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Al Oufok
Quand les Israéliens démontent le mythe
sioniste
Pierre Stambul
Photo Al Oufok
Mercredi 10 décembre On ne sortira pas de la
fuite en avant criminelle de la politique israélienne vis-à-vis
des Palestiniens sans une forme de rupture avec le sionisme.
Depuis quelques années, une critique radicale émanant de
diverses personnalités israéliennes s’attaque à cette idéologie.
En effet en Israël, l’éducation, l’histoire, la loi, la
propriété, la façon de penser, l’air qu’on respire, sont
sionistes. Il est interdit de douter.
Et pourtant, certain-e-s s’échappent. Ils/elles sont
journalistes, écrivain-e-s, cinéastes ou historien-ne-s.
Ils/elles ont parfois fait de la politique dans les partis de
gauche avant de rompre. Ils/elles passent une partie de leur
temps à l’étranger comme 15% de la population. Ils/elles
s’appellent Amira Hass, Michel Warschawski, Ilan Pappé, Nurit
Peled, Gideon Levy, Avi Mograbi, Idith Zertal ...
Deux livres très différents sont sortis en 2008. Ce sont
« Vaincre Hitler » d’Avraham Burg et « Comment le peuple juif
fut inventé » de Shlomo Sand (l’un et l’autre édités par
Fayard). Deux livres très différents mais indispensables pour
comprendre et donc pour combattre l’oppression.
Une critique radicale
venue de l’intérieur.
Avraham Burg n’est pas
« l’un des nôtres », ce qui a parfois indisposé des militant-e-s
engagée-e-s pour la Palestine. Il est un pur produit de
l’establishment sioniste. Son père, Yossef Burg, a été le
représentant du principal parti religieux dans divers
gouvernements israéliens de 1951 à 1986. Il fut un des deux
ministres opposés à la pendaison d’Eichmann. C’est plus tard que
le Parti National Religieux est devenu un parti d’extrême
droite, fer de lance des colons fanatiques. Avraham a grandi
dans l’univers protégé des enfants de dirigeants. Il a été un
des politiciens en vue du parti travailliste, président de
l’agence Juive et président de la Knesset (le Parlement
israélien). Dans le monde sioniste, les ruptures, partielles ou
totales viennent souvent d’en haut à l’image de Nahum Goldman ou
Théo Klein (qui ont dirigé le Congrès Juif Mondial pour l’un et
le CRIF pour l’autre). Burg a brusquement rompu. Il a quitté
toutes ses fonctions officielles. Il a redécouvert le judaïsme
combattant pour l’émancipation. Il songe aujourd’hui à créer un
grand parti de gauche qui déborde le parti travailliste et le
marginalise. Expérience probablement vouée à l’échec vu l’état
de la société israélienne.
Le livre de Burg fourmille de « perles » révélatrices de l’état
d’esprit sinistre et cynique des dirigeants sionistes. Ainsi
Abba Eban qui fut pendant des années le ministre des affaires
étrangères (et devint une « colombe » à la fin de sa vie) a
déclaré en réponse à une question de l’ONU après la guerre de
1967 qu’il était hors de question qu’Israël retourne aux
« frontières d’Auschwitz » (la ligne verte de 1949). Ainsi quand
les troupes de Sadate attaquent sur le canal de Suez en 1973,
Moshé Dayan compare cette attaque à « une destruction du
troisième temple ». Quand l’armée Israélienne attaque l’OLP à
Beyrouth en 1982, Menachem Begin déclare : « j’ai eu le
sentiment d’attaquer le bunker d’Hitler ». Le même Begin dira
que l’alternative à l’invasion du Liban, c’est Treblinka. Ehud
Barak est tout aussi pitoyable quand il affirme lors de
l’anniversaire de l’insurrection du ghetto de Varsovie : « les
soldats israéliens sont arrivés 50 ans trop tard ».
