent
aujourd’hui des expropriations incessantes. Ceux de Cisjordanie
entre Jérusalem et Jéricho ont été délogés et vivent dans le
désert de Judée. J’ignore si le village de Shibbli, au pied du
Mont Tabor, est représentatif des Bédouins de Galilée mais c’était
assez caricatural : un village sédentarisé formé d’une
seule famille (au sens large, 3000 personnes). Leur « chef »
pousse son désir d’intégration jusqu’à se vanter que tous
les hommes servent dans l’armée israélienne et il se félicite
que les traditions bédouines, même les pires (la polygamie),
soient compatibles avec la législation israélienne.
Mémoire et génocide
La création de l’Etat d’Israël a été rendue possible
par le génocide nazi. Dès 1953, une loi décrétait la création
du musée de Yad Vashem sur une colline de Jérusalem
Ouest. En Israël, il est obligatoire pour tout le monde de
s’approprier la mémoire du génocide. Il y a aujourd’hui
230000 Israéliens qui ont vécu en Europe pendant le Nazisme. À
peine 1/3 de la population est directement reliée par son
histoire familiale au génocide.
Il faut reconnaître qu’un effort d’exactitude historique a été
fait à Yad Vashem : les origines du nazisme, sa montée,
l’histoire de l’antisémitisme européen sont relatées. On
parle aussi de l’extermination des Tziganes, des homosexuels,
des malades mentaux. Il y a une salle (incomplète) sur les
Justes. Mais rien n’est dit sur la résistance communiste
(l’affiche rouge est reproduite sans aucune référence au
communisme). En même temps, on a l’impression que le génocide
n’a frappé que les Juifs. La récupération à la Sharon déclarant
au 60e anniversaire de la libération d’Auschwitz :
« c’est la preuve que les Juifs ne peuvent se défendre
que par eux-mêmes » n’est jamais loin. Bien sûr Yad
Vashem est l’endroit où l’on peut trouver tous les
renseignements sur les victimes, c’est indispensable (je
n’aurai pas le temps de retrouver la trace de ma famille
disparue). Mais il reste un malaise. Que vont tirer de cette
visite les milliers de bidasses en uniforme qui visitent ?
Peut-être une compréhension de l’universalité du génocide. Peut-être
aussi un sentiment de persécution, l’idée que les Juifs
sont une fois de plus menacés d’extermination et que ça
justifie toutes les exactions. Et là, cette instrumentalisation
est dangereuse. D’autant qu’à Yad Vashem, quelques
inscriptions indiquent une filiation directe entre le génocide et
l’Etat d’Israël, ce qui n’a historiquement rien d’évident.
Il existe un autre grand lieu de mémoire. C’est le kibboutz de Lohamei
Haghetaot (= les combattants du ghetto) tout près de la ville
de Nahariya dans le Nord d’Israël. Il a été fondé par des
survivants du ghetto de Varsovie en 1949 et le musée y évoque
les histoires personnelles des victimes et des survivants. Il faut
noter parce que c’est surprenant les activités du centre
« humanisme et démocratie » du musée. Des IsraélienNEs
d’origines juive et arabe essaient de sensibiliser à la
douleur de l’autre, à sa mémoire. Ils/elles font beaucoup
de pédagogie. Ils/elles mettent en garde les visiteurs (dont de
nombreux soldats) sur la question de l’exclusion des minorités
ou celle de la dignité humaine. À partir de l’histoire de
l’Allemagne après 1933, ils/elles insistent sur l’influence
de l’uniforme dans les comportements collectifs. Je découvre
qu’à la suite du massacre de Kfar Kassem (une cinquantaine d’Arabes
Israéliens tués par la police des frontières – Magav – en
1956), il existe une loi permettant aux soldats de désobéir
aux ordres illégaux. Les animateurs/trices de Lohame Hagetaot
expliquent cette loi aux soldats (j’espère que les refuzniks
s’en servent). La conférencière palestinienne explique les
difficultés qu’il y a pour faire comprendre chez les siens que « l’ennemi
a souffert ». Elle combat le négationnisme. Elle pense
qu’il y a des préjugés des deux côtés. Chaque peuple (israélien
et palestinien) a son histoire et a peur « qu’écouter
la douleur de l’autre efface sa propre douleur ». Il
est nécessaire qu’il puisse s’identifier à l’histoire de
l’autre. Tous les deux ans, les animateurs de Lohamei Haghetaot
se rendent dans un village italien près de Bologne où la
population a été massacrée. « Puisqu’Italiens et
Allemands ont fait la paix, ça doit être possible ici . »
Je trouve très louable cette tentative d’utiliser
l’universalité du génocide pour avancer dans la guerre
actuelle.
