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Syrie - Vicissitudes et réalités du «Printemps arabe»
Pierre Piccinin


©  photo Pierre PICCININ- juillet 2011

La Libre Belgique, 15 juillet 2011

L'ordre règne à nouveau dans le sud... À Deraa, le fief de l'insurrection, seuls quelques barrages routiers, où une poignée de fantassins, harassés par le soleil de l'été, agitent la main pour presser le passage des automobiles, rappellent qu'il s'est probablement là passé quelque chose...

À l'entrée de la ville, la statue du Cheikh Saleh al-Ali, qui avait conduit la révolte arabe contre le colonisateur français en 1918, se dresse -ironie du sort- face aux gigantesques portraits d'Hafez et Bashar al-Assad, serrant dans son poing les fleurs desséchées du Printemps arabe.

par Pierre PICCININ, en Syrie (juillet 2011)

Le cas des révoltes qui agitent la Syrie depuis le début du mois de février vient ajouter ses spécificités à un « Printemps arabe » devenu déjà très complexe et divers, et dont le bilan s’éloigne de plus en plus de l’image simpliste qu’en avaient forgée maints observateurs euphoriques, celle d’une « vague révolutionnaire démocratique déferlant sur tout le monde arabo-musulman », de Rabat à Téhéran.

Pendant que le Yémen et la Libye s’enfoncent dans la guerre civile, guerre de clans et de tribus, guerre des chefs aussi, avec, dans un cas, l’interventionnisme des monarchies du Golfe et, dans l’autre, l’ingérence de l’Occident, alors que les « révolutions » égyptienne et tunisienne ont la gueule de bois et peinent à se débarrasser des establishments moubarakiste et benaliste qui contrôlent encore tous les rouages de la société et de l’État, tandis que le Bahreïn et, à présent, le Maroc (plus modestement) répriment la contestation dans la violence, la Syrie offre une autre variante encore de ce « Printemps arabe », qui détrompe l’analyste et démontre combien le monde arabe est pluriel et multiple. Bien loin du cliché véhiculé et appliqué partout sans nuance, le cas syrien, pas plus qu’en Libye ou ailleurs, ne saurait être décrit comme la révolution et l’élan démocratique d’un peuple opprimé déterminé à renverser une féroce dictature (celle de Bashar al-Assad et du parti Baath), vision que démentent, entre autres éléments, les gigantesques manifestations de soutien au gouvernement, qui bénéficient d’une réelle adhésion de la part d’une fraction non négligeable de la population et ne sauraient être expliquées simplement par les velléités propagandistes du régime.

Certes, on ne peut pas nier l’émergence d’une société civile et d’un mouvement revendicatif exigeant la démocratisation des institutions: au printemps, des manifestations, qui ont rassemblé des centaines de milliers de personnes à travers tout le pays, ont eu lieu dans la plupart des grandes villes de Syrie. Mais ce mouvement, à son origine déjà, était limité et tout à fait minoritaire. Ainsi, les 4 et 5 février, un appel à se rassembler pour une immense manifestation à Damas avait circulé sur Facebook, mais il n’avait été que fort peu suivi et s'était soldé par un lamentable flop. D’autres cas similaires ont été épinglés depuis.

Ce mouvement s’est en outre rapidement essoufflé, fortement affaibli par la répression, et est aujourd’hui presqu'anecdotique : les manifestations ne rassemblent plus guère que quelques centaines, voire quelques milliers de personnes parfois, principalement le vendredi à la sortie des mosquées (rarement en d’autres occasions), et restent cantonnées à des quartiers très en périphérie des grandes villes, des quartiers socialement défavorisés ; cette contestation est devenue essentiellement sunnite et l’on peut aisément y déceler une forte influence islamiste. De plus, les manifestations ne durent généralement que quelques minutes : dès qu’elles sont localisées, les unités spéciales de la sécurité les dispersent par des tirs à balles réelles. Le plus souvent, il ne s’agit plus que de rassemblements de quelques centaines de jeunes, qui se réunissent dans les ruelles étroites des quartiers périphériques, là où les véhicules de la police civile peuvent difficilement intervenir.