Burg dissèque la mentalité israélienne qui produit l’occupation
et la négation de l’autre : « Israël est tombé dans le piège du
destin. Nous sommes les bons et eux les ennemis ultimes. Plus
l’adversaire est méchant, plus nous sommes bons ». Il décrit la
dérive raciste de sa société où les graffitis : « mort aux
Arabes » ou « Pas d’Arabes, pas d’attentats » pullulent en toute
impunité. Face à la propagande incessante qui assimile les
« Arabes » aux Nazis, Burg s’interroge au contraire sur
l’ancienne victime devenue bourreau : « sommes-nous totalement
happés par cette effroyable ressemblance avec nos bourreaux ? »
Dans le processus qui l’a conduit à la rupture, il y a une part
d’histoire familiale. La mère d’Avraham appartenait à une
famille installée en Palestine depuis plusieurs générations à
Hébron. En 1929, c’est la première révolte palestinienne contre
la colonisation sioniste. 67 Juifs sont tués à Hébron. La mère
d’Avraham fait partie des rescapé-e-s grâce à une famille
palestinienne qui a caché les siens. Plus de 60 ans plus tard,
Avraham rencontre cette famille de « Justes » pour reprendre la
terminologie appliquée à celles et ceux qui ont sauvé des Juifs
pendant la guerre mondiale. Cet épisode et cette rencontre ont
sûrement été déterminants dans son désir d’une vraie paix basée
sur l’égale dignité. Comme avant lui le philosophe Yeshayahou
Leibowitz qui, épouvanté par les conséquences des conquêtes de
1967, a été le premier à parler de judéo-nazisme, Burg considère
que « la mise sous tutelle de millions de personnes signifie la
remise en cause de l’essence juive ».
Burg est très sévère avec l’instrumentalisation du génocide
nazi. Le titre du livre « Vaincre Hitler », c’est en finir avec
la victimisation, avec la célébration morbide, c’est refuser
l’idée que la mémoire d’un massacre puisse légitimer la conduite
d’une société. Dans son livre « La Nation et la Mort »,
l’historienne Idith Zertal aboutit à la même constatation. Burg
constate : « nous nous conduisons comme si la Shoah est notre
monopole ». Il remarque d’ailleurs que beaucoup d’Israéliens
nient le génocide arménien de peur que celui-ci ne porte ombrage
au seul génocide valable à leurs yeux : celui des Juifs. « Halte
au judaïsme craintif et au sionisme paranoïaque ! » conclut-il.
Toujours sur l’idée que le souvenir des génocides appartient à
tout le monde pour qu’ils ne se reproduisent pas, Burg rappelle
un génocide oublié, celui de la quasi-totalité du peuple Herero
en Namibie, par le colonialisme allemand. Personne n’a condamné
ce crime à l’époque. Un des criminels était le père de Goering.
Burg fait l’éloge de Marek Edelman, commandant en second de
l’insurrection du ghetto de Varsovie, toujours vivant, toujours
bundiste et hostile à l’Etat d’Israël. Il s’élève contre toutes
les tentatives de rayer Edelman de l’histoire parce qu’il est
antisioniste.
Burg qui est profondément croyant propose qu’on vide la religion
juive de tout texte qui pourrait être exploité à des fins de
colonialisme ou de haine. Et il souhaite que les autres
religions fassent de même. Vaste programme ... À l’inverse des
lectures intégristes des textes sacrés, il met en avant l’idée
de la responsabilité de chaque être humain vis-à-vis de ses
actes.
Quand Shlomo Sand
dissèque la mythologie sioniste.
Sand est un historien dont la famille a fui
la Pologne. C’est un homme de gauche, étranger à la religion. Il
a fait une partie de ses études à Paris avec Pierre Vidal-Naquet
qui a préfacé son livre précédent : « les mots et la terre, les
intellectuels en Israël ».
Dans les conférences où il présente « Comment le peuple juif fut
inventé », Sand s’excuse à l’avance du nombre de notes qui
accompagnent son livre. Il sait que celui-ci, qui est déjà un
best-seller en Israël, sera l’objet de très vives critiques et
il tient à préciser ses sources et ses recherches.
L’idée centrale du livre de Sand est la suivante. Pour créer
l’Etat d’Israël et pour l’amener dans la situation actuelle, les
sionistes ont dû tout fabriquer : une histoire, une identité, un
peuple, une mentalité, des valeurs. Mais fondamentalement, tout
est plus que discutable. L’histoire antique est très largement
légendaire. Et surtout, il n’y a eu ni exil, ni retour : les
Juifs ne sont pas massivement partis au moment de la destruction
du temple par Titus. Autrement dit, les descendants des Hébreux
de l’Antiquité sont essentiellement les Palestiniens. Ben
Gourion lui-même a écrit (avec Ben Zvi, le futur président
d’Israël) en 1918 que ces « fellahs » étaient probablement des
descendants de Juifs et qu’ils s’intègreraient au projet
sioniste. Il a changé d’avis après la révolte palestinienne de
1929 en se ralliant à l’idée de les expulser.