Rencontres militantes
Je suis reçu par Michel Warschawski (Mikado) dans sa
maison de Jérusalem. Michel est un ancien de la Matzpen, un
groupe d’extrême gauche antisioniste très durement réprimé
à la fin des années 70. Michel a connu la prison. Il l’anime
l’AIC (Alternative Information Center), un groupe à la fois
palestinien et israélien qui joue un rôle central à la fois
d’information, de recherche, d’analyse politique et d’aide
concrète à la Palestine occupée. Mikado connaît tous les
groupes de ce qu’on appelle ici la « gauche
anticolonialiste ». Je lui fais part de l’impression
très négative que nous avons en Europe : 2006 a été une
année noire pour la Palestine et le mouvement de solidarité et
le gouvernement israélien a remporté une victoire idéologique
en faisant admettre à son peuple « qu’il n’a pas
d’interlocuteur pour la paix ». Mikado confirme : « nous
avons toujours été une petite roue. Autrefois, elle entraînait
la grande (c’est comme cela que des centaines de milliers de
manifestants sont descendus dans la rue contre l’invasion du
Liban en 1982). Aujourd’hui la roue est à peine plus grande,
mais elle n’entraîne plus rien. » Et de fait, la
gauche anticolonialiste est de plus en plus isolée face à une
opinion publique qui, dans le cadre du « choc des
civilisations », dérive de plus en plus vers le racisme. Au
plus fort de la guerre du Liban, il n’y a eu que 10000
manifestants. Cette gauche participe régulièrement avec les
Palestiniens aux manifestations contre le Mur à Bil’in, mais on
rencontre un peu toujours les mêmes dans ces rassemblements, avec
un trou générationnel.
Michel n’aime pas que l’on parle de « seconde
Intifada ». Il pense que c’était un plan prémédité
pour reprendre tout ce qui avait été concédé du bout des lèvres
à Oslo. Mikado est très sévère avec la classe politique israélienne.
Elle est particulièrement nulle avec des dirigeants poursuivis
pour agression sexuelle ou corruption. L’homme politique le plus
populaire en Israël, c’est Arkadi Gaydamak, mafieux d’origine
russe, poursuivi par la justice française pour « l’Angolagate ».
Mais Israël donne asile à tout Juif, y compris les mafieux.
Gaydamak a utilisé son argent pour faire ce que l’Etat Israélien
avait été incapable de faire pendant la guerre du Liban :
assurer aux populations bombardées un asile dans les hôtels et
les camps de vacances. Mikado a eu affaire avec un autre
politicien poursuivi par la justice française : c’est
Flatto-Sharon (La Garantie Foncière dans les années 70) qui
voulait l’interviewer sur sa radio privée mais ne lui a pas
donné la parole. Pendant que je suis chez lui, une femme passe à
la télé. C’est Esterina Tartman, qui appartient au même parti
d’extrême droite que Liberman. Elle est pressentie pour être
ministre des sciences (le poste a été refusé à un ministre
arabe). Elle étale à la télévision ses diplômes et ses
aptitudes. Deux jours plus tard, un journaliste prouve qu’elle a
menti et que tout est faux. Elle doit démissionner. Ainsi va la
classe politique israélienne.
Y a-t-il un espoir ? Mikado relie complètement la guerre
israélo-palestinienne aux autres conflits de la région. Il pense
que les échecs occidentaux (Irak, Liban) obligeront les
Etats-Unis à infléchir leur politique et que la classe politique
israélienne sera obligée de suivre.
Albert Aghazarian nous reçoit chez lui, dans le quartier
arménien de la vieille ville de Jérusalem. Ce professeur à
l’université de Bir Zeit, issu d’une famille arménienne
arrivée en Palestine il y a un siècle, a participé à de
nombreuses négociations avec les Israéliens. Il est très amer
et s’exprime à titre personnel (il ne veut plus de
responsabilité officielle). « Le problème fondamental,
c’est le Sionisme ». Je bois du petit lait, j’en
suis persuadé depuis longtemps. « La grande peur des
Israéliens, c’est de ne plus avoir peur. » Belle
formule pour décrire le fonctionnement paranoïaque d’une société
où la peur est devenu le principal ciment pour la fuite en avant,
pour souder la société et pour empêcher toute réflexion
collective. Il revient sur les négociations. Il explique que
Palestiniens et Israéliens ne procèdent pas du tout de la même
façon. Pour les Palestiniens, l’essentiel est de créer un
climat de confiance. Pour les Israéliens, l’essentiel est de
signer quelque chose et quand il y a un désaccord flagrant, ils
cherchent à le contourner et l’occulter. Albert ne croit plus
à la viabilité d’un Etat Palestinien. Il est pour un seul Etat.
