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Opinion
L'Iran, havre de paix pour les Chrétiens du Moyen-Orient
Pierre Piccinin
Cathédrale catholique arménienne Saint-Sauveur, à Ispahan (par
l’auteur)
Jeudi 23 décembre 2010
Dans un article
intitulé « SOS Chrétiens »
et publié dans
Le Point
et
La Libre Belgique,
le philosophe français Bernard-Henri Lévy incrimine l’Iran,
pays où « les derniers
catholiques, malgré les dénégations du régime, (…) sont, en
pratique, interdits de culte ».
Il y apparaît clairement, d’une part, que
le souci de Monsieur Lévy est, en évoquant les récentes
attaques qui ont visé les Chrétiens au Moyen-Orient, de
discréditer l’Islam et, d’autre part, que ses
« informations » concernant l’Iran sont en tous points
erronées, puisque les communautés chrétiennes, dans ce pays,
jouissent en réalité d’une complète liberté de culte, comme
nous avons pu le constater lors de notre présence en Iran,
en juillet dernier.
Ceux qui colportent des « informations »
contraires ou bien ne connaissent pas la réalité du terrain
et ne savent pas de quoi ils parlent, ou bien,
volontairement, désinforment l’opinion en propageant des
mensonges de manière éhontée. Dans les deux cas, ils
participent à la diabolisation de l’Iran, leitmotiv du
moment, par une manipulation qui confine à la propagande,
dans le contexte international que l’on sait.
« Méfions-nous des faux prophètes, qui se
déguisent en rebelles plein de compassion, pour nous
convaincre d’accepter le monde tel qu’il est. »
Depuis plusieurs années et plus encore de
ces derniers mois, les attaques contre les communautés
chrétiennes se sont multipliées dans plusieurs pays du monde
arabo-musulmans, et d’aucuns n’hésitent plus à parler de
véritables persécutions organisées.
Certes, divers attentats ont frappé les
Chrétiens du Maghreb. Toutefois, il s’est là toujours agi
d’actes isolés et perpétrés par des groupuscules intégristes
radicaux, sans que les gouvernements des Etats concernés
n’eussent eux-mêmes été impliqués ; au contraire, ces
derniers ont mis en œuvre les moyens nécessaires pour lutter
contre le terrorisme islamiste, qui menaçait également leur
souveraineté et l’Etat de droit.
Mais il en va tout autrement aux Proche
et Moyen-Orient, et en particulier en Egypte, en Arabie
saoudite et en Irak, pourtant tous trois alliés objectifs de
l’Occident et dont les gouvernements servent plus qu’à leur
tour ses intérêts.
En Egypte, le gouvernement d’Hosni
Moubarak, pour se maintenir au pouvoir, depuis 1981, a fait
de nombreuses concessions aux milieux intégristes, surtout
depuis une dizaine d’années : la société s’est transformée ;
l’alcool, par exemple, n’est plus en vente libre et le port
du foulard se généralise ; et, dans ce contexte, les
communautés chrétiennes, coptes notamment, sont devenues les
cibles de nombreuses exactions, sans recevoir de l’Etat la
protection qu’elles sont en droit d’en attendre.
Plus radicalement, en Arabie saoudite,
Etat islamique intransigeant, aucune pratique religieuse
n’est autorisée, sinon l’Islam. Le culte chrétien est donc
formellement prohibé (on n’y trouve aucune église),
l’importation dans le pays de tout écrit chrétien ou
instrument cultuel et la possession de vin sont sévèrement
punis et interdiction est faite aux Chrétiens de s’approcher
des lieux saints de La Mecque et de Médine.
En Irak, enfin, depuis la chute du
gouvernement de Saddam Hussein, baathiste laïc qui
maintenait le statu quo entre les différentes confessions et
garantissait la liberté des cultes, des attaques de grande
ampleur ont causé la mort de nombreux Chrétiens, sans,
toutefois, que les responsables de ces actes aient pu être
précisément identifiés, ni leurs objectifs clairement
définis. Tout récemment encore, une cinquantaine de
Chrétiens syriaques catholiques étaient massacrés dans leur
cathédrale, à Bagdad.
En revanche, parmi ces Etats musulmans,
l’Iran fait figure d’exception.
Bien que République islamique, l’Iran
n’a en effet aucune politique d’hostilité à l’égard des
Chrétiens et abrite d’ailleurs de vastes communautés
chrétiennes : un peu plus de deux cent cinquante mille
Chrétiens, majoritairement catholiques arméniens, y
vivent en sécurité et pratiquent ouvertement leur
religion, à condition de ne pas faire de prosélytisme.
C’est ce que nous avons pu constater, il y a quelques
mois, à travers les nombreux contacts que nous avons
pris en parcourant l’Iran durant plusieurs semaines.
A cette occasion, nous avons pu
visiter plusieurs communautés chrétiennes, participer à
des offices religieux et rencontrer de nombreux
chrétiens, en divers lieux du pays, qui vivent sans être
nullement inquiétés, en citoyens ordinaires. Les prêtres
marchent en rue avec le col romain et les églises
ressemblent au nôtres, surmontées de grandes croix, au
vu de tous.
A Téhéran, à notre grande surprise,
nous avons même pu observer une reconstitution de la
grotte de Lourdes.
A Ispahan, troisième ville d’Iran en
importance, la communauté catholique arménienne ne
possède pas moins de douze églises, avec pignon sur rue,
dont la plus ancienne, la cathédrale Saint-Sauveur, date
du XVIème siècle. Elle est en outre flanquée d’un grand
musée dédié à la communauté arménienne et où la mémoire
religieuse occupe une place non négligeable.
La culture de la vigne et la
fabrication de vin sont même autorisés aux Chrétiens,
non seulement pour l’exercice du culte, mais également
pour leur consommation quotidienne.
Plus encore, la constitution
iranienne garantit aux Chrétiens un nombre de sièges
minimum, qui leur assurent une représentation
systématique au Parlement iranien, alors que leur
dispersion sur les cantons électoraux ne leur
permettrait pas, normalement, d’obtenir un seul député.
L’Iran chiite respecte ainsi à la
lettre les injonctions du Coran, qui oblige tout
Musulman à protéger les « gens du Livre », Chrétiens et
Juifs, ces derniers, au nombre de vingt-cinq mille
environ, bénéficiant en Iran des mêmes droits que les
Chrétiens.
Bref, au Moyen-Orient, en matière de
liberté de culte et de protection des minorités
religieuses, le pays des Ayatollahs, pourtant
régulièrement diabolisé, pourrait donner bien des leçons
aux grands alliés de l’Occident.
Pierre PICCININ
Professeur d’histoire et de sciences politiques
Website :
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Merci de mentionner les sources.
Publié le 23 décembre 2010
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