Damas - Manifestation de soutien à Bashar al-Assad - ©  photo Houssam- juillet 2011

Ce mouvement existe donc, mais il ne constitue cependant pas le moteur des révoltes en Syrie, qui procèdent moins d’un soulèvement populaire à la tunisienne ou à l’égyptienne que des enjeux régionaux ou idéologiques liés aux différents mouvements politiques, communautés et confessions qui structurent la population syrienne, enjeux auxquels se superposent en outre les intérêts des voisins saoudiens, israéliens et iraniens, états-uniens aussi, à une échelle internationale.

Sur le plan intérieur, d’abord, il faut donc bien faire la différence entre les manifestations pacifiques et les révoltes, parfois armées et qui ont motivé une intervention militaire.

Les révoltes, souvent très violentes, mais très localisées, ne sont en effet pas généralisées à tout le pays et n’ont concerné que deux territoires bien délimités situés, l’un, à l’ouest d’Alep, le long de la frontière turque, et, l’autre, à l’extrême sud-ouest, autour des villes de Deraa, Bosra et Souweyda. Un troisième foyer s’est aussi déclaré dans la ville de Hama et ses environs, ville très religieuse et fief des Frères musulmans syriens.

Mais chacun de ces territoires s’est insurgé pour des raisons différentes, et différentes aussi des motivations des manifestants réclamant des réformes démocratiques.

Très puissants en Syrie et idéologiquement ultra-radicaux, les Frères musulmans syriens représentent probablement la branche la plus intransigeante de ce mouvement au Moyen-Orient, bien moins accommodants que leur équivalent égyptien par exemple.


©  photo Pierre PICCININ- juillet 2011

Profitant des troubles qui touchent la Syrie, ils ont relancé la révolte qu’ils avaient déjà soulevée à Hama, en 1982, contre Hafez al-Assad (le père de l’actuel président), qui avait réprimé l’insurrection dans le sang (on estime le bilan de la répression de 1982 entre dix et trente mille morts ; les Frères musulmans avaient déjà tenté d’assassiner Hafez al-Assad en 1980).

L’armée a répondu aux grandes manifestations organisées à Hama par des incursions dans la ville, dans le but d’arrêter les meneurs et les militants les plus actifs. Les habitants ont alors fortifié les entrées et les rues de Hama par des barricades de fortune et, à l’heure où nous écrivons ces mots, la ville, en quasi état de siège, cernée par des chars d’assaut, est aux mains de ses habitants, qui poursuivent leurs manifestations, sur la grande place située à l’entrée de la ville, au bas de la longue avenue al-Alamhein, où l’on peut voir les traces des violents heurts qui ont opposé l’armée et les contestataires.

Craignant une insurrection armée similaire aux événements de 1982, le gouvernement a d’emblée fait usage de la force pour anéantir un éventuel soulèvement. Par la suite, les manifestants de Hama refusant toute forme de violence, les autorités ont, semble-t-il, décidé d’éviter le bain de sang, par crainte des réactions de la communauté internationale (même si aucun journaliste n’est autorisé à entrer dans le pays), et choisi le pourrissement : cantonnée tout autour de la cité et dans les villages avoisinants, l’armée, forte de plusieurs dizaines de blindés prêts à intervenir le cas échéant, n’entre plus dans Hama, où le seul portrait de Bashar al-Assad encore en place est celui qui orne la façade du siège du parti Baath, dans lequel se sont retranchés les partisans du président, lesquels ne sont pas inquiétés, cela dit, par les manifestants, qui veulent maintenir le caractère non-violent de leur mouvement.

 

 

Hama, 15 juillet 2011 - ©  photos Pierre PICCININ

C’est sur cette place Alasi, le Tahrir Square syrien, qu’aboutissent les cortèges en provenance de tous les quartiers de Hama. [1] 

Plus au nord, dans l’orbite de Hama, dans la petite ville de Maarat-an-Nouman, l’opposition a par contre choisi de s’en prendre aux symboles du pouvoir : les portraits du président al-Assad ont été arrachés et le siège du parti Baath, pris d’assaut, a été incendié. Les forces de l’ordre ont cependant mâté la révolte, faisant usage, d’après certaines sources, d’hélicoptères de combat pour mitrailler la foule.

La vie y a repris son cours normal et les graffitis hostiles au régime ont été recouverts d’un badigeon noir. L’armée a depuis lors quitté les lieux.