Sand explique longuement que les Juifs d’aujourd’hui sont les
descendants de convertis de différentes époques.
On peut discuter sur le titre provocateur du livre de Sand. Y
a-t-il oui ou non un peuple juif ? On peut discuter sur
l’origine Khazar des Ashkénazes par rapport à l’hypothèse de
l’origine ouest-européenne ou sur ce qu’il écrit du marxisme.
Mais pour toutes celles ou ceux qui considèrent à juste titre
que le sionisme est une idéologie criminelle pour les
Palestiniens et suicidaire à terme pour les Israéliens, le livre
de Sand est fondamental : le cœur de l’histoire telle que les
sionistes la racontent (l’exil, le fait que la diaspora soit une
parenthèse et que la création d’Israël permette aux Juifs de
retourner dans le pays de leurs ancêtres et de reconstituer le
royaume unifié), toute cette fable est FAUSSE et sciemment
inventée pour justifier un projet colonial. Et c’est un argument
fondamental dans la lutte idéologique opiniâtre que nous devons
mener contre les ravages du sionisme.
« C’est le nationalisme qui crée les nations et non pas
l’inverse » a écrit Ernest Gellner (un théoricien de la
modernité mort en 1995). Dans le cas du sionisme, il a dû créer
au départ une histoire « politiquement correcte » des Juifs.
Avant l’apparition du sionisme, des historiens juifs allemands,
très inspirés par les idées « raciales » de l’époque, se mettent
à imaginer que les Juifs seraient un peuple-race. Idée plus tard
partagée par les Nazis avec les conséquences que l’on sait. Les
concepts de races aryenne, sémite etc... sont tout aussi
stupides et inexacts que dangereux.
Dans leur grande majorité, les fondateurs du sionisme n’étaient
pas croyants. Certains étaient même farouchement antireligieux,
considérant les rabbins comme les représentants d’une forme
d’arriération. Au contraire, pendant très longtemps, les
religieux orthodoxes ont été hostiles au sionisme. Encore
aujourd’hui, un courant religieux comme les Nétouré Karta
condamne le sionisme comme hérétique, comme porteur de l’idée
(fausse à leurs yeux) que le Messie, c’est l’Etat d’Israël.
C’est à partir de 1967 que le courant national-religieux,
reprenant les théories du rabbin Kook, s’est rallié au sionisme
et au colonialisme. Ce courant représente aujourd’hui près d’un
quart de la société israélienne.
Les fondateurs du sionisme et plus tard les historiens
« officiels » de l’Etat d’Israël sont allés rechercher dans la
Bible tout ce qui pouvait justifier la décision, prise lors d’un
congrès sioniste, de créer le « foyer » juif et plus tard
« l’Etat juif ». Sur l’histoire antique, les archéologues
israéliens Finkelstein et Silberman parlent de « la Bible
dévoilée » quand Sand parle de « mythistoire ». Ils sont
d’accord sur l’essentiel. De toute façon, dans la communauté des
archéologues et des historiens, il n’y a plus que des
divergences de détail. La Bible diffère peu de l’Iliade et
l’Odyssée. Un livre extraordinaire qui a frappé et impressionné
des millions d’humains à travers les siècles. Mais une histoire
largement légendaire.
Sand confirme : les épisodes de l’arrivée des Hébreux depuis la
Mésopotamie ou celui de l’entrée et la sortie d’Egypte sont
inventés. Ils correspondent à la volonté des auteurs de la Bible
de se donner des origines, une histoire et une raison d’être
politiquement correctes. Quand le fasciste Baruch Goldstein
massacre 29 Palestiniens (en 1994) dans le « caveau des
patriarches » censé être le tombeau d’Abraham, la fiction
devient meurtrière.
L’épisode le plus horrible de la Bible, la conquête sanglante de
Canaan par Josué, premier texte d’apologie du « nettoyage
ethnique » est aussi inventé. Les Hébreux sont un peuple
autochtone, ils n’ont rien conquis. Ce texte constitue le socle
idéologique du courant national-religieux pour qui « Dieu a
donné cette terre au peuple juif ». Au nom de ce texte, près
d’une moitié de la société israélienne est favorable au
« transfert », la déportation des Palestiniens au-delà du
Jourdain.