Victor Batarseh est maire de Bethléem et membre du FPLP.
Il nous reçoit dans son bureau avec un membre de l’AIC. Un décret
spécial fait que le maire de Bethléem doit être chrétien. Le
Hamas se trouvait en position d’arbitrage lors des dernières élections
municipales et il a fait pencher la balance du côté du FPLP. Je
lui présente l’Union Juive Française pour la Paix et je lui
demande : « comment vous aider ? » Le maire
est partisan d’un « tourisme intelligent » :
« faites venir ici des Français et des Européens. Qu’ils
voient notre pauvreté, dans quelles conditions nous vivons,
comment nous sommes enfermés et humiliés. Qu’ils témoignent. »
Je l’interroge sur la position de son parti à propos des
accords d’Oslo ou de la question un ou deux Etats. « Oslo,
nous étions sceptiques dès le départ et voilà le résultat. »
Il montre par la fenêtre la colonie d’Haroma toute proche. Il
dit que si les Israéliens acceptaient de se retirer sur les
frontières d’avant 67, il y aurait la paix et son parti
l’accepterait. Mais il y a tellement de colonies qu’il ne
croit pas à leur évacuation. Il reste fidèle à la position
historique de son parti : un seul Etat, laïque et démocratique.
Interrogé sur le terrorisme, il le condamne (« chaque mort
est une tragédie ») pour aussitôt expliquer que l’Etat
Israélien fait du terrorisme. Sur les accords de La Mecque, il
n’était pas trop inquiet sur le risque de guerre civile en
Palestine. Par contre, il est sévère sur le Fatah et le Hamas
qui selon lui ne représentent à eux deux qu’au plus 30% des
Palestiniens. « 70% des Palestiniens ne sont pas concernés
par cet accord et mon parti ne participera pas au gouvernement
(d’union nationale) en préparation. »
Je téléphone chez Uri Avnéry, militant anticolonialiste
israélien infatigable (il est très âgé). De droite dans sa
jeunesse, Uri a très tôt rencontré les dirigeants palestiniens
quand c’était dangereux (pour sa liberté) et politiquement
« incorrect ». Animateur de Gush Shalom (le Bloc de la
Paix), il analyse chaque semaine la situation et participe à
toutes les manifestations. Je n’aurai pas le temps de le
rencontrer. Après s’être assurée que je diffuse les analyses
d’Uri, sa femme m’affirme qu’il reste optimiste et pense que
ses idées finiront par triompher.
Esti Micenmacher est israélienne. Ancienne de la Matzpen, elle
est une animatrice de Taayoush (= vivre ensemble), un
groupe binational (palestinien et israélien). Elle ne nous cache
pas que la gauche anticolonialiste est affaiblie. Taayoush
n’existe quasiment plus à Tel-Aviv et a peu de militantEs à Jérusalem.
Esti a été heureusement surprise du nombre de manifestantEs
contre la guerre du Liban l’an dernier. Elle n’en attendait
pas tant et elle sent le gouffre entre ses idées et la société
israélienne. Elle pense que les différents groupes de la gauche
anticolonialiste devraient se regrouper et harmoniser leurs
actions. Esti pense que les dirigeants sionistes savent qu’à
l’échelle de l’histoire, ils vont échouer. En sont-ils
conscients ?
Confrontation avec « la Paix Maintenant »
À l’origine de ce voyage (hélas trop bref, surtout dans sa
partie Palestinienne, on fera mieux la prochaine fois), il y a
l’association « Parler en Paix » dont la raison d’être
est d’enseigner conjointement l’Hébreu et l’Arabe.
L’association est apolitique, mais plusieurs de ses animateurs
sont plus ou moins proches du courant « La Paix Maintenant ».
Il y a donc eu par moments des débats collectifs ou individuels.
Parfois passionnés voire houleux (quand j’employais les mots
qui fâchent : antisionisme, colonialisme, boycott …), ils
sont restés en général courtois et fructueux. Il a souvent été
possible d’expliciter les terrains d’accord et de désaccord.
Un tel dialogue a-t-il un sens ? J’en suis persuadé.
