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Opinion
MONDE ARABE
De Saddam Hussein à
Oussama Ben Laden :
du bon usage de l'assassinat politique en terre arabe
Pierre Piccinin
Mercredi 4 mai 2011
"On meurt beaucoup, dans les hautes sphères du monde arabe..."
L’annonce faite par l’administration
Obama, ce lundi 2 mai
2011, de la mort du fondateur d’al-Qaïda, Oussama Ben Laden,
vient ajouter un nom supplémentaire à la liste déjà longue des
leaders arabes qui, après avoir étroitement collaboré avec
Washington et ses alliés européens, étaient, à la suite
d’événements et de retournements de situation divers, devenus
gênants pour leurs anciens alliés.
Il ne s’agit pas, ici, de polémiquer sur les circonstances
particulières qui ont entouré l’exécution d’Oussama Ben Laden,
ni non plus sur la manière non moins étrange dont les autorités
états-uniennes, après avoir enlevé son corps sur un de leur
bateau de guerre, l’ont fait disparaître illico presto en
l’ensevelissant dans les profondeurs de la Mer d’Oman, mais bien
de s’interroger sur la série de décès et accidents cérébraux ou
vasculaires qui touche l’élite arabe, autant de personnalités de
premier plan ayant eu d’étroites relations avec
l’hyper-puissance américaine et qui, certainement, auraient eu
bien des choses à dire, à révéler, à expliquer…
Que de surprises et de détails croustillants aurait réservé un
tribunal public où, sur la sellette, se serait assis cet homme
qui fut financé et armé par les Etats-Unis d’Amérique lorsqu’il
s’agissait de combattre les Soviétiques en Afghanistan, dans les
années 70’ et 80’, lui que les présidents Carter et Reagan
qualifièrent de « freedom fighter » ! Quelle tribune
exceptionnelle un tribunal eût été pour cet homme bien au
courant des ficelles et des coulisses de la politique
états-unienne à travers tout le monde arabe ! Bien mieux que les
« révélations » de
Wikileaks, un tel procès
eût défrayé la chronique…
Serait-ce pour cette raison qu’il a été nécessaire de lui mettre
du plomb dans la tête ?
Et serait-ce pour cette même raison qu’un autre homme qui en
savait trop, le président irakien
Saddam Hussein, fut quant
à lui jugé à la va-vite, sur base de chefs d’accusation mineurs
qui écartèrent des débats les responsabilités états-uniennes et
européennes, et ce non pas devant un tribunal international,
mais face à des juges locaux, et pour finir au bout d’une
corde ?
Et puis, on se souviendra aussi des embrassades de Bernard
Kouchner et de
Nicolas Sarkozy, serrant
bien fort contre leur cœur leur « ami » Zine el-Abidine
Ben Ali, le dictateur
tunisien. On se rappellera sans peine des amabilités et des
sourires à pleines dents de Barak Obama pour Hosni
Moubarak, sa meilleure carte au Proche-Orient.
Impossible d’oublier les accolades chaleureuses et complices,
les petites tapes dans le dos, de Sylvio Berlusconi, à l’égard
du colonel
Mouammar Kadhafi.
Pendant des années (des décennies !) et jusqu’il a fort peu, ces
tyrans ont bien servi leurs « amis » d’Occident. Recevant armes
et reconnaissance sur la scène internationale, ils bénéficiaient
de la politique du singe : « je ne vois rien ; je n’entends
rien ; je ne dis rien » ; mais je soutiens, j’arme et je
finance…
Ces tyrans, en échange, ont asservi leur peuple, l’ont soumis
aux intérêts de plusieurs milliers de sociétés états-uniennes et
européennes, qui ont pillé les matières premières de ces pays et
fait violence à une main-d’œuvre surexploitée, amassant
eux-mêmes des fortunes colossales, tandis que leurs sujets
survivaient dans la misère et la précarité, s’entassant par
centaines de milliers, à Tripoli comme au Caire, dans ces
immeubles mal bâtis, surchauffés au soleil de l’été torride,
payant, pressurés et dépouillés de tout, des loyers démesurés
qui ajoutaient ce crime à l’empire de leurs maîtres et à la
richesse des partenaires et supporters que ces derniers
trouvaient en Occident.
N’est-il pas plaisant, dès lors, d’entendre aujourd’hui le
président Obama condamner les années de dictature et se
féliciter de ce que le peuple égyptien se soit débarrassé du
despotisme ? D’entendre Monsieur Sarkozy « hausser le ton » et
imposer, manu militari, des sanctions au dictateur libyen ?
A qui s’adressent donc ces discours ? Pas à leurs anciens
alliés. Ni non plus aux peuples d’Afrique du nord et d’Orient,
qui les haïssent et ne sont dupes en aucun cas de leurs
simagrées hypocrites.
C’est à nous qu’ils s’adressent, à nous, citoyens de l’Occident.
Nos gouvernants font maintenant la fine bouche, s’indignant
publiquement, se dédouanant à qui mieux-mieux. Et nous, nous
sommes tout prêts à les croire, à les applaudir et à nous
indigner avec eux, sûrs de notre bonne conscience, à les saluer,
même, pour leur sens de l’honneur, des responsabilités, et
l’amour de la liberté. Nous ne sommes pas dupes, nous non plus,
pourtant. Mais leurs discours nous conviennent bien. N’est-ce
pas nous qui les avons élus ? Ne sont-ce pas nos voix (ou notre
silence) qui ont cautionné leur politique ?
Mais toutes les dictatures du monde soutenues par l’Occident,
tous les Bouteflika d’Algérie, les Mohamed du Maroc, les
généraux de Birmanie, les Kabila du Congo, les Abdallah de
Jordanie… tous devraient désormais se le tenir pour dit : le
jour où vous ne pourrez plus servir à l’Occident, vous serez
abandonnés à la vindicte de vos peuples, rejetés comme les
derniers des parias, éliminés d’une balle dans la tête.
Saddam Hussein pendu haut et court ; Zine el-Abidine Ben Ali
dans le coma ; Hosni Moubarak victime d’une crise cardiaque ;
Mouammar Kadhafi bombardé dans sa résidence de Tripoli ; Oussama
Ben Laden exécuté à bout portant… Certes, le procédé n’est pas
nouveau : de
Salavador Allende à
Ernesto Guevara, de Patrice Lumumba à
Slobodan Milosevic, on a
toujours su faire taire...
Quoi qu’il en soit, une chose est sûre : on meurt beaucoup,
depuis un certain temps, dans les hautes sphères du monde arabe.
Pierre PICCININ
Professeur d’histoire et de sciences politiques
© Cet article peut être librement reproduit, sous condition d'en
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Publié le 4 mai 2011
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