Le royaume unifié de David et Salomon est également une fiction.
À l’époque présumée de la reine de Saba, Jérusalem était un
village et les fouilles incessantes sous Jérusalem ne font que
confirmer cette thèse. Il est probable que le royaume d’Israël
(détruit en 722 av JC par les Assyriens) et celui de Judée
(détruit en 586 av JC par les Babyloniens) ont toujours été des
entités distinctes. Or le sionisme aujourd’hui prétend
ressusciter le royaume unifié et occuper toutes les terres sur
lesquelles il se serait étendu.
La Bible a été écrite essentiellement pendant l’exil à Babylone.
Une partie importante de la population judéenne n’est pas
revenue. Ses descendants sont les Juifs Irakiens, Iraniens ou
ceux de Samarkand.
Sand analyse les documents historiques sur la guerre menée par
Titus et 60 ans plus tard sur la dernière révolte juive dans la
région, celle de Bar Kochba. Il analyse le principal texte, le
livre de Flavius Josèphe « La guerre des Juifs ». Il montre
qu’il n’y a pas eu expulsion, qu’il y avait déjà avant
d’importantes communautés juives à Babylone, Alexandrie ou Rome.
Il n’y a aucune trace d’un départ massif de la population. C’est
l’histoire officielle sioniste qui a inventé, en gonflant les
chiffres, le mythe de l’expulsion.
De toute façon, les quelques milliers de Judéens partis
n’auraient pas pu engendrer l’importante population juive (le
chiffre de 8 millions paraît vraisemblable) dans l’empire
romain. C’est tout simplement parce que jusqu’à l’empereur
Constantin qui fait du christianisme la religion officielle, la
religion juive est prosélyte et en concurrence avec les
Chrétiens ou le culte de Mithra. Les persécutions des Chrétiens
arrêtent ce prosélytisme qui se prolongera dans d’autres
régions. Sand montre à partir de personnages historiques (la
Kahéna, Tariq, celui qui a conquis l’Espagne) l’importance des
conversions au judaïsme de tribus Berbères. Il ne fait pas de
doute que les Juifs du Maghreb et en partie les Juifs Espagnols
sont les descendants de ces convertis.
Pour les Ashkénazes (les Juifs d’Europe Orientale), Sand revient
sur l’histoire des Khazars, peuple turc qui a établi pendant
plusieurs siècles un empire entre la Caspienne et la Mer Noire.
Il y a la preuve historique de la conversion de l’aristocratie
de ce peuple au judaïsme. Sand estime que la population (y
compris les Slaves) de cet empire est à l’origine du peuple
Yiddish.
Il montre aussi l’existence d’anciens royaumes juifs au
Kurdistan ou au Yémen. Bref les Juifs d’aujourd’hui sont des
descendants de convertis. Cette minorité religieuse n’a jamais
exprimé le souhait concret d’un « retour » à Jérusalem.
D’ailleurs, ni les Juifs de Babylone (qui ont préféré Bagdad),
ni les Juifs Espagnols expulsés (qui ont préféré le Maghreb ou
les grandes villes ottomanes) n’ont fait ce choix quand ils en
ont eu l’occasion. Le retour est une fiction et la « loi du
retour » (qui permet à tout juif de devenir très rapidement un
citoyen israélien) est basée sur un mensonge. Pour Sand,
l’existence d’un peuple juif est une fiction. Le seul point
commun entre juifs yéménites, espagnols ou polonais, c’est la
religion.
Avec un pareil écart entre la réalité historique et l’histoire
officielle, il a fallu créer de toutes pièces en Israël la
définition de ce qu’est un Juif. Cette politique identitaire a
tourné le dos aux idées progressistes du Bund qui prônait
l’autonomie culturelle du peuple Yiddish sur place, dans le
cadre de la révolution. Elle s’oppose à toute l’histoire des
Juifs comme minorité religieuse dispersée. C’est une définition
à la fois biologique et religieuse du judaïsme qui s’est imposée
en Israël. Une définition excluant les Non-Juifs dans un Etat
qui n’est pas le leur. Sand explique que se définir « Etat Juif
et démocratique » est un oxymore (une contradiction). Et que les
dérapages racistes incessants de la société israélienne sont
dans l’ordre des choses d’une telle définition.
Vraiment deux livres qu’il faut lire.
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