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Dans les camps
palestiniens, à la rencontre des réfugiés
Pierre Barbencey
Dans le camp de Baddawi en avril 2007
Lundi 15 novembre 2010
Ils sont des centaines de milliers à s’entasser dans des camps
au Liban. Ils veulent que le droit au retour soit partie
intégrante de négociations avec Israël. Une délégation
française, à laquelle participait Patrick Le Hyaric, était sur
place.
Le pas lent, Suleiman Borhan Samany parcourt les rues de ce
camp qu’il connaît si bien, celui de Baddawi, près de Tripoli,
la grande ville du Liban Nord. Il est arrivé là en 1958, après
une errance qui a commencé pour lui alors qu’il n’avait que sept
ans. C’était en 1948. Suleiman et sa famille avaient dû fuir
leur village de Sahmata, au nord de la Palestine, bombardé par
les forces sionistes. Le garçon qu’il était alors portait sur
ses épaules une petite fille jusqu’à Rmeich, bourgade libanaise
aujourd’hui frontalière avec Israël. « Quand on est arrivés là,
il n’y avait rien pour nous. Nous puisions de l’eau dans la mare
où s’abreuvaient les cochons ! » Que regarde Suleiman en nous
parlant ? Les façades de ces immeubles du camp de Baddawi où il
a finalement échoué alors qu’il n’y avait là que des tentes de
toile mises à disposition par l’agence de l’ONU pour les
réfugiés palestiniens,
l’UNRWA ? À moins que ce ne soient ces
câbles électriques qui pendent dans les rues comme de vieilles
guirlandes oubliées, alors que l’éclatement d’une canalisation
d’eau fait à chaque fois craindre le pire ? Ne serait-ce pas
plutôt, au travers de ces enfants qui jouent dans la rue, son
propre souvenir, celui du temps qui passe, de l’enfant devenu
homme et qui maintenant vieillit deux fois plus vite, et qui
voit le cycle se répéter inlassablement pour les Palestiniens ?
Suleiman Samany pleure. Il pleure la vie « qui est insupportable
ici ». Il pleure la mort qui, il le sait maintenant, viendra le
cueillir dans ce camp, loin de sa terre natale, celle de ses
ancêtres.
Aucun lyrisme. Juste une fatigue. Une énorme fatigue. C’est
sans doute ce qui caractérise le sentiment de ces réfugiés
palestiniens. Troisième ou quatrième génération, ils sont
fatigués de cette existence sans horizon, entre nostalgie et
colère, entre révolte et désespérance. Suleiman Samany le sait,
lui qui a été prof de français dans les écoles de l’UNRWA
pendant dix ans, possède une solide formation de médecin (métier
qu’il n’a pas le droit d’exercer au Liban selon les lois en
vigueur jusque-là, bien que le Parlement, au mois d’août, ait
assoupli la législation), s’est investi dans les clubs de
football pour entraîner les jeunes et laisse maintenant aller
ses pensées sur des toiles qu’il peint.
Tout cela, les membres de la délégation initiée par
l’Association de jumelage des camps de réfugiés palestiniens et
des villes françaises (AJPF) ne l’ont pas vraiment découvert.
Comme l’explique le président de l’association, Fernand Tuil,
« les camps sont le symbole de la résistance ». Marc Everbecq,
maire de Bagnolet – dont la ville est jumelée avec le tristement
célèbre camp de Chatila – souligne d’ailleurs que cette action
n’est pas seulement organisée « dans un cadre humanitaire d’aide
à la population. Elle vise à traiter politiquement la question
du droit au retour des réfugiés palestiniens ». Ce qui n’empêche
évidemment pas les aides concrètes. Piero Rainero, adjoint au
maire de Quimper, parle ainsi d’un travail avec une association
de Morlaix pour dépolluer le puits d’un camp. Pour François
Baud, maire de Valenton, « ce qu’on a vu est très violent, il
faut réfléchir aux actions à mettre en œuvre en France pour
faire connaître cette question ». Mêmes sentiments à Mitry-Mory,
à La Courneuve, à Avion, à Montataire ou à Vierzon, où le maire,
Nicolas Sansu, étudie la possibilité d’un jumelage.