 

Maarat-an-Nouman - ©  photo Pierre PICCININ- juillet 2011

Au sud, Deraa et le Djebel druze, dont les villes de Bosra et Souweyda, abritent une large majorité de Druzes (courant de l’Islam hétérodoxe). Historiquement repoussée et concentrée dans cette région, la communauté druze, qui représente moins de 4% de la population syrienne, a toujours été écartée du gouvernement et socialement défavorisée. L’appel à manifester contre le pouvoir alaouite a été l’occasion pour elle de se révolter contre l’hégémonie de Damas. Parallèlement, une partie de la communauté sunnite de Deraa, région pauvre et abandonnée par Damas, s’est jointe à la contestation. Mais les difficultés économiques auxquelles est confrontée cette province seraient moins à l’origine de la contestation sunnite que l’influence, à Deraa également, de la mouvance islamiste.

Au nord-ouest, la population est essentiellement composée de Turcomans, descendants de populations turques et parlant un dialecte turc. Leur nombre est difficilement estimable : au total, ils représenteraient 20 à 25% de la population syrienne. Soutenus par Ankara, des éléments de cette communauté revendiquent une autonomie régionale qui lui assurerait une certaine indépendance vis-à-vis du gouvernement central, revendication tout à fait contraire à la conception de l’État baathiste.

Si la révolte est presqu’éteinte à Deraa et dans le Djebel druze, il n’en est pas encore tout à fait de même dans le nord-ouest. Toutefois, on n’en est plus aux grandes manifestations qui avaient rempli la rue de milliers de personnes.

 

Jisr-al-Suhgur - ©  photo Pierre PICCININ- juillet 2011

Le long de la frontière turque, autour de Jisr-al-Shugur, ville qui a été le cœur de la révolte dans cette région, la tension reste vive. La région a en effet été le cadre d’une contestation très violente. Á Jisr-al-Shugur, les opposants au régime baathiste ont attaqué des postes de police et plusieurs bâtiments publics ont été incendiés, dont, ici aussi, le siège du parti Baath. L’armée a répliqué avec non moins de violence, provoquant la panique et l’exil de centaines de familles, qui se sont réfugiées de l’autre côté de la frontière, en Turquie. Le nombre des victimes de la répression fut probablement très élévé.

Jisr-al-Shugur vit sous la loi martiale. C’est la seule ville du pays dans ce cas. L’armée y est déployée, ainsi que dans toute la région. Des chars et des mitrailleuses fortifiées assurent chaque carrefour et le contrôle des véhicules est systématique.

On trouve une communauté turcomane à Homs également, ville située beaucoup plus au sud, où de violentes altercations ont eu lieu avec les forces de l’ordre. Mais aussi une présence islamiste non négligeable.

Le cas de Homs est tout à fait spécifique. La fermeté du pouvoir a découragé les velléitaires des premiers jours et la contestation s’y traduit désormais, comme ailleurs, par de petites manifestations isolées, mais également par des actions ciblées, par lesquelles des groupes de quelques centaines d’activistes, quelques dizaines seulement parfois, dont plusieurs sont armés, comme nous avons pu le constater, s’emploient, lors de sorties nocturnes, à entretenir un état de tension et d’instabilité en s’attaquant aux représentants de l’autorité.

Il arrive régulièrement que les soldats (pour la plupart de jeunes conscrits) ripostent dès lors, et que l’on dénombre des morts parmi les « manifestants ».

Il est bien difficile de déterminer dans quelle mesure et dans quelles proportions ces bandes armées sont constituées de militants autonomistes, islamistes et/ou de citoyens soucieux de démocratiser le régime et qui auraient opté pour la voie de la résistance armée.


Homs - ©  photo Pierre PICCININ- juillet 2011

Quoi qu’il en soit, cette guérilla urbaine est loin d’avoir le soutien de la population, qui qualifie les troubles qu’elle génère de « problèmes », la conséquence en étant la fermeture régulière des commerces, volets de fer tirés, « pour protester contre le gouvernement », selon l’opposition, par « crainte du vandalisme », selon les personnes rencontrées dans les souks.


