Tendances de l'Orient
Visite historique
du Patriarche maronite à Damas
Pierre
Khalaf
Lundi 11 février
2013
Le Patriarche de l'Eglise maronite,
Béchara Raï, a définitivement tournée la
page d'un contentieux vieux de plusieurs
décennies avec la Syrie, en décidant de
se rendre à Damas pour assister à
l'intronisation du nouveau Patriarche
grec-orthodoxe, Youhanna X Yazigi. Cette
visite à caractère religieux et pastoral
revêt une dimension politique
incontestable et elle n'aurait pas eu
lieu sans l'encouragement du Vatican qui
aurait recommandé aux chefs des Eglises
maronite et grecque-catholique de
participer à la cérémonie de Damas, en
signe de solidarité avec les chrétiens
de Syrie, qui traversent des moments
difficiles à cause de la montée de
l'extrémisme islamique soutenu par les
Etats wahhabites du Golfe dans ce pays.
Cette visite consacre donc le
repositionnement stratégique à portée
historique des chrétiens d'Orient, qui,
abandonnés par l'Occident, n'ont
d'autres choix que de revoir leurs
alliances. Selon le Patriarche
grec-catholique Grégoire III Laham, 1000
chrétiens ont été tués par les
terroristes en Syrie depuis le début des
troubles et 200000 ont été chassés de
chez eux.
Le président libanais Michel Sleiman a
affirmé samedi soutenir la visite de Mgr
Raï. "Le patriarche maronite est le
gardien des droits des chrétiens en
Orient et je soutiens sa visite en
Syrie, il sait ce qu’il fait", a déclaré
M. Sleiman à l’issue de la messe à
l’occasion de la Saint-Maron.
Damas s'est
donc
transformé l'espace d'une intronisation
en capitale des chrétiens d'Orient.
La cérémonie organisée à l'église de la
Croix sacrée, au cœur de Damas, était
entourée de mesures exceptionnelles.
Tireurs d'élite sur les toits,
stationnement interdit, fouilles
minutieuses et portails magnétiques, la
sécurité était confiée à la
redoutable garde républicaine.
Un représentant du président Bachar al-Assad,
le ministre Mansour Azzam, les ministres
des Déplacés, Joseph Soueid, de
l'Information, Mahmoud el-Zohbi, celui
des Wakfs, Abdel Sattar el-Sayyed,
des dignitaires religieux musulmans,
ont assisté à la cérémonie, aux côtés de
nombreux
diplomates, dont le nonce apostolique et
l'ambassadeur d'Iran à Damas.
A l'extérieur
de l'église,
des milliers de fidèles suivaient
la cérémonie sur un écran géant.
Dans son discours lors de la cérémonie,
le patriarche Youhanna X a déclaré que
"la Syrie trouvera la voie du salut par
le dialogue et retrouvera son visage
d'antan." Et de poursuivre: "Dieu
n'accepte pas que se brise la vie que
nous partageons avec les non-chrétiens
pour des causes politiques et parce que
chez nous comme chez eux il y a des gens
qui adhèrent à des tendances
fondamentalistes n'ayant rien à voir
avec la religion". Affirmant qu'il
priera et œuvrera à l’unité en Syrie, le
nouveau patriarche a prié Dieu pour
qu'Il l'accompagne dans sa
responsabilité. Youhanna X a enfin
assuré qu'il n'oublie pas le Liban,
saluant son peuple et son président,
après avoir rendu hommage au président
Bachar al-Assad.
Le chef de l'Eglise maronite a de son
côté prononcé un discours dans lequel il
s'est adressé au nouveau patriarche:
"Vous prenez en charge vos fonctions
dans un contexte difficile pour la Syrie
blessée et souffrante. Nous avons vécu
au Liban cette blessure béante causée
par les guerres absurdes". "Nous somme
venus aujourd'hui en Syrie pour exprimer
notre solidarité avec notre peuple
souffrant et blessé, portant l’évangile
de la paix, l’évangile de la fraternité,
l’évangile de la dignité humaine." Pour
le patriarche maronite, "tout sang
innocent versé sur cette bonne terre est
une larme de Jésus Christ."
Samedi, le cardinal Raï, a appelé dans
une homélie à des réformes en Syrie et a
prôné le dialogue. Répondant aux
critiques, le cardinal Raï a indiqué
être venu pour "rencontrer les chrétiens
et notamment les 60000 maronites" et a
souligné que l'église "est toujours
contre la guerre et pour le dialogue".
Dans une première réaction officielle
syrienne à la visite du patriarche Raï à
Damas, le vice-ministre des Affaires
étrangères, Fayçal Mokdad, a déclaré que
les peuples libanais et syrien sont un
seul peuple, ajoutant que Mgr Raï est
aujourd'hui "chez lui".
