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Le Web de l'Humanité
L'amer constat de l'échec d'Annapolis
Pierre Barbancey
Annapolis - Photo RIA Novosti
Jeudi 27 novembre 2008 Proche-Orient .
Présentée il y a un an comme une réunion « historique », la
conférence d’Annapolis parlait de la création d’un État
palestinien fin 2008. On en est loin. Analyse.
Il y a un an, jour pour jour, à l’ouverture de la conférence
dite d’Annapolis (cette ville américaine du Maryland où se
tenait la réunion convoquée par George W. Bush) qui devait
marquer un nouveau départ du processus de paix, le ministre
français des Affaires étrangères, Bernard Kouchner, s’exprimait
en ces termes : « La réunion d’aujourd’hui inaugure un nouveau
cycle politique, diplomatique et économique. Elle inaugure un
temps nouveau, un temps d’espoir et de progrès qui aboutira, je
l’espère, à la création d’un État palestinien viable avant la
fin 2008. Nous connaissons maintenant le chemin et le calendrier
pour atteindre cet objectif. Une dynamique est lancée : il nous
faut la soutenir concrètement. »
Rendons à César ce qui est à César. Dans son intervention,
Kouchner n’a omis aucun des paramètres qui composent l’équation
israélo-palestinienne. Ni le lien entre politique, diplomatie et
économie, ni la note d’espoir indispensable après soixante ans
de marasme, ni le nécessaire soutien de la communauté
internationale. À l’époque d’ailleurs, le représentant de
Sarkozy interpellait les journalistes présents, leur reprochant
de ne jamais être optimistes, de ne pas déceler cette fois un
« moment historique ». Le scénario était effectivement bien
bouclé. George W. Bush se voulait le grand ordonnateur de cette
manifestation, lui qui avait ignoré le Proche-Orient au début de
son premier mandat, puis qui avait mis cette même région à feu
et à sang en envahissant l’Afghanistan et l’Irak, en soutenant
les projets criminels du premier ministre israélien Ariel
Sharon, en applaudissant à la séquestrationde fait de Yasser
Arafat à Ramallah.
En vue d’Annapolis, on avait mis les petits plats dans les
grands. Intimidation et offensive militaire sur le terrain,
contre les Palestiniens mais aussi contre tous ceux, groupes et
États, qui refusaient la vision américaine du Moyen-Orient.
Le dialogue inter palestinien au point mort
Cheval de Troie de Washington, la démocratie. Un véritable
leurre en fait, comme on a pu le constater, la seule
préoccupation américaine étant de conserver les bases
appropriées pour le contrôle des sources énergétiques et
l’endiguement, autant que faire se peut, de l’expansion
économique chinoise. C’est pourquoi même la Syrie, cet « État
voyou », avait été invitée et était venue.
La situation actuelle mon-tre l’échec d’Annapolis. Les
territoires palestiniens sont toujours occupés, Gaza s’enfonce
non plus dans la misère mais dans la mort, bouclée en permanence
par Israël sans que la communauté internationale s’en offusque,
le dialogue interpalestinien est au point mort et le mouvement
national palestinien risque de n’être plus bientôt qu’un lointain souvenir.
Il n’est d’ailleurs plus question de la création d’un État
palestinien pour la fin du mandat de Bush, comme évoqué alors.
Ce dernier vient de rencontrer le premier ministre israélien
démissionnaire, Ehoud Olmert. Les deux hommes ont affirmé que
l’effort de paix entre Israéliens et Palestiniens se
poursuivrait après leur prochain départ, Bush se voulant même
rassurant, disant que « cette vision (était) toujours vivante ».
Sans rire, Olmert lui a répondu : « Vous avez mis en branle un
mouvement, le processus d’Annapolis, auquel j’ai été fier de
participer, et il continue sous votre direction, avec votre
soutien et votre inspiration. »
Si l’on se penche sur ce que pourrait faire la prochaine
administration, rien ne pousse vraiment à l’optimisme. Hillary
Clinton, qui devrait être la prochaine secrétaire d’État,
c’est-à-dire la ministre des Affaires étrangères, relate dans
ses mémoires le « dégoût » que lui avait inspiré sa rencontre
avec Souha Arafat, l’épouse du leader historique palestinien
dont les circonstances de la mort n’ont toujours pas été
élucidées. Quant à Barack Obama, si son approche du Moyen-Orient
semble différente de son prédécesseur (il se prononce pour un
dialogue notamment avec la Syrie, voire avec l’Iran, comme le
préconisait la commission Baker-Hamilton mise en place pour
étudier les pistes de sortie du bourbier irakien), il n’a pas
oublié de faire allégeance aux groupes pro-israéliens, comme
notamment l’American Israel Public Affairs Committee (AIPAC),
dont l’influence sur la politique étrangère américaine, par-delà
les administrations, a été pointée du doigt dans le livre de
John J. Mearsheimer et Stephen M. Walt, le Lobby pro-israélien
et la politique étrangère américaine (éditions La Découverte).
Début 2008, le même Obama avait écrit au représentant américain
à l’ONU pour exiger que la résolution relative à la situation
dans la bande de Gaza rappelle avant tout le « droit d’Israël à
l’autodéfense ».
Au lendemain de cette conférence, dans l’Humanité du 29
novembre 2007, nous écrivions : « Alors que les questions de
fond doivent maintenant être abordées (Jérusalem, les réfugiés,
les frontières, l’eau, la colonisation, la sécurité), la réelle
volonté américaine se mesurera à l’aune de son implication sur
le terrain. Il est plus facile pour Israël d’arrêter toute forme
de colonisation, de se retirer sur ses positions de septembre
2000 (avant le déclenchement de l’Intifada), de laisser les
Palestiniens circuler librement en Cisjordanie, autant de gestes
aptes à renforcer l’autorité de Mahmoud Abbas (dont la présence
à Annapolis est contestée par le Hamas), que pour ce dernier de
parvenir à contenir les groupes armés, surtout dans la bande de
Gaza qu’il ne contrôle pas. Sans cela, on peut malheureusement
prédire l’échec d’une véritable paix basée sur les résolutions
de l’ONU. » L’année qui vient de s’écouler nous a
malheureusement donné raison.
Le plan de paix arabe sur la sellette
Le président palestinien, Mahmoud Abbas, qui a pourtant
accepté toutes les volontés américaines, et certains disent
israéliennes, constate lui aussi l’échec d’Annapolis. Il demande
maintenant l’application du plan de paix arabe (retrait
israélien de la bande de Gaza, de toute la Cisjordanie et de
Jérusalem-Est, ainsi que le règlement du problème des réfugiés
palestiniens, en échange de la reconnaissance d’Israël par les
pays arabes et l’établissement de relations diplomatiques). Il a
défendu ce plan cette semaine dans la presse israélienne en y
publiant des encarts publicitaires et s’est adressé en ce sens à
Barack Obama.
La tenue prochaine d’élections législatives (février) en
Israël est encore un facteur de préoccupation. Généralement,
lors de telles échéances, les positions les plus dures servent
de ligne de conduite. Quant à l’Union européenne, elle se
contente, comme toujours, d’assurer l’intendance, sans aucune
véritable initiative politique. Jusque-là on parlait
d’impuissance. Mais lorsqu’on entend le secrétaire général de
l’ONU, Ban Ki-moon, exprimer « sa préoccupation » concernant la
situation humanitaire à Gaza, on se dit que le temps de
l’impuissance a laissé la place à celui, au mieux, de la
lâcheté, au pire à celui de la collaboration.
© Journal l'Humanité
Publié le 28 novembre 2008 avec l'aimable autorisation de l'Humanité.
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