Palmyre - ©  photos Pierre PICCININ- juillet 2011

C’est que la conjoncture syrienne présente un point commun avec l’Égypte et la Tunisie : les touristes ont complètement déserté le pays. Les hôtels et les restaurants, les sites archéologiques, les musées, les échoppes des vieilles villes de Damas et Alep, tout est vide. Les bédouins ont dressé leur tente entre les colonnades de Palmyre et pas une âme, pas davantage que dans les ruines de Carthage à Tunis, ne foule désormais les antiques pavés d’Apamée. Mêmes si les Syriens dépendent moins du tourisme que les Égyptiens ou les Tunisiens, la population concernée commence à durement ressentir la crise et se lasse des désordres, tenant des propos très véhéments contre les manifestants. C’est cela aussi la réalité en Syrie.


Deir-ez-Zor -  ©  photo Pierre PICCININ- juillet 2011

En revanche, à l’est, tout est redevenu serein sur les bords de l’Euphrate ; et, à l’exception de quelques quartiers périphériques, les nuits sont paisibles à Deir ez-Zor.

Trois groupes aux revendications bien distinctes, donc : le sud, le nord-ouest et la mouvance islamiste ; et qui ne partagent pas nécessairement les préoccupations de l’opposition démocratique.

D’un autre côté, le régime bénéficie du soutien de plusieurs communautés, et notamment des Chrétiens (10% de la population), quasiment inconditionnellement supporters de Bashar al-Assad, surtout dans la région côtière, voisine de Hama, et plus particulièrement encore dans le contexte actuel. Les Chrétiens craignent en effet l’essor du courant islamiste radical, dont les intentions sont très claires : l’instauration d’une république islamique sans concession et l’éradication du christianisme et des courants musulmans considérés comme hérétiques.


Région côtière, près de Safita - ©  photos Pierre PICCININ- juillet 2011

Pour les mêmes raisons, le régime bénéficie aussi du soutien, à tout le moins passif, des Kurdes (bien que ces derniers soient en partie exclus socialement) et des communautés juive et musulmanes chiite et alaouite, de cette dernière dont est issue la famille du président Bashar al-Assad et qui représente environ 20% de la population syrienne. [2]

La Syrie est en effet un État laïc, où Chrétiens, Juifs et Musulmans, de manière générale, cohabitent en franche convivialité.


©  photo Pierre PICCININ- juillet 2011

À ce bloc, qui représente presque 40% de la population syrienne, il faut encore ajouter une large partie de la bourgeoisie sunnite (courant majoritaire en Syrie), laquelle se félicite des mesures économiques promues par Bashar al-Assad depuis son accession à la présidence, le 10 juillet 2000.

Tournant le dos à la dimension éminemment socialiste du baathisme traditionnel, l’actuel président a autorisé la privatisation de plusieurs secteurs économiques et financiers, des banques notamment. Il a aussi favorisé le secteur du tourisme et celui des nouvelles technologies, rattrapant rapidement le lourd retard que la Syrie accusait dans ce domaine, comme, par exemple, celui de la téléphonie mobile et de l’internet. Des facilités douanières furent négociées avec la Turquie et divers partenaires, de telle sorte que, en quelques années seulement, un essor économique palpable a transfiguré les grandes villes, à commencer par la capitale.

La bourgeoisie, qui profite à présent du succès de cette politique, n’a certainement pas l’intention de ruiner ces acquis en laissant renverser le régime auquel elle les doit.


©  photo Pierre PICCININ- juillet 2011

Bashar al-Assad a enfin le soutien de l’armée, dont la majorité des cadres sont des Alaouites, et de l’importante population de Palestiniens réfugiés (presqu’un demi-million, sur une population totale d’environ vingt millions), qui jouissent des mêmes droits que les citoyens syriens et possèdent leur propre milice, « l’Armée de Libération de la Palestine», reconnue par le gouvernement syrien.

Selon les témoignages recueillis parmi les manifestants (et notamment auprès d’un coordinateur des manifestations de quartiers à Damas, lequel ne cache pas ses liens avec l’organisation des Frères musulmans), le régime pourrait compter également sur l’appui concret de l’Iran et du Hezbollah, qui auraient dépêché dans le pays des renforts aux forces de l’ordre syriennes.

Concernant la situation intérieure, force est donc de conclure, d’une part, que le régime, pour peu démocratique qu’il soit, fonde sa légitimité sur un consensus nécessaire et dont la majorité des Syriens est bien consciente et, d’autre part, que, s’il existe une aspiration de la classe moyenne à la démocratie, les troubles les plus importants sont le fait de protagonistes dont les objectifs divergent et n’ont que peu à voir avec la démocratisation du régime.