Au Liban, la visite de Mgr Raï a suscité
l'enthousiasme d'une majorité de
chrétiens qui estiment aujourd'hui leur
sort lié à celui de leurs
coreligionnaires en Syrie. Mais
certaines voix proches du 14-Mars se
sont élevées pour critiquer la décision
du prélat, comme le secrétaire général
du 14-Mars Farès Souhaid. Le fils du
député du Courant du futur, Nouhad
Machnouk, Saleh Machnouk, a qualifié de
"messe satanique" l'office religieux
célébré par Mgr Raï à Damas. Ses propos
déplacés ont provoqué une vigoureuse
campagne de protestation sur les réseaux
sociaux.
Ecrasés par l'armée autour de Damas, les
rebelles s'entretuent dans le nord
Alors que le vent international et
régional commence à tourner, les revers
des groupes extrémistes actifs en Syrie
se multiplient sur le terrain face à
l'Armée arabe syrienne, tandis que plus
un jour ne passe sans que des combats
fratricides ne déchirent les rangs
rebelles.
La cinquième offensive annoncée pour
entrer à Damas s'est transformée en
désastre pour les groupes armées. Des
informations sur des discussions entre
le Front quaïdiste al-Nosra et d’autres
groupes armés pour coordonner une
attaque contre Damas étaient parvenues
aux services de renseignements syriens.
20000 combattants, dont de nombreux
jihadistes étrangers, ont été acheminés
aux abords de Damas.
Le plan des extrémistes consistait à
avancer à partir de deux axes: Jobar-Zamalka,
pour prendre le contrôle de la Place des
Abbassides, ce qui aurait poussé l’armée
à dégarnir le front de Daraya pour
envoyer des renforts sur le nouveau
front. A ce moment, l’autre phase du
l’offensive commencerait de Daraya vers
l’aéroport militaire de Mazzé et le
centre de la capitale. Informée des
détails de ce plan, l'Armée arabe
syrienne a retiré ses unités des
premières lignes avant de procéder à un
pilonnage sans précédent des lignes
rebelles. Des centaines de miliciens ont
été tués au début de l’assaut, dont les
plus entrainés et d’importants chefs.
Les groupes armés ne sont retirés,
laissant sur le terrain de lourdes
pertes, sans avoir réussi à avancer d'un
seul mètre.
Pendant ce temps, au moins quatre
incidents ont opposé en moins d'une
semaine des habitants aux quaïdistes du
Front al-Nosra dans le nord-ouest de la
Syrie.
Ces altercations, dont l'une a failli
dégénérer en affrontement armé, ont eu
lieu dans la région d'Atme, à Idleb. Des
combattants d'Al-Nosra, qui compte de
nombreux étrangers, sont intervenus dans
une querelle entre villageois en début
de semaine à Qah, ont raconté à l'AFP
deux témoins. Ils ont pris à partie puis
arrêté un homme ayant prononcé des
jurons après un banal accident de
voiture, avant d'essayer de l'emmener
dans la ville voisine de Daret Ezza pour
qu'il soit jugé par un tribunal
islamique.
Un responsable local, frère de l'homme
interpellé, a immédiatement mobilisé des
dizaines d'hommes en armes pour obtenir
sa libération, tandis que des
combattants jihadistes sont arrivés en
renfort à leur QG d'Atme.
A l'issue d'un dangereux face-à-face,
toujours selon les deux témoins, les
villageois ont ouvert le feu dans les
roues de deux véhicules des membres
d'Al-Nosra qui tentaient d'emmener leur
prisonnier, et ont enlevé à leur tour un
chef de l'organisation islamiste. Ce
dernier a été relâché deux jours plus
tard grâce à une médiation, après avoir
vu ses geôliers raccourcir à coups de
ciseau sa longue barbe de salafiste, et
en échange de la libération du
villageois arrêté par les jihadistes.
Vendredi à Atme, un cheikh jordanien du
Front al-Nosra a voulu prendre la parole
à la mosquée lors de la prière
hebdomadaire, mais en a été empêché par
un notable local, puis par une grande
partie des villageois présents, selon
plusieurs habitants.
La tension est vite montée, les hommes
d'al-Nosra sur place ont alors fait mine
de prendre leurs armes, provoquant une
vive altercation avec les fidèles. "La
situation a failli dégénérer", a
souligné une source rebelle citée par
l'AFP.
Deux jours auparavant devant la même
mosquée, une bagarre avait opposé des
villageois et des membres d'al-Nosra
pour un motif similaire.
Dans le bourg d'Ad Dana, des fidèles et
des jihadistes, membres d'un groupe
affilié au Front al-Nosra, en sont venus
aux mains dans une mosquée où là aussi,
un cheikh koweïtien avait voulu prendre
la parole à la place de l'imam local.
"Chaque jour qui passe maintenant, il y
a ce genre d'incident avec ces gens qui
veulent nous imposer leur façon d'être.
Ils commencent à nous poser problème", a
commenté un notable d'Atme.
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