J’ai souvent dit et écrit, sans vraiment plaisanter, qu’en
Israël le problème ce n’est pas la droite (depuis Jabotinsky,
elle est pour le « transfert »), c’est la « gauche »
qui a souvent suivi la droite dans ses mauvais coups contre la
Palestine et qui a effacé, au nom du sionisme, les différences
idéologiques. Si on se bat pour une issue non barbare à cette
guerre, il faudra bien qu’une partie de l’opinion israélienne
(et au-delà juive) bascule comme l’opinion française a basculé
à la fin de la guerre d’Algérie ou comme l’opinion
sud-africaine « blanche » a basculé. Il faudra bien,
comme disait Mikado, que « la petite roue entraîne la
grande ».
Avant d’aborder les positions de « La Paix Maintenant »,
je tiens à rendre hommage à un militant israélien de ce
courant. Il s’agit de Dror Etkès qui effectue un travail
considérable d’information et de dénonciation contre les
colonies.
« La Paix Maintenant » est proche du parti
travailliste israélien. Ils défendent Oslo et Genève. Ils sont
pour un Etat Palestinien (pas tout à fait souverain) sur les
frontières d’avant 67 avec des « échanges équilibrés
de territoire. » Ils sont contre les colonies, mais hésitent
à se prononcer clairement pour leur démantèlement. Ils sont
bien conscients qu’on ne fera pas partir comme cela 450000
personnes et sont très discrets sur la question du « grand
Jérusalem ». Ils sont pour le Mur, mais sur les frontières
de 67. Je ne pense pas qu’ils aient jamais vraiment considéré
leurs interlocuteurs palestiniens comme des « égaux »
mais je suis sans doute mauvaise langue.
Où sont les désaccords ? Sur une certaine occultation de
leur part de l’occupation, des humiliations, du
colonialisme. Pour eux le Sionisme est un mouvement de libération
national et tout antisioniste est forcément pour la destruction
d’Israël et pour jeter les Juifs à la mer. Pour eux, Israël
est fondamentalement bon et les « bavures » actuelles
ne sont pas rédhibitoires.
Mais il y a eu des échanges intéressants. Quand je pose la
question : « est-ce que la poursuite de la politique
actuelle (criminelle pour les Palestiniens) n’est pas également
suicidaire pour les Israéliens ? », ils en conviennent
à demi-mot. Quand je dis : « je pense que si j’étais
palestinien, j’aurais les mêmes idées (sous-entendu, parce que
je prétends qu’elles sont universelles), et toi ? »,
ils doivent reconnaître que le sionisme n’est pas universel.
Il y a tout un travail à faire avec les Juifs « de gauche »
sur l’identité, l’histoire, la mémoire, le sionisme …
La fuite en avant
La paix s’est encore éloignée en 2006. L’image d’Israël
entrevue dans ce voyage, c’est celle de la fuite en avant et du
fait accompli. Des actes unilatéraux fondés sur une négation
complète de la Palestine et des Palestiniens. Il y a certes une
minorité courageuse en Israël, mais globalement cette société
est autiste et fière de l’être. Cette fuite collective est
rendue possible par une recomposition collective de
l’histoire et de l’identité. Quelle est l’Histoire
racontée aux Israéliens ? « En 1100, le rabbin truc
est venu. En 1200, le rabbin chose est passé par là. En 1300, il
y a eu une communauté juive dans la ville machin. » Tout
est centré sur les Juifs comme si l’histoire des autres
n’existait pas. Avec des mensonges évidents. Les légendes
bibliques censées certifier qu’Israël est le pays des Juifs
sont prises pour argent comptant alors que l’archéologie
affirme que c’est beaucoup plus compliqué. La propagande martèle
que les Juifs ont toujours été présents dans le pays et sont
majoritaires à Jérusalem depuis deux siècles alors que quand le
grand-père de Leila Shahid était maire de la ville, elle était
1/3 musulmane, 1/3 chrétienne et 1/3 juive. La même propagande
nie l’existence d’un peuple palestinien réputé « composite »
et récemment arrivé dans la région. Tout est fait pour
justifier le mensonge fondateur « Une terre sans peuple pour
un peuple sans terre » et pour nier toute légitimité
aux Palestiniens. Pour arriver à la paix, il faudra bien reconnaître
que la Naqba était un crime, que le génocide nazi a été une
monstruosité européenne dont les Palestiniens ne sont pas
responsables et qu’il n’y aura pas de paix sans égalité dans
tous les domaines. L’alternative à cette démarche, c’est la
barbarie.
Pierre Stambul (13 mars 2007)
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