De fait, à l’exclusion des fiefs rebelles, partout ailleurs dans le pays, règne un calme plat.

On ne rencontre quasiment aucun barrage sur les routes et l’armée comme la police sont presqu’absentes du paysage.

Bien sûr, à Damas comme partout, des rixes épisodiques ont lieu dans les faubourgs. En outre, la traditionnelle manifestation du vendredi succède à la prière, à la sortie des mosquées. L’événement n’a pas à proprement parler d’impact sur le régime. Il est cependant l’occasion de provocations et d’échauffourées parfois très violentes, qui se soldent par des tirs, voire des morts, des arrestations en tout cas (le stade de Damas a été reconverti en centre de détention et entre 4.000 et 5.000 prisonniers y seraient enfermés).

Mais, cela mis à part, chacun vaque à ses occupations et, partout, sont fièrement arborés les portraits du président Bashar al-Assad et de son père, Hafez, à chaque coin de rue, au milieu de chaque rond-point, à l’entrée de chaque ville, devant chaque édifice public, sur les casquettes, sur les t-shirts, sur la porte de chaque commerce, dans chaque boutique du souk, sur les lunettes arrières des automobiles, parfois en compagnie de l’effigie d’Hassan Nasrallah, le chef du Hezbollah… Personne ne les arrache, personne ne les mutile, personne ne s’en départit.


©  photo Pierre PICCININ- juillet 2011

Sur le plan extérieur, ensuite, il serait faux d’affirmer que les révoltes feraient l’affaire d’Israël et des États-Unis et seraient attisées par ces deux puissances, voire, comme l’ont soutenu certains analystes, que les événements seraient le résultat d’un « plan de déstabilisation de la Syrie » fomenté par Washington.

Certes, la Syrie, alliée traditionnelle de l’Iran, hostile à l’hégémonie états-unienne sur le monde arabe, ne peut (pouvait) pas être qualifiée d’allié privilégié de Washington. De même, la Syrie, le seul des États arabes qui, avec celui du Liban, n’a jamais renoncé à la lutte contre l’occupation israélienne de la Palestine (officiellement et en paroles, du moins), bénéficie aussi du soutien du Hezbollah et de la sympathie de la résistance palestinienne, mais également de celle des populations de la région, de manière générale, pour qui la Syrie demeure le champion de la cause arabe.

Cependant, pour les États-Unis, d’une part, la Syrie, proche de Téhéran, pourrait constituer un intermédiaire intéressant entre l’Amérique et l’Iran. C’est pourquoi la Maison blanche a poussé son allié saoudien à tendre la main à Bashar al-Assad, en lui proposant un partenariat économique, tandis qu’elle jouait son nouvel allié français, qui encouragea la création d’un tribunal onusien à la suite de l’assassinat du premier ministre libanais Rafiq Hariri, en 2005, orientant d’emblée l’enquête vers les services secrets syriens. L’objectif de cette politique de la carotte et du bâton n’a pas échappé à Bashar al-Assad, qui a immédiatement saisi la main tendue, entamant ainsi le chemin vers le retour en grâce. La réussite de la manœuvre ne saurait être mise en péril par les révoltes actuelles, d’où le non-interventionnisme états-unien, qui laisse la répression se poursuivre, se contentant de condamner du bout des lèvres.

D’autre part, le gouvernement de Bashar al-Assad assure le statu quo à l’égard d’Israël (paradoxalement au discours officiel de Damas, mais en réalité et en actes en tout cas) : depuis le début des négociations sur le Golan, en 2007, et la perspective de la restitution de ce territoire à la Syrie contre un accord de paix, Damas a scrupuleusement contrôlé sa frontière et assuré la tranquillité à son voisin hébreux. Israël ne peut donc que se féliciter de la stabilité politique en Syrie et dudit statu quo, qu’un renversement de régime risquerait plus que probablement de remettre en question.

La contestation s'étant éteinte dans le Djebel druze et dans le nord-ouest, si al-Assad devait être renversé, outre le règne de la division et l’instabilité, c’est donc aujourd'hui surtout l’islamisme radical effectif qu’il faudrait craindre. « Plutôt Al-Assad que ces gens-là », doit-on se dire, dès lors, dans certaines chancelleries.

