Syrie
Le plan Annan :
une porte de sortie pour Damas ?
Pierre Piccinin
Samedi 21 avril
2012
Exception faite de la
France, qui a soutenu le Qatar dans son
entreprise de déstabilisation du
gouvernement syrien [le Qatar a armé les
factions de l’opposition qui ont opté
pour une rébellion militarisée et a
largement utilisé sa chaîne de
télévision satellitaire, al-Jazeera,
pour attaquer le régime baathiste, au
point d’intoxiquer l’opinion publique
internationale en promouvant de fausses
informations; tandis que des unités de
l’armée française entraînent l’Armée
syrienne libre (ASL) à la guérilla
urbaine dans les camps de réfugiés qui
lui servent de bases arrière en Turquie
et au Liban], l’Occident, de manière
générale, de même qu’Israël, s’est
trouvé fort embarrassé face à la
fragilisation d’un pays dont
l’éclatement pourrait entraîner un
séisme géopolitique de Tel-Aviv à
Téhéran et de Beyrouth à Bagdad.
En effet, contrairement à la
vision développée par les analystes des
écoles marxisantes, qui fondent de
manière systématique leur approche des
événements du Moyen-Orient sur le
postulat selon lequel « l’empire
américain » et ses « vassaux européens
», liés à « l’entité sioniste », tirent
les ficelles de tous les dérèglements
qui y surviennent, il apparaît de
manière assez évidente que ni les
États-Unis, ni l’Union européenne, ni
non plus Israël n’ont souhaité le
renversement du président Bashar al-Assad.
D'une part, les
événements en Syrie ont mis en péril
toute une politique de réalignement
forcé du pays, menée par les États-Unis
depuis 2005 : peu après l’assassinat de
Rafiq Hariri, le premier ministre
libanais, Washington avait utilisé le
Tribunal spécial pour le Liban, avec la
complicité de son nouvel allié, la
France sarkozienne, pour accuser et
mettre la pression sur la Syrie ;
parallèlement, à travers l’Arabie
saoudite, son grand allié dans la
région, Washington a offert à Damas des
opportunités d’accords économiques et
diplomatiques. Bashar al-Assad avait
bien compris cette politique de la
carotte et du bâton et a saisi la main
tendue ; l’enquête du Tribunal spécial
fut alors réorientée vers le Hezbollah…
Mais les relations entre la Syrie et les
Etats-Unis s’étaient déjà améliorées dès
après les attentats du 11 septembre 2001
: Damas et Washington s’étaient trouvé
un point commun, la lutte contre le
terrorisme islamiste. Et des prisonniers
furent transférés de Guantanamo en
Syrie, pour y être « interrogés » ; une
collaboration très étroite s’est
développée entre les services secrets
états-uniens et syriens.
D'autre part, quelles
mesures concrètes ont-elles été prises
contre Damas ? Principalement, les
Etats-Unis et l’Europe ont déclaré
qu’ils n’achèteraient plus de pétrole à
la Syrie. Or, les Etats-Unis n’ont
jamais acheté de pétrole à la Syrie… En
outre, le pétrole syrien continuera de
se vendre sur les marchés, ailleurs, à
travers l’Irak notamment, et l’Europe
s’approvisionnera ailleurs également. Il
s’agit donc d’un hypocrite petit jeu de
chaises musicales qui n’aura aucune
conséquence pour le régime baathiste.
Quant à Israël, il
s’inquiète des bouleversements qui ont
lieu en Syrie : le régime baathiste ne
reconnaît pas l’État d’Israël, appelé «
la Palestine occupée », mais ne mène
aucune action hostile à Tel Aviv. En
dépit des 500.000 réfugiés palestiniens
qu’abrite la Syrie, aucune attaque n’a
lieu contre Israël depuis les frontières
syriennes, tant la région du Golan est
parfaitement sécurisée par Damas.
De même, si la Syrie
finance le Hezbollah et le Hamas, c’est
dans le but de rester un acteur régional
incontournable, nullement de détruire
Israël.
Ainsi, le plan de paix porté
par Kofi Annan, ancien Secrétaire
général de l’ONU, lequel plan vise à
faire accepter en Syrie un cessez-le-feu
par les forces gouvernementales et les
différentes factions armées de la
rébellion, constitue pour Damas
l’opportunité, d’une part, de mettre
l’opposition face à ses responsabilités,
en lui proposant de s’asseoir à la table
des négociations et de déterminer une
feuille de route vers un processus de
réformes, et, d’autre part, de
renormaliser ses rapports avec
l’ensemble de la Communauté
internationale.
Le plan Annan survient
effectivement à un moment où l’armée
régulière syrienne a pour ainsi dire
repris le contrôle des foyers
historiques de l’opposition, Homs et
Hama, et est par ailleurs en train
d’anéantir les bastions que l’ASL
occupait le long des frontières turques
et libanaises, comme Idlib ou Zabadani.
Si l’on a pu penser que ce plan
avait pour but de donner le temps à
l’opposition, en grande difficulté, de
reprendre son souffle, il est cependant
soutenu par la Russie, allié privilégié
de la Syrie, qui, jusqu’à présent,
s’était toujours opposée aux projets de
résolutions du Conseil de Sécurité qui
condamnaient la violence exercée par le
gouvernement, sans évoquer celle de la
rébellion. Il en va autrement cette
fois, à l’égard d’un plan qui concerne
les deux parties en présence et plus
seulement le pouvoir en place.
Le plan, en outre, n’appelle
plus au départ du président al-Assad,
comme cela avait été le cas des
différents projets de résolution rejetés
par Moscou.
Autrement dit, le scénario le
plus probable, si le plan Annan devait
se concrétiser, serait celui d’un
apaisement de la crise syrienne et d’une
réforme progressive des institutions,
sur le long terme, voire sur le très
long terme, et sous l’égide de l’actuel
gouvernement, mais sans plus de risque
d’explosion régionale et avec la
possibilité, pour Washington, de
reprendre, là où elle l’avait laissé,
son travail de rapprochement avec Damas.
La seule incertitude réside
dans l’attitude des Frères musulmans
syriens, qui dominent l’opposition
politique : accepteront-ils de se
laisser ainsi forcer la main et de dès
lors perdre la partie ? Et, bien sûr,
dans les intentions du couple
franco-qatari. Mais, déjà moins hargneux
dans le verbe envers Damas, l’Elysée
semble avoir entendu la voix de son
maître…
Publié sur
La Nouvelle République
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