Patrick Le Hyaric, directeur de l’Humanité et député au
Parlement européen, qui a pu constater dans quelle situation
vivaient les réfugiés palestiniens, juger des conditions
sanitaires désastreuses – la plupart du temps, il n’y a pas
d’eau potable –, a dénoncé « l’impunité la plus totale dont
continuent à bénéficier les dirigeants israéliens, responsables
des massacres de Sabra et Chatila aussi bien que de ceux
perpétrés à Gaza ».
Au fil des rencontres avec les responsables des camps,
notamment à Baddawi, la crainte est apparue de voir justement
cette question des réfugiés marginalisée, voire oubliée. « On
nous traite comme des chiffres, nous ne sommes que des
pourcentages », se plaignait l’un d’entre eux, réaffirmant :
« Nous voulons retourner en Palestine et vivre là-bas, dans
notre patrie. Nous voulons la nationalité palestinienne, un
passeport palestinien. » Et Kassem Hassan, responsable des
organisations membres de l’OLP dans le camp de Chatila, et
membre du Fatah, le parti de Mahmoud Abbas, d’ajouter : « Les
négociations ne se termineront jamais tant que le problème des
réfugiés ne sera pas réglé. » Ce doute de voir la direction
palestinienne les oublier imprègne les réflexions des habitants
de ces camps de réfugiés, au Liban plus qu’ailleurs.
L’ambassadeur de Palestine au Liban, Abdallah Abdallah, le sait
bien. En recevant officiellement la délégation française, il a
d’abord relevé que « la division interpalestinienne était un
obstacle au mouvement de solidarité avec la Palestine », tout en
faisant remarquer que « les efforts pour la réconciliation
continuent mais (que) d’autres forces régionales s’activent pour
que la division se poursuive ». Il a rappelé qu’après les
accords d’Oslo, « 300 000 Palestiniens étaient rentrés en
Palestine ». Mais il a surtout tenu à souligner que « les
négociations menées jusqu’à maintenant n’ont pas remis en
question la création d’un État palestinien, le droit au retour
des réfugiés où la souveraineté sur Jérusalem-Est ».
Crainte encore pour l’avenir de ces réfugiés quand on sait
que le déficit financier de l’UNRWA s’élève maintenant à plus de
70 millions d’euros et que l’organisation de l’ONU envisage
dorénavant de fermer un certain nombre de services pourtant
indispensables à cette population. Que l’on songe, par exemple,
aux centres de soins et aux dispensaires de l’UNRWA, sans
lesquels les Palestiniens des camps ne pourraient tout bonnement
pas se soigner…
« Le droit au retour ne peut pas être négociable ! » a lancé
Patrick Le Hyaric devant ses interlocuteurs palestiniens. « Le
peuple palestinien doit pouvoir vivre sur sa terre. Nous sommes
des millions à être du côté du peuple palestinien. La direction
palestinienne peut compter sur un mouvement dans le monde plus
important qu’on ne le pense et ce mouvement peut l’aider dans
les négociations. Nous allons continuer à porter ce combat dans
les municipalités, aux Parlements français et européen ». Un
message entendu par Suleiman Samany qui veut encore y croire,
qui a participé aux différentes rencontres et a tenu à montrer
ses tableaux aux délégués français. « On ne veut pas rester au
Liban pour l’éternité. On veut rentrer chez nous. Notre
résistance n’est pas qu’armée, c’est aussi une résistance de la
pensée », insiste-t-il malgré ses yeux encore humides et une
main tremblante lorsqu’il évoque son pays, la Palestine.
Camp de Baddawi (Liban Nord), envoyé spécial
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Pierre Barbancey
© Journal L'Humanité
Publié le 16 novembre 2010 avec l'aimable autorisation de
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