Sans aucun doute, le « Printemps arabe », en Syrie, n’a été qu’un mirage, interprété, à tort, à l’aune des expériences tunisienne et égyptienne ; les autorités sont sûres d’elles ; et le président al-Assad a encore de beaux jours devant lui.

La période du Ramadan, qui débutera le 1er août, constituera toutefois un test pour la Syrie. Pendant le Ramadan, les mosquées sont assidument fréquentées tous les soirs, et pas uniquement le vendredi, comme c'est le cas en temps ordinaire. Les manifestations nocturnes pourraient donc s'intensifier... ou tout au contraire s'apaiser, car le mois du Ramadan constitue aussi une période de fête pour les familles.

Tout dépendra donc de la capacité de l'opposition à mobiliser les fidèles et, dans cette perspective, les milieux islamistes joueront certainement un rôle très actif, qui mettra en évidence la réalité de leur potentiel et permettra dès lors de juger de leur capacité ou de leur incapacité à ébranler suffisamment le régime pour le faire chuter.

Comme nous l'a confié un prêtre catholique syriaque, « si, au premier jour du Ramadan, tous les Sunnites montent sur les toits et commencent à crier 'Allah akbar', c'en sera fini du régime; et tous les Chrétiens seront écrasés; nous serons tous morts ».


©  photo Pierre PICCININ- juillet 2011

* Il nous apparaît important de préciser que j’ai pu circuler à travers tout le pays sans aucune entrave et me rendre partout librement, y compris à Homs et Deraa, mais aussi à Hama, ville en état de siège, les principaux centres de la contestation. J’ai traversé plusieurs barrages routiers et contrôles, où j’ai dû présenter mon passeport belge, mais, à aucun moment, il ne m’a été demandé de faire demi-tour. J’ai donc pu observer toutes les places qu’il me semblait utile de visiter. J'étais seul dans mon véhicule. Jamais les autorités ne m'ont approché ni n'ont exigé que je sois accompagné. Je n'ai jamais dû rendre compte de mon itinéraire, ni le soumettre à aucune approbation, ni en informer préalablement les autorités.

[1] Contrairement aux informations diffusées par la plupart des médias sur base de la dépêche de l'AFP, la manifestation de Hama, le 15 juillet, n'a pas réuni 500.000 personnes (la ville de Hama comprend 370.000 habitants).

En fonction d'une estimation, bien évidemment toujours difficile, nous pouvons considérer une participation de 15.000 à 30.000 personnes au plus, de quelques milliers de personnes (moins de 10.000), au moins.

Le million de manifestants en Syrie annoncé le 15 juillet par l'AFP, journée présentée comme celle ayant connu la mobilisation la plus forte depuis le début des événements, est un non-sens complet : on peut envisager le nombre des manifestants, au total, à un peu plus d'une centaine de milliers et guère davantage. Le nombre de victimes avancé est lui aussi sujet à caution, même si la répression est effective.

Presqu'aucun observateur étranger n'étant plus présent en Syrie, la source quasiment unique des médias est "l'Observatoire syrien des droits de l'homme"(OSDH), dont les bureaux ne se trouvent pas en Syrie, mais à Londres. Sous cette étiquette, on trouve une organisation politique dissidente dont le président, Rami Abdel Ramane, est un proche des Frères musulmans.

Selon cette même source, il y aurait eu 450.000 manifestants à Deir ez-Zor (exemple : Syrie : plus d'un million de manifestants contre le régime, L'Humanité, 15 juillet 2011); or, cette ville comprend 240.000 habitants.

Les mêmes non-sens ont été reproduits par la presse le vendredi 22 juillet, toujours en fonction de la même source (exemple : Syrie : 1,2 million de manifestants à Hama et Deir Ezzor, Le Monde, 22 juillet 2011; nb: la vidéo proposée par Le Monde parle pourtant d'elle-même).

A propos du nombre des manifestants, lire : Syrie. Un million de manifestants. Vraiment?, Investig'Action, 17 juillet 2011 (traduit en persan par Strategic Review).

[2] Les pourcentages présentés sont le résultat d'estimations : la Syrie est un État laïc; la religion et l'appartenance communautaire (ni non plus l'origine ethnique) ne figurent pas sur la carte d'identité des citoyens et ne font pas l'objet de recensement.

Lien(s) utile(s) : La Libre Belgique.

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Source : Pierre Piccinin
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